Un cas de carcinome de la vessie chez une jument pur-sang anglais de 12 ans - Pratique Vétérinaire Equine n° 178 du 01/01/2013
Pratique Vétérinaire Equine n° 178 du 01/01/2013

Cas clinique

Auteur(s) : Youssef Tamzali*, Laurine Galant**, Marie-Odile Semin***

Fonctions :
*Clinique équine
**Clinique équine
***Unité d’anatomie pathologique,
École nationale vétérinaire de Toulouse
23, chemin des Capelles
31076 Toulouse Cedex 3

Cet article rapporte le cas d’un cheval présenté pour une hématurie et un amaigrissement. Le diagnostic est celui d’un carcinome transitionnel de la vessie.

Les tumeurs de la vessie sont rares chez le cheval, comme en témoigne le peu de cas rapportés dans les publications [2, 3, 13, 21]. En général, les tumeurs vésicales sont des découvertes d’autopsie ou d’abattoir [12, 23]. De plus, leur nature et leur localisation rendent le traitement difficile. Elles représentent donc un véritable défi thérapeutique.

Cas clinique

Anamnèse, motif de consultation et commémoratifs

Une poulinière pur-sang anglais âgée de 12 ans est présentée en consultation à la clinique équine de l’école nationale vétérinaire de Toulouse pour une hématurie et un amaigrissement.

Des épisodes d’incontinence urinaire sont survenus environ 9 mois plus tôt et ne sont plus rapportés par la suite. Le vétérinaire traitant a suspecté une infection urinaire et a prescrit des antibiotiques (pénicilline et dihydrostreptomycine). À cette même période, la jument avait commencé à maigrir, malgré un appétit maintenu et l’absence d’abattement.

L’hématurie est apparue une semaine avant la consultation. Un traitement antibiotique (une seule administration de pénicilline et de dihydrostreptomycine) a été rapidement mis en place par le vétérinaire traitant, sans que l’état de la jument ne s’améliore.

Examen clinique

À l’examen clinique, la jument est alerte avec un comportement normal. Elle présente un état de cachexie marqué, avec un abdomen penduleux (photo 1). Aucune anomalie n’est observée lors de l’évaluation clinique des appareils cardiovasculaire, respiratoire et digestif. Les urines sont pigmentées (rouge franc), visqueuses, avec de nombreux caillots de sang durant toute la miction. Du sang s’écoule également de la vulve entre les mictions. Aucun signe clinique compatible avec une coagulopathie n’est observé (pétéchies, ecchymoses, etc.).

Diagnostic différentiel

L’écoulement de sang par la vulve peut avoir deux origines : le tractus urinaire ou le tractus génital. L’hypothèse d’une origine urinaire est explorée en premier. Des caillots de sang dans les urines orienteraient vers une hématurie vraie (tableau 1).

La jument est au repos. Elle n’a reçu aucun traitement récent, antérieur au début de l’hématurie une semaine avant son admission et aucun accident n’est connu. L’hématurie induite à l’exercice, les agents toxiques ou un traumatisme sont donc écartés dans un premier temps.

Les principales hypothèses étiologiques de l’hématurie chez cette jument comprennent alors une infection, des calculs et une tumeur de l’appareil urinaire. Un saignement provenant du tractus génital ne peut cependant pas encore être exclu.

Une série d’examens complémentaires est mise en place.

Examens complémentaires

Palpation transrectale

La palpation transrectale provoque l’élimination d’une grande quantité d’urine et de sang par la vulve. Une masse anormale est palpée au niveau de la vessie, en région parasagittale gauche, cranialement au pubis. Elle est ferme et granuleuse, très peu mobilisable. Sa taille n’est pas évaluable à la palpation. Le rein gauche semble avoir une taille, une forme et une consistance normales.

Échographie transrectale

Une échographie transrectale est réalisée avec une sonde linéaire de 7,5 MHz (photos 2a à 2c). La masse est visible sur le col et la paroi ventrale de la partie caudale de la vessie. Elle infiltre la paroi vésicale, ce qui rend impossible la distinction entre la paroi et la masse. Cette dernière présente une échogénicité hétérogène. Son épaisseur est de 2 à 4 cm selon les endroits et son étendue en surface n’est pas évaluable par échographie. Dans la lumière de la vessie, des images hyperéchogènes de formes variables évoquent des caillots sanguins et des flammèches de fibrine libres dans l’urine. L’examen du rein gauche est normal.

