Fréquence des maladies : notions de prévalence et d’incidence - Pratique Vétérinaire Equine n° 170 du 01/04/2011
Pratique Vétérinaire Equine n° 170 du 01/04/2011

Article de synthèse

Auteur(s) : Jean-Michel Vandeweerd

Fonctions : DVM, DES, Cert ES (soft tissue), Dipl. ECVSUniversité de Namur
URVI (Unité de recherche vétérinaire intégrée)
Rue de Bruxelles, 61, 5000 Namur, Belgique
jean-michel.vandeweerd@fundp.ac.beFaculté de médecine vétérinaire
Université de Liège, bât. B41
Bd de Colonster, 20, 4000 Liège 1, BelgiqueClinique vétérinaire équine
18, rue des Champs, La Brosse
78470 Saint-Lambert-des-Bois

Prévalence et incidence sont des notions fondamentales à maîtriser, tant pour aborder la littérature scientifique que dans la pratique quotidienne.

Lorsqu’un diagnostic a été établi et que l’affection dont est atteint le cheval porte un nom, une des premières questions posées par les propriétaires de l’animal est celle de la fréquence de la maladie. Quant au vétérinaire, en plus de la réponse qu’il pourrait apporter à ses clients, la connaissance de la fréquence d’une affection dans la population en question lui permet d’établir une hiérarchie dans un diagnostic différentiel : ce qui est rare ne nécessite pas d’être investigué en première intention. L’appréciation de cette fréquence est aussi très utile pour orienter les prises de décision dans les institutions, les régions ou les pays. Les fonds pour la recherche sont de façon générale investis là où il y en a le plus besoin. Par exemple, c’est parce que l’ostéochondrite disséquante était fréquemment rencontrée chez le cheval de sang hollandais que les stud-books des Pays-Bas ont décidé de mettre en œuvre une politique de sélection excluant les animaux présentant cette maladie. Ces trois utilités de la connaissance de la fréquence d’une maladie font que celle-ci mérite d’être étudiée.

Comment étudier la fréquence d’une maladie ?

Notion de prévalence

Face à une question portant sur la fréquence d’une maladie, le vétérinaire répond souvent en pourcentage d’une population. Cette mesure est statique, figée, comme un cliché photographique. La valeur fournie représente l’importance de l’affection à un instant donné dans une population précise. Le nombre de cas de la maladie dans une population rapporté à celui d’individus à risque à ce moment déterminé est appelé “prévalence instantanée” ou “proportion de prévalence instantanée” (encadré 1). Le terme de proportion de prévalence est plus juste car il s’agit effectivement d’une fraction présentant, au numérateur, le nombre d’individus malades dans une population à un moment donné et, au dénominateur, le nombre total d’animaux de cette population. Pour traduire ce caractère figé dans le temps de l’évaluation du nombre d’animaux atteints, l’étude est dite “transversale”, comme une droite perpendiculaire à la ligne du temps, et également “de prévalence”.

Par exemple, recherchant les causes potentielles du développement des sarcoïdes équins, Bogaert et coll. se sont interrogés sur le rôle éventuel du papillomavirus bovin [1]. Ils ont ainsi mis en évidence, sur les biopsies effectuées chez l’animal, la présence d’ADN viral chez 73 % des animaux atteints, mais aussi chez 50 % de ceux qui vivent au contact des chevaux porteurs de sarcoïdes et chez 30 % des individus sains d’un groupe contrôle. Ils ont conclu à la prévalence élevée d’ADN viral chez le cheval, et suggèrent l’hypothèse d’un état d’infection latent et d’un lien potentiel avec le développement des sarcoïdes.

