"Les filières de production animale sont bien structurées à La Réunion" - Le Point Vétérinaire.fr

"Les filières de production animale sont bien structurées à La Réunion"

Tanit Halfon | 18.06.2019 à 11:52:28 |
chien errant
© istock-Arina_Bogachyova

La réglementation relative à la catégorisation des maladies animales s’est basée sur les travaux de hiérarchisation des maladies infectieuses et parasitaires présentes en France continentale de l’Agence de sécurité sanitaire des aliments (Anses). En 2016, l’Agence s’est penchée sur celles présentes ou susceptibles d’être introduites dans les cinq départements d’outre-mer. Florence Etoré, responsable adjointe de l’Unité d’évaluation des risques en Santé et bien-être des animaux de l’Agence, fait le point sur les particularités de la zone Océan Indien.

Les problématiques sanitaires sont-elles globalement les mêmes à la Réunion et à Mayotte ?

Florence Etoré : Les problématiques sont très différentes entre La Réunion et Mayotte. Dans cette zone comme dans la zone caraïbe, il n’a pas été possible de regrouper ces deux territoires. La couverture sanitaire à La Réunion est proche de celle existante pour la France continentale alors qu’elle est clairement insuffisante à Mayotte.

Mayotte se caractérise par une forte proportion d’élevages traditionnels de petite taille. De plus, sa proximité avec les îles des Comores et la persistance d’introductions illégales d’animaux ou de produits d’origine animale, en provenance des Comores ou d’Afrique, fait courir des risques d’introduction de nouveaux dangers sanitaires, comme la dermatose nodulaire contagieuse par exemple, plus importants pour Mayotte que pour La Réunion.

Comme pour les Antilles, avez-vous été confrontés à un manque de données, et donc à des résultats partiels ? Ou au contraire, les filières animales semblent globalement mieux structurées ?

Globalement, les filières de production animale à La Réunion sont bien structurées mais elles sont en cours de structuration à Mayotte où le maillage sanitaire reste faible, avec quatre vétérinaires ruraux sur l’île, un groupement de défense sanitaire (GDS) créé récemment, et un laboratoire d’analyse vétérinaire aux capacités limitées. L’encadrement technique et la médicalisation y sont encore insuffisants.

Pour La Réunion, le Groupe de travail a pu disposer de nombreuses données, en particulier pour la filière ruminants. Le maillage sanitaire sur l’île est très efficace et l’organisation basée sur de bonnes collaborations entre le GDS, le LVD (laboratoire vétérinaire départemental) et le CIRAD, a permis de collecter les informations nécessaires à la réalisation de cette expertise et de diminuer les incertitudes accompagnant les résultats. Toutes les filières, ruminants, porcins, volailles, chiens/chats et abeilles ont pu faire l’objet de travaux de hiérarchisation à La Réunion.

A Mayotte, le nombre de dangers sanitaires qu’il a été possible de noter et de hiérarchiser est faible et les notations sont associées à des incertitudes fortes, hormis pour la filière ruminants. Le système d’épidémiosurveillance de Mayotte, SESAM, a malgré tout permis d’avoir une bonne représentation de la situation sanitaire même s’il n’intègre pas toutes les filières de production.

Pour ces deux territoires la mobilisation des experts locaux a été très efficace.

Suite à ce travail, la situation sanitaire vous apparaît-elle satisfaisante ? Certains dangers sanitaires sont-ils particulièrement préoccupants pour ces territoires ?

Les résultats des travaux de hiérarchisation reflètent la situation actuelle et dépendent fortement des informations disponibles, ce qui explique que les dangers sanitaires retenus et hiérarchisés se limitent souvent à des dangers dont la déclaration est obligatoire. Les salmonelles ont été considérées comme le danger sanitaire le plus important pour la filière volailles dans les deux DROM, du fait des répercussions en santé publique résultant de la consommation d’œufs ou de viandes de volaille contaminés et du coût des mesures devant être réglementairement appliquées dans les élevages.

Pour les ruminants à Mayotte, le charbon symptomatique apparait comme la maladie prédominante en dépit de la possibilité pour les éleveurs de la prévenir par la vaccination régulière de leurs bovins.

A La Réunion, aucun danger sanitaire pour les ruminants ne se démarque nettement. Néanmoins, certains dangers sanitaires présentent un score plus élevé, tels les agents de l’anaplasmose bovine et de la maladie hémorragique épizootique. L’anaplasmose bovine est en effet une maladie assez grave, régulièrement observée dans les élevages et difficile à maîtriser du fait d’une séroprévalence élevée, de l’ordre de 80 %, et du rôle des arthropodes vecteurs dans sa transmission. Il en est de même pour le virus de la maladie hémorragique épizootique qui affecte également les cervidés présents dans l’île, transmis par des culicoïdes, incriminé notamment dans des cas de stomatite (« bavite ») chez les bovins. Ces deux maladies sont un motif fréquent de consultation vétérinaire dans la filière bovine.

Parmi les dangers sanitaires susceptibles d’être introduits à La Réunion, c’est le virus de la fièvre aphteuse qui est, actuellement, le plus préoccupant.

