Étiopathologie, diagnostic et principes thérapeutiques des abcès chez le cheval - Pratique Vétérinaire Equine n° 195 du 01/07/2017
Pratique Vétérinaire Equine n° 195 du 01/07/2017

Principes généraux

Dossier

Auteur(s) : Karine Pader

Fonctions : La Clinique du cheval
Centre hospitalier
vétérinaire équin
3910, route de Launac
31330 Grenade

La compréhension de la physiopathologie des abcès et la connaissance des bactéries impliquées et des moyens diagnostiques à disposition vous permettent de choisir le traitement le plus adapté.

Les abcès font partie des motifs de consultation fréquemment rencontrés par le vétérinaire équin, en particulier ceux de pied qui constituent la cause la plus fréquente de boiterie aiguë chez le cheval. Si, dans certains cas, le diagnostic peut être établi grâce à l’anamnèse et à l’examen clinique, dans d’autres, il est bien plus difficile et nécessite de recourir à des examens complémentaires. La connaissance de la physiopathologie du processus infectieux, ainsi que la nature des agents bactériens en cause chez le cheval sont essentielles pour la mise en place d’une solution thérapeutique adaptée. Après un rappel sur la physiologie de la réponse inflammatoire, cet article présente les différents agents pathogènes à l’origine de processus infectieux chez le cheval et décrit les grands principes diagnostiques et thérapeutiques qui peuvent être appliqués.

Réponse inflammatoire systémique

Lors d’une atteinte microbiologique, le système immunitaire a pour mission de contenir l’infection, en alertant l’organisme, et de promouvoir la réparation tissulaire [8]. Pour atteindre cet objectif, les réactions de défense et de réparation tissulaire doivent être adaptées au type d’agression. Un processus septique est la réponse inflammatoire systémique à une infection. Lorsque l’invasion microbiologique atteint la circulation sanguine et qu’une réaction systémique de l’organisme s’ensuit, le terme de septicémie (ou sepsis) est utilisé. Chez le poulain nouveau-né, la septicémie est l’une des causes les plus communes de maladie ou de mort, et les bactéries à Gram - sont les plus souvent impliquées [7]. Chez le cheval adulte, les septicémies sont beaucoup moins fréquentes.

L’invasion tissulaire par les bactéries entraîne des changements drastiques dans les tissus environnants caractérisés par le processus inflammatoire. Les effets directs du processus inflammatoire sont tout d’abord une vasodilatation des vaisseaux sanguins, puis une augmentation de la perméabilité capillaire entraînant la fuite d’une grande quantité de liquide dans l’espace interstitiel. Le processus inflammatoire s’accompagne également de la production de molécules tissulaires comme l’histamine, la bradykinine, la sérotonine, les prostaglandines, les produits du complément ou encore les facteurs de coagulation. La plupart de ces molécules activent le réseau des macrophages et, dans les heures qui suivent l’agression, ces cellules commencent à phagocyter les tissus lésés. Localement, en revanche, l’action des macrophages est immédiate et commence quelques minutes après le début du processus inflammatoire, constituant la première ligne de défense contre l’infection.

La deuxième ligne de défense est assurée par les neutrophiles, qui envahissent les tissus lésés via le réseau capillaire dans l’heure suivant le début du processus inflammatoire. Les produits inflammatoires sont responsables de l’arrivée des neutrophiles sur le site lésionnel via une succession de trois étapes (figure). Tout d’abord, ils altèrent le tapis endothélial des capillaires sanguins en permettant aux neutrophiles de s’accrocher à la paroi capillaire dans la région inflammatoire (effet de margination). Puis ils affaiblissent les jonctions intercellulaires entre les cellules endothéliales des capillaires, favorisant la diapédèse des neutrophiles depuis le sang vers l’espace interstitiel. Enfin, les autres substances chimiques pro-inflammatoires présentes localement (toxines bactériennes, produits de dégradation tissulaire et produits du complément) attirent les neutrophiles sur le site lésionnel par chimiotaxis. Ainsi, dans les quelques heures qui suivent les lésions tissulaires, la région devient riche en neutrophiles prêts à phagocyter les bactéries présentes. Dans le même temps, à l’échelle systémique, les molécules pro-inflammatoires stimulent le recrutement de neutrophiles au niveau de la moelle osseuse et le nombre de ces leucocytes présents dans le compartiment vasculaire peut quintupler, jusqu’à atteindre les 25 000 neutrophiles/µl (leucocytose neutrophilique).

