Réalisation d’une énucléation chez le cheval debout - Pratique Vétérinaire Equine n° 169 du 01/01/2011
Pratique Vétérinaire Equine n° 169 du 01/01/2011

Article de synthèse

Auteur(s) : Matthieu Lacourt

Fonctions : DVM,
Université de Montréal, Faculté de médecine
vétérinaire, 3200, rue Sicotte
CP 500 Saint-Hyacinthe
J2S 7C6, Canada Qc

L’énucléation est généralement réalisée sous anesthésie générale. Cependant, si le caractère de l’animal et l’expérience du praticien le permettent, elle peut être pratiquée chez le cheval debout.

L’énucléation chez le cheval debout est une technique délaissée, alors qu’elle est classiquement réalisée en chirurgie bovine [1, 6]. Étant donné le caractère imprévisible du cheval, l’anesthésie générale est généralement privilégiée. Néanmoins, les progrès pharmacologiques rendent la chirurgie debout de plus en plus accessible et sécuritaire. Cela minimise les risques anesthésiques et postanesthésiques, et diminue le coût de la procédure [6]. Il est important de sélectionner les chevaux dont le comportement autorise ce type d’intervention. Afin de travailler dans de bonnes conditions, le protocole de sédation et les techniques d’anesthésie locale doivent être maîtrisés.

L’énucléation correspond au retrait du globe oculaire de sa cavité orbitaire, et s’accompagne de l’excision d’une partie des paupières, de la membrane nictitante et d’une partie de l’appareil lacrymal. C’est une procédure considérée comme invalidante par certains propriétaires. Toutefois, une étude récente montre que les chevaux ayant subi une énucléation peuvent retrouver un niveau d’activité dans 85 % des cas [7]. L’énucléation est indiquée lors d’affections graves de l’œil telles que les lacérations, les infections, les glaucomes et les néoplasies. Elle est également réalisée dans certains cas d’uvéite ou d’ulcère cornéen dont le traitement nécessite des soins importants et parfois coûteux pour le propriétaire. Toutefois, si une large tumeur envahit la cavité orbitaire ou que l’infection s’étend à l’orbite, une exentération est préférable. Cela correspond à l’excision chirurgicale de l’ensemble des structures présentes dans l’orbite incluant les tissus péri-orbitaires et le globe [2]. L’énucléation sous-conjonctivale est une technique simple et efficace permettant de retirer le globe oculaire, ainsi que sa conjonctive et sa membrane nictitante. Elle peut être réalisée chez le cheval debout.

Contention et tranquillisation

L’intervention chirurgicale est effectuée dans un travail et une personne est laissée à la tête du cheval en permanence. Au besoin, un tord-nez peut être utilisé afin d’assurer un meilleur confort de travail au cours de certaines étapes comme la réalisation du bloc auriculo-palpébral. La sédation est réalisée à l’aide d’une association de détomidine et de butorphanol. Un bolus de détominine (6 µg/kg par voie intraveineuse) est administré, suivi d’un bolus de butorphanol (0,1 mg/kg) 5 minutes plus tard. Une tranquillisation efficace doit être prévue pour un temps de chirurgie de 30 à 45 minutes. Un relais peut être prévu avec une perfusion de détomidine (0,1 mg/kg/min) qui permet de maintenir un niveau de sédation constant. L’emploi de bolus répété peut également être envisagé, néanmoins, alterner les phases de réveil et de tranquillisation profonde doivent être évitées car elles rendent la procédure parfois plus délicate.

Une fois le cheval tranquillisé, sa tête est placée sur un support afin de la stabiliser.

La région oculaire est alors tondue et préparée pour la réalisation du bloc rétrobulbaire.

Bloc rétrobulbaire

Pour réaliser le bloc rétrobulbaire, l’opérateur a besoin d’une aiguille spinale de 22 G et de 9 cm de long. L’aiguille est placée perpendiculairement à la peau dans la fosse supra-orbitaire contre la partie caudale de l’arcade orbitaire (encadré). Elle est insérée progressivement jusqu’à l’espace rétrobulbaire. Lorsqu’elle atteint cette région, l’œil présente un discret mouvement dorsal. Une solution de lidocaïne 2 % peut alors être injectée. L’injection d’un volume de 10 à 20 ml s’accompagne d’une exophtalmie qui confirme la bonne localisation de l’anesthésique [12-3].

L’effet de l’anesthésique local apparaît sous 10 à 20 minutes, pour une durée d’action d’une à 2 heures. Il convient de répéter le bloc pendant l’intervention si son effet n’est pas satisfaisant.

L’anesthésique local bloque les nerfs optiques, oculomoteurs, abducens, trochléaires ainsi que les branches maxillaires et ophtalmiques du nerf trijumeau. Cela inhibe la vision, bloque la sensation, les mouvements oculaires et bloque le réflexe de clignement à la menace [1, 3].