Les experts ont tenu à faire remarquer que la situation de La Réunion évoluerait sans doute considérablement si l’Arrêté Préfectoral de 2008 interdisant l’importation de ruminants vivants venait à être abrogé, ce dont il a été question à plusieurs reprises récemment. En effet, il faudrait alors refaire l’exercice et considérer les maladies présentes au sein de l’Union Européenne, qui sont actuellement absentes à La Réunion.

En ce qui concerne les carnivores domestiques, à La Réunion comme à Mayotte, la présence de nombreux chiens et chats errants ou divagants assure l’entretien de la plupart des dangers sanitaires présents dans ces espèces, et ce malgré les efforts réalisés ces dernières années par les services de l’Etat et les associations de protection animale à La Réunion pour tenter de les maîtriser. Le développement de la médicalisation des carnivores domestiques dans ces DROM devrait permettre de lutter contre des dangers bien connus pour lesquels des moyens de prévention pour limiter leur impact sont disponibles, comme par exemple le parvovirus canin. Toutefois, le virus rabique a été retenu comme le principal danger dont l’impact pourrait être important en cas d’introduction dans les populations canines et félines de La Réunion ou de Mayotte. La rage est enzootique dans de nombreuses régions du monde, y compris en Afrique, et notamment à Madagascar, et il est toujours à craindre l’introduction illégale d’un chien ou chat non vacciné accompagnant un voyageur en provenance d’un territoire infecté où il aurait été contaminé. Et, dans cette éventualité, il faudrait y associer le risque élevé de diffusion dans ces DROM en cas de transmission à des chiens ou des chats en divagation ou en errance, rendant la situation plus difficile à maîtriser.

Suite à ce travail, quelles sont vos principales recommandations ?

La principale recommandation est de favoriser le maintien des réseaux régionaux de surveillance des maladies animales afin de mieux connaitre la situation épidémiologique des îles de l’Océan indien et d’affiner les analyses de risque relatives aux dangers présents dans les filières et leur éventuelle diffusion aux élevages des DROM. Par exemple, le SESAM, le réseau d’innovation et de transfert en agriculture ou RITA ou le réseau régional SEGA One Health.

A La Réunion, de par les données disponibles, les experts ont apprécié la qualité du réseau d’épidémiosurveillance événementielle et active et le dynamisme des acteurs de la filière bovine en particulier. Cette situation mérite d’être maintenue, voire amplifiée pour les filières avicole et porcine.

Il existe un besoin d’investigations en filière porcine à La Réunion qui permettrait un recensement plus complet des dangers sanitaires actuellement présents, une évaluation plus précise de leur impact économique sur la filière et, pour certains agents zoonotiques comme les leptospires, de leur impact en santé publique.

Pour améliorer la connaissance des dangers sanitaires présents à Mayotte mais aussi à La Réunion, les experts recommandent la conduite d’enquêtes sur les carnivores errants ou communautaires, que ce soit les animaux euthanasiés ou retrouvés morts sur les routes par exemple.

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Ne pas confondre hiérarchisation et catégorisation

La hiérarchisation des maladies animales se base sur une approche scientifique qui prend en compte, dans la notation, à la fois les critères de gravité de la maladie, mais aussi l’existence de moyens de lutte disponibles. La catégorisation, quant à elle, prend en compte également d’autres paramètres. Par exemple, pour la fièvre aphteuse, connue comme une maladie grave et très contagieuse, l’existence en France de moyens de lutte adaptés contre ce danger sanitaire conduit à donner à la maladie une note assez basse dans la hiérarchisation ;  en opposition avec la catégorisation par le gestionnaire de risque, qui préfèrera la classer en première catégorie pour pérenniser ses moyens de lutte et conserver son statut indemne.

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Un travail préalable de sélection

Avant de hiérarchiser les maladies animales, encore faut-il les sélectionner. Pour cela, les experts sont partis des maladies faisant l’objet d’une réglementation nationale et européenne, et de celles listées par l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE). Plusieurs critères d’inclusion ont été pris en compte, à savoir l’impact sanitaire, que ce soit en santé animale ou humaine (zoonose), l’impact économique et enfin environnemental, notamment sur la faune sauvage. De plus, pour les dangers sanitaires absents des départements ont été retenues uniquement les maladies présentant un risque d’introduction, et importantes dans la filière et/ou zoonotique, et/ou à risque important pour les espèces sauvages. De la même manière, pour les dangers sanitaires présents sur ces territoires, seules les maladies animales à fort impact ont été retenues.

Cette interview complète celle concernant les particularités de la zone Caraïbes, pour laquelle Florence Etoré, mais aussi Charlotte Dunoyer, responsable de l’Unité d’évaluation des risques en Santé et bien-être des animaux de l’Agence, nous avait répondu (voir Newsletter du 27 mai 2019). Les réponses aux questions ont été cette fois-ci reçues par mail.

Les travaux, menés de 2016 à 2018, ont abouti à la publication de 15 rapports tous disponibles sur le site de l’Anses. Ils sont consultables sur le site de l’Anses

 

 

 

Tanit Halfon
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