La troisième ligne de défense est assurée par le recrutement de macrophages sur le site lésionnel depuis le réseau systémique. De la même façon que les neutrophiles, les monocytes sont recrutés dans la moelle osseuse et passent de l’espace vasculaire au site lésionnel pour devenir des macrophages. Cependant, quelques différences existent entre les neutrophiles et les monocytes. En effet, la quantité de monocytes est moindre dans l’espace vasculaire et dans la moelle osseuse. Ainsi, l’arrivée des monocytes sur le site lésionnel est un processus beaucoup plus long que pour les neutrophiles, de l’ordre de plusieurs jours. Les monocytes sont des cellules immatures et nécessitent plus de temps, jusqu’à plusieurs semaines, pour grossir et devenir des macrophages efficaces. En revanche, une fois matures, les macrophages peuvent phagocyter des particules de plus grande taille (plus de cinq fois plus grosses) et une quantité plus importante de tissus nécrotiques que les neutrophiles.

La quatrième et dernière ligne de défense est constituée par la stimulation de la production de monocytes et de granulocytes par la moelle osseuse, qui commence 3 à 4 jours après l’atteinte microbiologique et qui peut se poursuivre pendant des mois, voire des années si le stimulus inflammatoire persiste.

Formation du pus

Quand les neutrophiles et les macrophages engloutissent une grande quantité de bactéries et de tissus nécrotiques, de nombreux neutrophiles et presque tous les macrophages meurent. Après plusieurs jours, une cavité se creuse au sein des tissus enflammés, qui contient une quantité variable de tissus nécrotiques, de neutrophiles et de macrophages morts et du liquide tissulaire. Ce mélange, communément appelé pus, est contenu dans une cavité, l’abcès. Si la réponse de l’organisme réussit à éliminer le processus infectieux, les tissus nécrotiques et les cellules mortes contenus dans le pus s’autolysent progressivement et les produits de dégradation sont réabsorbés par les tissus lymphatiques. Il est souvent difficile d’éliminer le processus infectieux sans engager des mesures thérapeutiques à la fois locales et systémiques.

Type de bactéries impliquées

Il est possible de distinguer deux types d’agents pathogènes impliqués dans la formation d’abcès :

- les bactéries “opportunistes” qui forment le plus souvent des abcès isolés et superficiels par contamination depuis l’extérieur ou par contiguïté, par exemple à la suite d’un traumatisme. Les bactéries rencontrées sont alors souvent commensales de la peau et de l’appareil respiratoire supérieur du cheval. La plus fréquemment retrouvée lors d’atteinte microbienne chez l’homme et les animaux est Staphylococcus aureus. Cette bactérie a été impliquée dans 19 à 21 % des cas d’infections orthopédiques et jusqu’à 60 % des cas de lymphangite chez le cheval [1, 2, 14]. D’autres bactéries fréquemment rencontrées sur la peau des équidés sont Bacillus spp. et Micrococcus spp. (tableau) [9] ;

- les bactéries “pyogènes” qui, par différents mécanismes, colonisent les voies respiratoires ou les nœuds lymphatiques, pour former ensuite des abcès en échappant à la réponse immunitaire de l’organisme. Les deux bactéries les plus fréquemment rencontrées dans cette catégorie sont Streptococcus equi subsp. equi, l’agent pathogène responsable de la gourme, et Rhodococcus equi, responsable de la rhodococcose(1). Ces bactéries peuvent ensuite se disséminer par voie hématogène ou lymphatique pour former des abcès “métastatiques” distant du site d’infection primaire.

Moyens diagnostiques des abcès chez le cheval

Signes cliniques

L’examen clinique général constitue une étape importante pour le diagnostic des abcès chez le cheval. Les signes évocateurs d’un abcès incluent de la fièvre, bien qu’elle ne soit pas systématiquement présente, et un gonflement localisé, associé à une douleur et à une chaleur à la palpation-pression. Lors d’abcédations internes, des signes cliniques propres aux appareils atteints sont notés, comme des coliques et un abattement en cas d’abcès abdominaux ou des modifications de la courbe respiratoire lors d’abcès thoraciques. En cas d’abcédations de l’appareil musculo-squelettique, l’apparition d’une boiterie est un signe clinique sensible et utile pour le suivi clinique du cheval(2).

