Écrire un article scientifique : matériel et méthode d’une étude rétrospective - Pratique Vétérinaire Equine n° 196 du 01/10/2017
Pratique Vétérinaire Equine n° 196 du 01/10/2017

RÈGLES D’ÉCRITURE SCIENTIFIQUE

Cahier scientifique

Médecine factuelle

Auteur(s) : Jean-Michel Vandeweerd

Fonctions : Université de Namur (UNamur)
Urvi-Narilis (unité de recherche vétérinaire intégrée-
Namur Research Institute for Life Sciences)
Rue de Bruxelles, 61, 5000 Namur, Belgique
Clinique vétérinaire équine
18, rue des Champs, La Brosse
78470 Saint-Lambert-des-Bois
jean-michel.vandeweerd@fundp.ac.be

Dans une étude rétrospective, les biais éventuels doivent être identifiés et prévenus. En effet, la validité des conclusions repose sur une description précise des “matériel et méthodes”.

Les praticiens ont tous observé et traité un nombre important de cas au cours de leur carrière, parfois de façon plus poussée dans leur domaine de spécialité. Ils ont la chance d’être en première ligne, à l’opposé des structures universitaires qui ne sont souvent confrontées qu’à des cas référés très spécifiques. Le vétérinaire équin doit donc participer autant que possible à la diffusion de son expérience.

Cette transmission peut prendre la forme de la description d’une série de cas [2]. Il peut s’agir aussi d’une étude plus analytique où les résultats des observations menées sont utilisés pour tester une hypothèse. Par exemple, le praticien pourrait désirer démontrer que le traitement qu’il met en œuvre pour gérer l’uvéite récurrente équine depuis quelques années est efficace (photo 1). L’étude analytique portant sur un groupe de chevaux (cohorte) dont les données cliniques sont extraites de dossiers cliniques du passé est dite “étude observationnelle de cohorte rétrospective”. Le mot “observationnelle” rappelle simplement que les éléments cliniques sont récoltés tels qu’ils apparaissent spontanément, contrairement à une attitude interventionnelle dans un essai clinique.

Matériel et méthodes : exigence de précision

Dans un article précédent, nous avons indiqué comment s’assurer de l’utilité de l’étude et écrire l’introduction, qui mène logiquement à justifier la question clinique posée [1].

Il convient ensuite d’élaborer correctement la stratégie qui va être mise en place pour y répondre. Selon quelles méthodes et avec quel matériel ? Dans un manuscrit, la section “Matériel et méthodes” est très importante car elle apporte, ou non, au lecteur la conviction que l’étude a été bien menée et que les conclusions sont robustes, voire généralisables. Cette partie doit aussi être écrite avec une grande précision afin que tous les éléments soient communiqués à la communauté scientifique et aux autres chercheurs. En effet, ces derniers devraient être en mesure de répéter une étude similaire pour confirmer ou infirmer ce qui est démontré.

Les biais dans une étude rétrospective

Bien concevoir une étude signifie identifier les biais potentiels et mettre en place les moyens pour les prévenir. Par définition, les biais sont les éléments qui pourraient provoquer une modification systématique (toujours dans le même sens) des résultats. Il est possible de les grouper en trois catégories : les biais de sélection, les biais de mesure et les facteurs de confusion.

Biais de sélection

Les biais de sélection sont responsables d’une altération systématique des résultats liée à la façon dont les individus de la population étudiée ont été sélectionnés. Plusieurs types de biais de sélection existent, dont les trois plus fréquents sont les biais d’allocation, d’échantillonnage et de recrutement.

Les biais qui résultent de critères insuffisamment définis ou précis de sélection sont appelés biais d’allocation. Dans une étude rétrospective visant à évaluer l’utilité du traitement arthroscopique de fragments du boulet sur les performances, le fait de ne pas distinguer les chevaux qui présentent des fragments dans le compartiment dorsal du boulet de ceux avec des fragments palmaires ou plantaires pourrait induire un biais. Il peut s’agir, dorsalement, de fragments issus d’un processus d’ostéochondrite disséquante et, palmairement/plantairement, de fractures dites d’arrachement où le fragment reste le plus souvent imbriqué dans les tissus mous des structures ligamentaires.

Lorsque l’échantillon n’est pas suffisamment représentatif de la population à laquelle l’auteur veut généraliser ses conclusions, il s’agit d’un biais d’échantillonnage. Par exemple, évaluer une technique d’hémostase lors de castration mise en œuvre chez des poneys shetlands n’en permet pas la généralisation à une population de chevaux de selle.

Lorsque les individus sont des cas référés en clinique, ils constituent une population particulière en elle-même, car, par définition, leur envoi chez le spécialiste correspond déjà à une sélection par le généraliste selon un schéma précis de réflexion. Par exemple, si une étude rétrospective vise à comparer les performances des chevaux traités à l’aide d’une intervention chirurgicale par rapport à ceux gérés médicalement, la mesure risque d’être biaisée par le fait que le premier groupe pourrait correspondre, dès le départ, à des individus prometteurs, pour lesquels le propriétaire ou l’entraîneur ont souhaité financer le traitement. Dans ce cas, c’est un biais de recrutement.