Toutefois, une imprécision existe dans cette mesure de prévalence. Prenons le cas de la maladie de l’herbe (grass sickness) en Écosse et élaborons un exemple fictif. Cette affection existe sous trois formes différentes : aiguë, subaiguë et chronique [2]. Dans la première, les chevaux meurent en général ou doivent être euthanasiés dans les 48 heures après le début des symptômes. Dans la forme subaiguë, l’animal ne survit pas plus d’une semaine. Dans la forme chronique, le cheval est cachectique, myasthénique, en légère tachycardie (50 à 60 battements par minute [bpm]), et ne présente que de légers signes gastro-intestinaux. La maladie peut durer avant de s’aggraver. Cependant, certains chevaux survivent avec des soins appropriés. Dans la forme particulièrement létale d’une maladie, le nombre d’animaux touchés dans la population est susceptible d’apparaître faible puisque, au moment de l’observation, de nombreux individus sont parfois déjà morts ou que l’évolution peut être tellement rapide qu’une évaluation ponctuelle dans le temps ne permet pas de les détecter. La prévalence semble donc faible. Dans la forme d’évolution lente d’une affection, la prévalence apparaît plus élevée après quelques semaines qu’au début (figures 1 et 2).

En d’autres termes, la prévalence est influencée par la vitesse d’évolution de la maladie. Il convient donc d’observer les animaux au cours du temps. Une étude d’observation d’un groupe d’animaux (une cohorte) au cours d’une période déterminée est dite “longitudinale”.

Notion d’incidence

Si l’observation débute dans une population de chevaux où certains animaux sont déjà atteints, les valeurs de prévalence sont également différentes. Pour cette raison, il est plus utile de suivre la population longitudinalement dans le temps et de compter les nouveaux cas de maladie qui apparaissent, et uniquement eux, après avoir exclu les animaux déjà malades lorsque l’observation commence. Il est alors question de mesure du taux d’incidence. Un taux d’incidence correspond au nombre de nouveaux cas d’une affection apparus sur une période donnée, rapporté au nombre d’individus à risque dans le même intervalle de temps. Nous répondons donc à la question de fréquence en déclarant, par exemple, que : « Chaque année, X nouveaux cas de maladie de l’herbe sont diagnostiqués chez Y chevaux en Écosse. » La notion d’incidence donne davantage une idée de la vitesse ou de l’intensité à laquelle une affection apparaît. McGorum et Pirie rapportent ainsi que le taux d’incidence de la maladie de l’herbe est le plus élevé en Écosse et avoisine 1 % de la population équine du pays sur une année [2].

Le concept mérite toutefois d’être précisé. Lorsque les nouveaux cas qui surviennent sur une période déterminée sont comptés, c’est en fait la mesure de ce qui est appelé l’incidence cumulée. En effet, la population de départ est observée (10 chevaux dans notre exemple) et les nouveaux cas sont accumulés. Mais cette mesure reste imprécise pour plusieurs raisons.

Dans notre exemple, si nous comptons le nombre de cas et celui de morts survenus depuis le premier jour et pendant un mois, le nombre total de nouveaux cas apparus est le même pour les deux formes de la maladie de l’herbe, c’est-à-dire 4 chevaux sur 10 dans les deux situations. Or il existe une nette différence dans l’intensité de l’apparition des symptômes et de l’évolution de l’affection qui ne transparaît pas dans les chiffres. Dans la forme aiguë, les chevaux auront survécu moins longtemps et, dans la forme chronique, plus longtemps.

Pour ces différents motifs, il convient donc idéalement de ramener le nombre de nouveaux cas au temps pendant lequel les chevaux ont été exposés ou malades, pour se faire une vraie idée de l’incidence de l’affection. Le dénominateur de la fraction n’est plus le nombre d’animaux à risque sur une période donnée, mais ce qui est appelé le nombre d’“animaux-temps” à risque. En médecine humaine, il est question de “personnes-temps”. L’animal-temps égale la somme des jours, des semaines, des mois ou des années (selon l’unité choisie) pendant lesquels chaque individu a été exposé. Concrètement, dans notre exemple, pour la forme aiguë, le nombre d’animaux-jours est de 235 (15 + 30 + 10 + 30 + 25 + 30 + 5 + 30 + 30 + 30). Pour la forme chronique, il est de 300 (10 x 30). L’incidence de la maladie à évolution rapide (forme aiguë) est ainsi de 4 individus (nombre de chevaux atteints) sur 235 animaux jours et, dans la forme lente, de 4 individus sur 300 animaux jours. La définition exacte du taux d’incidence est le nombre de nouveaux cas survenant sur une période donnée divisé par le nombre d’animaux-temps à risque pendant cet intervalle de temps. C’est la raison pour laquelle ces unités sont retrouvées dans certaines publications. Cependant, si cette formulation est largement utilisée en médecine humaine, elle l’est beaucoup moins en médecine vétérinaire. Dans ce dernier cas, le taux d’incidence est souvent simplement exprimé par le nombre de nouveaux cas survenant sur une période donnée divisé par le nombre d’animaux observés pendant cet intervalle de temps. Il s’exprime en pourcentage par unité de temps.

