Examen initial et gestion médicale des affections de l’estomac et de l’intestin grêle - La Semaine Vétérinaire n° 176 du 01/10/2012
La Semaine Vétérinaire n° 176 du 01/10/2012

Article de synthèse

Auteur(s) : Mickaël Robert

Fonctions : Clinique vétérinaire du Lys
663, avenue Jean-Jaurès
77190 Dammarie-les-Lys

Les affections de l’estomac et de l’intestin grêle peuvent être à l’origine de coliques chez le cheval. Cet article présente l’importance de l’examen médical et la gestion médicale de ces affections lors de coliques aiguës.

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Les coliques digestives ont été identifiées comme étant la première cause pathologique de mortalité chez le cheval. Leur incidence est estimée à quatre coliques pour 100 chevaux par an aux États-Unis, 1,4 % de ces coliques seulement résultant en une intervention chirurgicale [27]. La grande majorité des coliques sont ainsi gérées médicalement sur le terrain, mais certains cas nécessitent une hospitalisation en clinique. L’objectif est d’affiner le diagnostic, de définir un pronostic, de mettre en place le traitement le plus adapté, que celui-ci soit médical ou chirurgical et de suivre l’évolution du cas. S’il est indéniable que certaines affections, telles que les obstructions étranglées, nécessitent une intervention chirurgicale dans les plus brefs délais pour offrir une chance de survie au cheval, il nous semble qu’un traitement médical peut être entrepris la plupart du temps lors de coliques dues à une obstruction intestinale non étranglée ou à un état inflammatoire. Même si les taux de survie sont généralement bons après un traitement chirurgical de ces affections non étranglées, les complications potentielles, la durée et le coût d’hospitalisation, ainsi que la période de convalescence avant le retour à l’exercice sont beaucoup plus élevés par rapport à un traitement conservateur [2, 9, 19]. Cet article insiste sur les éléments importants et les examens à mettre en œuvre lors de l’évaluation du cheval en coliques, puis présente certaines affections gastriques et de l’intestin grêle responsables de coliques aiguës pour lesquelles un traitement médical est possible. Pour chacune de ces affections, les causes, les signes cliniques, les traitements à mettre en place et les pronostics associés sont décrits. Les limites du traitement médical, donc les paramètres devant orienter le praticien vers une gestion chirurgicale, sont également exposées.

Considérations générales : importance de l’examen initial

Examen général

Lors de l’examen d’un cheval en coliques, sur le terrain ou en milieu hospitalier, après avoir pris connaissance des commémoratifs, il convient d’être attentif aux éléments suivants de l’examen général.

L’évaluation de la douleur

La douleur peut être absente, sourde, modérée ou violente (photos 1 à 3). Des variations individuelles sont bien décrites (races rustiques beaucoup moins démonstratives). Elle peut provenir d’une distension d’un viscère, d’une tension sur le mésentère ou d’un état inflammatoire ou ischémique d’un segment intestinal [33]. Elle peut être à l’origine de blessures auto-induites pour le cheval (plaies sur les reliefs osseux, déchirures viscérales, fractures de côtes, etc.) et peut elle-même engendrer un iléus. Une attitude prostrée à la suite de phases douloureuses est souvent concomitante au développement d’une endotoxémie (présence d’endotoxines dans le flux sanguin). Les méthodes utilisées pour contrôler la douleur sont l’administration d’analgésiques, voire de tranquillisants, et la décompression des organes sous tension par sondage naso-gastrique et/ou par trocardage du côlon lors de dilatation gazeuse de celui-ci.

L’état général

Le cheval est-il ballonné à la suite d’une distension intestinale ? Présente-t-il de la sudation ou des plaies ou des abrasions indicatrices d’épisodes violents ?

Le statut cardiovasculaire

L’évaluation de la fréquence cardiaque, des muqueuses (couleur, humidité, temps de remplissage capillaire [TRC]), du remplissage jugulaire, du pli de peau, de la température des extrémités, de la qualité du pouls permet de dire si le cheval est stable ou en choc cardiovasculaire (photo 4).

Le transit

Est-il augmenté ? Diminué ? Absent ? Associé à un tympanisme ? Existe-t-il un bruit de friction ventralement évocateur d’une sablose ? Quand les derniers crottins ont-ils été émis ?

Examens complémentaires

Une fois l’examen général effectué, certaines procédures sont indispensables pour évaluer correctement un cheval en coliques, même sur le terrain.

