Covid-19 : Faut-il autoriser la télémédecine vétérinaire en période de confinement ? - Le Point Vétérinaire.fr

Covid-19 : Faut-il autoriser la télémédecine vétérinaire en période de confinement ?

Chantal Béraud | 27.03.2020 à 16:34:47 |
Cap Douleur
© Cap Douleur

Thierry Poitte, fondateur du réseau Cap Douleur, répond oui, par exemple pour la téléconsultation douleur.

En son âme et conscience, Thierry Poitte, fondateur du réseau Cap Douleur, confirme qu’il assure désormais le suivi des animaux douloureux en alternant téléconsultation et consultation en présentielle à sa clinique de l’île de Ré (Charente-Maritime). Il explique le contexte et les limites de cette téléconsultation douleur. 

Quelle annonce avez-vous publiquement faite le 26 mars dernier ?

Thierry Poitte : Lors de la tenue de mon  premier webinar (séminaire de formation sur le web), baptisé « Assurer le suivi des animaux douloureux grâce à la téléconsultation », j’ai effectivement affirmé qu’en pleine guerre sanitaire, pour le bien des animaux douloureux et des propriétaires dont j’assure le suivi (dans ma propre clientèle ou en référé), j’alterne des séances de téléconsultation et des visites en présentiel à ma clinique. Cette décision est personnelle, elle est prise en mon âme et conscience. Conséquemment, elle n’engage que moi, et moi seul (c’est-à-dire ni la solution digitale utilisée de LinkyVet, ni les autres adhérents du réseau Cap Douleur). Car, je sais que, contrairement aux médecins, il n’existe pas encore pour la profession vétérinaire de disposition réglementaire autorisant la téléconsultation.

Alors, pourquoi agir ainsi, si la téléconsultation est interdite ?

Parce que je fais référence à mes responsabilités civiques, éthiques et déontologiques qui m’obligent aussi à atténuer la souffrance animale : c’est l’un de mes devoirs fondamentaux.  Actuellement, nous vivons une époque d’exception où tant le confinement des populations que les restrictions de déplacements sont exigés. En parallèle, les instances officielles (DGAL, Ordre, syndicats, etc.) encouragent les praticiens à répondre aux urgences, à maintenir la permanence et la continuité des soins mais aussi à prendre en charge les affections dont les conséquences à terme réduisent le confort et l’espérance de vie de l’animal malade. C’est donc pour respecter ce devoir d’atténuation de la souffrance animale que je recours désormais à de la téléconsultation, une pratique qui présente l’immense avantage de respecter notre confinement collectif.  Je rappelle par ailleurs que Jacques Guérin, président du CNOV, dans son communiqué du 22 mars, a  appelé les vétérinaires à prendre leurs décisions de manière raisonnée, en toute connaissance de cause, dans le respect des valeurs attachées à notre profession et sans surinterpréter les recommandations ordinales.  

Pourtant, la profession n’est pas unanime pour permettre une telle évolution ?

Oui. Sur les réseaux sociaux notamment, certains praticiens arguent en effet que comme la téléconsultation est interdite, il faut s’en tenir là. Mais, dans ce cas, comment prendre en charge les affections douloureuses de l’animal dégradant sa qualité de vie ? Comment assurer notre rôle de garant du bien-être animal dont les vétérinaires, mais aussi de plus en plus une partie de la population et de nos élus politiques, parlent tellement aujourd’hui ? Et sinon autrement, comment répondre à la grande détresse des propriétaires ?

Quel cadre et quelles limites donnez-vous à votre téléconsultation douleur ?

Je réalise uniquement une téléconsultation douleur sur des suivis d’animaux que je connais et que j’ai vus directement à la clinique au cours des trois derniers mois. Et j’assume le fait de modifier ma prescription médicale initiale en fonction de l’évolution de la situation douloureuse que je constate avec le propriétaire au cours de la téléconsultation. J’adapte alors ma prescription en titrant la posologie et en évaluant le rapport bénéfices/risques.

Cette téléconsultation n’est donc bien qu’un outil complémentaire ?

Totalement. La téléconsultation n’est pas un instrument qui doit être utilisé seul. C’est en revanche un complément idéal à la médecine narrative, aux grilles d’évaluation de la douleur et à l’examen clinique.  Il est extrêmement enrichissant de visionner des vidéos pour voir l’animal -et notamment le chat douloureux- dans son environnement familier. Pour adapter, en accord avec le propriétaire, la prescription pluridisciplinaire, pour faire de l’éducation thérapeutique. Mais la visite en présentiel  demeure  indispensable pour l’approche empathique et pour pouvoir tisser une alliance thérapeutique. Pour moi, aujourd’hui déjà, la téléconsultation est un outil pour améliorer la prise en charge individualisée de mes patients douloureux chroniques et pour corriger leur mal-être. Demain, le vétérinaire devrait enfin pouvoir monnayer ce service en l’incluant dans un parcours de suivi.

Alors, vous décidez de tout, tout seul ?

