Cellules souches mésenchymateuses, de leur identification en laboratoire au traitement des tendinites - Pratique Vétérinaire Equine n° 179 du 01/07/2013
Pratique Vétérinaire Equine n° 179 du 01/07/2013

MÉDECINE RÉGÉNÉRATIVE

CAHIER SCIENTIFIQUE

Synthèse

Auteur(s) : Gabriel Cuevas-Ramos*, Margot Décory**

Fonctions :
*ENV de Toulouse, USC 1043 Inserm/USC1360 Inra
23, chemin des Capelles, 31076 Toulouse Cedex 3
**ENV de Toulouse, USC 1043 Inserm/USC1360 Inra
23, chemin des Capelles, 31076 Toulouse Cedex 3

Afin d’obtenir un résultat optimal lors de l’utilisation de cellules souches mésenchymateuses dans le traitement des tendinites, il convient de les identifier dans les prélèvements.

Les tendinites représentent une part importante des anomalies musculo-squelettiques chez les chevaux de sport, avec une prévalence de 11 à 46 % suivant la discipline [12, 13]. Une étude réalisée au Royaume-Uni entre 1996 et 1998 a montré que, sur 82 % des blessures sur les membres des chevaux de course, 46 % sont localisées au tendon fléchisseur superficiel du doigt et/ou au ligament suspenseur [12]. Le risque de tendinite peut être augmenté par des facteurs intrinsèques au cheval, comme l’âge, ou extrinsèques, comme la qualité du terrain d’entraînement ou encore la durée de l’effort physique [18]. Le processus de guérison des tendons présente deux principales limites : il est lent et le tissu cicatriciel ne présente pas les qualités originelles du tendon. La lésion d’un tendon entraîne une phase inflammatoire, suivie d’un oedème et d’une période d’angiogenèse, le tout se terminant par une phase de fibroplasie. Cela aboutit à la formation d’un tissu cicatriciel, et, en général, à une perte de fonction, donc à une détérioration des caractéristiques biomécaniques [12, 24]. La composition de la matrice extracellulaire du tissu cicatriciel est différente de celle du tendon originel. Le ratio de collagène III et I est de 50 % dans le tissu cicatriciel, contre seulement 10 % pour le tendon sain. Ajouté à d’autres modifications concernant principalement les proportions de glycosaminoglycanes et de protéine COMP (cartilage oligomeric matrix protein), ce phénomène aboutit à un tendon avec des fibres plus dures, donc moins élastiques [1, 5, 21]. La cicatrice et sa jonction avec le tissu sain deviennent une région de faible résistance physique, modifiant les qualités biomécaniques du tendon. Celle-ci est composée essentiellement de tissu fibreux, et cela entraîne des changements dans la résistance et l’élasticité du tendon, avec un taux de récidive élevé lors de la remise au travail, qui peut atteindre 93 % dans les 2 ans suivant la blessure initiale [7, 8, 15, 17]. Lorsque la lésion est traitée avec des cellules souches mésenchymateuses (CSM), ce taux de rechute peut baisser à 18 % ou à 27 %, selon les études [10, 20].

Traitements existants

Jusqu’à présent, de nombreux traitements ont été proposés : le repos prolongé, la mise en place de bandages, les ondes de choc, l’utilisation d’antiinflammatoires, etc. [3, 7]. Il est aussi possible d’injecter directement dans la lésion des facteurs de croissance, comme l’insulin-like growth factor. En effet, de précédentes études ont montré que ces derniers stimulent la prolifération cellulaire et le dépôt de fibres tendineuses au sein de la lésion. Il en a été conclu que ces facteurs pouvaient avoir un effet bénéfique dans le traitement des tendinites, sans preuve que cette méthode entraîne une diminution du taux de récidive [19]. Cependant, qu’il s’agisse de traitements locaux, médicaux ou chirurgicaux, il n’a pas été démontré que leur efficacité soit supérieure à celle de 2 années de repos complet. Dans ce dernier cas de figure, un succès de l’ordre de 33 % est généralement obtenu [7].

Médecine régénérative

L’objectif principal recherché en utilisant des CSM est de favoriser la mise en place d’un tissu cicatriciel à la structure proche de celle du tendon sain en stimulant la fibrinogenèse et la néoformation de fibres tendineuses, et de limiter la formation d’une cicatrice fibreuse et la détérioration des caractéristiques biomécaniques du tendon. Cela permet aux chevaux de revenir en compétition dans les 9 à 12 mois après une remise au travail progressive, et ce avec un taux de récidive plus faible [10, 16]. L’effet bénéfique de l’injection de cellules souches a été démontré, avec une récupération pouvant atteindre 90 % [10, 16]. En effet, la particularité des cellules souches mésenchymateuses de moelle osseuse est leur multipotence, c’est-à-dire leur capacité à se différencier en plusieurs lignées cellulaires, dont celle des ténoblastes [9, 20].

Cellules souches

Il existe essentiellement deux grandes classes des cellules souches : embryonnaires et adultes. Les cellules souches embryonnaires sont soit totipotentes, c’est-à-dire capables de se différencier en n’importe quel tissu, soit pluripotentes, pouvant se différencier dans les trois types de lignées somatiques. Les cellules souches adultes sont multipotentes, capables de se différencier dans une lignée tissulaire plus spécifique, les cellules souches mésenchymateuses de la molle osseuse. Ces dernières sont compétentes pour suivre une différenciation dite du mésoderme (cartilage, os, muscle, tendon et graisse) [6, 9, 14]. Chez le cheval adulte, les CSM peuvent être prélevées à partir de la moelle osseuse (sternum ou tuber coxa) ou de la graisse. Il est maintenant reconnu que les cellules souches provenant de la moelle osseuse présentent de meilleures caractéristiques pour le traitement des tendinites [22]. Une fois la collection de moelle osseuse réalisée, la première étape consiste à amplifier les cellules souches en laboratoire, car seulement 0,001 à 0,01 % des cellules mononucléaires isolées de la moelle osseuse sont des cellules souches mésenchymateuses (photo 1) [9, 22].