Examens de laboratoire

Les numération et formule sanguines révèlent souvent une leucocytose neutrophilique. Cependant, ces examens ne sont pas toujours fiables. En effet, le comptage des neutrophiles et des lymphocytes peut être variablement élevé, bas ou normal lors d’infection chez le cheval [5]. Une augmentation non spécifique des globulines (notamment les globulines α et γ) est également parfois présente.

Les protéines de phase aiguë (PPA), comme le fibrinogène, la protéine amyloïde A sérique (SAA) ou l’haptoglobine, sont en revanche des marqueurs très sensibles de l’inflammation chez le cheval [4, 6, 12, 15]. Les principales PPA sont des protéines dont la concentration plasmatique augmente (PPA dites “positives”) d’au moins 25 % lors de réaction inflammatoire systémique [11]. Elles sont réparties en fonction du type de réponse observée à la suite d’un stimulus :

- les protéines majeures, dont le taux plasmatique est indétectable chez les individus sains et dont la concentration plasmatique augmente d’un facteur allant de 10 à 1 000 lors de réaction inflammatoire aiguë. Chez le cheval, la SAA est la seule PPA reconnue à ce jour comme majeure ;

- les protéines mineures ou modérées, qui sont détectables chez les individus sains et dont les augmentations de concentration plasmatique lors d’état inflammatoire sont de l’ordre de 1 à 10. Le fibrinogène ou l’haptoglobine en sont des exemples.

Les infections bactériennes, notamment les infections pyogènes, provoquent une augmentation nette des PPA, particulièrement de la SAA. Cependant, les cytokines responsables de la production de ces protéines par le foie sont libérées par les tissus lésés quelle que soit la nature du processus inflammatoire (infectieuse, tumorale, auto-immune, traumatique). Ainsi, l’augmentation franche des PPA est très sensible, mais non spécifique en cas de processus inflammatoire septique, et elle ne permet pas d’établir un diagnostic de certitude.

Lorsqu’une collection liquidienne est observable à la palpation-pression ou à l’aide de moyens d’imagerie, il est possible de la ponctionner pour analyser le liquide contenu. Dans ce cas, le diagnostic différentiel comprend un sérome, un hématome ou un abcès.

Un sérome est une collection de liquide séreux et stérile qui se développe à la suite d’une intervention chirurgicale, par exemple. Les hématomes sont également des structures stériles qui contiennent beaucoup d’érythrocytes. Dans ces deux cas, le taux de cellules nucléées est faible. En revanche, lors d’abcès, le taux de cellules nucléées est supérieur à 30 000/µl, dont plus de 90 % sont des neutrophiles, et le taux de protéines totales est supérieure à 40 g/l. Le prélèvement et l’analyse du liquide contenu ne sont pourtant pas toujours indiqués. En effet, le rapport bénéfice/risque doit être pesé attentivement avant de ponctionner une structure liquidienne dont l’origine n’est pas identifiée de manière certaine, au risque d’inoculer une bactérie au sein d’une structure stérile (sérome ou hématome). Ainsi, l’aiguille ou le scalpel du vétérinaire peut transformer un sérome ou un hématome en un abcès. Le clinicien doit se munir d’autres éléments cliniques avant de prendre la décision de ponctionner la collection liquidienne (celle-ci a-t-elle tendance à diminuer [sérome, hématome] ou à augmenter [abcès] ? La zone est-elle indolore [sérome, hématome] ou douloureuse/chaude à la palpation [abcès] ?). Il convient qu’il se serve également d’examens complémentaires comme l’échographie pour faire la différence entre un abcès et une structure stérile.