La palpation transrectale

La palpation transrectale (PTR) permet d’explorer la partie caudale de l’abdomen (figure 1). Elle vise à détecter une position anormale d’un viscère, une distension, une surcharge, une masse. Grâce à cet examen, il est généralement possible soit d’identifier la cause des coliques, soit de la suspecter, soit d’avoir une idée de la sévérité de l’affection [20].

Le sondage naso-gastrique

Le sondage naso-gastrique est à la fois diagnostique, de par l’évaluation qualitative et quantitative du liquide obtenu, et thérapeutique car il permet de soulager le cheval lors de distension gastrique sévère et d’obtention de reflux, ou d’administrer des fluides et/ou des laxatifs selon les cas.

Enfin des examens plus poussés sont parfois nécessaires afin d’affiner le diagnostic et le pronostic.

Bilan hématologique et biochimique

Le bilan hémato-biochimique donne des informations sur l’hydratation du cheval par l’hématocrite et les protéines totales (PT), sur le nombre de leucocytes circulants (diminués lors d’endotoxémie, quasiment nuls en cas de rupture digestive), sur une éventuelle azotémie ou une élévation des paramètres hépatiques. Les déséquilibres électrolytiques et acido-basiques sont également évalués(1).

Enfin les lactates sanguins peuvent être mesurés. Ils offrent une valeur pronostique en cas d’affection étranglée [17].

Sur le terrain, l’hématocrite est facilement évaluable en laissant sédimenter un tube contenant un anticoagulant pendant 20 minutes.

Paracentèse abdominale

La paracentèse abdominale est facilement réalisable sur le terrain à condition que le cheval ne soit pas trop douloureux et qu’une contention correcte puisse être obtenue. L’évaluation macroscopique (sur le terrain) et microscopique (en clinique) du liquide abdominal permet d’évaluer la viabilité et/ou l’état inflammatoire de l’intestin. Un liquide très modifié est souvent incompatible avec une gestion médicale du cas. Le liquide péritonéal normal est jaune transparent, contenant moins de 25 g/l de PT (évaluables au réfractomètre) et moins de 5 000 leucocytes par microlitre. En cas de lésion étranglée, les protéines augmentent d’abord (dans les 1 à 2 premières heures), puis les hématies (après 3 à 4 heures) et enfin les leucocytes (après 6 heures) [15]. La mesure des lactates péritonéaux et leurs suivis sont plus sensibles que ceux des lactates sanguins dans la détection d’une maladie étranglée [6, 18, 24]. Ils ont aussi une valeur pronostique [30].

Échographie abdominale

L’échographie abdominale est plus facilement réalisable en clinique. Elle permet d’évaluer la localisation, l’épaisseur, la motilité, l’état de distension et le contenu des organes digestifs. Elle aide à préciser le diagnostic, à orienter le traitement vers une gestion médicale ou chirurgicale et à suivre la réponse aux thérapeutiques entreprises(2).

Il est important d’informer les propriétaires de l’intérêt de référer un cheval en milieu hospitalier pour lui offrir un examen plus poussé, un suivi rapproché du cas, ainsi que pour un possible traitement chirurgical lorsque le cheval semble réfractaire au traitement médical de première ligne et/ou à l’administration répétée d’analgésiques. En effet, la précocité du référé conditionne, notamment en cas de chirurgie, le pronostic vital et le risque de complications [20].

Gestion médicale des impactions de l’estomac

Les impactions ou surcharges de l’estomac sont rares et caractérisées pas une accumulation progressive et persistante d’ingestats déshydratés dans l’estomac. Les causes possibles sont des aliments qui gonflent ou forment une masse après ingestion, tels que les pulpes de betterave ou les graines de kaki, une mauvaise dentition, un apport en eau insuffisant, une prise alimentaire trop rapide ou des troubles de motilité et de sécrétions de l’estomac [10, 32]. Les impactions secondaires font suite à une affection hépatique ou à une obstruction intestinale [10]. Pour diagnostiquer une impaction primaire, il convient d’exclure toutes les autres causes de ralentissement de transit.

Signes cliniques

Les signes cliniques sont de la léthargie, de l’inappétence (50 % des cas), une baisse de transit, des signes de coliques qui peuvent être aigus (35 % des cas) ou chroniques (35 % des cas), sévères ou modérés [10, 29]. Le diagnostic est suspecté lors du lavage-siphonage de l’estomac lorsque celui-ci est prolongé, si l’estomac est visible sur plus de cinq espaces intercostaux à l’échographie abdominale ou confirmé par gastroscopie, quoique cette dernière ne permette pas toujours d’évaluer la distension gastrique. Dans les cas extrêmes, l’estomac dilaté peut être palpé par voie transrectale [22].

