C’est important qu’il y ait une collaboration entre les acteurs de santé humaine et de santé animale - Le Point Vétérinaire.fr

C’est important qu’il y ait une collaboration entre les acteurs de santé humaine et de santé animale

Propos recueillis par Marine Neveux

| 29.10.2021 à 12:05:00 |
© Noël Bouchut / bioMérieux

Alexandre Mérieux, président directeur général de bioMérieux, porte un héritage fort en termes d’engagement pour lutter contre les maladies infectieuses. L’entreprise spécialiste du diagnostic in vitro, poursuit sa mission de santé mondiale notamment contre le sepsis, les infections respiratoires ou la résistance aux antibiotiques. Présent à la table ronde du Cham sur le thème du One Health le 1er octobre 2021, nous avons interrogé Alexandre Mérieux sur sa vision plus large des différentes santés et écosystèmes au regard de la pandémie de Covid-19. Entretien.

bioMérieux a connu une croissance de + 12% au premier semestre 2021 : globalement quel bilan tirez-vous de cette année, mais aussi de la crise du Covid-19 ?

Cette crise n’est malheureusement pas finie. Dans notre secteur, elle a permis de révéler l’importance du diagnostic dans les stratégies de santé publique. Jusqu’à l’arrivée des vaccins, le diagnostic était le seul outil, la seule arme de prévention, avec le principe du fameux « détecter, tracer, isoler ». Cette période a été marquée par un engagement fort de nos équipes en R&D et en production. Nous avons pu lancer, en seulement quelques mois, un arsenal diagnostique avec des tests moléculaires et des tests sérologiques. La pandémie est une période compliquée pour tous mais nous nous sommes sentis utiles. Le secteur du diagnostic a prouvé sa valeur.

Autre impact de la crise Covid-19 : les avancées technologiques réalisées dans le diagnostic et qui constituent une vraie tendance de fond : le développement de la technologie PCR et la mise à disposition des tests au plus près des patients, ce qu’on appelle le « point of care ». Durant cette période, il y a plutôt eu une bonne réactivité des autorités pour mettre en place des autorisations plus rapides et répondre à l’urgence.

Envisagez-vous un nouveau renforcement de la stratégie sur les maladies infectieuses ?

Depuis la création de bioMérieux, notre mission reste celle de la lutte contre les maladies infectieuses grâce au diagnostic. Il y a encore beaucoup à faire. Nous sommes très impliqués dans le combat contre les maladies respiratoires, les infections du sepsis et l’antibiorésistance qui représente un enjeu de santé mondiale majeur.

bioMérieux réalise 85% d’activité dans le domaine clinique et 15% dans le domaine industriel agroalimentaire, pharmaceutique et cosmétique (contrôle qualité, détection des bactéries, etc.). Nous allons continuer à investir dans ce sens, avec de nombreux défis à relever en termes de surveillance.

Les freins réglementaires européens vous paraissent-ils un obstacle à l’innovation en Europe ?

Il y a une différence entre le marché américain et européen. Aux Etats-Unis, la FDA (Food and Drug Administration) est là pour contrôler, mais aussi pour orienter. En Europe, nous avons un peu trop d’interfaces. Ce n’est pas tant la problématique des contraintes réglementaires mais celle de leur lisibilité, de leur évolution et d’un nombre important d’interlocuteurs.

Aux Etats-Unis, existe aussi la BARDA (Biomedical Advanced Research and Development Authority) qui a joué un rôle clef pendant la crise pour accélérer l’innovation, donner les moyens au diagnostic, mais aussi aux vaccins et aux thérapies. Avec la pandémie de Covid-19, l’Union Européenne a pris conscience de l’importance d’une réponse sanitaire coordonnée et une initiative dans ce sens a été lancée, l’HERA (Health Emergency Preparedness and Response Authority). C’est une bonne chose. Ce serait un véritable atout d’avoir ce type de structure à l’échelle européenne pour booster l’innovation.

Votre entreprise est très présente dans la vie des Français, estimez-vous avoir les moyens aujourd’hui de continuer à produire en France ?

bioMérieux réalise 7 à 8% de son chiffre d’affaires en France, mais avec 30% de nos 13 000 collaborateurs sur le territoire répartis dans 6 sites de production, 6 sites de R&D et notre siège social situé à Marcy-L’Etoile. Nous souhaitons poursuivre ainsi. La crise a soulevé la question de l’indépendance sanitaire. Comme beaucoup d’industries, nous sommes dépendants de composants qui viennent de l’étranger et cela peut poser question mais je ne pense pas que l’on puisse tout réintégrer dans l’hexagone et en Europe. Néanmoins, nous avons la volonté de poursuivre nos investissements  en France.

Lors de la convention du CHAM (Convention on Health Analysis and Management), plusieurs intervenants ont évoqué la nécessité de casser les silos entre les Santés humaine, animale, et environnementale. Y voyez-vous cette même urgence ? Quelles contributions bioMérieux pourrait apporter ?

J’ai été élevé dans l’esprit du One Health car le mot d’ordre de mon grand-père était : il n’y a pas de frontière entre médecine humaine et médecine animale. C’est donc une bonne chose que ce terme émerge, même s’il a toujours été présent dans notre état d’esprit. Tout est lié, les bactéries et les virus n’ont pas de frontières et il n'y a pas de barrières entre les espèces. C’est important qu’il y ait une collaboration entre les acteurs de santé humaine et de santé animale. Les laboratoires vétérinaires connaissent bien les sujets de pandémie, d’infections, donc il y a des choses à faire et des synergies à trouver.

Verriez-vous des interactions en termes de recherche sur le diagnostic des agents pathogènes émergents ?