Techniques d’imagerie

Examen échographique

L’examen échographique est une méthode d’imagerie très utile pour diagnostiquer les abcès ou encore pour explorer un trajet fistulaire chez le cheval. Idéalement, le clinicien doit disposer de deux sondes échographiques de fréquence différente de manière à pouvoir visualiser les abcès superficiels comme profonds (photo 1). Une sonde linéaire (6 à 13 MHz) permet de repérer les abcès à moins de 6 à 8 cm de profondeur avec une excellente définition, alors que la pénétration est limitée pour les abcès situés plus en profondeur. Une sonde convexe (1 à 8 MHz) peut être utilisée pour visualiser ces derniers, au-delà de 10 cm, et, bien que l’opérateur gagne en pénétration, la définition est moins nette. La plupart des diagnostics d’abcès peuvent se faire grâce à ces deux sondes chez le cheval. Lorsqu’elle est disponible, une sonde microconvexe (5 à 10 MHz) est l’outil intermédiaire idéal entre les sondes linéaire et convexe dans la mesure où elle permet de gagner en profondeur tout en gardant une définition satisfaisante.

Même si la différence n’est pas toujours évidente, les abcès peuvent être distingués d’un hématome, d’un sérome ou d’une tumeur lors de l’examen échographique. Un sérome présente un aspect échographique multiloculaire avec un contenu liquidien anéchogène (photo 2). Un hématome a un aspect caractéristique avec un contenu échogène et, si le traumatisme est aigu, des images “en tourbillon” sont visibles (photo 3). Si un suivi échographique est réalisé sur plusieurs jours, les séromes et/ou les hématomes ont tendance à diminuer de taille, alors que les abcès deviennent plus importants et s’organisent avec le temps. Il est parfois difficile à un instant t de distinguer un hématome ou un sérome en voie de résolution d’un abcès en cours d’organisation. Une fois organisé, un abcès présente une paroi plus ou moins épaisse à l’échographie et contient un liquide variablement échogène (photo 4). Parfois, un corps étranger caractérisé par une structure linéaire et projetant un cône d’ombre à l’intérieur de la cavité permet d’identifier avec certitude à la fois la cause (corps étranger ou séquestre) et la conséquence clinique (abcès) (photo 5). Lorsqu’un trajet fistulaire est présent, il peut être suivi en coupe longitudinale à l’aide d’une sonde linéaire et mener à la collection principale, ou bien au corps étranger ou au séquestre (photo 6). Un syndrome néoplasique affectant les organes internes tels que le foie, la rate ou les reins peut se matérialiser par la présence d’une masse visible à l’échographie abdominale. À la différence des abcès, l’aspect échographique des tumeurs est généralement hétérogène, avec un contour irrégulier, et des foyers hyperéchogènes (et même des structures linéaires calcifiées en cas de mélanome) et hypoéchogènes.

Examen radiographique

L’examen radiographique ne donne pas souvent d’indication concernant la présence d’un abcès externe, sauf en cas de séquestre osseux ou d’un abcès associé à un corps étranger métallique. Une radio-opacité et un gonflement des tissus mous sont souvent les seules anomalies reproductibles à l’examen radiographique.

Cette technique d’imagerie est, en revanche, utile pour aider au diagnostic des abcès de pied, ainsi que lors d’abcès pulmonaires(3).

Autres techniques

L’endoscopie est très utile en cas de gourme, car cette technique permet de visualiser une hypertrophie, voire une abcédation des nœuds lymphatiques rétropharyngés dans les poches gutturales.

Les moyens d’imagerie avancée, tels que le scanner ou l’examen par résonance magnétique, se révèlent parfois très utiles lorsque la présentation clinique est atypique [3, 13].

