Réalisation d’une palpation abdominale transrectale chez le cheval - Pratique Vétérinaire Equine n° 194 du 01/04/2017
Pratique Vétérinaire Equine n° 194 du 01/04/2017

MEDECINE INTERNE

Cahier pratique

Fiche technique

Auteur(s) : Hélène Matthys*, Marie Perrault**, Jean-Luc Cadoré***

Fonctions :
*Université de Lyon, VetAgro Sup
Campus vétérinaire de Lyon
Département hippique
69280 Marcy-l’Étoile

La palpation transrectale (PTR) abdominale est un acte sémiologique important à maîtriser, lors de l’examen d’un cheval en coliques, du suivi gynécologique, de l’examen de l’appareil urinaire, de celui du bassin en présence d’une boiterie postérieure haute ou d’une exploration médicale en présence de signes non spécifiques, tels qu’un abattement ou une perte de poids [4].

Dans le cadre des coliques, la PTR permet dans certains cas d’établir un diagnostic définitif, dans d’autres de l’orienter, ou de prendre la décision de référer le cheval. Néanmoins, elle ne donne lieu qu’à une exploration de l’abdomen caudal (30 à 40 % de la cavité abdominale caudale), et nécessite la réalisation d’un examen clinique préalable et d’autres examens complémentaires : le sondage nasogastrique, la paracentèse, l’échographie abdominale transcutanée et les analyses sanguines [2].

Indications

La PTR est indiquée chez tout cheval présentant des signes de colique aiguë, chronique ou récurrente, dont l’origine digestive ou extradigestive est suspectée. Elle donne une indication sur la sévérité des coliques et sur la nécessité éventuelle d’une intervention chirurgicale.

Concernant l’appareil urogénital, la PTR est utilisée pour le diagnostic de gestation, lors d’infertilité, de comportement sexuel modifié, de cryptorchidie, etc.

Lors de boiterie postérieure haute, elle est très utile dans les cas de suspicion d’une fracture de bassin, par exemple.

Enfin, une PTR est conseillée lors de signes peu spécifiques tels qu’un abattement ou une perte d’état, car elle aide à déterminer la présence éventuelle d’une masse ou d’un épaississement pariétal [5].

Préparation

Une contention adéquate est indispensable pour assurer à la fois la sécurité du vétérinaire et celle du cheval (encadré). L’idéal est de réaliser la palpation dans un travail (photo 1). Sur le terrain, des ballots de paille ou de copeaux ou la porte d’un box peuvent être intercalés entre l’animal et le vétérinaire. Ce dernier doit se positionner sur le côté et toujours regarder la tête du cheval. Celle-ci est maintenue par une personne expérimentée placée du même côté que le vétérinaire [4, 7].

Afin de limiter le risque de lésions du rectum, il convient d’avoir les ongles coupés courts, de retirer tout bijou (montre, bague, bracelet), d’utiliser un gant jetable montant jusqu’à l’épaule, fin et bien lubrifié, d’introduire délicatement sa main dans l’axe de l’avant-bras, doigts réunis, dans le rectum en vérifiant l’absence de crins et de ne pas résister aux ondes péristaltiques. Lorsque les contractions rectales sont trop sévères pour permettre un examen complet en sécurité, de la N-butylscopolamine (0,3 mg/kg, Estocelan®) peut être administrée par voie intraveineuse, ou de la lidocaïne 2 % (50 ml) directement dans le rectum [4, 7]. La N-butylscopolamine est un anticholinergique spasmolytique d’action rapide et courte (15 à 25 minutes) connu pour être plus efficace que la lidocaïne 2 % en application topique afin de réduire la pression et les contractions rectales 3 minutes après l’administration [3].

Réalisation de l’examen

La première étape de l’examen consiste à retirer les crottins du rectum. Cela permet d’en apprécier la quantité, la consistance (l’état d’hydratation du cheval est déterminé selon que les crottins sont desséchés, liquides ou pâteux), la composition (présence de parasites, de sang occulte, de sable, de mucus ou de fibrine) et la couleur (vert : surcharge en herbe ; rouge : sang frais ; noir : sang digéré). Il est conseillé de garder des crottins dans un gant pour une éventuelle coproscopie, un test de sédimentation et/ou une recherche bactérienne.

Il est intéressant de palper plus finement la partie gauche de l’abdomen avec la main droite et inversement, les sensations étant différentes.

Appareil digestif

Il est conseillé de systématiser l’examen pour n’oublier aucune structure. Certains organes sont palpables physiologiquement, d’autres uniquement dans des situations pathologiques (tableau 1). L’examen commence généralement par l’aorte (sa pulsation peut être appréciée dorsalement). Ensuite, l’abdomen palpable est divisible en quatre quadrants pour le repérage anatomique (figure 1) :

– quadrant dorsal gauche : rate, ligament néphrosplénique, pôle caudal du rein gauche ;

– quadrant ventral gauche : courbure pelvienne (selon réplétion) ;

– quadrant dorsal droit : base du cæcum ;

– quadrant ventral droit : bande charnue ventrale du cæcum (figure 2).