Cystoscopie

Une cystoscopie est réalisée avec un vidéo-endoscope de 1,40 m de long et de 8 mm de diamètre. Du sang et de nombreux caillots sanguins sont observés dans l’urètre et la vessie. La vidange et le lavage de la vessie, indispensables pour visualiser l’ensemble de l’organe, sont réalisés par un sondage urinaire stérile et une administration intravésicale de chlorure de sodium à 0,9 % tiédi. Une masse volumineuse, ulcérée et hémorragique est alors mise en évidence dans la paroi ventrale de la moitié caudale de la vessie (photos 3a et 3b).

Biopsie

Afin de connaître la nature histologique de cette masse, trois biopsies sont réalisées en différents endroits de celle-ci, sous contrôle endoscopique avec une pince à biopsie utérine pour jument introduite parallèlement à l’endoscope.

Bilan d’extension

L’hypothèse d’un processus néoplasique étant privilégiée, un bilan d’extension est donc entrepris afin de rechercher d’éventuelles métastases ou des répercussions systémiques : analyses sanguines, échographie abdominale, cytologie du liquide abdominal. L’examen de l’appareil respiratoire profond par radiographie et par échographie thoracique n’a pas pu être réalisé par manque de moyens financiers consentis par les propriétaires. Cependant, l’examen clinique approfondi du thorax par inspection, palpation et percussion ne montrait aucune anomalie.

Analyses sanguines

Les analyses de sang révèlent une leucocytose (24,8 x 109/l, normes : de 5 à 11 x 109/l) neutrophilique (21,9 x 109/l, normes : de 2,5 à 8,5 x 109/l), une hypoalbuminémie (23,4 g/l, normes : de 25 à 42 g/l), une hyperglobulinémie (46,7 g/l, normes : de 20 à 35 g/l) et une hyperfibrinogénémie (4,7 g/l, normes : de 1,5 à 3,5 g/l). Ces modifications sont en faveur d’une inflammation chronique, bien que l’hématocrite soit normal (34,4 %, normes : de 32 à 45 %). Les autres paramètres dosés (phosphatases alcalines, aspartate aminotransférase, γ-glutamyltransférase, bilirubine totale, urée, créatinine, calcium) ne montrent aucune modification significative. Le dosage du calcium a été effectué afin de mettre en évidence un éventuel syndrome paranéoplasique (3,21 mmol/l, normes : de 2,7 à 3,3 mmol/l) [10].

Échographie abdominale

Une échographie abdominale est réalisée avec une sonde convexe de 5 MHz (photo 4). Aucune anomalie n’est décelée sur les parties visibles des reins, de la rate, du foie et des intestins. Une quantité importante de liquide abdominal est observée.

Paracentèse abdominale

Une paracentèse est alors pratiquée selon la technique à l’aiguille. Le liquide récolté est rouge et légèrement trouble (photo 5).

La concentration en protéines est augmentée (40 g/l), celle en cellules est normale (2 350 cellules/µl) et le liquide contient de nombreuses hématies, mais pas de plaquettes ni de cellules néoplasiques.

Cytologie urinaire

La cytologie urinaire est réalisée immédiatement sur des urines prélevées stérilement. Elle met en évidence de nombreuses bactéries et quelques neutrophiles sur un fond fortement hémorragique (nombreux érythrocytes), mais pas de cellules néoplasiques. La culture bactérienne n’a pas pu être réalisée pour les raisons financières évoquées précédemment.

Bilan

La nature probablement maligne de la masse, sa localisation difficilement accessible, son étendue en surface et en profondeur dans la paroi vésicale rendent tout traitement local, médical ou chirurgical, impossible.

La jument présente un état d’amaigrissement extrême. De plus, l’existence de métastases, bien que non objectivée lors du bilan d’extension, est toujours suspectée car fréquemment rapportée dans les publications lors d’évolution avancée de tumeur vésicale. L’euthanasie de la jument est donc conseillée.

Évolution

Les propriétaires refusent l’euthanasie et ramènent la jument chez eux. Ils informent la clinique équine qu’elle est morte une semaine plus tard, après aggravation de l’hématurie et affaiblissement sévère. L’autopsie n’a pas été possible puisque la jument est morte au domicile des propriétaires.

