Mégafeux, le témoignage d’une consœur australienne - Le Point Vétérinaire.fr

Mégafeux, le témoignage d’une consœur australienne

Anne-Claire Gagnon | 03.04.2020 à 11:55:31 |
Andrea Harvey
© DR

« Les vétérinaires ont besoin d’avoir une meilleure conscience des problèmes de bien-être animal lors de catastrophes naturelles », estime Andrea Harvey.

Sidération devant les images, admiration pour le courage de nos confrères qui ont choisi de rester auprès de leurs animaux, en Nouvelle-Galles du Sud (Australie), l’émotion de la communauté des vétérinaires félins a été immense le 1er janvier quand Richard Malik (Université de Sydney) a envoyé sur le forum de l’International Society of Feline Medicine (ISFM) les images, visiblement prises par notre consœur Andrea Harvey sur son téléphone. Car c’est une chose de regarder les journaux télévisés, mais de voir la réalité avec les yeux de nos confrères, aux premières loges, mobilise d’autres forces. Quelques jours plus tard, Andrea envoyait des nouvelles rassurantes pour… ses chevaux sauvages, les brumbies. Diplômée de l’Université vétérinaire de Bristol (Royaume-Uni), puis résidente et spécialiste en médecine féline, depuis 10 ans qu’elle s’est installée en Australie, Andrea s’est prise de passion pour ces chevaux. Elle vient juste de terminer son PhD sur l’écologie de la population et le bien-être des chevaux sauvages et a mis en place dans sa ferme une réserve pour plus de 30 brumbies et de nombreux autres chevaux rescapés, sur les hauteurs de Southern Tablelands.

Comment en êtes-vous arrivée à passer des chats aux chevaux et la discipline du bien-être animal ?

J’ai toujours eu une passion pour les chevaux, à l’origine de ma vocation de vétérinaire. Cependant, une fois à l’école vétérinaire, je me suis aperçue que j’avais une grande affinité avec les chats, et que la médecine interne me passionnait plus que les affections équines habituelles comme les boiteries. C’est ainsi que j’ai fait de la médecine féline, donc passer aux chevaux c’est juste revenir à ma première passion. Comme j’ai mûri professionnellement, j’ai réalisé l’énormité des problèmes de bien-être animal, et que le traitement individuel de patients, même si c’est gratifiant, a peu d’impact sur la globalité du bien-être animal. C’est ce qui m’a poussée vers la discipline du bien-être animal, pour essayer d’avoir un plus grand impact sur la vie des animaux.

Qui sont les brumbies ?

Brumby est le terme familier pour désigner les chevaux sauvages en Australie. En fait, techniquement, ils ne sont pas vraiment sauvages, mais ce sont des chevaux féraux, qui se sont échappés ou ont été remis dans le bush par les premiers colons, laissés à l’abandon et donnant naissance à une importante population. Le terme féral a une connotation négative, raison pour laquelle de nombreux Australiens préfèrent les appeler des chevaux sauvages ou « brumbies ». Ils sont devenus célèbres dans le monde entier au travers des poèmes de Banjo Petterson, avec le film L’homme de la rivière d’argent, et la collection de livres pour enfants d’Elynne Mitchells, Silver Brumby.

Pourquoi avoir choisi de consacrer votre PhD à leur bien-être ?

La gestion des brumbies en Australie est source de controverses, à cause du conflit entre les personnes qui valorisent l’environnement et ont peur que les brumbies aient un impact négatif, et les personnes qui valorisent les brumbies, comme partie intégrante de leur patrimoine. Il y a très peu de recherches scientifiques faites sur les brumbies, et aucune sur leur santé et leur bien-être, ni sur les résultats des différentes méthodes de gestion de leurs populations. Les vétérinaires n’ont pas été beaucoup impliqués dans ce domaine, et c’est la raison pour laquelle j’ai pensé pouvoir être utile en associant mon intérêt pour la science du bien-être animal et ma passion pour les chevaux et le bush.

Quels sont les problèmes de bien-être que vous avez rencontrés avec les incendies ?

Les gens pensent toujours aux conséquences du feu lui-même. Mais ici nous avions à vérifier que les chevaux disposaient d’endroits sécurisés – hors feu – et de grands espaces sans végétation, non exposés aux incendies. Il fallait aussi des réserves d’eau dans ces espaces et des abris protégés de la chaleur et du feu. Mais ce que nous n’avions pas anticipé ce sont les camions de pompiers et les avions qui ont tant effrayé les chevaux et les ont poussés loin de leurs zones de sécurité et lieux d’abreuvement. Les clôtures ont aussi été coupées pour faciliter le passage des camions, toutes choses qui auraient pu être dramatiques pour le troupeau. Nous avons vraiment eu de la chance que je puisse être là – et que les chevaux me fassent confiance au point de se calmer et de me suivre en lieu sûr, malgré l’agitation. Une grande quantité de notre eau a été pompée par les Canadair, et même si nous n’en avons pas manqué, c’était très boueux autour des points d’eau, ce qui a obligé les chevaux à entrer jusqu’aux genoux dans la boue, risquant d’être embourbés. Nous avons eu la chance de pouvoir gérer la situation et empêcher le pire, mais la promesse de nous rapporter de l’eau n’a jamais été tenue.

Quelle est la situation actuelle ?

Depuis, nous avons eu des pluies torrentielles avec l’équivalent de plus de deux années de pluie tombée en trois jours. Même si, après deux ans de sécheresse, l’eau était attendue, nous n’imaginions pas qu’elle viendrait si vite, nous causant des problèmes, jusqu’à mettre en péril  la faune sauvage, encore plus  lourdement que les incendies. Comme nous avions perdu beaucoup de clôtures, soit brûlées soit endommagées par la chute des arbres, les inondations ont beaucoup retardé et compliqué les réparations. Et comme les routes étaient très abîmées par les inondations, cela a pris du temps de faire venir des entrepreneurs, qui viennent juste maintenant, 2 mois et demi après les incendies. Notre voisin a dû vendre son troupeau de bétail car il ne pouvait le garder confiné et certains de nos chevaux utilisent ses paddocks en attendant que les clôtures soient réparées. Au moins les points d’eau sont pleins et l’herbe commence à pousser. Mais maintenant il faut nous préoccuper désormais du coronavirus !

Quels sont les rôles des vétérinaires ? Une seule santé, un seul bien-être une seule planète ?

Les vétérinaires ont besoin d’avoir une meilleure conscience des problèmes de bien-être animal lors de catastrophes naturelles, et les moyens de leur porter assistance doivent être mieux coordonnés. Les vétérinaires peuvent aussi jouer un rôle dans la conception des plans d’urgence, puisque beaucoup des problématiques de bien-être animal qui adviennent pourraient être prévenues. Mais personne ne semble se soucier de la prévention - on se préoccupe plus des victimes des incendies, ce qui n’est probablement pas la meilleure utilisation des ressources.

 

Anne-Claire Gagnon
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