Médecine factuelle vétérinaire : les outils pour demain - Pratique Vétérinaire Equine n° 194 du 01/04/2017
Pratique Vétérinaire Equine n° 194 du 01/04/2017

INFORMATION SCIENTIFIQUE

Cahier scientifique

Médecine factuelle

Auteur(s) : Jean-Michel Vandeweerd*, François Valon**, Francis Desbrosse***, Pierre Pluye ****, Benoit Rihoux*****, Sébastien Buczinski******

Fonctions :
*Université de Namur (UNamur)
Urvi-Narilis (unité de recherche vétérinaire intégrée-Namur
Research Institute for Life Sciences)
Rue de Bruxelles, 61, 5000 Namur, Belgique
jean-michel.vandeweerd@fundp.ac.be
**Clinique vétérinaire équine, 18, rue des Champs, La Brosse,
78470 Saint-Lambert-des-Bois
***Clinique vétérinaire du Parc de Brière, ZA des Pédras,
44117 Saint-André-des-Eaux
****Clinique vétérinaire équine, 18, rue des Champs, La Brosse,
78470 Saint-Lambert-des-Bois
*****Université McGill, département de médecine de famille,
5858, chemin de la Côte-des-Neiges, Montréal, Québec H3S 1Z1, Canada
******Université catholique de Louvain, Centre de science politique
et de politique comparée (Cespol), place Montesquieu 1 Bte L2.08.07,
1348 Louvain-la-Neuve, Belgique
*******Département des sciences cliniques, Faculté de médecine
vétérinaire, université de Montréal, CP 5000, Saint-Hyacinthe,
J2S 7C6, Qc, Canada

L’éclectisme du vétérinaire et l’explosion des savoirs imposent l’application de nouveaux outils d’information et d’apprentissage.

En 2017, le vétérinaire est amené à jouer un rôle dans cinq domaines différents : santé publique, recherche biomédicale, sécurité alimentaire, gestion des écosystèmes et secteur des soins aux animaux [5]. Cette variété de missions, associée à une augmentation exponentielle des savoirs, modifie désormais le cadre de l’apprentissage et de l’information [7]. Il devient impossible de maîtriser tous les sujets d’une discipline avec la même profondeur [4]. Le vétérinaire du xxie siècle ne peut plus se réfugier derrière sa seule expérience. Il doit se tenir informé et démontrer l’aspect rationnel de son approche clinique, comme le médecin.

Situation actuelle

Dans le secteur des soins aux chevaux, le vétérinaire praticien est contraint d’adopter les données récentes de la recherche scientifique dans un souci de qualité de service et de bonnes pratiques [1]. Si ses choix cliniques ne sont pas en adéquation avec les connaissances actuelles, sa responsabilité professionnelle peut être mise en cause lors d’un litige. De plus, les propriétaires d’animaux sont de mieux en mieux informés et le vétérinaire doit clarifier les informations recueillies par le profane, en utilisant un discours clair mais scientifique relativement aux décisions prises. Or les données publiées sont nombreuses et les traitements évoluent constamment. Il est donc très difficile de se tenir au courant et de mémoriser l’entièreté des informations indispensables pour une pratique efficace.

Rechercher la meilleure information devient essentiel, mais constitue une tâche impossible à titre individuel. La démarche de la médecine factuelle (evidence based medicine, ou EBM) a été préconisée, à l’instar de ce qui se pratique en médecine humaine [1]. L’approche repose sur une recherche et une critique adéquates des publications dans les bases de données bibliographiques pour étayer une décision médicale (figure 1). Cependant, 15 ans après l’introduction de la médecine factuelle dans le domaine vétérinaire, divers obstacles à son application ont été identifiés et les solutions sont difficiles à mettre en place (encadré) [11-13].

Les outils d’information scientifique de demain devront permettre aux vétérinaires équins une mise à jour des connaissances performante. Ces instruments devront être d’accès rapide et adaptés au peu de temps dont disposent les praticiens, répondre aux questions cliniques d’intérêt, fournir une critique compréhensible de l’information et permettre un feed-back des utilisateurs sur l’information scientifique fournie.

