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Les vétérinaires sous le choc de la défiance de la Santé

18.10.2013 à 06:00:00 |
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Les vétérinaires, les industriels et les éleveurs s’opposent au découplage pour les antibiotiques critiques. Tandis que quelques pharmaciens voudraient le beurre et l’argent du beurre...

« Inacceptable », « complet désaccord », « révoltant sur le fond comme sur la forme », « inadmissible », « un affront », etc. Ce sont d’abord la stupeur et l’incompréhension qui dominent dans les premières réactions des vétérinaires, lorsqu’ils apprennent que le projet de loi d’avenir pour l’agriculture prévoit le découplage de la prescription-délivrance pour les antibiotiques critiques. Puis très vite viennent la colère, l’inquiétude et la mobilisation. Comment faire valoir le bon sens sur une position dogmatique et idéologique, et de dernière minute ?

La Santé décide seule
Première certitude. La responsabilité en revient totalement à la ministre de la Santé, Marisol Touraine, et plus particulièrement à son nouveau conseiller technique chargé de la sécurité sanitaire, un médecin épidémiologiste des hôpitaux de Paris, le Pr Jérôme Salomon, nommé à ce poste que depuis le 15 avril 2013. Ce médecin de l’Institut Pasteur a soutenu une thèse en 2008 sur la relation entre résistances et exposition aux antibiotiques... humains. C’est donc un spécialiste de l’antibiorésistance qui a influencé la ministre. Si son pedigree ne suffit pas à motiver une telle proposition, son apparente crédibilité sur cette thématique peut expliquer qu’il ait été aussi vite entendu jusqu’à l’hôtel Matignon. La mission “mesure 29” des quatre inspecteurs des ministères de la Santé, de l’Agriculture et de l’Économie avait mené une enquête pendant près de six mois auprès des professionnels avant de conclure à l’inefficacité du découplage, voire à « son effet contre-productif si l’État entend s’appuyer sur les vétérinaires en matière de santé animale ». Ces conclusions ont été balayées en quelques jours.

Les pharmaciens hors du coup
Seconde certitude. Les pharmaciens ne sont pour rien dans cette décision prise en catimini au ministère de la Santé. Car les plus sérieux reconnaissent que la vente des antibiotiques critiques, voire de l’ensemble des médicaments vétérinaires, risque de leur poser beaucoup plus de problèmes qu’elle ne pourrait leur rapporter. Comment disposer, nuit et jour, dimanches et jour fériés, de la totalité des gammes vétérinaires, sans droit de substitution, dans les 22 000 officines, pour satisfaire immédiatement et dans l’urgence la santé animale ? Sans “compérage”, c’est-à-dire entente entre le prescripteur et le pharmacien sur une gamme commerciale restreinte, cela n’est pas réaliste.

Ce découplage pourrait d’ailleurs surtout profiter aux cyberpharmacies qui, à partir d’un seul dépôt bien approvisionné, peuvent livrer sur tout le territoire en 24 à 48 heures l’ensemble des médicaments... Il serait alors évidemment plus rapide et plus simple de commander sur ces sites internet plutôt que de se déplacer deux fois dans une pharmacie de quartier, pour la commande et la livraison. Les administrations réfléchissent donc à cette difficulté.

Trois ajouts de trois lignes en catimini
Le choc de cette mesure vient aussi de la forme de l’annonce. Le cabinet du ministère de la Santé a, sciemment semble-t-il, roulé dans la farine celui de l’Agriculture. Début septembre, il lui a donné difficilement son accord sur un avant-projet de loi qui comportait des dispositions déjà âprement négociées par le ministre de la Santé : interdiction des cadeaux et autres avantages accordés aux ayants droit (remises ?), interdiction de toute incitation à l’usage des antibiotiques, transparence, surveillance des délégués, etc. Il n’était alors nullement question de découplage dans ce projet, examiné avec les professionnels le 10 septembre. Bien au contraire. L’accumulation de ces nouvelles restrictions était censée protéger du prétendu conflit d’intérêts le vétérinaire qui prescrit et délivre le médicament.

Puis, une fois cette consultation terminée, le ministre de la Santé ajoute quelques lignes supplémentaires pour interdire la délivrance des antibiotiques par les vétérinaires, interdire la présence d’antibiotiques dans les PSE et interdire l’usage des antibiotiques en prévention. Les professionnels sont légitimement ulcérés de cette méthode. Le chef du gouvernement ne cesse-t-il pas de prêcher pour la négociation avant la prise de décision ?

« Mobilisation massive »
Comment les vétérinaires peuvent-ils s’organiser pour combattre une telle disposition ?

D’emblée, le Syndicat des vétérinaires d’exercice libéral (SNVEL) appelle à la « mobilisation massive » des confrères, syndiqués ou non. Il leur demande d’écrire individuellement aux préfets pour leur faire savoir qu’ils sont solidaires des actions entreprises pour obtenir le retrait de ce découplage partiel. Il les invite aussi à « sensibiliser les décideurs agricoles locaux aux conséquences sanitaires et économiques d’une telle décision ». Et il brandit la menace d’une grève du mandat sanitaire : « Les vétérinaires cesseront d’assurer leur habilitation et leur mandat sanitaire à la fin du mois d’octobre si ce projet n’est pas modifié. »

Dans un communiqué, le Syndicat national des vétérinaires conseils (SNVECO) se déclare évidemment « en complet désaccord avec ce découplage partiel ». Il récuse la notion sous-jacente de conflit d’intérêts et n’accepte pas l’interdiction de toute remise et contrat de collaboration commerciale sur les antibiotiques. Il s’interroge sur l’interdiction de l’usage préventif, en vue d’en exclure clairement la métaphylaxie.

« Savoir raison garder, sans rien abandonner »
Michel Baussier, le président de l’Ordre, a officiellement réagi, le 9 octobre, en écrivant aux confrères et au Premier ministre, Jean-Marc Ayrault. Il l’« alerte officiellement de la démobilisation des vétérinaires qui va résulter d’ores et déjà de ce seul projet » de découplage, avant même son éventuelle adoption. Il dénonce « avec force ses effets délétères ». Il y voit « un coup d’arrêt » du « partenariat constructif entre le secteur public et le secteur privé mis en place depuis plus d’un demi-siècle ». La loi d’avenir serait donc celle d’un retour 50 ans en arrière... en santé animale. Face à l’émotion, il appelle ses confrères « à savoir raison garder, sans abandonner la moindre parcelle de leur détermination ».

Les vétérinaires ne sont pas les seuls à combattre ce projet de loi. Les laboratoires pharmaceutiques comme les éleveurs s’y opposent également, chacun avec ses arguments. Le texte devrait revenir au Conseil d’État à la fin du mois et être examiné par le conseil des ministres vers la mi-novembre.

Éric Vandaële

Pour plus d’informations, voir La Semaine Vétérinaire n° 1556 du 18/10/2013 en pages 14 et 15.

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