Résultats de l’analyse histopathologique de la masse vésicale

Les biopsies ont montré une prolifération carcinomateuse en continuité avec l’urothélium, densément cellulaire et infiltrant très largement le chorion de la muqueuse vésicale et les couches musculaires lisses. La tumeur s’agence en travées et en lobules solides, mais aussi en acini (dégénérescence kystique), soutenus par un stroma fibroplasique modérément abondant et richement vascularisé (photo 6). Les cellules néoplasiques sont de grande taille, polyédriques, avec un abondant cytoplasme éosinophile et homogène à finement réticulé. Les noyaux sont ronds à ovalaires, presque systématiquement nucléolés, à chromatine fine ou vésiculeuse, parfois marginalisée. Les atypies sont marquées : anisocytose, anisocaryose, volume nucléolaire important et inégalité des contours nucléaires. De rares cellules prennent l’aspect de cellules en bague à chaton. À l’examen à fort grossissement, l’index mitotique est de cinq mitoses pour dix champs en moyenne (photo 7). La néoplasie est associée à une infiltration suppurée multifocale et à des remaniements hémorragiques. Ce tableau histologique est celui d’un carcinome transitionnel de la vessie.

Discussion

Épidémiologie

La majorité des cas de tumeurs de la vessie concerne des animaux adultes, voire âgés, comme c’est le cas pour cette jument de 12 ans (tableau 2) [23]. L’apparente prédominance des femelles peut être attribuée au fait qu’elles sont plus souvent soumises à des palpations transrectales que les mâles, ce qui augmente les chances de découverte de masses anormales [3]. Aucune prédisposition raciale ne peut être mise en évidence [21].

Signes cliniques

En général, les signes cliniques accompagnant une tumeur vésicale sont similaires à ceux d’une urolithiase, d’une sablose vésicale ou d’une cystite. Une hématurie avec des caillots de sang, une strangurie, une pollakiurie et une incontinence urinaire sont les symptômes les plus fréquents [3, 21]. Les ulcères de la muqueuse vésicale provoquent l’hématurie. L’augmentation de la fréquence des mictions résulterait de la cystite secondaire et/ou de la diminution du volume et de la compliance de la vessie induite par la masse. De plus, dans le cas des carcinomes épidermoïdes, certains auteurs pensent également qu’une cystite chronique ou des lithiases chroniques pourraient être la cause primaire du processus tumoral. Les irritations chroniques induiraient une métaplasie squameuse, une lésion prétumorale, à partir de petits îlots de cellules squameuses normalement présentes dans la vessie des équidés [13].

Des signes cliniques généraux, moins fréquents, peuvent être présents : un amaigrissement, un abattement, une anorexie et des coliques.

Les signes cliniques du cas décrit sont comparés à ceux des 14 cas de tumeur vésicale rapportés dans des publications précédentes (tableau 3).

Dans le cas de cette jument, l’hématurie, la pollakiurie et l’amaigrissement étaient présents. Les épisodes d’incontinence urinaire rapportés 9 mois avant la consultation pourraient correspondre aux premières manifestations cliniques de la tumeur.

Diagnostic différentiel

Le diagnostic différentiel comprend toutes les autres causes d’hématurie vraie, notamment : une tumeur rénale, des calculs urinaires (vésicaux ou urétéraux), une infection urinaire (cystite, pyélonéphrite), un traumatisme des voies urinaires (choc, poulinage), une néphrotoxicose (médicaments, plantes), une hématurie associée à l’exercice et une hématurie rénale idiopathique [17]. Une affection des voies génitales peut également être la cause de l’hématurie (tumeur, traumatisme, varices vaginales).

Examens complémentaires

Plusieurs examens complémentaires peuvent être réalisés afin d’explorer l’hématurie : des analyses de laboratoire (sang, urine, liquide abdominal), une palpation transrectale, voire vaginale, des échographies transrectale et abdominale, une endoscopie des voies urinaires et génitales et une biopsie [2, 3, 9].

Analyses de laboratoire

Les analyses de sang peuvent révéler une anémie modérée et une leucocytose neutrophilique. Les analyses sanguines du cas rapporté ici n’ont pas mis d’anémie en évidence, mais des résultats compatibles avec un processus inflammatoire chronique.

Les analyses des urines ne montrent généralement pas de cellules néoplasiques, comme c’était le cas pour cette jument. Des cellules néoplasiques ont été retrouvées dans un seul cas parmi les 14 rapportés précédemment.