Bactériologie

L’examen bactériologique est le seul moyen d’identifier de manière certaine le ou les agents pathogènes responsables et de proposer une solution thérapeutique adaptée via l’obtention d’un antibiogramme. Des résultats faux négatifs sont possibles, donc une culture négative n’exclut pas toujours la présence d’un processus infectieux. Afin d’optimiser la mise en culture, il convient de suivre quelques règles. Le prélèvement doit être placé de manière stérile dans un tube sec ou dans un milieu de culture. Ensuite, il est transmis le plus rapidement possible au laboratoire pour éviter que les bactéries ne meurent et permettre une culture bactérienne fructueuse. Après ensemencement dans des milieux de culture différents, un passage dans l’incubateur à 35 °C est prévu pendant au moins 12 heures avant d’être en mesure d’identifier les bactéries. L’identification se fait selon la morphologie et le milieu de culture qui a permis le développement des bactéries. Cette méthode, fondée sur l’étude du métabolisme bactérien, est la plus répandue, parce qu’elle est sensible et peu coûteuse. Alors que ces méthodes traditionnelles d’identification bactérienne peuvent aussi être automatisées, ces dernières années ont été marquées par le développement d’une nouvelle technique : la spectrométrie de masse MALDI TOF (Matrix-Associated Laser Desorption and Ionisation, Time of Flight). Il s’agit d’une méthode extrêmement sensible et rapide (un agent pathogène est identifié en quelques minutes) pour caractériser les colonies bactériennes en calculant leur masse à partir de leur “temps de vol” (photo 7). L’automate produit un champ électrique dans lequel les ions de masse et de charge différentes se déplacent, et la distance parcourue en un temps donné est fonction du rapport de la masse sur la charge. Les colonies bactériennes peuvent alors être identifiées avec une plus grande précision qu’avec les méthodes phénotypiques qui comptent sur l’activité métabolique de la bactérie. Le spectromètre de masse possède une base de données mise à jour régulièrement pour permettre l’identification des bactéries fréquemment rencontrées, mais aussi de nouvelles souches pathogènes. De plus en plus de laboratoires microbiologiques s’équipent de la spectrométrie de masse MALDI TOF et le recours à cette procédure d’identification est recommandé, de pair avec l’acheminement rapide du prélèvement au laboratoire.

Moyens thérapeutiques : les antibiotiques sont-ils réellement automatiques ?

De manière générale, deux outils thérapeutiques sont utilisés pour traiter les abcès chez le cheval : l’administration d’antibiotiques et le débridement chirurgical.

Même s’ils sont communément utilisés, l’emploi d’antibiotiques n’est pas indispensable pour le traitement des abcès externes ou des abcès associés à un corps étranger ou à un séquestre osseux. Dans de tels cas, le drainage chirurgical avec exérèse du ou des corps étrangers est essentiel. Ces mêmes principes sont applicables lors d’infection à S. equi equi, où l’antibiothérapie n’est pas recommandée une fois que les abcès ont commencé à se former. Il est conseillé d’attendre la maturation des abcès, puis éventuellement de faciliter leur drainage, sauf en cas de détresse respiratoire ou d’abcédation interne. L’administration d’antibiotiques en cas de gourme affecterait la paroi bactérienne, réduisant le développement d’une immunité protectrice [16]. Il peut en résulter la formation d’abcès dits “froids” qui deviennent alors difficiles à traiter.

Dans les cas précoces où l’abcès ne semble pas organisé (absence de paroi visible autour de la collection liquidienne à l’échographie), le drainage chirurgical doit être reporté pour garantir son efficacité. Lors de complications d’injections intramusculaires dans la région de l’encolure, par exemple, les chevaux expriment des signes cliniques de douleur relativement tôt dans le développement du processus infectieux. Ce n’est pourtant que plusieurs jours plus tard qu’une collection liquidienne nettement organisée est visible à l’échographie et qu’elle peut être drainée. L’administration d’antibiotiques est controversée dans un tel cas de figure, puisqu’ils ont tendance à ralentir la maturation de l’abcès, donc la résolution thérapeutique. Après drainage chirurgical, la plaie est lavée avec une solution physiologique pendant 3 à 5 jours, ce qui permet de résoudre le processus infectieux dans la plupart des cas.

En présence d’abcédations internes, le risque associé au drainage chirurgical est souvent plus grand que le bénéfice qu’il peut apporter. Ainsi, une antibiothérapie au long cours est souvent la meilleure option pour faire reculer le processus infectieux. Après soumission d’un prélèvement au laboratoire de bactériologie, le cheval doit recevoir des antibiotiques à large spectre (pénicilline, gentamicine) jusqu’à l’obtention de l’antibiogramme. Le traitement antibiotique peut alors être modifié en fonction de la ou des bactéries présentes et des molécules auxquelles elles sont sensibles.