Identification des cellules souches mésenchymateuses

L’étape la plus importante est l’identification des CSM car il convient de s’assurer de l’amplification des bonnes cellules, d’autant plus que l’objectif est de les réinjecter chez un animal vivant. Par exemple, l’identification des CSM peut se réaliser par trois critères :

– elles adhérent à la boîte de culture ;

– elles prolifèrent ;

– elles expriment certains gènes caractéristiques [6, 14].

Adhésion et prolifération

L’une des caractéristiques principales des CSM est leur capacité à adhérer sur une surface. Une fois dans la boîte de culture, elles adhèrent au fond, créant un tapis cellulaire pendant leur prolifération (photos 2a à 2c et 3a à 3c). Il convient ensuite d’attendre environ 15 jours pour obtenir un nombre suffisant de CSM. Cela se fait en comparaison avec les cellules déjà différenciées, incapables de rentrer en mitose et dans un état de latence de leur cycle cellulaire.

Expression génique

Les CSM équines vont exprimer trois gènes principaux (Oct4, Sox2 et Nanog), comme le font les cellules mésenchymateuses humaines. Cette triade aide à reconnaître la multipotence de nos cellules d’intérêt [6, 23].

Ce sont des gènes situés et gérés par le même allèle, ce qui veut dire que si l’un d’entre eux est exprimé, les autres le sont également [4]. Les protéines produites par ces gènes d’intérêt, comme la protéine Oct4, peuvent être identifiées et quantifiées avec différentes méthodes de biologie moléculaire (figure et photos 4a à 4c). Il est aussi possible, par une technique de q-PCR (quantitative polymerase chain reaction), d’identifier l’expression de différents gènes. Certains d’entre eux sont uniquement exprimés par des CSM, comme des marqueurs de surface appelés clusters de différenciation (CD) [6]. Une cellule souche mésenchymateuse est positive au marqueur CD105, et une cellule hématopoïétique ou lymphoïde l’est pour CD34 et CD11b respectivement [6, 23]. Nous pouvons ainsi différencier les différents types cellulaires afin de nous assurer que les cellules réinjectées chez le cheval sont bien des CSM. Cette méthode permet de vérifier que les cellules d’intérêt n’expriment pas de marqueurs caractéristiques d’autres lignées, comme les cellules lymphoïdes ou hématopoïétiques, qui sont incompétentes dans un tendon lésé.

Utilisation des CSM chez le cheval

Une fois les cellules amplifiées, il est possible de les injecter directement dans la lésion tendineuse ou ligamentaire, sous échoguidage, pendant 10 à 15 jours. Cet acte doit être pratiqué dans les 15 à 30 jours qui suivent l’apparition de la lésion, une fois la phase inflammatoire terminée. En effet, un environnement inflammatoire est délétère pour les CSM. Une fois l’injection réalisée, le cheval est mis au repos strict pendant 6 semaines, avec quelques minutes de marche par jour. Une échographie de suivi est ensuite mise en œuvre de façon à décider si l’animal peut progressivement recommencer l’entraînement (photos 5a à 5f). Un plan de rééducation est alors établi.

Discussion

Chez le cheval de sport, quelque 1 500 cas cliniques de tendinite traités avec des CSM sont répertoriés dans les publications [1]. Cette thérapie a permis une diminution très importante du taux de récidive, limitant ainsi le fléau économique que cette affection représente. À ce jour, nous avons traités ainsi 57 chevaux de sport, toutes disciplines confondues. Pour ceux dont nous avons un suivi d’au moins un an après la reprise du travail, autour de 2 ans postinjection, le taux de récupération avec un retour à la compétition est de 83 %. L’identification des cellules souches mésenchymateuses est primordiale, non seulement sur le plan des bonnes pratiques du laboratoire, mais aussi pour être en mesure de garantir au client que les cellules injectées dans le tendon du cheval sont bien des CSM. Des données scientifiques manquent encore sur cette technique. Cependant, des méthodes plus généralisées et plus accessibles sont peu à peu proposées [6]. L’objectif est que tous les vétérinaires qui utilisent des CSM les identifient selon les mêmes approches.

Plusieurs études montrent également que les CSM injectées sont capables non seulement de se différencier, mais aussi de s’incorporer dans la structure du tissu [2, 11, 16].

Conclusion

Actuellement, des méthodes de laboratoire aident à s’assurer de la qualité des cellules souches avant leur emploi en clinique, et ce surtout lorsqu’il s’agit de l’injection de CSM viables. L’utilisation de ces dernières représente une technique prometteuse dans le cadre de la médecine régénérative, conduisant à un taux de récidive plus faible, donc à une probabilité plus élevée que le cheval récupère son niveau de compétition d’avant la lésion. Grâce à cette approche, les conséquences économiques de cette affection peuvent être limitées.

CONFLIT D’INTÉRÊTS : AUCUN

ÉLÉMENTS À RETENIR

• le risque de tendinite est élevé chez les chevaux de sport et cette incidence augmente avec l’âge.

• la récidive est le principal risque rencontré à la remise au travail.

• il est possible d’identifier les cellules souches mésenchymateuses du cheval, ce qui est essentiel avant leur réinjection.

• lorsque les tendinites sont traitées avec des cellules souches mésenchymateuses, un plus faible taux de récidive est observé.

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