Palpation transrectale

Associée à l’échographie transrectale, la palpation transrectale permet de faire la distinction entre un calcul urinaire et une masse vésicale. Un calcul a une consistance très dure et est mobilisable à la palpation, alors qu’une masse vésicale est ferme à molle et non mobilisable. Une masse anormale sur ou dans la vessie a été palpée dans 12 des 14 cas rapportés.

Échographie transrectale

À l’échographie transrectale, une formation fixe avec une échogénicité de tissu mou est caractéristique d’une masse dans la paroi vésicale, alors qu’une image avec une surface hyperéchogène, un cône d’ombre et mobile dans la vessie est en faveur d’un calcul.

Cystoscopie

La cystoscopie permet la mise en évidence directe de la masse, et l’évaluation de son aspect et de son étendue. Lors de carcinome de la vessie, les masses observées sont en général irrégulières et ulcérées, et font protrusion dans la lumière vésicale (tableau 4 complémentaire sur www.WK-Vet.fr).

La palpation et l’échographie transrectales et la cystoscopie de cette jument sont en accord avec les descriptions rapportées dans les publications.

Biopsie

La biopsie permet de confirmer la nature tumorale de la masse et d’identifier le type de néoplasie. Elle est habituellement réalisée sous contrôle endoscopique via le canal transendoscopique et l’urètre, ou par urétrostomie périnéale chez les mâles. Chez cette jument, la biopsie a été réalisée à l’aide d’une pince à biopsie utérine pour jument introduite parallèlement à l’endoscope. Cette technique permet d’obtenir une biopsie de pleine épaisseur, donc de meilleure qualité que les biopsies réalisées avec des pinces transendoscopiques qui ne prélèvent que des tissus superficiels et difficilement interprétables. Cependant, la paroi vésicale est plus fine que la paroi utérine, ce qui augmente le risque de rupture de l’organe. Cette technique doit donc être réalisée avec précaution, notamment en s’assurant préalablement de l’épaisseur de la masse lors de l’échographie de la vessie.

D’autres examens complémentaires sont nécessaires afin de rechercher des complications, des affections concomitantes et des métastases.

Échographie abdominale

L’échographie abdominale peut montrer des images évoquant une pyélonéphrite (reins hypertrophiés, architecture anormale) ou d’autres masses anormales dans l’abdomen compatibles avec des métastases. Aucune image de ce type n’a été mise en évidence chez cette jument.

Paracentèse abdominale

Dans plusieurs cas de tumeurs abdominales (lymphome digestif, lymphome splénique, carcinome gastrique), des cellules néoplasiques exfoliatives ont pu être mises en évidence lors de l’analyse cytologique du liquide de paracentèse [20]. Dans les 14 cas de tumeur vésicale référencés précédemment et dans celui de cette jument, l’analyse du liquide abdominal n’a pas révélé de cellules néoplasiques.

Enfin, l’échographie et la radiographie thoraciques peuvent mettre en évidence des lésions pulmonaires (métastases). Ces examens n’ont pas pu être réalisés chez cette jument.

Histopathologie

Chez le cheval, les tumeurs épithéliales de la vessie incluent les papillomes, les adénomes et les carcinomes. Les carcinomes sont classés en quatre types : les carcinomes transitionnels, les carcinomes épidermoïdes, les adénocarcinomes et les carcinomes indifférenciés [21].

Les tumeurs de la vessie les plus fréquentes chez les chevaux sont les carcinomes épidermoïdes, alors que dans la plupart des espèces, il s’agit de carcinomes transitionnels [2, 3, 5, 9, 18]. La prévalence plus élevée des carcinomes épidermoïdes chez le cheval serait due à la présence normale de petits foyers de cellules squameuses dans l’épithélium de la vessie équine [13].

D’autres études rapportent des tumeurs vésicales non épithéliales. Moins fréquentes, elles dérivent des autres tissus constituant la vessie, comme les polypes fibromateux et les fibrosarcomes, les rhabdomyomes et les rhabdomyosarcomes, les léiomyomes et les léiomyosarcomes, les hémangiomes, les hémangiosarcomes et les lymphomes [3, 6, 19, 21].

Traitement

Les moyens de traitement des tumeurs de la vessie chez le cheval, ainsi que chez les autres animaux domestiques sont très limités et leur efficacité est faible. L’euthanasie reste souvent la seule issue [1].

Traitement médical

La chimiothérapie systémique est encore peu utilisée chez les équidés pour plusieurs raisons : le coût élevé de ces médicaments chez le cheval (poids corporel important), la nécessité d’une infrastructure et de personnel qualifié, les effets secondaires indésirables, les faibles chances de succès et un diagnostic souvent tardif.

