Les abcès dentaires chez le cheval - Pratique Vétérinaire Equine n° 195 du 01/07/2017
Pratique Vétérinaire Equine n° 195 du 01/07/2017

Dentisterie

Dossier

Auteur(s) : Antoine Lechartier

Fonctions : Clinique équine
de Méheudin,
61150 Écouché

Affections fréquentes chez le cheval, les abcès dentaires concernent souvent les jeunes autour de 5 ans et les plus âgés. Le scanner est la technique de choix pour identifier la dent et les structures adjacentes atteintes.

Les abcès dentaires sont fréquents chez le cheval et concernent bien plus souvent les molaires et les prémolaires que les incisives ou les canines. Un abcès est une collection de pus (liquide chargé de neutrophiles et de débris cellulaires produits par une réaction inflammatoire exacerbée et localisée) enfermée dans une coque. Les abcès dentaires liés aux molaires et prémolaires du cheval correspondent aux infections dentaires apicales ou infections des racines dentaires dont l’évolution a été mal contrôlée, entraînant une atteinte des structures adjacentes (sinus, os alvéolaire, os sous-jacent).

Étiopathogénie

La cause la plus fréquente d’infection de la racine dentaire chez le cheval est une contamination anachorétique. Il s’agit de la fixation de micro-organismes provenant d’autres foyers infectieux et véhiculés par voie sanguine ou lymphatique à la faveur d’une phase inflammatoire. Cette maladie concerne 51 % des molaires maxillaires et 59 % des molaires mandibulaires [3, 5]. Les bourgeons dentigères de grande taille (fréquents sur les molaires) provoquent une impaction verticale de la dent définitive et une hyperhémie chez les chevaux de 3 à 4 ans, ce qui peut expliquer la forte prévalence des infections apicales chez les jeunes équidés. Les anastomoses vasculaires entre les sinus maxillaires et les vaisseaux dentaires peuvent entraîner une contamination des racines dentaires par la flore présente dans les voies respiratoires supérieures. Enfin, les troubles de la croissance et du développement des dents (polydontie, dysplasie, hypoplasie et autres diastèmes) peuvent engendrer une contamination par voie vasculaire rétrograde.

La deuxième cause la plus fréquente d’infection apicale (20 % des cas) est la fracture dentaire, le plus souvent idiopathique, comme les fissures latérales longitudinales à travers les réserves pulpaires latérales. Cependant, ces fissures idiopathiques ne se transforment que dans 9 % des cas en infection apicale en raison d’un fort pouvoir de cicatrisation des cavités pulpaires par de la dentine tertiaire [5].

La troisième cause d’infection est une atteinte du ligament parodontal (10 % des cas d’infection mandibulaire et 12 % des cas d’infection maxillaire) et se traduit par la modification du cément périphérique [5]. L’affection parodontale peut également être la conséquence d’une infection apicale et se traduire par une accumulation de cément secondaire du côté occlusal.

Les causes moins fréquentes sont des dysplasies dentaires et les caries à la face occlusale des dents. Une carie est une destruction du tissu dentaire calcifié par les bactéries. La décalcification atteint l’infundibulum chez 13 % des chevaux de plus 12 ans [5]. C’est donc une affection fréquente chez les chevaux âgés, mais qui ne se traduit par une infection apicale que dans 2 % des cas [3, 5].

Tableau clinique

Les manifestations cliniques d’un abcès dentaire sont souvent tardives par rapport à son développement. L’halitose et la difficulté à mastiquer sont les signes cliniques communs à toutes les formes d’infection apicale. Des signes spécifiques sont présents en fonction de la localisation de l’abcédation. En région mandibulaire, les nœuds lymphatiques sous-mandibulaires sont hypertrophiés, le bord ventral de la mandibule est gonflé, dur et chaud, et un trajet de fistule est parfois observé entre la peau et l’alvéole dentaire. En région maxillaire craniale, les affections des prémolaires 06 et 07 sont associées à un gonflement localisé de la face, rarement à un écoulement nasal purulent et/ou à une fistule cutanée (photo 1). Les affections des molaires maxillaires 08 à 11 sont liées à une sinusite maxillaire craniale ou caudale, se manifestant par une déformation modérée de la face et un écoulement nasal purulent unilatéral et malodorant (photo 2). Une inspection de la bouche est indispensable en cas de suspicion d’infection apicale. Elle permet d’identifier une cause dentaire comme une fracture idiopathique, une carie ou une maladie parodontale (photo 3). L’utilisation d’un miroir ou, idéalement, d’un endoscope oral permet de bien visualiser la face occlusale des dents et la région parodontale pour détecter une fissure dentaire ou une inflammation gingivale.