Traitement

Le traitement médical repose sur une mise à jeun et un lavage-siphonage de l’estomac avec de l’eau tiède, tant que des aliments compactés reviennent par la sonde. Il est fréquent de ne récupérer que de l’eau claire, sans aliment, au début du lavage gastrique, lorsque l’impaction n’est pas encore délitée. Il convient alors de persévérer. Du dioctyl sodium sulfosuccinate (DSS) peut parfois être laissé en place dans l’estomac pour faciliter ce délitement. Vainio et coll. conseillent l’administration répétée (cinq fois par jour, en moyenne) de fluides isotoniques (2 à 10 l) par voie entérale. La formation d’une masse gastrique après ingestion de graines de kaki, affection fréquente dans certaines régions d’Amérique du Nord, peut répondre favorablement à l’administration de cola par la sonde naso-gastrique [25].

Pronostic

Le pronostic est excellent, de l’ordre de 90 % [29].

Les cas extrêmes ne répondant pas au traitement médical peuvent éventuellement être opérés, mais avec un risque élevé de péritonite, étant donné l’accès difficile à l’estomac chez le cheval adulte [10].

Gestion médicale des impactions de l’iléon

L’impaction de l’iléon est la cause la plus fréquente d’obstruction non étranglée de l’intestin grêle chez le cheval adulte [8, 13]. Elle représente 2,5 % des coliques référées dues à une affection intestinale grêle dans une étude canadienne, mais son incidence varie fortement selon les régions [1, 10].

L’impaction peut être primaire ou faire suite à une autre affection iléale, telle qu’une hypertrophie de la musculeuse. Elle se développe à partir de la valvule iléo-cæcale et s’étend proximalement, en devenant de plus en plus dure au fur et à mesure que l’iléon déshydrate la masse d’ingestats. L’ingestion de fourrage de mauvaise qualité, très riche en fibres, et l’infestation par des anoplocéphales sont des facteurs de risque importants dans l’impaction de l’iléon [8, 11, 14].

Signes cliniques

La douleur initiale, parfois sévère, serait due aux contractions spasmodiques de l’intestin autour de l’impaction, puis elle s’intensifie progressivement au fur et à mesure que la distension intestinale augmente oralement à l’obstruction. L’iléon impacté peut être palpé, dans 27 % des cas, par voie transrectale en début d’évolution de l’affection (avant que l’intestin grêle en amont ne soit trop distendu). Il est ferme, lisse, mesurant 5 à 8 cm de diamètre, médialement au cæcum, depuis la base de ce dernier, descendant cranialement et vers la gauche, et ayant peu de mobilité dans l’abdomen [8, 14]. L’échographie transrectale peut être utile dans ce cas pour différencier une surcharge de l’iléon d’une invagination. Ensuite, des anses intestinales grêles distendues sont palpables et du reflux gastrique peut être obtenu dans environ la moitié des cas (figure 2) [8, 23].

Traitement

Le traitement médical est possible si le cheval est examiné précocement. Il est maintenu à jeun, placé sous perfusion (2 à 3 fois le volume de maintenance) et sous analgésiques. L’estomac doit être vidangé régulièrement si nécessaire et des laxatifs peuvent éventuellement être administrés si le cheval ne présente pas, ou plus, de reflux gastrique [13]. Toutefois, nous évitons toujours de charger l’intestin grêle de paraffine si un traitement chirurgical est envisagé. Cliniquement, nous utilisons de la butylscopolamine (Estocelan(r)) afin de lever les spasmes associés à l’obstruction et de faciliter sa résolution. Les injections sont répétées au besoin et au maximum toutes les 2 heures, ce qui correspond à la période durant laquelle la motilité intestinale grêle est diminuée après administration de 0,2 mg/kg par voie intraveineuse [13].

Le traitement médical a une probabilité de succès supérieure si le cheval présente un bon statut cardiovasculaire, un reflux minimal et une bonne réponse aux analgésiques [8]. La résolution de l’impaction est en moyenne observée dans les 12 heures suivant la mise en place du traitement [14].

Réévaluation du traitement et pronostic

Un reflux gastrique persistant, une douleur difficilement gérable, une dilatation intestinale grêle progressant avec le temps, des paramètres cardiovasculaires et de paracentèse dégradés doivent impérativement orienter le clinicien vers une gestion chirurgicale [8]. Une nouvelle fois, un suivi rigoureux du cas est nécessaire afin de détecter les signes précoces d’amélioration ou de dégradation.