Cependant, quelques études décrivent le traitement de tumeurs vésicales avec des agents cytotoxiques dans l’espèce équine.

Des injections de 5-fluoro-uracile dans la vessie d’une jument ont conduit, dans un premier temps, à une diminution significative de l’hématurie. La masse a alors pris une consistance fibreuse [3]. Mais, au cours des 2 semaines suivantes, elle a doublé de volume et la jument a finalement été euthanasiée, de même que les 5 autres chevaux de l’étude. Les auteurs de cette étude supposent que si le diagnostic de tumeur vésicale est suffisamment précoce, ce type de traitement intraluminal pourrait limiter la croissance tumorale [3].

Une jument âgée de 17 ans avec un carcinome épidermoïde a survécu 9 mois avec un traitement associant une exérèse partielle mensuelle et des injections intratumorales de 5-fluoro-uracile [2].

D’autres auteurs ont traité un léiomyosarcome chez une pouliche de 2 ans avec une association de doxorubicine, de diphénhydramine et de dexaméthasone sodium phosphate [6]. Dans les 2 semaines qui ont suivi, la muqueuse est apparu moins enflammée, mais la masse avait envahi une grande partie de la lumière vésicale, ce qui a conduit à l’euthanasie de l’animal.

Dans un cas de carcinome épidermoïde, les auteurs ont utilisé un anti-inflammatoire non stéroïdien, le piroxicam, à la suite d’une chirurgie d’exérèse de la tumeur [18]. La jument ne présentait toujours pas de récidive lors du contrôle à 6 mois après l’opération. Le piroxicam, par son action anti-COX, induirait l’apoptose des cellules tumorales, inhiberait l’angiogenèse ou stimulerait la réponse immunitaire par l’inhibition des prostaglandines E2 [11].

À ce jour, peu de traitements médicaux ont donc été tentés chez le cheval et aucun ne s’est révélé efficace. Chez le chien, des études sur l’utilisation d’anti-inflammatoires non stéroïdiens rapportent des résultats prometteurs. Ainsi, une étude récente sur 42 chiens avec un carcinome transitionnel de la vessie a montré une relative efficacité du firocoxib [7]. Cette molécule, couramment utilisée comme anti-inflammatoire chez le cheval, pourrait être expérimentée pour traiter les tumeurs équines.

Traitement chirurgical

Les indications d’un traitement chirurgical des maladies de la vessie sont peu décrites en pratique équine, et comprennent une rupture de la vessie, des calculs, une éversion ou une néoplasie [8].

La résection des tumeurs de la vessie est peu aisée en raison de la localisation anatomique de l’organe. En effet, la vessie se trouve partiellement dans l’espace rétropéritonéal, de 50 à 60 cm de profondeur à partir de l’ombilic. Elle est donc difficile à extérioriser entièrement [15]. De plus, si la tumeur est localisée dans la région de l’abouchement des uretères ou du départ de l’urètre, son exérèse est d’autant plus difficile sans détériorer ces conduits.

Ainsi, avant de procéder à une résection chirurgicale, il convient de s’assurer de l’intégrité de l’abouchement des uretères et du départ de l’urètre par cystoscopie. Une laparoscopie exploratrice peut également être proposée avant d’envisager la cystoplastie afin de confirmer l’absence de métastases sur la surface péritonéale de la vessie ou sur d’autres organes abdominaux, et de choisir la meilleure approche [18].

Plusieurs approches sont possibles : ventrale médiane, para-inguinale, pararectale, laparoscopique.

L’approche par la ligne blanche est similaire à celle utilisée lors de cystotomie visant à retirer des calculs vésicaux. L’abord para-inguinal peut être préférable, surtout chez les mâles (hongre ou étalon). Le cheval est placé en décubitus dorsal. Une sonde urinaire doit être mise en place afin de vider la vessie en continu et d’injecter une solution saline stérile à la fin de la procédure, ce qui permet de s’assurer de l’étanchéité des sutures de la paroi vésicale. La position de Trendelenburg (table inclinée de 15 à 30°) permet de repousser les intestins cranialement [18]. Une fois les muscles abdominaux incisés et disséqués, des fils de tension doivent être disposés afin de garder la vessie à vue. La vessie doit également être isolée du champ chirurgical [8]. La résection de la masse doit être large, avec une marge d’au minimum 2 cm de tissu d’apparence saine [18]. Les tumeurs de la vessie peuvent être difficiles, voire impossibles, à retirer entièrement en raison de leur tendance à envahir la paroi vésicale [2]. Il est préférable de réaliser une suture en deux plans avec du fil résorbable, par exemple avec des surjets de Cushing ou de Lembert [8].