Non, heureusement ! Soyons clairs : ce n’est pas à moi de déterminer pour l’ensemble de la profession ce qui doit être autorisé ou pas dans le cadre d’une téléconsultation, ou même plus largement, dans le cadre de la future télémédecine vétérinaire. Mais à circonstance exceptionnelle, il faut une réaction, une évolution à la même mesure. D’ailleurs, j’ai confiance en la capacité d’évolution et d’adaptation de notre profession, puisque le CNOV et les organisations professionnelles vétérinaires, qui travaillent depuis longtemps sur ces dossiers, viennent d’adresser en ce sens une demande de décret au Ministère de l’Agriculture.*

*Une demande d’autorisation expérimentale de la télémédecine est en cours, lancée par le CNOV et les organisations professionnelles vétérinaires​

Dans un récent communiqué, le Conseil national de l’Ordre des vétérinaires explique effectivement, qu’avec les organisations professionnelles vétérinaires, un travail est en cours concernant la mise en place de la télémédecine, « pour que ce nouvel outil soit autorisé aux vétérinaires dans des conditions qui garantissent la qualité et la continuité des soins ». Le contexte déclaré de guerre sanitaire a d’ailleurs déjà apporté un premier coup d’accélérateur à ce processus, puisque l’Ordre a porté, « dès le début de la crise Covid-19, une demande d’autorisation, à titre expérimental, de la mise en place de la télémédecine vétérinaire ». Et d’ajouter : « l’Ordre n’est pas créateur de droit. Seul le Ministère de l’Agriculture peut promulguer un décret mettant en œuvre la télémédecine vétérinaire dans le cadre d’une expérimentation pour six mois,  dans des conditions bien définies. Ce décret permettrait à la profession vétérinaire d’assurer le suivi de la santé animale et de maintenir l’épidémiosurveillance nécessaire pour ne pas ajouter une crise de santé animale à celle que nous vivons aujourd’hui ». Cependant, dans les faits, l’Ordre rappelle aussi « qu’actuellement, les textes ne permettent pas la mise en place de la télémédecine vétérinaire, ce qui doit inviter les praticiens à la plus grande prudence dans l’utilisation de plateformes de télémédecine, fussent-elles dédiées à la pratique vétérinaire ». Et de conclure : « Nous espérons une réponse rapide  du Ministère en charge de l’agriculture qui examine actuellement les propositions de textes (ce dossier étant considéré comme prioritaire), textes que les organisations professionnelles vétérinaires proposent après un travail consensuel en amont entamé depuis plus d’un an ».

 

Chantal Béraud
4 commentaires
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michele le 27-03-2020 à 17:47:38
Vu le nombre de clients qui viennet pour une douleur des post et repartent avec un traitement pour une piro ,ou un traitt abdominal ,il est clair que rien ne peut remplacer l'examen clinique et la palpation,au risque de faire de grosses erreurs !
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Thierry Poitte le 28-03-2020 à 01:11:00
Et c'est bien pour cela qu'il est précisé:
La téléconsultation n’est pas un instrument qui doit être utilisé seul.
C’est en revanche un complément idéal à la médecine narrative, aux grilles d’évaluation de la douleur et à l’examen clinique.
Je réalise uniquement une téléconsultation douleur sur des suivis d’animaux que je connais
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Jacques Coq, Vétérinaire le 28-03-2020 à 08:50:22
Oui, la téléconsultation permet un suivi, mais pas un diagnostic, car rien ne saurait remplacer l’examen clinique.
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Valérie Guigardet, Vétérinaire le 28-03-2020 à 10:11:06
Bravo Thierry, un discours clair une vraie prise de position personnelle que tu oses afficher!
Pour ma part, en exercice exclusif de physiothérapie, j'ai actuellement également recours à la téléconsultation en m'accrochant aux même valeurs. Agir en mon âme et conscience, en faisant au mieux pour tous et en assumant mes responsabilités.
J'ai l'exemple d'une personne qui m'a contactée il y a deux jours : sa chienne Teckel opérée il y a 3 semaines de hernie discale est toujours paralysée. Personne ne peut la renseigner, la rassurer, lui donner des consignes sur ce qu'elle doit faire ou ne pas faire pour essayer d'aider sa chienne. Le centre de référé qui l'a opérée dit ne rien pouvoir faire de plus et ne reçoit pas la cliente, tous les centres de physiothérapie de sa région ont fermé les uns après les autres... Et c'est maintenant qu'il faut stimuler et travailler cette chienne, pas deux mois après la chirurgie !
Or notre centre, qui continue les soins pour les animaux les plus nécessiteux, est à plus de 400kms!
Le diagnostic a déjà été posé, la chienne opérée, je n'ai eu qu'à réunir tous les comptes rendus, observer, demander à la propriétaire de réaliser quelques vidéos. Puis j'ai moi même pu l'aiguiller sur des exercices et soins à pratiquer.
Cela ne peut remplacer de vrais soins en centre, mais j'ai assuré ma mission : accompagner avec empathie cette propriétaire qui se sentait bien seule et désespérée, et apporter les consignes de bases pour tirer un peu vers le haut cette chienne.
A situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles. Par la suite, je n'envisage effectivement la téléconsultation que dans le prolongement et le complément de consultations et soins en "présentiel", ce qui me parait être indispensable pour ne pas commettre d'erreur.
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