Faiblesses et biais des études de prévalence

Il résulte de ce qui précède que la prévalence est une fonction de l’incidence et de la durée de la maladie. La prévalence est élevée si l’affection survient chez un nombre important d’animaux et si elle dure longtemps.

Cette relation est souvent exprimée par l’équation suivante : prévalence = incidence x durée moyenne de l’affection. Pour une maladie à évolution rapide, l’étude de prévalence risque de sous-estimer sa fréquence. Lors d’évolution lente, la fréquence pourrait être surestimée par une mesure de la prévalence.

De plus, puisque la prévalence est calculée à un instant précis, elle constitue une mesure inadéquate pour évaluer les liens de cause à effet. L’opérateur ignore si le facteur dont l’effet est apprécié précède ou suit l’apparition de la maladie. En 1965, le statisticien Bradford Hill a proposé une liste d’éléments qui devraient être pris en compte pour décider si une relation entre certains facteurs et une maladie est une cause ou juste une association. La relation temporelle en fait partie (encadré 2).

Les études de prévalence sont donc utiles pour générer des hypothèses, mais des études de cohorte longitudinales, expérimentales ou d’observation, mesurant l’incidence des cas, sont indispensables pour tirer des conclusions précises sur les causes de la maladie.

Pour qu’une étude de prévalence ou d’incidence constitue une source fiable d’informations, il convient aussi que ce qui est considéré comme un cas soit clairement défini. Par exemple, il existe une ressemblance entre tous les chevaux présentant des signes de colique liés à une distension de l’intestin grêle. Toutefois, le diagnostic de maladie de l’herbe doit être clairement différencié de celui d’entérite proximale ou d’obstruction pour mesurer avec précision la fréquence de la maladie de l’herbe. La définition du cas influence le nombre d’animaux recensés comme tels.

La population suivie, dite “à risque”, doit présenter certaines caractéristiques. Premièrement, elle doit être représentative du sujet analysé. Par exemple, si l’objet de l’étude est de déterminer les facteurs de risque de la maladie de l’herbe, il n’est pas adéquat d’observer une population de chevaux de sport vivant en permanence en box. Secondement, tous les individus doivent être exposés de la même façon au facteur analysé. Ainsi, l’étude serait faussée si les propriétaires rentraient chaque soir à l’écurie certains animaux et d’autres pas.

Discussion

Lors de la lecture d’un article traitant de la fréquence d’une maladie, le praticien équin doit se poser plusieurs questions.

S’agit-il de prévalence ou d’incidence ?

La fréquence peut donc être mesurée de deux façons. La prévalence est le nombre total de cas (malades) à un moment donné par rapport au nombre d’individus que comprend la population à la même période. Elle est exprimée en pourcentage. Elle est aussi appelée “proportion de prévalence instantanée” (car elle est prise à un instant précis). Les études de prévalence sont dites “transversales” car elles correspondent à un cliché photographique d’une situation à un moment donné.

Si le groupe d’individus est suivi en excluant dès le départ les animaux qui présentent la maladie et en ne comptant que les nouveaux cas, c’est l’incidence de la maladie qui est mesurée. Elle s’exprime en nombre de nouveaux cas par rapport au nombre d’animaux à risque sur la période donnée. Ces études où les animaux sont observés dans la durée sont dites “longitudinales”.