Le pronostic associé au traitement médical est bon. Des récidives, rares, sont décrites dans 1,6 % des cas [8].

Gestion médicale de l’entérite proximale

L’entérite proximale est une entité pathologique dont la cause reste inconnue. Elle est liée à une inflammation du duodénum et du jéjunum proximal qui est à l’origine d’un iléus avec une forte accumulation de fluides dans l’estomac et l’intestin grêle et d’une endotoxémie marquée [11]. Elle représente de 3 à 22 % des causes de coliques d’origine intestinale grêle avec des variations géographiques [9].

Signes cliniques

Le signe clinique majeur est la présence d’une grande quantité de reflux, souvent plus de 48 l au cours des 24 premières heures, chez un cheval qui montre d’abord des signes de douleur abdominale, puis de la dépression [9]. Ce reflux peut être plus ou moins hémorragique (photo 5). Les autres signes cliniques sont une tachycardie, une déshydratation, des anses intestinales grêle dilatées lors de la PTR, une hypotension, parfois une hyperthermie. Typiquement, les muqueuses sont rouge brique avec un TRC augmenté. Les analyses hémato-biochimiques montrent souvent une élévation de l’hématocrite et des PT, des paramètres rénaux et hépatiques, et des déséquilibres électrolytiques et acido-basiques (généralement une acidose métabolique à la suite d’une hyperlactatémie et à la perte de bicarbonates dans le reflux). Le comptage leucocytaire peut être diminué, normal ou augmenté [16].

Diagnostic

Le défi diagnostique consiste à différencier cette maladie d’une affection intestinale grêle étranglée, les symptômes étant parfois similaires. Les éléments en faveur d’une entérite sont la très grande quantité de reflux, l’abattement, l’hyperthermie éventuelle et une élévation souvent plus importantes des paramètres hépatiques. En outre, chez ces chevaux, la décompression gastrique est souvent synonyme d’une baisse conjointe de la fréquence cardiaque et de l’intensité de la douleur. Le liquide de paracentèse abdominale montre généralement une augmentation des PT supérieure à 35 g/l mais le comptage leucocytaire est habituellement moindre que lors d’affection étranglée [9, 16].

Traitement

Les clés du traitement médical sont de décomprimer régulièrement l’estomac (sous peine de rupture), de rétablir les déséquilibres hydro-électrolytiques et de restaurer la fonction intestinale (figure 3) [9]. Les chevaux sont laissés à jeun et reçoivent une fluidothérapie intraveineuse adaptée à leurs besoins qualitatifs et quantitatifs(1).

Fluidothérapie

Les fluides intraveineux visent à restaurer la volémie, corriger les troubles électrolytiques et acido-basiques ainsi qu’à maintenir la fonction rénale. De très grands volumes de fluides sont nécessaires dans les cas sévères. Il convient alors de préciser que la fluidothérapie elle-même peut accélérer le flux de liquides du compartiment vasculaire vers la lumière intestinale en diminuant la pression oncotique et en augmentant la pression de perfusion capillaire, ce qui peut augmenter le volume de reflux [16]. Cependant la fluidothérapie doit être poursuivie et ajustée tant que les pertes liquidiennes ont lieu.

Une attention particulière doit être donnée au calcium, au potassium et au magnésium qui sont souvent diminués chez les chevaux à jeun et/ou atteints des troubles intestinaux et qui peuvent exacerber des troubles de motilité intestinale [9].

Anti-inflammatoires non stéroïdiens

Les anti-inflammatoires non stéroïdiens visent à diminuer les effets néfastes de l’endotoxémie sur l’hémodynamique et la motilité intestinale. Ils doivent être utilisés à bon escient, en tenant compte de leurs effets délétères sur le tractus digestif et les reins, surtout chez les chevaux déshydratés [9]. La pentoxifylline pourrait aussi réduire la production de thromboxane et de cytokines pro-inflammatoires induites par les endotoxines.

Antibiotiques

L’utilisation des antibiotiques est controversée, mais semble justifiée, surtout lors de leucopénie, parce que les chevaux atteints d’entérite proximale présentent souvent d’importantes quantités de Clostridium spp. dans leur contenu intestinal [9, 16]. En pratique, nous plaçons les chevaux suspects d’entérite proximale sous métronidazole et cefquinome en plus du traitement anti-inflammatoire à base de flunixine ou de firocoxib, ce dernier étant moins néfaste pour le rein et pour la muqueuse intestinale [4].