Imagerie médicale

Radiographie

Une vue de profil des régions maxillaire et mandibulaire est requise dans un premier temps. Selon la région affectée, une vue dorso-ventrale et des obliques sont nécessaires. La vue dorso-ventrale permet de mieux identifier le sinus affecté et de visualiser une fracture dentaire [1, 3, 8]. Les obliques dorso-latérales-latérales à 30° permettent d’isoler les sinus affectés et les vues obliques ventro-latérales-latérales à 45° mettent en évidence les molaires mandibulaires touchées (figure). La fixation d’un tube sec rempli de produit radio-opaque sur le chanfrein du cheval permet de repérer des lignes de niveau, signes d’une sinusite (photo 4). L’introduction d’une sonde souple dans le trajet de la fistule permet d’identifier la ou les dents mandibulaires ou maxillaires rostrales affectées (photo 5). Un marqueur radio-opaque peut également être placé sur la tête en regard d’une déformation de la face.

Les caractéristiques d’une infection apicale sont, par ordre d’apparition, un élargissement de l’espace parodontal, un amincissement de la lamina dura, une lyse ou un arrondissement de la racine dentaire, une lyse/sclérose de l’os alvéolaire et un dépôt anormal du cément dentaire (photo 6) [1, 8]. Elles sont difficiles à observer en raison de la taille de la tête d’un cheval et des nombreuses superpositions qui en découlent sur une vue en deux dimensions. De plus, une perte de la minéralisation osseuse de 30 % est nécessaire pour qu’une détection par radiographie soit possible, ce qui en fait une technique diagnostique peu précoce [8]. La superposition de liquide présent dans les sinus ou de tissus mous inflammatoires en diminue encore plus la sensibilité.

Scintigraphie

La scintigraphie osseuse, qui consiste à injecter un marqueur radioactif à un biphosphonate par voie intraveineuse (IV) et à mesurer le rayonnement d’une zone d’intérêt, permet l’identification précoce d’une anomalie dentaire. Cette technique est très sensible dans la détection des anomalies, mais peu spécifique. Sa mise en œuvre est peu risquée pour le cheval (examen debout), mais elle est associée à de nombreuses contraintes environnementales.

Tomodensitométrie

La tomographie densitométrique (scanner) permet la reconstruction multiplanaire et volumétrique des structures à observer avec une sensibilité et une définition très supérieures à la radiographie (photos 7, 8 et 9).

C’est pourquoi c’est actuellement la technique la plus précise pour déceler, localiser et définir une infection apicale.

Au scanner, les anomalies caractéristiques sont, comme en radiographie, la présence de gaz autour d’une racine dentaire (zone hypo-atténuante, noire), une fragmentation ou un aspect émoussé de la racine dentaire, accompagné ou non d’une dilatation de l’alvéole et d’une sclérose de l’os alvéolaire. Les lésions infundibulaires ne sont pas corrélées aux infections apicales [1]. Le scanner est une technique plus sensible, mais aussi spécifique que la radiographie pour détecter les signes d’infection apicale [8].

Échographie

L’échographie de la région hypertrophiée permet d’identifier une zone d’ostéolyse et, éventuellement, une collection de pus.

Endoscopie

En cas d’écoulement nasal mucopurulent, un examen endoscopique des voies respiratoires supérieures permet d’inspecter les voies nasales et pharyngées afin d’identifier l’origine des écoulements.

Lors de sinusite, des écoulements sont visibles en provenance de l’ostium naso-maxillaire rostralement aux volutes de l’éthmoïde dans le méat nasal moyen.

Options thérapeutiques

Une fois la ou les dents atteintes identifiées, plusieurs options thérapeutiques peuvent être envisagées selon la sévérité des lésions, la durée de l’anomalie et l’état du cheval.

Traitements médicaux

Les traitements médicaux seuls sont rarement envisagés lorsqu’un abcès dentaire est identifié car les lésions sont souvent plus avancées que les signes cliniques. Toutefois, lors d’une suspicion d’infection apicale sans signe radiographique probant (n’impliquant ni l’os alvéolaire, ni les sinus paranasaux), un traitement anti-inflammatoire non stéroïdien (par exemple, flunixine méglumine, 1,1 mg/kg IV, deux fois par jour) pendant 7 jours et antibiotique par voie générale (triméthoprime sulfonamide, 15 mg/kg par voie orale [PO], deux fois par jour) pendant 3 à 4 semaines, éventuellement associé à du métronidazole(1) à la dose de 15 mg/kg PO, trois fois par jour, peut suffire [3].

Traitement chirurgical

Comme principe général de traitement des abcès, l’abord chirurgical consiste à débrider la zone du pus accumulé, que la collection se trouve autour de la racine dentaire ou plus largement dans la cavité sinusale adjacente. Le curetage apical après forage de l’os support en cas d’affection apicale des dents mandibulaires permet de traiter l’infection, mais présente le risque de détruire la vascularisation nécessaire à la physiologie de la dent (photo 10) [2].

