Un rapport du CGAAER révèle des inégalités de traitement et des manquements dans la lutte contre les violences sexistes et sexuelles dans les établissements vétérinaires. Une personne référente offre désormais un appui pour les établissements sur les sujets relatifs à la vie étudiante.
Le Conseil Général de l'Alimentation, de l'Agriculture et des Espaces Ruraux (CGAAER) a été chargé d'accompagner la lutte contre les violences sexuelles et sexistes (VSS) dans l'enseignement supérieur agricole (ESA). La mission, confiée à notre consœur Claire Laugier (T 83) et notre confrère Stéphane Martinot (L89) en février 2023, a inclu un recensement des actions existantes et des recommandations pour améliorer la situation. Le rapport a été rendu en mai 2024 et vient de donner lieu (mai 2025) à la nomination d’un.e chargé.e de mission- dont le nom n’a pas été dévoilé- pour appuyer au niveau central les établissements sur les sujets relatifs à la vie étudiante.
Agir globalement auprès du personnel, des enseignants et des étudiantsLe rapport a fait l'objet de plusieurs présentions (aux Directions des études et de la vie étudiante, aux directeurs des écoles, aux membres du Conseil National de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Agricole, Agroalimentaire et Vétérinaire) mais pas à la presse professionnelle.
Sa lecture montre des disparités au sein des 18 établissement d’ESA. Les trois quarts de ceux-ci se positionnent de manière satisfaisante en matière d’engagement de la direction, des actions de prévention des VSS et celles d’accompagnement des victimes. Néanmoins, les enseignants-chercheurs et les encadrants de thèse (HDR) devraient être plus sensibilisés et formés à la prévention des VSS. Car « l’analyse des affaires de violences sexistes et sexuelles (VSS) portées devant le Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche (CNESER) disciplinaire depuis 14 ans, entre janvier 2009 et décembre 2022, précise que 15% des victimes sont des doctorantes. Dans la grande majorité des cas, les mis en cause sont des enseignants. En effet, la relation de subordination et de dépendance qui lie la doctorante et son directeur de thèse ou son encadrant est particulièrement propice au harcèlement sexuel et aux agressions. » Toute la question est bien, surtout à ce niveau de recherche (PhD) d’être dans un profond respect mutuel, sans subordination, ni dépendance. L’encadrant.e est un mentor qui éthiquement a le devoir d’exemplarité.
La prévention des VSS au cours des évènements festifs est désormais mise en pratique par une collaboration entre l’administration et les étudiant.e.s (vigiles pendant les soirées, etc.). Une partie des étudiants (surtout des hommes) n’a pas une claire vision des VSS alors que les associations étudiantes sont mobilisées sur cette question.
Des points à améliorer rapidementSelon le rapport, huit établissements (dont 3 établissements vétérinaires : l’ENVA, UniLaSalle et VetAgroSup ) ont mené des enquêtes administratives (majoritairement sans solliciter de personnes extérieures à l’établissement) et engagé des procédures disciplinaires pour des actes de VSS et six ont eu à saisir les services du procureur de la République. Seuls l’ENVA et UniLaSalle ont déclaré respectivement 6 et 9 enquêtes administratives. Tous les établissements vétérinaires ont déclaré avoir effectué des articles 401, sauf l’ENVT et Oniris (qui a précisé, ne pas y avoir eu recours ces 3 dernières années).
Aucun établissement vétérinaire n’a de Comité de pilotage du plan de lutte VSS présidé par le directeur. La conduite à tenir à la suite d’une confidence reçue n’est diffusée qu’à l’ENVA, Oniris et UniLaSalle. Des efforts importants sont à mener pour répondre aux attentes de transparence de la part des étudiant.e.s quant aux suites données aux signalements, dont l’absence est considérée comme un manque de considération, doublée d’une différence de traitement selon que la personne incriminée est étudiante, enseignante ou technicienne. Aucun établissement ne met en place systématiquement de mesures conservatoires suite à un signalement. « Lorsque les auteurs présumés ne sont pas des étudiants, le manque de confiance vis-à-vis de la direction sur la façon dont sont réellement pris en compte les signalements, est le motif le plus souvent avancé pour expliquer le refus de signalement », précise le rapport. Ce manque de confiance explique le peu de signalements alors que dans le même temps les auditions font apparaître que les actes de VSS seraient beaucoup plus fréquents que les cas signalés.
Sortir de l’esprit carabin ou de corporatismeLe rapport souligne l’absence d’état des lieux des VSS par des enquêtes au moins annuelles. De façon inexpliquée, les rapporteurs ne mentionnent pas l’enquête sur les VSS à l’ENVT, réalisée par l’association Parlons-en, comme nous l’avions mentionné dans un précédent article.
Le terme d’agissements sexistes2, dont la définition est donnée, est peu utilisé dans le rapport, alors que la thèse de Marianne Jacques (ENVA 2023) sur l’égalités salariale femme-homme dans le monde vétérinaire, décrit le sexisme ordinaire qui se met en place dès l’école vétérinaire.
Les rapporteurs soulignent d’ailleurs « la situation particulière de l’enseignement supérieur agronomique et vétérinaire, uniquement dispensé au sein d’écoles dont certaines possèdent une histoire, favorise le corporatisme, l’entre soi à l’intérieur de campus le plus souvent fermés, et parfois isolés d’autres établissements universitaires. L’esprit de corps, renforcé par la vie de campus, peut être à l’origine d’une volonté de protection entre pairs ou de la peur d’être rejeté de l’espace social interne à l’école du fait d’un signalement assimilé à de la délation ou à une trahison du groupe. L’esprit de corps se manifeste également chez les victimes par la crainte de nuire voire de détruire la future carrière de leur agresseur. Cette tolérance de la part des étudiants pour des faits de VSS commis par d’autres étudiants du même établissement est souvent dénoncée par les associations étudiantes ».
Des initiatives à multiplierLe rapport détaille en annexe des initiatives intéressantes d’autres établissements, comme Mines Alès, « qui a ouvert une réflexion avec son conseil juridique, une avocate spécialiste de la protection des femmes victimes de viols et de violences, pour se constituer partie civile dans le cadre de plaintes pénales déposées par des élèves ou des personnels. De plus, elle s’est rapprochée du parquet d’Alès pour que soit élaboré en concertation un protocole pour le traitement pénal et juridictionnel des actes de VSS concernant des personnels ou usagers de l’école. Ce projet de protocole est une initiative propre à Mines Alès et démontre que des écoles isolées peuvent établir des liens privilégiés, voire même passer une convention, avec les services du procureur de la République. »
La récente nomination d’une chargée de mission à la DGER sur ces questions devrait permettre une harmonisation des bonnes pratiques en matière de prises en charge et de prévention des VSS dans les établissements vétérinaires.
1.« Toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l'exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d'un crime ou d'un délit est tenu d'en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs. »
2.Il s’agit de tout agissement lié au sexe d'une personne, ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant. Contrairement au harcèlement sexuel, l’agissement sexiste ne suppose pas la répétition.