Ce bloc est particulièrement intéressant pour les chirurgies oculaires. Des cas de réactions à la lidocaïne ont été rapportés, et le risque de lacération des structures oculaires avec l’aiguille reste possible. Il n’est pas une réelle contre-indication dans le cadre d’une énucléation.

D’autres blocs peuvent également être utilisés seuls ou en association tels que les blocs frontal et auriculo-palpébral, ou encore le bloc en quatre points (dorsal, ventral, médial et latéral) autour du globe.

De même, l’emploi de topiques tels que la phényléphrine 2,5 % ou la proparacaïne 0,5 % peut être associé.

Principe de l’énucléation sous-conjonctivale et considérations anatomiques

Lors de l’énucléation sous-conjonctivale, le globe oculaire doit être désinséré de son orbite (figure). Pour cela, il convient de passer entre la conjonctive et la sclère qui délimite le globe. L’œil est attaché dans son orbite par sept muscles extrinsèques dont les attaches doivent être coupées au niveau de la sclère. Ce sont les muscles droits (dorsal, ventral, latéral et médial), obliques dorsal et ventral ainsi que le muscle rétracteur du bulbe.

Enfin, le globe se prolonge par le nerf optique au niveau duquel se trouvent les artères et les veines rétiniennes. Au cours de la procédure, une partie des paupières est excisée ainsi que la membrane nictitante. Une partie de l’appareil lacrymal est également retirée avec la glande nictitante, les glandes tarsales ainsi qu’une partie des glandes muciniques.

La glande lacrymale est laissée en place sans entraîner de complications majeures.

Technique chirurgicale

Le site est préalablement préparé à l’aide d’une tonte large et d’une asepsie standard.

Le cheval reçoit une dose d’antibiotique préopératoire ainsi qu’une dose d’anti-inflammatoire. La flunixine méglumine offre une bonne analgésie et limite l’inflammation locale. Deux techniques peuvent être employées : transpalpébrale et sous-conjonctivale. La technique sous-conjonctivale offre une bonne visualisation des structures.

La chirurgie se déroule en trois étapes : le retrait du globe, le retrait d’une partie des annexes, la fermeture.

Retrait du globe

La technique transpalpébrale permet de bien repérer les différentes structures oculaires, notamment la jonction entre la conjonctive et la sclère. Cela est d’autant plus facile qu’une canthotomie latérale est réalisée (photo 3).

Les paupières peuvent être maintenues écartées par des points d’appui ou un écarteur à paupière.

La conjonctive bulbaire est saisie puis incisée en boutonnière. Elle est ensuite disséquée en direction de la sclère. Les attaches des muscles au contact de la sclère sont sectionnées afin que l’œil soit progressivement détaché de l’orbite. Une fois le globe isolé, il est possible de glisser une pince hémostatique courbée pour clamper le nerf optique et le muscle rétracteur du bulbe. Ces derniers sont alors sectionnés à l’aide d’une paire de ciseaux ophtalmologiques dont la lame est courbée à 90° (photo 4). Le globe est alors retiré de l’orbite (photo 5).

Retrait de la membrane nictitante et d’une partie des paupières

La membrane nictitante est excisée. Elle est mise sous tension à l’aide d’une pince Allis, clampée au niveau du canthus médial, puis sectionnée.

Une portion de paupière est également excisée, soit une bande d’environ 5 mm sur chaque paupière. La dissection est particulièrement fine au niveau du canthus médial où s’abouchent les conduits naso-lacrymaux.

Suture des différents plans

Un fil monofilament résorbable est utilisé pour les plans profonds. La peau est suturée avec un fil non résorbable. L’orbite est suturée en quatre plans :

– le plan le plus profond est un plan de rapprochement des tissus péri-orbitaires au fond de l’orbite ;

– le deuxième plan est une suture continue du tissu péri-orbitaire le long de l’arcade orbitaire (à ce niveau le tissu est légèrement plus fibreux) ;

– le plan sous-cutané ;

– la peau.

Un bandage est mis en place sur l’œil afin de comprimer légèrement les tissus, et il est maintenu en place par un champ collant ou un filet.

Gestion postopératoire

Le cheval est mis au repos pour 2 semaines environ. Des antibiotiques et des anti-inflammatoires lui sont administrés pendant une semaine. Les points cutanés sont retirés après 14 jours. Il est important de contrôler l’absence de chaleur, de douleur ou de sécrétions pendant les jours qui suivent l’intervention, car ces troubles peuvent indiquer un début d’infection. Le cheval retrouve généralement un niveau de confort satisfaisant dès le lendemain de la chirurgie. En effet, les affections oculaires en cause sont généralement très douloureuses pour le cheval, et l’énucléation s’accompagne alors d’une amélioration de sa condition de vie [7].