• Le pôle caudal du rein gauche est palpable dorsalement. C’est une structure fixe, ferme, arrondie et lisse. Le rein droit étant plus cranial, il n’est pas atteignable.

• La rate est située à gauche contre la paroi abdominale, fixée par les ligaments néphrosplénique (parfois palpable) et gastro-splénique. Sa portion dorso-caudale est palpable, assez mobile, plate, ferme, mais dépressible et granuleuse. Son bord caudal doit être lisse et fin.

• La base du cæcum est palpable dorsalement à droite, attachée à la paroi abdominale. Les bandes charnues ventrale et parfois médiale peuvent être palpées dorso-caudalement en direction cranio-ventrale. Elles doivent être lâches et déplaçables facilement. Le cæcum est normalement relativement vide, mais des ingesta mous ou un léger tympanisme peuvent être considérés comme physiologiques.

• La courbure pelvienne peut être palpée dans le quadrant gauche selon la quantité d’ingesta présents dans le côlon. Plus cranialement, le côlon ventral gauche est large et caractérisé par ses bandes charnues longitudinales et ses haustrations, alors que le côlon dorsal gauche est lisse et plus étroit.

• Du côlon flottant (descendant) peut être retrouvé dans toute la cavité abdominale. Il est caractérisé par une bande charnue sur ses bords antimésentérique et mésentérique, et des boules de fèces peuvent être présentes dans sa lumière.

• L’intestin grêle, que ce soit le duodénum, le jéjunum ou l’iléon, n’est pas palpé chez un cheval en conditions physiologiques.

Appareil urogénital

À l’entrée du bassin, dans le plan médian, la vessie peut être palpée ventralement selon son état de réplétion, ainsi que les ligaments ronds à sa droite et à sa gauche. Lorsque la vessie est trop pleine et empêche la palpation correcte du reste de l’abdomen, il est conseillé de placer le cheval dans un box paillé ou sur de l’herbe pour stimuler la miction.

Chez l’animal entier, il convient de palper les anneaux inguinaux à 5 heures et à 7 heures dans la paroi abdominale après l’entrée du bassin, à la recherche d’une éventuelle hernie inguinale. Le cordon spermatique peut être palpé dans chaque anneau inguinal.

Chez la jument, il est possible de suivre le vagin, le col de l’utérus, l’utérus, puis les cornes utérines qui mènent aux ovaires. À partir du deuxième trimestre de gestation, la topographie est modifiée.

Que rechercher ?

Anomalies structurales

De nombreuses anomalies structurales doivent être recherchées. Pour cela, il convient de se poser plusieurs questions :

– la position des différentes structures intestinales est-elle physiologique ?

– une distension d’intestin est-elle présente ?

– en présence d’une distension : quelle est sa consistance ? Est-elle due à du contenu alimentaire, à du liquide ou à du gaz ? Quel est l’organe concerné ?

– d’autres anomalies sont-elles décelées, comme une motilité anormale, la présence de sable, de masses, des surfaces péritonéales anormales, une paroi intestinale épaissie ou irrégulière, des bandes de tension, une sensation de vacuité ?

Un contenu alimentaire ou liquidien déplace les anses concernées ventralement, tandis que le gaz aura tendance à les déporter dorsalement.

Lors de la palpation, le cheval peut manifester de la douleur (agitation, plaintes, contraction, attitude et regard changeant), parfois indicatrice de la structure concernée et/ou de l’affection en cours.

En cas de péritonite, une sensation importante de chaleur peut être notée.

Les anomalies structurales des différents segments intestinaux sont une aide importante pour l’établissement d’un diagnostic différentiel (tableau 2 et figure 3).

Même en l’absence d’anomalies topographiques à la PTR chez un cheval qui présente des coliques, une vigilance est recommandée. C’est le cas, par exemple, des premiers stades d’une obstruction d’intestin grêle, dans lequel seules une ou deux anses sont distendues et non palpables. Selon l’évolution clinique du cheval, il convient de répéter l’acte pour apprécier une éventuelle modification de la topographie.

La distinction entre une stase du cæcum et un déplacement dorsal à droite du côlon peut être délicate. L’attache mésentérique dorso-latérale du cæcum à la paroi abdominale droite empêche la main de l’examinateur de passer latéralement au cæcum et permet la différenciation de ces deux anomalies [6].

Situations pathologiques typiques

Accrochement néphrosplénique

L’accrochement néphrosplénique(1) est une forme particulière de déplacement dorsal du côlon à gauche, qui est à l’origine de coliques. Du côlon est palpable à gauche et légèrement ventralement au rein gauche, entre le rein et le bord caudo-dorsal de la rate, et masque le ligament néphrosplénique, qui n’est plus palpable. La rate est généralement déplacée ventralement et abaxialement à la paroi abdominale gauche.