Très tôt après l’apparition du concept de l’EBM dans les pays anglo-saxons, l’Association vétérinaires équine française (Avef), l’Académie vétérinaire de France (AVF) et les éditions du Point vétérinaire (la revue Pratique vétérinaire équine incluse) se sont activement impliquées dans la promotion de la médecine factuelle. L’objectif de cet article est de faire le point sur les outils d’information de demain et les actions à mener avec l’ensemble des parties prenant part à la formation des vétérinaires.

Synthèse méthodique et méta-analyse

Comme son nom l’indique, la synthèse méthodique suit une méthodologie précise qui lui confère son objectivité. Elle n’est pas une synthèse narrative au cours de laquelle un spécialiste répond à une question posée en citant des références de son choix, et qui pourraient avoir été sélectionnées, même inconsciemment, pour renforcer le point de vue de l’auteur.

En établissant dès le départ une méthode et en la décrivant dans la section “Matériel et méthode” de l’article, l’auteur d’une synthèse méthodique livre au lecteur la technique que celui-ci pourrait utiliser pour vérifier la sélection des articles et les faits qui en sont tirés. La mise en place d’une méthode permet aussi à des non-experts de s’atteler à la tâche d’une revue de publications.

Un article de synthèse méthodique comprend une section “Résultats” qui comporte la liste des articles sélectionnés, un tableau résumant la qualité méthodologique de ces derniers et un résumé de leur contenu. Une discussion pondère le contenu des articles, notamment au regard de leur qualité.

Le praticien vétérinaire devrait idéalement prendre l’habitude d’introduire les mots clés “systematic review” lors d’une recherche dans les bases de données bibliographiques. Si un tel document existe, il fournit rapidement le meilleur et le plus complet niveau de preuve. Il convient que le lecteur s’habitue à rechercher les éléments de l’article suivants :

- le tableau récapitulant la sélection des articles ;

- le résumé du contrôle de la qualité méthodologique effectué généralement par l’attribution d’une cote à chaque document, idéalement par plusieurs examinateurs indépendants, en fonction d’une grille de lecture (figure 2) ;

- le tableau synthétisant le contenu.

Les méta-analyses commencent aussi à apparaître en médecine vétérinaire. Elles se définissent comme des synthèses statistiques des résultats chiffrés (réaliser une statistique des statistiques) de plusieurs études ayant répondu à une question identique. Leur objectif est d’obtenir, à partir des mesures d’un effet observées dans chacune des études, une estimation pondérée de la taille de l’effet réel, et d’identifier et de quantifier l’hétérogénéité éventuelle entre les études. Les méta-analyses sont réalisées avec des logiciels informatiques. Comme praticien, il n’est pas utile de savoir les utiliser. En revanche, il est intéressant de pouvoir lire et interpréter les graphiques générés. Une représentation graphique couramment employée pour comparer ces mesures est appelée “graphe forestier” ou “pictogramme moucheté” (en anglais, forest plot) (figure 3). La méta-analyse permet aussi de tirer des conclusions d’études qui pourraient a priori ne pas être utiles de façon isolée (par exemple en raison du nombre restreint d’individus qui y ont pris part).

Faits saillants et concept d’application des connaissances

La pression du travail quotidien ne permet pas la lecture complète d’une synthèse méthodique, par exemple. Idéalement, les résultats des synthèses réalisées devraient être fournis aux praticiens vétérinaires dans le format le plus court et le plus concret possible.

Un tel outil d’information existe au Québec en médecine humaine à destination des praticiens généralistes [3]. Il consiste à transmettre, par courriel, soit une information courte (highlight, fait saillant), soit un synopsis plus long (patient-oriented evidence that matters [POEM], information concernant le patient et qui a de l’intérêt), à une fréquence hebdomadaire. Ces résumés d’information sont issus des publications scientifiques à disposition.

De plus, pour chaque information hebdomadaire, le praticien est invité à répondre à un questionnaire validé qui permet d’évaluer la valeur de l’information diffusée par courriel. Ce processus est appelé “méthode d’évaluation des informations” (MEI). La réponse au questionnaire est récompensée par des points de formation continue. Cette méthode permet d’obtenir des données scientifiques issues de la pratique, mais aussi d’identifier les domaines de formation en carence. C’est le concept du “better-than-best evidence” où le feed-back donné par les praticiens sur l’information scientifique à disposition est utilisé pour optimiser les informations fournies [8]. En d’autres termes, l’information fondée sur les résultats de la recherche est améliorée par l’information fournie par les praticiens. Ce modèle d’application des connaissances est développé par les instituts de recherche en santé du Canada (IRSC) (figure 4). Un tel outil mérite largement d’être développé et évalué en médecine vétérinaire.