Des collaborations sont à imaginer en santé, grâce aux diagnostics humain et animal, notamment au niveau de l’épidémiologie et de la surveillance pour identifier ce qui émerge et où. Toutes les maladies animales ne sont pas transmissibles à l’homme mais il faut évaluer les risques.

En outre, il peut être intéressant de voir s’il y a des technologies transposables en diagnostic humain et réciproquement.  Nous avons des cultures assez proches. Chez bioMérieux, nous avons beaucoup de vétérinaires ; notre Directeur Exécutif R&D, François Lacoste, est d’ailleurs un vétérinaire.

L’antibiorésistance est l’une des facettes du One Health. Lors de la convention du CHAM, vous avez notamment évoqué la nécessité de continuer à promouvoir l’éducation, l’innovation, et de trouver un modèle économique de valeur médical. Quel pourrait être ce modèle économique de valeur médicale que vous évoquez ?

La réalité est qu’aujourd’hui la résistance aux antibiotiques est une pandémie silencieuse : elle tue 700 000 personnes chaque année. Il y a un modèle économique à trouver autour de l’antibiorésistance. L’enjeu est pharmaceutique avec la nécessité de trouver de nouvelles classes thérapeutiques, ce qui nécessite beaucoup d’années de développement pour peu de reconnaissance ou de remboursement à l’arrivée. Nous avons le même sujet avec le diagnostic, qui peut coûter plus cher qu’un traitement.

Il faudrait donc sortir d’un modèle basé sur les coûts pour aller vers un modèle basé sur la valeur médicale et économique. Nous avons d’ailleurs noué un partenariat de recherche avec la Toulouse School of Economics autour de ce sujet. Le développement de nouvelles molécules et de nouvelles solutions diagnostiques ne doit pas être évalué en termes de coûts financiers, mais par rapport au nombre de vies sauvées et également par rapport aux gains pour nos systèmes de santé. Aujourd’hui on prescrit encore beaucoup trop d’antibiotiques sans savoir si l’infection est virale ou bactérienne.

Les aspects de prévention et de sentinelle sont-ils assez développés alors ?

Il faut le continuum du soin : la prévention (hygiène, vaccins), le diagnostic et les nouvelles thérapies. Et il faut que le modèle évolue pour que les industries de santé, de toute nature, aient la volonté d’innover dans le domaine..

La nécessité de développer des partenariats public - privé a aussi été évoquée : pour bioMérieux, c’est déjà une réalité. Avez-vous de nouveaux projets ? Notamment en lien avec la future Académie OMS à Lyon (campus qui ouvrira ses portes en 2024) ?

Nous construisons ces partenariats car nous avons besoin de pluridisciplinarité, d’expertises extérieures et de nouvelles connaissances technologiques. Par exemple, nous collaborons avec des organismes comme le CEA (commissariat à l’énergie atomique), l’Inserm, etc. Nous développons aussi la proximité avec les hôpitaux, les CHU. Nous avons des unités mixtes bioMérieux avec les Hospices Civils de Lyon (HCL) et avec le Shangai Children’s Medical Center en Chine. Il est important d’être proche du médecin et du patient.

Au-delà des partenariats public – privé, nous voyons aussi l’intérêt d’être proches de start-ups et d’entreprises de biotechnologie.

L’Institut Mérieux a soutenu le projet d’implantation de l’Académie de l’OMS à Lyon. L’OMS est moteur dans la promotion de l’approche « One Health ».  Par ailleurs, c’est important pour nous de renforcer l’écosystème lyonnais déjà bien positionné dans la lutte contre les maladies infectieuses et la recherche biomédicale. Cela va accroître l’attractivité de ce pôle d’excellence, participant ainsi à faire venir ou retenir des talents dans notre région.

bioMérieux est-elle engagée dans la RSE qui inclut notamment les préoccupations environnementales liées à l’activité ? Si oui, comment ?

Oui, nous avons formalisé une véritable stratégie RSE, autour de plusieurs piliers. Il y a d’abord la mission de santé publique à travers le diagnostic et principalement la lutte contre l’antibiorésistance. L’environnement constitue un autre enjeu fort : nous allons suivre le Science Based Targets où l’on s’engage sur la réduction d’émission de carbone et des gaz à effet de serre. Ce sujet est l’affaire de tous, par exemple le manufacturing aura l’objectif de décarboner nos sites et la R&D de développer l’écodesign de nos produits. Nous avons pour objectif de réduire nos émissions de gaz à effet de serre de plus de 50% d’ici 2030 par rapport à 2019.

La philanthropie est aussi importante grâce aux actions réalisées par la Fondation Mérieux et la Fondation Christophe et Rodolphe Mérieux. Nous avons également versé 22 millions d’euros en 2020 sous forme de mécénat exceptionnel pour soutenir des actions de solidarité partout dans le monde. Nous veillons également au bien-être et au développement de nos collaborateurs, avec un attachement particulier à la diversité et l’inclusion. Enfin, nous souhaitons promouvoir le dialogue avec l’écosystème de santé, notamment les patients qui sont les receveurs finaux de nos solutions, pour les impliquer dans notre stratégie et leur permettre de nous faire des retours sur nos actions.

Qu’auriez vous envie de dire aux vétérinaires ?

Nous avons besoin de tout le monde. L’approche One Health inclut les vétérinaires, les médecins, les pharmaciens, et l’ensemble des professionnels de santé. Elle inclut aussi toutes les industries de la santé et requiert une coopération de toutes les autorités de tutelle du domaine de la santé, de l’agriculture, de l’industrie et de l’innovation. La communauté médicale et scientifique en France a montré toute son importance pendant la période, nous avons donc désormais un double enjeu : faire en sorte que l’on ne l’oublie pas et que l’on continue de soutenir les collaborations et l’innovation. 

Propos recueillis par Marine Neveux

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