Autres mesures

Une perfusion de lidocaïne peut être utile pour ses effets prokinétique, analgésique et anti-inflammatoire. Enfin, des moyens médicaux doivent être mis en place pour tenter de prévenir une fourbure liée à l’endotoxémie, complication qui peut toucher jusqu’à 28 % des cas d’entérite proximale et qui assombrit le pronostic : litière épaisse, supports de fourchette, application de glace sur les pieds et traitement à base d’héparine (40 à 60 UI/kg, trois fois par jour par voie sous-cutanée) ou d’héparines fractionnées [9, 28]. Ces dernières présentent moins d’effets néfastes sur l’hémostase et semblent plus efficaces que l’héparine non fractionnée [5, 7]. Les chevaux ayant un reflux hémorragique courraient deux fois plus de risque de développer une fourbure [3].

Enfin, les chevaux en entérite proximale sont parfois mis à jeun pendant plusieurs jours et peuvent développer une hyperlipémie sévère qui doit être traitée. Un support nutritionnel adapté, sous forme de nutrition parentérale totale ou partielle, peut en prévenir l’apparition et raccourcirait même la durée de la maladie [16].

Réévaluation du traitement et pronostic

Si la douleur est difficilement gérable avec les analgésiques classiques ou le diagnostic trop incertain, la chirurgie doit être envisagée rapidement afin d’écarter une affection étranglée [28].

Le pronostic est réservé (de 25 à 94 % de survie selon les études) et le traitement médical prolongé peut parfois se révéler très coûteux et être à l’origine d’une euthanasie. L’hémoconcentration, l’azotémie, la tachycardie à l’admission, la protéinémie du liquide de paracentèse abdominal, ainsi que son contenu en leucocytes sont des éléments cliniques et paracliniques défavorables, comme le sont les attitudes apathiques ou très agitées [28].

Réduction non chirurgicale de la hernie inguinale étranglée du cheval entier adulte

La hernie inguinale correspond au passage d’un viscère abdominal, généralement une anse d’intestin grêle, en région inguinale. Dans la majorité des cas, la hernie est dite “indirecte”, par analogie avec la terminologie humaine, l’intestin grêle s’engageant dans le canal inguinal par l’anneau vaginal. Elle survient classiquement après un effort intense qui augmenterait la pression abdominale et modifierait l’anatomie du canal inguinal.

Signes cliniques

La hernie inguinale se manifeste cliniquement par des signes de coliques violents, par la présence d’une anse intestinale dans le trajet inguinal (palpable par voie transrectale, visible à l’échographie), par un testicule œdématié et froid du côté de la hernie, et par des signes d’obstruction de l’intestin grêle (anses dilatées lors de la PTR et de l’échographie abdominale, reflux naso-gastrique). Un traitement immédiat est nécessaire pour prévenir la nécrose de l’anse intestinale incarcérée [11].

Réduction de la hernie

Bien que la gestion “classique” des hernies inguinales étranglées soit chirurgicale (abord inguinal avec ou sans laparotomie), des techniques de réduction non chirurgicale existent. Ainsi, il est parfois possible de réduire une hernie inguinale en exerçant une traction sur l’anse herniée par voie transrectale. L’utilisation de tranquillisants, d’une anesthésie épidurale et de butylscopolamine est conseillée pour limiter le risque de lésions rectales ou de l’intestin incarcéré. De même, une réduction par taxis sur cheval debout est décrite [26]. Cependant ces deux approches nous semblent risquées, pour le praticien comme pour le cheval.

En revanche, la technique de réduction par taxis sous anesthésie générale décrite par Wilderjans et coll. semble très intéressante [31]. Une fois que le diagnostic de hernie inguinale est posé, le cheval est anesthésié et positionné en décubitus dorsal sur la table de chirurgie. Les membres postérieurs sont fixés de sorte que les jarrets soient fléchis à 90° et les tibias parallèles au sol (photo 6). L’opérateur se positionne caudalement au cheval. Du côté de la hernie, il saisit le testicule d’une main, le tire vers l’arrière et masse énergiquement le cordon testiculaire de l’autre main, du testicule vers l’anneau vaginal. L’opération est répétée jusqu’à réduction de la hernie (l’opérateur sent l’anse herniée retourner dans l’abdomen) ou pendant un maximum de 15 minutes. L’échographie du trajet inguinal permet de confirmer la réduction complète. Pendant la tentative de réduction, un assistant prépare l’abdomen pour une laparotomie, afin de limiter la période anesthésique et pour intervenir chirurgicalement en cas de tentative infructueuse de réduction par taxis.