Hernie inguinale

En cas d’hernie inguinale chez un cheval entier, une anse d’intestin grêle distendue peut être suivie jusqu’à son entrée dans le canal inguinal, où elle se trouve incarcérée (figure 4). Dans ce cas, à l’examen externe, un scrotum plus ou moins distendu peut être observé (photo 2).

Tympanisme du cæcum

Un tympanisme du cæcum est identifié comme une distension gazeuse modérée à sévère du cæcum dans l’abdomen droit (figure 5). Les bandes charnues deviennent plus tendues. Dans les cas les plus sévères, la base du cæcum est perçue comme un ballon fortement gonflé dans le quadrant dorsal droit. Cela peut être une cause primaire de coliques, mais est fréquemment associé à une obstruction distale au cæcum.

Surcharge de la courbure pelvienne

La courbure pelvienne est l’un des sites les plus fréquents de surcharge car le diamètre du côlon y est fortement rétréci. Les surcharges sont à l’origine d’une stase et peuvent concerner aussi d’autres portions de l’intestin (côlons ventral et dorsal gauches). Dans l’abdomen caudal gauche, il est alors possible de remarquer la présence d’une masse large et ferme dans laquelle le doigt peut laisser son empreinte. La stase peut atteindre jusqu’à 30 à 40 cm de diamètre et s’étendre cranialement. La consistance et le contenu varient.

Obstruction de l’intestin grêle

La palpation d’intestin grêle est toujours indicatrice d’une obstruction de celui-ci, qu’elle soit physique (impaction iléale ou étranglement) ou fonctionnelle (iléus secondaire à une entérite ou infarctus intestinal non étranglé). Les anses d’intestin grêle sont alors distendues par du gaz ou du liquide, et peuvent également être œdémateuses (figure 6).

Complications

La déchirure rectale est la complication la plus fréquente et la plus grave associée à la PTR. Elle est également la source de très nombreux procès. L’information du client concernant cette potentialité est indispensable avant la réalisation de cet acte. La signature d’un consentement éclairé est idéalement recommandée. Cependant, cette demande est parfois délicate lors d’un examen en urgence.

L’observation du gant à la fin de l’examen permet de vérifier l’absence de sang. En cas de suspicion de déchirure rectale, il convient d’en informer le client et de réexaminer le rectum sous tranquillisation pour confirmation. Les déchirures rectales sont classiquement dorsales, environ 30 cm cranialement au rectum, et leur longueur est variable [1]. Le pronostic dépend de la localisation, de la taille et du grade de la lacération, mais également de la proximité d’un centre de référence, donc de la précocité de la prise en charge, et de l’étendue de la contamination abdominale [1, 4].

  • (1) Voir l’article “La gestion médicale des accrochements néphrospléniques” de S. Bouvet, Pratique Vétérinaire Équine. 2017;193:6-11.

  • 1. Claes A, Ball BA, Brown JA, Kass PH. Evaluation of risk factors, manage-ment, and outcome associated with rectal tears in horses: 99 cases (1985-2006). J. Am. Vet. Med. Assoc. 2008;233:1605-1609.
  • 2. Gluntz X, Gogny M. Les coliques du cheval. Éd. Point Vétérinaire, Rueil-Malmaison. 2007:255p.
  • 3. Luo T, Bertone JJ, Greene HM, Wickler SJ. A comparison of N-butylscopolammonium and lidocaine for control of rectal pressure in horses. Vet. Ther. 2006;7:243-248.
  • 4. Southwood LL, Fehr J. Abdominal palpation per rectum. In: Practical guide to equine colic. Sousthwood LL, ed. John Wiley and Sons. 2013:22-37.
  • 5. Taylor SD, Pusterla N, Vaughan B et coll. Intestinal neoplasia in horses. J. Vet. Intern. Med. 2006;20:1429-1436.
  • 6. White NA. Rectal examination for the acute abdomen. In: Current techniques in equine surgery and lameness. White NA, Moore JN, eds. 2nd ed. WB Saun-ders Co., Philadelphia. 1998:262-270.
  • 7. White NA, Edwards GB. Handbook of equine colic. Ed. Butterworth Hein-mann, Oxford. 1999:146p.

CONFLIT D’INTÉRÊTS : AUCUN

ENCADRÉ : CONDITIONS DE RÉALISATION D’UNE PALPATION TRANSRECTALE

• Un endroit calme ± un travail.

• Un licol, une longe et un tord-nez ± une tranquillisation aux a2-agonistes pour la contention du cheval (la prise d’un pied antérieur et d’un pli de peau peut être aussi efficace).

• Un gant de fouille.

• Du gel lubrifiant.

• ± de la lidocaïne 2 % (50 ml).

• ± de la N-butylscopolamine.

D’après [4].

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