Biais de mesure

Les biais de mesure sont liés à l’enregistrement des observations, donc aux résultats. Le caractère rétrospectif d’une étude augmente le risque d’imprécision. Lorsqu’une erreur systématique se produit dans l’estimation d’un effet, liée à des mesures inexactes ou à une classification impropre des individus concernant aussi bien la maladie que le facteur d’exposition, il est possible de parler d’un biais de classification. L’utilisation d’appareils de mesure défectueux ou improprement réglés conduit à des erreurs systématiques de classification. Il suffit d’imaginer ce qui se passerait si le thermomètre utilisé marquait systématiquement un degré Celsius en plus : un plus grand nombre d’animaux seraient alors diagnostiqués et classés comme présentant de la fièvre. Un type de biais résulte d’une surveillance inégale des individus exposés et de ceux qui ne le sont pas. En effet, l’effort fourni dans une étude rétrospective lorsque l’animal est malade va involontairement amener un supplément d’informations par rapport aux individus sains. Le propriétaire d’un cheval chez lequel un fragment ostéochondral est mis en évidence va rechercher plus activement dans ses souvenirs ou les annales familiales les informations concernant le régime alimentaire de l’animal. En revanche, celui d’un cheval en bonne santé ne va pas en faire autant. Ce biais de mémorisation doit être pris en compte lorsque la mesure du résultat repose sur la mémoire.

Le vétérinaire peut aussi inconsciemment rechercher plus activement le facteur d’exposition dans le passé (biais d’enquêteur ou de subjectivité). La solution est alors de vérifier les sources de diverses façons. La personne qui mesure l’exposition ne devrait pas être informée du statut de l’animal vis-à-vis de la maladie. Dans les études longitudinales, lorsque deux groupes sont suivis et comparés, certains individus peuvent disparaître de leur groupe. Il est alors difficile de savoir ce qu’ils sont devenus et d’utiliser ces données dans l’analyse. Cette information incomplète introduit un biais de suivi.

Lorsque les propriétaires d’animaux sont impliqués dans l’évaluation de l’expérimentation, leur avis peut être influencé par leur désir de plaire ou de satisfaire aux attentes de l’expérimentateur (biais de désirabilité sociale).

Facteurs de confusion

Les résultats peuvent aussi être influencés par des variables de confusion, plutôt que par l’intervention elle-même. Un facteur de confusion représente une variable qui est associée aussi bien au critère étiologique vrai qu’à la maladie. Imaginons une étude rétrospective visant à évaluer les facteurs de risque de développement d’une fourbure chez les poneys du nord du Royaume-Uni. Elle pourrait montrer que les poneys fourbus sont plus souvent vaccinés et vermifugés que les autres. Cependant, il n’est pas possible d’en conclure que les vaccins ou les vermifuges peuvent être une cause de la fourbure. En réalité, la fourbure apparaît simplement chez les poneys avec plus d’embonpoint, donc ceux qui sont les mieux soignés, vaccinés et vermifugés.

Le facteur de confusion présente deux caractéristiques : d’une part, il est associé au facteur d’exposition sans en être la conséquence (ce n’est pas parce que les chevaux sont gros qu’ils sont vaccinés ou vermifugés, mais ceux en bon état ont plus de chance de l’être) ; d’autre part, il est lié au résultat sans en être la cause (les poneys vaccinés et vermifugés sont plus souvent fourbus, sans que la vaccination ou la vermifugation soient à l’origine de la fourbure. C’est l’embonpoint qui est en cause).

Élaboration des matériel et méthodes

C’est à partir de la liste des biais potentiels qu’il convient d’élaborer les moyens mis en œuvre dans l’étude. Au niveau du manuscrit, il s’agit de démontrer qu’il en a été tenu compte.