Discussion

Nous avons réalisé cinq cas d’énucléation sur cheval debout pour les affections suivantes : phtisis bulbi, ulcère indolent, lacération de la cornée, épithélioma spinocellulaire focalisé sur la conjonctive bulbaire et la sclère, dégénérescence endothéliale.

La technique debout limite les coûts de l’intervention par rapport aux techniques couchées (notamment pour les molécules utilisées, qui reviennent plus chères lors d’une anesthésie générale). Les 5 chevaux avaient un caractère suffisamment calme pour permettre une intervention sous sédation. Aucune complication à moyen ou à long terme n’a été rencontrée.

Les principales complications sont les hémorragies ainsi que la rupture du globe qui est à éviter lors d’infection. Les lésions du chiasma optique lors de tension sur le nerf optique peuvent causer la cécité de l’autre œil. À plus long terme, une infection ou une cellulite peuvent se développer. Un kyste orbital peut également se former si toutes les structures sécrétantes n’ont pas été retirées [2].

Ces risques restent toutefois limités. Ainsi, il est rapporté dans la littérature un cas d’infection sur 40 énucléations debout ainsi qu’une hémorragie minime sur cinq cas [4, 6]. Le fait de réaliser la procédure debout réduit les risques d’hémorragie, le retour veineux étant supérieur dans cette position [4].

L’énucléation sous anesthésie générale offre un confort et une sécurité de travail. Néanmoins, tous les chevaux ne sont pas de bons candidats à l’anesthésie générale : les chevaux âgés, ou en mauvaise condition générale, ou présentant une atteinte neurologique ou un problème orthopédique [1].

La mortalité pour toute anesthésie élective chez le cheval est estimée à 0,08 % [5]. Les chevaux sous anesthésie générale sont particulièrement à risque de développer des arythmies ou des arrêts cardiaques liés au choc vagal. La technique debout élimine les risques anesthésiques tels que les myopathies ou les fractures lors du réveil. Néanmoins, il convient de bien sélectionner les individus car certains chevaux ont un comportement délicat qui n’autorise pas ce type d’intervention. Une sédation adéquate ainsi qu’une parfaite anesthésie locale de l’œil doivent être réalisées pour travailler dans des conditions optimales.

Conclusion

Cette technique réalisée de façon courante en chirurgie bovine est une solution alternative intéressante en chirurgie équine à condition de bien sélectionner l’animal et d’être familiarisé avec la technique chirurgicale [1, 6]. Elle est recommandée pour les animaux considérés à risque lors d’anesthésie générale. Elle limite les coûts et les risques liés à l’anesthésie générale [4, 6].

Références

  • 1. Bradecamp EA, Mattes NE. How to perform an enucleation in the standing horse. In: Proceedings of the 50th Annual American Association of Equine Practioners Convention. 2004:1434-1204.
  • 2. Brooks DE. Orbit. In: Equine Surgery. 3rd ed. WB. Saunders Company, Philadelphia. 2006:755-766.
  • 3. Gilger BC, Davidson MG. How to prepare for ocular surgery in the standing horse. In: Proceedings of the 48th Annual American Association of Equine Practitioners Convention. 2002:266-271.
  • 4. Hewes CA, Keoughan GC et coll. Standing enucleation in the horse: a report of 5 cases. Can. Vet. J. 2007;48:512-514.
  • 5. Mee AM, Cripps PJ, Jones RS. A retrospective study of mortality associated with general anesthesia in horses: elective procedures. Vet. Rec. 1998;142:275-276.
  • 6. Pollock PJ, Russell T et coll. Transpalpebral Eye Enucleation in 40 Standing Horses. Vet. Surg. 2008;37:306-309.
  • 7. Utter ME, Wotman KL, Covert KR. Return to work following unilateral enucleation in 34 horses (2000-2008). Equine Vet. J. 2010;42:156-160.

Éléments à retenir

→ Le bloc rétrobulbaire inhibe la vision, la sensation, le réflexe de clignement et les mouvements oculaires.

→ L’abord sous-conjonctival permet une bonne visualisation des structures, en particulier du plan de clivage entre la sclère et la conjonctive.

→ Les ciseaux ophtalmologiques à 90° facilitent la section du nerf optique et du muscle rétracteur du bulbe.

→ L’énucléation debout est une solution alternative intéressante à la chirurgie sous anesthésie générale, à condition que le comportement de l’animal le permette.

Encadré : Réalisation d’un bloc rétrobulbaire

→ Matériel

• Aiguille spinale 22 G, 9 cm.

• Lidocaïne 10 ml.

→ Site

• Fosse supra-orbitaire (photos 1 et 2).

• Caudalement à la partie caudale de l’arcade.

• Perpendiculaire à la peau.

→ Technique

• Insertion progressive jusqu’à avoir un léger mouvement dorsal du globe.

• Injection.

• Légère exophtalmie postinjection.

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