Un choix raisonné dans l’utilisation des antibiotiques est fondamental pour prévenir l’apparition de résistances aux molécules fréquemment utilisées en médecine vétérinaire (encadré). Ainsi, la règle est d’utiliser en première intention une antibiothérapie à large spectre (sulfamides, pénicilline +/- gentamicine) afin de réserver les molécules les plus récentes comme les céphalosporines ou les fluoroquinolones au traitement d’infections dues à des bactéries qui y sont sensibles d’après l’antibiogramme. Cette règle est d’autant plus valable pour la gestion des abcès externes chez le cheval. En effet, non seulement le drainage chirurgical seul permet souvent de traiter les abcès externes, mais en plus la pharmacodynamie des antibiotiques est grandement affectée en présence d’abcès, ce qui les rend parfois inefficaces alors même que les bactéries responsables y sont sensibles. Le choix des antibiotiques est beaucoup plus difficile lors d’abcédation interne, car ils constituent le seul outil thérapeutique dont dispose le vétérinaire(3).

Conclusion

Quand il est possible, le débridement chirurgical reste le traitement le plus efficace des abcès chez le cheval et il ne devrait en aucun cas être remplacé par une thérapie antibiotique agressive. Lorsque l’accès à l’abcès est impossible, une antibiothérapie raisonnée est instituée, sur la base d’un antibiogramme, pendant au moins 1 mois après la résolution du processus infectieux.

  • (1) Voir les dossiers dédiés à ces deux affections : “La gourme” de M. Depecker et coll. Pratique Vétérinaire Équine. 2013;178:7-33, et “La rhodococcose” de M. Venner et coll. Pratique Vétérinaire Équine. 2015;185:6-17, ainsi que l’article “Le point sur la gourme du cheval” de A. Léon et coll. Pratique Vétérinaire Équine. 2016;190:26-32.

  • (2) Voir les autres articles de ce dossier dans ce numéro.

  • (3) Voir l’article “Les abcès internes chez le cheval” de F. Polle et coll., dans ce numéro.

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CONFLIT D’INTÉRÊTS : AUCUN

Éléments à retenir

→ Un abcès est une cavité qui se creuse au sein de tissus enflammés, contenant du pus, un mélange de tissus nécrotiques, de neutrophiles et de macrophages morts et du liquide tissulaire.

→ Des bactéries opportunistes ou des bactéries pyogènes peuvent être à l’origine de la formation d’abcès, la physiopathogénie étant différente dans les deux cas.

→ Le diagnostic se fonde sur l’examen clinique du cheval, les tests de laboratoire et l’imagerie, notamment l’examen échographique.

→ Quand il est possible, le débridement chirurgical est le traitement le plus efficace, mais lorsque la localisation de l’abcès ne le permet pas, une antibiothérapie raisonnée doit être instituée.

ENCADRÉ : CHOIX DE L’ANTIBIOTIQUE

Il convient de garder à l’esprit les propriétés des différentes molécules lors du choix de l’antibiothérapie, tout en respectant la législation liée à l’utilisation des antibiotiques critiques (décret n° 2016-317 du 16 mars 2016 et arrêté du 18 mars 2016).

Ainsi, la pénicilline ne pénètre pas très bien dans les abcès ou les zones de tissu nécrotique, et son activité est limitée dans les milieux acides, par exemple en cas de processus septique [10]. Il en va de même pour les aminoglycosides tels que la gentamicine, bien que l’association de la pénicilline et de la gentamicine résulte en une action synergique.

Si les sulfamides sont normalement inactivés par le pus, ils ont, en revanche, été utilisés avec succès en association avec la rifampicine pour traiter des abcès internes chez le cheval [17]. La rifampicine est liposoluble et pénètre très bien dans les tissus nécrotiques tels que les abcès. En revanche, elle doit être administrée en association avec d’autres molécules car les bactéries développent facilement des résistances lorsqu’elle est utilisée seule. La législation française autorise l’emploi de la rifampicine en association avec des macrolides, seulement en cas de rhodococcose.

L’enrofloxacine présente une bonne pénétration intracellulaire, ce qui lui donne un intérêt lors d’abcès internes.

Enfin, le métronidazole représente une autre option thérapeutique en cas d’infections liées à des bactéries anaérobies.

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