La réduction par taxis est ainsi possible dans 82,5 % des cas de hernie inguinale étranglée. Elle est impossible lors de hernie directe, lors de déchirure de la tunique vaginale pendant la manipulation, et dans certains cas de hernie indirecte. L’intérêt principal de cette technique est de ne pas nécessiter de laparotomie dans 92 % des cas réduits par taxis [31]. Cependant une surveillance accrue est indispensable durant les 24 heures suivant la réduction afin de détecter les signes précoces de dévitalisation intestinale (dégradation des paramètres cardiovasculaires, reflux naso-gastrique, signes de coliques) et de recourir à une laparotomie dans les plus brefs délais. Nous déconseillons donc fortement d’avoir recours à cette procédure en dehors d’une clinique ne disposant pas d’un bloc chirurgical. De plus, il convient de bien sélectionner les cas avant d’utiliser cette technique : les hernies indirectes d’évolution inférieure à 6 heures.

Conclusion

Même si le praticien équin est confronté presque quotidiennement à des chevaux en coliques, il est souvent confronté à des dilemmes : suis-je certain de mon diagnostic ? Suis-je capable de traiter cette affection médicalement ? Sur le terrain ou en clinique ? Doit-je recourir directement à un traitement chirurgical ou le cheval est-il en mesure de répondre favorablement à une tentative de traitement médical ?

Cet article montre que si une suspicion diagnostique d’impaction de l’estomac ou d’affection intestinale grêle non étranglée est établie, que le cheval est stable d’un point de vue cardiovasculaire et que sa douleur est gérable avec des analgésiques, un traitement médical est souvent possible avec des chances de succès globalement bonnes. De même, certaines hernies inguinales, pourtant étranglées, peuvent être traitées par une approche non chirurgicale. En revanche, si le cheval se dégrade à la suite de la mise en place du traitement, que le diagnostic est équivoque, comme pour certains cas d’entérite proximale, un traitement chirurgical doit être envisagé. Les complications, les coûts et le temps nécessaires avant la reprise de l’exercice sont alors supérieurs à ceux d’une approche médicale.

  • (1) Voir la fiche technique “Fluidothérapie du cheval en coliques” de Mickaël Robert, dans ce numéro.

  • (2) Voir l’article “Évaluation échographique du système digestif du cheval” de M. Depecker, dans ce numéro.

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Éléments à retenir

→ Un examen clinique complet assorti d’examens complémentaires précis doit permettre d’évaluer la gravité de l’affection, d’en suspecter la cause et de proposer le traitement adéquat.

→ Les coliques sont des maladies dynamiques. Un suivi répété des cas est indispensable pour offrir le meilleur pronostic au cheval.

→ Les chevaux les plus susceptibles de répondre favorablement à un traitement médical sont ceux qui ne présentent pas de dégradation des paramètres cardio­vasculaires, sauf lors d’entérite proximale.

→ Différencier une entérite proximale d’une affection étranglée est parfois un défi diagnostique.

→ La réduction des hernies inguinales étranglées par taxis sous anesthésie générale offre un bon taux de survie.

Photo 1. Cheval campé, présentant une douleur modérée.

Figure 1 : Structures palpables lors de la palpation transrectale chez un cheval normal. Vue caudale

Figure 1 : Structures palpables lors de la palpation transrectale chez un cheval normal. Vue caudale

D’après [12, 19].

Figure 2 : Structures palpables lors de la palpation transrectale chez un cheval présentant une obstruction intestinale grêle. Vue caudale

Figure 2 : Structures palpables lors de la palpation transrectale chez un cheval présentant une obstruction intestinale grêle. Vue caudale

D’après [12, 19].

Figure 3 : Modes d’action des traitements recommandés de l’entérite proximale

Figure 3 : Modes d’action des traitements recommandés de l’entérite proximale

Les traitements en italiques ne semblent pas nécessaires dans tous les cas. AINS : anti-inflammatoires non stéroïdiens. D’après [9].

Photo 2. Cheval regardant son flanc, présentant une douleur modérée.

Photo 3. Cheval se roulant, en douleur violente.

Photo 4. Muqueuses buccales très congestionnées compatibles avec un état endotoxémique avancé.

Photo 5. Reflux gastrique hémorragique obtenu chez un cheval suspect d’entérite proximale.

Photo 6. Positionnement optimal du cheval pour réduire une hernie inguinale par taxis.

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