La laparoscopie dans le traitement des tumeurs vésicales est une voie encore peu explorée, bien qu’elle ait montré certains avantages pour l’exérèse de calculs vésicaux et la réparation de rupture de la vessie [18]. Cette technique a, en effet, pour avantage de limiter la taille des incisions à travers les muscles abdominaux.

Dans un seul cas de carcinome épidermoïde de la vessie où la masse était cranio-dorsale et de petite taille, la résection totale de la tumeur par laparotomie médiane, suivie d’un traitement à vie au piroxicam, a permis la guérison sans récidive de la jument [18]. Dans ce cas, une laparoscopie exploratrice préalable avait permis d’exclure l’existence de métastases abdominales macroscopiques et de choisir la meilleure voie d’approche.

Dans le cas présenté ici, la position caudo-ventrale de la masse et son étendue en surface et en profondeur rendaient tout traitement chirurgical impossible.

Pronostic

Le pronostic des tumeurs vésicales doit prendre en compte plusieurs facteurs : le stade d’évolution au moment du diagnostic, le type de tumeur, les éventuelles métastases ou les autres complications et les possibilités thérapeutiques. Il est en général défavorable.

En effet, ces tumeurs sont souvent associées à des complications [3]. La pyélonéphrite peut s’expliquer par une contamination ascendante lors de cystite, l’hydronéphrose par une obstruction des voies urinaires par la masse et l’anémie par l’inflammation et/ou l’hémorragie chronique dues à la tumeur [2, 3]. Dans le cas de cette jument, l’amaigrissement sévère et la cystite sont les seules complications qui ont pu être mises en évidence.

Les tumeurs vésicales sont souvent diagnostiquées tardivement. Elles ont tendance à s’étendre, soit par colonisation directe dans la cavité abdominale, soit par dissémination via les vaisseaux sanguins ou lymphatiques [3]. Cette extension est en général mise en évidence à l’autopsie. Les carcinomes, en particulier, sont des tumeurs localement agressives qui ont tendance à infiltrer la paroi vésicale, puis à s’étendre dans la cavité pelvienne, voire abdominale, sous forme de carcinomatose péritonéale. Des métastases pulmonaires ont également été découvertes dans certains cas [22].

Dans le cas décrit, le refus d’euthanasie n’a pas permis de pratiquer une autopsie à la recherche d’autres lésions de façon plus exhaustive que les examens complémentaires réalisés du vivant de la jument.

Conclusion

Ce cas clinique illustre l’intérêt diagnostique des examens complémentaires lors d’hématurie, puisque les signes cliniques et l’analyse des liquides biologiques sont peu spécifiques.

Les tumeurs de la vessie chez les chevaux progressent rapidement. Elles sont souvent diagnostiquées tardivement, répondent mal aux traitements médicaux et sont difficiles d’accès pour le chirurgien. Actuellement, le pronostic des tumeurs vésicales du cheval reste donc très sombre.

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Éléments à retenir

→ Les tumeurs vésicales sont rarement diagnostiquées chez le cheval.

→ Lors d’hématurie, le diagnostic différentiel doit prendre en compte les calculs urinaires, les intoxications responsables d’hématurie et les troubles de l’hémostase, mais aussi les néoplasies vésicales ou rénales. L’échographie et la cystoscopie sont indispensables.

→ Actuellement, le traitement des tumeurs vésicales reste difficile, voire illusoire, en raison notamment d’un diagnostic trop souvent tardif.

→ Le pronostic des tumeurs de la vessie est de très réservé à défavorable. La précocité du diagnostic pourrait en permettre la prise en charge thérapeutique.

Conflit d’intérêts

Aucun.

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L’ouvrage ECG du chien et du chat - Diagnostic des arythmies s’engage à fournir à l’étudiant débutant ou au spécialiste en cardiologie une approche pratique du diagnostic électrocardiographique, ainsi que des connaissances approfondies, afin de leur permettre un réel apprentissage dans ce domaine qui a intrigué les praticiens pendant plus d’un siècle. L’association des différentes expériences des auteurs donne de la consistance à l’abord de l’interprétation des tracés ECG effectués chez le chien et le chat.

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