L’extraction de la dent n’est pas considérée comme la solution de dernier recours lors d’infection apicale car elle permet de réaliser un drainage et d’enlever la cause de l’infection sans compromettre la fonction masticatrice de l’animal [6]. Toutefois, selon la technique utilisée, les complications per- et postopératoires peuvent dissuader de recourir à cette option [4]. Il existe trois techniques d’extraction dentaire [6]. L’extraction orale est la plus sûre et la plus répandue actuellement. Elle permet de prévenir toute atteinte à l’os sous-jacent, mais est difficile à réaliser sur les deux dernières molaires ou dans une petite bouche. La technique par répulsion a été utilisée pendant longtemps sous anesthésie générale, mais est associée à un très fort taux de complications. Parmi celles-ci, il est possible d’observer notamment des fractures de l’os alvéolaire ou la persistance d’un fragment dentaire (qui empêchent la cicatrisation de l’alvéole et sa fermeture), l’infection des dents adjacentes, indemnes avant l’intervention, et la potentielle formation de fistules oro-nasales, oro-maxillaires ou oro-faciales [4]. L’extraction par buccotomie traditionnelle (réalisation d’un volet osseux dans l’os alvéolaire) est idéale pour les trois prémolaires et molaires mandibulaires rostrales lorsque l’accumulation de cément autour de la racine dentaire ne permet pas l’extraction orale. Elle peut être associée à des lésions du nerf facial ou du canal salivaire selon la dent à extraire. Une variante minimalement invasive a été développée comme solution alternative lorsque l’extraction orale n’est plus possible (fracture dentaire, par exemple) [7].

Gestion des sinusites d’origine dentaire

L’extraction dentaire par répulsion des dents maxillaires 09 à 11 requiert la réalisation d’un volet osseux qui permet dans le même temps chirurgical de débrider le sinus incriminé et de mettre en place un système de lavage (photo 11). Dans le cas d’une extraction par voie orale ou par buccotomie, et en présence d’une sinusite, il est recommandé de réaliser une sinusoscopie afin d’explorer la face sinusale de l’os alvéolaire et de repérer d’éventuelles concrétion ou collection de pus dans les cavités sinusales (photo 12).

Conclusion

Les abcès dentaires sont une conséquence des infections apicales d’origines multiples, le plus souvent hématogènes chez les jeunes chevaux ou infundibulaires chez les chevaux âgés. Ils se propagent dans l’enceinte de la racine dentaire ou peuvent s’étendre à l’os sous-jacent, voire au sinus selon leur localisation. Plusieurs traitements sont envisageables selon les lésions.

  • (1) Le métronidazole est une molécule inscrite à l’annexe IV des médicaments vétérinaires et ne peut être délivré qu’à des animaux exclus de la filière bouchère.

  • 1. Bühler M, Fürst A, Lewis FI et coll. Computed tomographic features of apical infection of equine maxillary cheek teeth: A retrospective study of 49?horses. Equine Vet. J. 2014;46:468-473.
  • 2. Carmalt JL, Barber S. Periapical curettage: An alternative surgical approach to infected mandibular cheek teeth in horses. Vet. Surg. 2004;33:267.
  • 3. Dixon PM, Tremaine WH, McCann J et coll. Equine dental disease: part 4. A long term study of 400 cases. Apical infections of cheek teeth. Equine Vet. J. 2000;32:182.
  • 4. Dixon PM, Hawkes C, Townsend N. Complications of oral cavity. Vet. Clin. North Am. Equine Pract. 2008;24:499-514.
  • 5. Dixon PM, Du Tolt N, Dacre IT. Equine dental pathology. In: Easly J, Dixon PM, Schumacher J. Equine Dentistry. 3 rd ed. Edinburgh. 2010:127-145.
  • 6. Lacourt M, Marcoux M. Retrait d’une molaire ou d’une prémolaire chez le cheval. Prat. Vét. Équine. 2010;167:7-14.
  • 7. Langeneckert F, Witte T, Schellenberger F et coll. Cheek tooth extraction via a minimally invasive transbuccal approach and intradental screw placement in 54 equids. Vet. Surgery. 2010;44 (8):1012-1020.
  • 8. Townsend N, Hawkes R, Boden LA, Barakzai SZ. Investigation of the sensitivity and specificity of radiological signs for diagnosis of periapical infection of equine cheek teeth. Equine Vet. J. 2011;43 (2):170-178.

CONFLIT D’INTÉRÊTS : AUCUN

Éléments à retenir

→ Les infections apicales sont fréquentes lors de la formation des bourgeons dentaires et sont la conséquence d’une perturbation vasculaire des dents chez les jeunes chevaux. Elles sont également habituelles chez les chevaux âgés, chez lesquels elles sont le résultat d’une maladie parodontale, d’une carie ou d’une fracture idiopathique.

→ Un bon examen clinique permet de détecter les signes secondaires et aigus de ces affections. L’imagerie traditionnelle par radiographie identifie les cas les plus avancés et reste spécifique, alors que la tomodensitométrie permet une détection plus précoce des affections et une meilleure planification des interventions chirurgicales.

→ Le débridement de l’infection passe par un curetage quand cela est possible ou, plus fréquemment, par une extraction de la dent, par voie orale dans l’idéal car cette technique a le plus faible taux de complications.

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