Description de cas

Les éditeurs des périodiques vétérinaires en langue anglaise sont souvent peu enclins à publier des descriptions de cas, privilégiant au contraire les études analytiques (avec des statistiques). C’est se priver d’une source d’information essentielle qui peut être exploitée par des méthodes d’analyse modernes. Il est indispensable de remettre l’expérience pratique à l’honneur (photo).

À défaut d’études de protocole expérimental rigoureuses, l’intérêt des études d’observation, qui pourraient être plus nombreuses, et des études de description de cas est indéniable. Néanmoins, les praticiens ne sont pas formés à leur réalisation ou n’ont pas le temps nécessaire pour y participer. La profession vétérinaire est, dans certains pays en tout cas, consciente de l’intérêt que pourraient avoir la collection et l’analyse des données issues de la pratique [6].

Les sciences sociales ont également développé des outils de synthèse d’études d’observation et de description de cas multiples, divers et complexes : les méthodes de comparaison des configurations (MCC). Depuis peu, ces dernières sont appliquées à des questions cliniques d’intérêt en médecine humaine, mais cela n’a encore jamais été réalisé en médecine vétérinaire [2, 9, 10]. Or une telle démarche serait la solution au manque crucial de nouvelles synthèses de connaissances à partir d’études plus couramment à disposition, les études d’observation et les descriptions de cas. L’importance nouvellement donnée à ces types d’informations et un dispositif éducatif d’aide à l’écriture permettraient la production d’études descriptives de cas par les praticiens pour alimenter les MCC.

Formation à la médecine factuelle et à l’écriture scientifique

Les praticiens sont en première place pour fournir des descriptions de cas ou de séries de cas, et ne devraient pas hésiter à le faire. Toutefois, afin que ce processus de soumission soit efficace et serein, une méthodologie d’écriture doit être respectée, dont la précision des données cliniques et de leur description est certainement l’élément majeur [14, 15]. Une formation à l’écriture scientifique doit être envisagée dès l’école vétérinaire. Il est en effet possible de former les étudiants à la médecine factuelle et à la recherche dès la deuxième année. La production de minisynthèses méthodiques peut faire partie du programme de premier cycle. L’expérience a montré que les étudiants peuvent être très productifs et très efficaces. Ceux qui sont moins bons sur le plan académique réalisent notamment des travaux de très bonne qualité [16]. Des étudiants de deuxième et de troisième cycle (stagiaires, internes, résidents, MSc [master of science] ou PhD [doctor of philosophy]) associés à différents projets de recherche clinique pourraient également être sollicités pour l’écriture de descriptions de cas.

Conclusion

En raison de l’explosion des savoirs, de nouveaux outils d’information doivent voir le jour. Ils existent, et il ne reste plus qu’à les appliquer à la pratique équine par l’intermédiaire des différents acteurs, praticiens, associations professionnelles, éditeurs, enseignants et étudiants. Cela s’inscrit dans une philosophie plus large de participation de la profession à l’évolution des connaissances.