Le terme de matériel fait souvent référence aux animaux (population) étudiés, dont il convient de définir précisément le nombre et les caractéristiques démographiques (race, sexe, âge). Les organes ou les régions anatomiques concernées peuvent aussi être indiqués. Par exemple, dans le cas de l’uvéite récurrente, le nombre d’yeux observés et la répartition de la maladie (œil gauche, œil droit) doivent être précisés. La période d’observation est également signalée (par exemple, entre 2010 et 2016). Cette information est utile car, plus la durée est longue, plus l’introduction de biais est possible : les techniques, les médicaments, l’habileté, par exemple, changent. Signaler la période permet aussi de placer l’étude dans le contexte des connaissances scientifiques. Un relecteur pourrait ainsi émettre une remarque en utilisant une référence scientifique de 2015 sur un protocole élaboré par l’auteur en 2010. Cette réflexion serait alors non avenue et l’auteur pourrait s’en défendre. La description de la population peut prendre la forme d’un texte, mais lorsque celui-ci risque d’être trop long, un tableau est opportun. Cette description figure parfois dans la section “Résultats”. Afin d’éviter un biais de sélection, il s’agit ensuite de bien définir la population étudiée sur le plan de la maladie. Les critères de diagnostic doivent être détaillés, ainsi que les méthodes utilisées pour l’établir. Il est important de préciser le stade auquel les animaux sont observés ou celui où débute le traitement étudié. Toujours dans l’exemple de l’uvéite récurrente, il convient de signaler que tous les animaux sont référés, si c’est le cas. Cela indique que la population est plutôt bien suivie par des propriétaires enclins à réaliser des soins de qualité. Il s’agit d’animaux pouvant venir de régions éloignées, donc susceptibles de ne pas pouvoir être présentés aux examens de contrôle sollicités. L’état dans lequel ils sont pris en charge doit aussi être décrit : stade aigu ou quiescent de l’affection. Il est nécessaire de démontrer que le diagnostic est bien celui d’uvéite récurrente et d’expliquer les critères d’indication chirurgicale : sur quel type d’uvéite, antérieure, postérieure, antéro-postérieure ? Le statut sérologique par rapport à la leptospirose est-il pris en compte ? La démarche est à justifier. En ce qui concerne les biais de mesure, les paramètres observés sont décrits avec précision : quoi, comment, avec quels scores ? Par exemple, l’inflammation de l’œil se traduit par le passage de protéines dans la chambre antérieure de celui-ci, ce qui détermine un effet Tyndall. L’auteur signale alors que cet effet est observé à la lampe à fente, en en donnant le type et la marque. Le score est enregistré sur une échelle de graduation de 0 à 4. Si cette dernière est décrite dans les données publiées, la référence doit être citée. Si, en revanche, elle est élaborée par l’auteur, une explication est requise, éventuellement illustrée par des photos (photo 2). Il convient encore de démontrer que les examens sont réalisés dans des circonstances identiques : par exemple, toujours dans l’obscurité, par la même personne, selon une séquence d’examens semblable. La difficulté de réunir ces conditions a posteriori est ici évidente, et la solution réside dans une standardisation des procédures et des dossiers qui permet l’étude des données cliniques après coup. Dans la pratique, il est rarement possible de réaliser des examens en aveugle, c’est-àdire effectués par une personne neutre, dans une clientèle privée.

L’intervention médicale ou chirurgicale est ensuite décrite avec une grande précision. L’auteur doit garder à l’esprit que l’objectif est que le lecteur puisse la reproduire parfaitement. Cela implique un descriptif des instruments, des doses, des volumes, des repères anatomiques et des positions prises lors de la contention. Il est essentiel de détailler les mesures préinterventionnelles et le stade de maladie présenté par l’animal avant l’intervention. Dans notre exemple, il pourrait s’agir de n’intervenir que lorsque l’effet Tyndall est presque normal. Les soins après l’intervention sont précisés. C’est l’ensemble de la procédure qui est évalué et toutes les co-interventions sont susceptibles de constituer des biais. Les photos permettent d’illustrer la description (photo 3).

Une des difficultés fréquentes des études rétrospectives est l’absence de suivi régulier chez l’ensemble des animaux. Les propriétaires des chevaux, a fortiori lorsqu’il s’agit de consultations référées, ne sont pas nécessairement disposés à se représenter aux visites de contrôle, surtout lorsque l’animal se porte bien. Il est alors possible de les contacter par téléphone pour s’enquérir du devenir de celui-ci. Dans notre exemple, il est important de savoir si les chevaux ont présenté un nouvel épisode d’uvéite et si un autre traitement a dû être instauré, ou bien si, au contraire, l’œil est resté dans un état quiescent depuis l’intervention à l’étude. L’enquête téléphonique peut alors être biaisée par la peur du propriétaire de décevoir le vétérinaire.

Les méthodes d’analyse statistiques mises en place pour tester l’hypothèse feront l’objet d’un article futur.

Conclusion

L’élaboration des “matériel et méthodes” d’une étude rétrospective nécessite que le praticien s’interroge sur les biais potentiels et propose des stratégies pour les prévenir. Dans le manuscrit, il s’agit de décrire avec la plus grande précision possible l’ensemble du dispositif pour en permettre la répétition par une autre équipe et convaincre les relecteurs et futurs lecteurs de la validité des conclusions.

  • 1. Vandeweerd JM. Écrire un article scientifique : l’introduction. Prat. Vét. Équine. 2017;195:56-59.
  • 2. Vandeweerd JM, Perrin R, Launois T, Brogniez L. Publier une description de cas : une action utile en pratique équine. Prat. Vét. Équine. 2013;177:59-62.

CONFLIT D’INTÉRÊTS : AUCUN

ÉLÉMENTS À RETENIR

→ La section “Matériel et méthodes” doit démontrer les stratégies mises en place par le chercheur pour contrôler les biais.

→ Les biais peuvent être groupés en trois catégories : les biais de sélection, les biais de mesure et les facteurs de confusion.

→ Le caractère rétrospectif d’une étude augmente le risque d’imprécision des données collectées. Une standardisation des procédures et des dossiers facilite l’analyse des données cliniques a posteriori.

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