Les définitions de la population étudiée et du cas sont-elles précises ?

La publication doit clairement décrire le paramètre qui est observé et dont la fréquence est mesurée. Il convient aussi que la population d’animaux dans laquelle ce critère est étudié soit précisément caractérisée.

La période observée est-elle spécifiée ?

La fréquence d’un paramètre est mesurée sur une période déterminée, exactement définie. Le lecteur doit pouvoir identifier dans quelle mesure elle est influencée par la longueur de l’intervalle de temps considéré, le caractère létal de la maladie et le nombre de cas déjà avérés dans la population au début de la période considérée.

L’étude ne spécule-t-elle pas sur la causalité ?

Une étude de prévalence ne permet pas de spéculer sur le lien de cause à effet. Cette notion devrait transparaître dans la discussion. Il convient donc de se méfier de conclusions qui établiraient un tel lien. Une étude de prévalence est adéquate pour générer des hypothèses. Le lien de cause à effet s’étudie de préférence à l’aide d’enquêtes longitudinales, d’observation ou d’expérimentation.

Conclusion

La compréhension de ces notions d’épidémiologie clinique permet au praticien de porter un regard critique sur les chiffres publiés, de mieux informer ses clients et de mieux éclairer ses décisions cliniques.

Références

  • 1. Bogaert L, Martens A, Van Poucke M et coll. High prevalence of bovine papillomaviral DNA in the normal skin of equine sarcoid-affected and healthy horses. Vet. Microbiol. 2008;129(1-2):58-68.
  • 2. McGorum BC, Pirie RS. Grass sickness. In: NE Robinson, KA Sprayberry, eds. Current therapy in equine medicine. 6th ed. 2009:361-365.

Éléments à retenir

→ Prévalence et incidence sont deux mesures de la fréquence d’une maladie.

→ La prévalence correspond à la proportion d’individus malades dans une population à un moment donné.

→ L’incidence correspond à la proportion de nouveaux cas apparaissant au cours d’une période donnée.

→ La prévalence s’étudie au cours d’une étude transversale, et l’incidence au cours d’une étude longitudinale.

→ Les études de prévalence ne permettent pas d’étudier un lien de cause à effet.

Encadré 1 : Définitions

→ Le nombre de cas d’une maladie dans une population rapporté au nombre d’individus à risque à un instant donné correspond à la prévalence instantanée, aussi appelée “proportion de prévalence instantanée”. Celle-ci s’exprime en pourcentage.

→ Le taux d’incidence est le nombre de nouveaux cas survenant sur une période donnée divisé par le nombre des animaux observés pendant ce même intervalle de temps. Il s’exprime en pourcentage par unité de temps.

→ La prévalence est estimée au cours d’une étude transversale, équivalant à un cliché photographique de la population à un moment donné. Une étude de prévalence ne permet pas de spéculer sur le lien de cause à effet. Une étude longitudinale évaluant l’incidence d’une maladie est plus adaptée pour analyser ce lien car elle permet d’estimer l’antériorité de la cause par rapport à l’effet sur une période déterminée.

Encadré 2 : Éléments de preuve de l’existence d’un lien de cause à effet

→ Relation temporelle : la cause devrait précéder l’effet.

→ Relation dose-effet : il existe une relation entre le niveau de l’exposition (à un facteur ou une intervention) et l’effet.

→ Force de l’association : plus l’association mesurée (le risque par exemple) est forte, plus le lien de cause à effet est probable.

→ Réversibilité : si l’exposition est supprimée, l’effet disparaît.

→ Consistance : l’effet est observé de façon répétable par des personnes différentes, dans des endroits différents, et à des moments différents.

→ Plausibilité biologique : l’hypothèse de cause à effet a du sens au vu des connaissances scientifiques du moment.

→ Spécificité : une cause précise mène à un effet précis.

→ Analogie : une relation de cause à effet a déjà été démontrée pour des maladies ou des facteurs d’exposition similaires.

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