1. Cockcroft PD, Holmes MA. Handbook of evidence-based veterinary medicine. Blackwell Publishing, Oxford (UK). 2003:224p. 2. El Sherif R, Pluye P, Granikov V et coll. What are the outcomes associated with the use of online consumer health information in primary health care ? In : Challenges of using configurational comparative methods. Panel on mixed studies reviews. Biannual World Conference, Mixed Methods International Research Association (MMIRA), Durham (UK). 2016. http://2015.colloquium.cochrane.org/abstracts/outcomes-use-targeted-online-consumer-health-information-primary-care-participatory 3. Grad R, Pluye P, Repchinsky C et coll. Physician assessments of the value of therapeutic information delivered via e-mail. Can. Fam. Physician. 2014;60 (5):e258-262. 4. Jouquan J, Bail P. À quoi s’engage-t-on en basculant du paradigme d’enseignement vers le paradigme d’apprentissage ? Pédagogie Méd. 2000;4:163-175. 5. King LJ. One world of veterinary medicine. Rev. Sci. Technol. 2009;28:463-480. 6. Lanyon L. Collecting the evidence for EBVM : who pays ? Vet. Rec. 2016;178 (5):120-121. 7. May S. Coping with the knowledge explosion. Conference of the Association for Veterinary Teaching and Research Work. Vet. Rec. 2010;166:638-641. 8. Pluye P, Grad R, Repchinsky C et coll. “Better-than-best” evidence ? Using family physicians’ feedback for 2-way knowledge translation. Can. Fam. Physician. 2014;60 (5):415-417. 9. Rihoux B, Ragin CC. Configura­tional comparative methods. Qualitative Comparative Analysis (QCA) and related techniques. Sage, Thousand Oaks and London. 2009:240 p. 10. Rihoux B. Configurational Comparative Methods (QCA and Fuzzy Sets): Complex causation in cross-case analysis. In : J Woldendorp, H Keman (eds.). Handbook of research methods and applications in political science. Edgar Elgar. 2017:383-399. 11. Vandeweerd JM, Kirschvink N, Clegg P et coll. Is evidence-based medicine so evident in veterinary research and practice ? History, obstacles and perspectives. Vet. J. 2012;191:28-34. 12. Vandeweerd JM, Clegg P, Buczinski S. How can veterinarians base their medical decisions on the best available scientific evidence ? Vet. Clin. North Am. Food Anim. Pract. 2012;28:1-11. 13. Vandeweerd JM, Vandeweerd S, Gustin C et coll. Understanding the decision-making process by veterinary practitioners : implications for veterinary medical education. J. Vet. Med. Educ. 2012;39:142-151. 14. Vandeweerd JM, Perrin R, Launois T, Brogniez L. Publier une description de cas : une action utile en pratique équine. Prat. Vét. Équine. 2013;45:177. 15. Vandeweerd JM. Publier une description de cas : une action utile par et pour les praticiens. Point Vét. 2013;336:10-13. 16. Vandeweerd JM. Pourquoi et comment intéresser les étudiants à la recherche vétérinaire ? Prat. Vét. Équine. 2016;190:46-51.

CONFLIT D’INTÉRÊTS : AUCUN

ÉLÉMENTS À RETENIR

• L’information scientifique est indispensable pour prendre de bonnes décisions, mais les outils actuels ne sont pas adaptés à la pratique vétérinaire.

• Il convient de mieux intégrer l’expérience des praticiens dans les connaissances.

• De nouveaux outils sont nécessaires pour permettre la gestion de synthèses de connaissances, l’évaluation de leur pertinence sur le terrain et l’utilisation des cas rencontrés par les praticiens.

ENCADRÉ : OBSTACLES À L’APPLICATION DE LA MÉDECINE FACTUELLE DANS LE DOMAINE VÉTÉRINAIRE

• Certains obstacles à l’application de la médecine factuelle sont liés au contexte de la recherche vétérinaire et à la difficulté de produire une information scientifique de haut niveau de preuve et de qualité : recrutement difficile des animaux, d’où un échantillonnage problématique aux fins d’une analyse statistique adéquate, paramètres étudiés souvent subjectifs (avis des propriétaires, évaluation clinique par le vétérinaire) et rarement obtenus par des instruments de mesure objectifs, faible proportion d’études de protocole expérimental rigoureux telles que des essais cliniques, études prospectives.

• Ces études de recherche de haut niveau ne se multiplient pas facilement pour des raisons méthodologiques, éthiques et financières. De plus, elles restent limitées aux populations de cas cliniques rencontrés dans les universités, et non sur le terrain par les praticiens équins. Les bases de données publiées ne sont pas toujours accessibles gratuitement. Et même si elles l’étaient, les vétérinaires ne sont pas des experts en recherche des publications, ni en évaluation de leur qualité. Divers outils en ligne (sites web d’information vétérinaire) existent qui tentent de mettre à disposition des résumés d’articles ou des publications entières. Cependant, comme en médecine humaine, les praticiens équins disposent de peu de temps pour rechercher des données scientifiques relatives à une question clinique spécifique, ou pour lire et s’informer. Enfin, les synthèses méthodiques restent rares, sont dans tous les cas difficiles à lire et concluent trop souvent à une insuffisance de qualité des données existantes.

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