Le cerf, un réservoir potentiel de Sars-CoV-2 ? - Le Point Vétérinaire.fr

Le cerf, un réservoir potentiel de Sars-CoV-2 ?

Tanit Halfon

| 09.11.2021 à 10:08:00 |
© iStock-dlewis33

Deux récentes publications américaines suggèrent une transmission virale de l’humain au cerf, ainsi qu’une circulation virale au sein des populations de cervidés.

On savait le virus du Sars-CoV-2  opportuniste, avec des infections décrites chez l’humain et de multiples espèces animales, dont des cervidés. Deux nouvelles études américaines apportent des éléments nouveaux puisqu’elles montrent pour la première fois, qu’une transmission du virus Sars-CoV-2 de l’humain aux cerfs de Virginie est très probablement possible, ainsi que d’une transmission inter-individuelle au sein des populations de cerfs.

De multiples évènements de transmission virale

Une première étude a été prépubliée le 6 novembre 2021, et a rapporté des cas d’infection à Sars-CoV-2 chez des cerfs de Virginie (Odocoileus virginianus) vivant en liberté ou captifs, dans l’Etat d’Iowa. Des prélèvements de ganglions lymphatiques rétropharyngés ont été réalisés sur 283 animaux, entre avril 2020 et janvier 2021. Une analyse RT-PCR a montré la présence du virus dans 33,2% des cas (n=94). Le premier résultat positif au Sars-CoV-2 n’a été trouvé qu’à partir de fin septembre 2020, ce qui correspond au début de la chasse, qui s’étale de septembre à janvier. Le taux de positivité monte rapidement à partir de novembre 2020, ce qui coïncide avec un pic infectieux dans la population humaine dans l’Etat. Pour la période de novembre 2020 à janvier 2021, 82,5% des prélèvements sont positifs au Sars-CoV-2 (80 sur 97 prélèvements). Cette atteinte de la faune sauvage est étendue, puisque des cas positifs ont été détectés dans de multiples zones de l’Etat, avec de plus, la présence de clusters. Une analyse génomique a permis d’identifier 12 lignées sur les 94 échantillons, avec 2 lignes prédominantes (75% des prélèvements), dont une qui correspond à la lignée la plus abondante détectée aussi dans les populations humaines (avec le bémol, qu’il n’y a eu qu’un nombre limité de séquençage chez l’humain, dans cet Etat). Tous ces résultats sont en faveur de multiples évènements de transmission virale de l’humain aux cerfs (« spillovers » ou débordements). De plus, des analyses plus poussées, notamment une analyse épidémiologique moléculaire, suggèrent aussi fortement l’existence d’une transmission virale inter-individuelle, au sein des populations de cerfs. Des analyses phylogénétiques ont aussi apporté d’autres éléments de preuve en faveur de ces deux modes de transmission. De plus, les isolats viraux apparentés des cerfs et humains sont apparus distincts de ceux impliqués dans d’autres flambées infectieuses décrites chez l’animal, comme les visons ou d’autres espèces animales domestiques.

La deuxième étude, moins fournie en données, a été publiée en preprint aussi, en novembre aussi, avec cette fois-ci une analyse sur les populations de cerfs en liberté d’un autre Etat proche et située plus à l’ouest : l’Ohio (région nord-est). Les analyses sont plus récentes, avec des prélèvements étalés de janvier à mars 2021. Sur 360 prélèvements (écouvillons nasaux), 35,8% se sont révélés positifs, avec une prévalence estimée entre 13,5 et 70% suivant les sites géographiques de prélèvement. De la même manière, les analyses sont en faveur de multiples transmissions virales, suivies potentiellement d’une transmission virale entre cerfs.

L’importance d’une approche One Health

Ces résultats mettent en lumière le fait que le Sars-CoV-2 pourrait se propager au sein du compartiment sauvage. Le cerf pourrait  jouer un rôle de réservoir, avec un risque d’émergence de nouvelles lignées virales, par recombinaisons entre coronavirus déjà circulants au sein de plusieurs espèces animales de la faune sauvage, éventuellement plus virulentes, comme cela a d’ailleurs été détecté au Danemark, chez le vison. Et surtout le risque de passage de nouveau à l’humain (spillback), dans des zones à forte densité de cerfs, potentiellement dans plusieurs années chez des populations naïves. Aux Etats-Unis, les populations de cerfs sont estimées à 25 millions d’individus, et la chasse aux cerfs est très populaire avec de fortes retombées économiques et sociales. Pour toutes ces raisons, les auteurs de la première étude appellent à mettre en oeuvre urgemment une politique basée sur une approche " Une seule Santé " ou  " One Health ", avec en particulier des efforts de surveillance à faire au sein des populations de cerfs, pour aller plus loin dans la compréhension de l’écologie du virus, et de sa dynamique évolutive possible au sein des autres espèces animales et de l’espèce humaine. Les auteurs de la deuxième étude complètent aussi en disant qu’une surveillance du compartiment sauvage, incluant le cerfs, mais aussi d’autres animaux susceptibles d’être contaminés, apparaît comme un enjeu majeur pour lutter contre la Covid-19 à l’avenir.

A noter qu’à ce stade, il reste aussi des questions d’importance en suspens, relatives aux modalités de transmission, de l’humain au cerf d’une part, et entre cerfs d’autre part. Dans ce cadre, une transmission indirecte, via l’environnement contaminé comme les eaux usés, pourrait être à envisager.

Tanit Halfon

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