Comment réaliser une fluidothérapie chez un poulain ? - Pratique Vétérinaire Equine n° 194 du 01/04/2017
Pratique Vétérinaire Equine n° 194 du 01/04/2017

NEONATOLOGIE

Cahier pratique

Fiche pratique

Auteur(s) : Johanne Vanderstock

Fonctions : Centre hospitalier vétérinaire
équin de Livet
Cour Samson
14140 Saint-Michel-de-Livet
vanderstock@chve-livet.com

Une fluidothérapie bien adaptée aux besoins du poulain est l’un des traitements les plus efficaces de la médecine néonatale (encadré). L’administration adéquate de fluide intraveineux est un point essentiel de la gestion de nombreuses affections du nouveau-né (septicémie, entérocolite, rupture de vessie, etc.).

Différences entre le poulain et l’adulte

Il existe de multiples variations physiologiques entre le nouveau-né et le cheval adulte qui ont des répercussions sur la gestion de la fluidothérapie. Comparativement aux chevaux adultes, les poulains sont composés, proportionnellement, de plus d’eau (0,78 l/kg versus 0,65 l/kg). La distribution des liquides extracellulaires est également différente : la barrière entre les compartiments vasculaire et interstitiel est davantage perméable, et l’espace interstitiel est très lâche et environ 10 fois plus élastique que celui des adultes. De plus, le flux lymphatique est cinq fois plus rapide chez le poulain.

En conséquence de ces spécificités, la rétention des fluides cristalloïdes dans le compartiment vasculaire est donc beaucoup plus faible que chez l’adulte (6 à 7 % versus 20 à 50 %) et l’augmentation de la pression sanguine est très transitoire. Chez le nouveau-né, les capacités du rein à excréter l’eau libre et le sodium sont limitées, expliquant une faible compensation face à une surcharge volumique. Les poulains sont donc particulièrement sensibles à la surhydratation et au développement d’un œdème.

Ils sont également plus sensibles que les adultes aux pertes hydriques car ils présentent un métabolisme basal plus élevé, une surface corporelle proportionnellement plus importante et une capacité inférieure à concentrer leurs urines.

Calcul d’un plan de fluidothérapie basique pour un poulain

Le plan de fluidothérapie doit couvrir les besoins associés à la maintenance, aux déficits en fluides (déshydratation) et aux éventuelles pertes à venir (diarrhée, reflux gastrique, etc.) (figure 1 et tableau 1).

Les besoins de maintenance d’un poulain en période néonatale sont de 100 ml/kg/j.

Les déficits en fluides (calculés en litres) sont liés à la déshydratation et sont calculés en multipliant le pourcentage de déshydratation par le poids du poulain.

Les pertes liées à la diarrhée peuvent être importantes et atteindre jusqu’à 15 à 20 l/j lorsqu’elle est aqueuse et abondante.

En cas de déshydratation légère à modérée et lorsque le tractus gastro-intestinal n’est pas compromis, une partie des fluides peut être apportée par voie entérale, par du lait ou des solutions de réhydratation entérale.

Lors de déshydratation plus sévère, ou si le tube digestif n’est pas fonctionnel, la méthode de choix pour apporter des fluides est la voie intraveineuse (tableau 2).

Choix du fluide

En ce qui concerne le type de fluide à administrer, dans l’ignorance du statut électrolytique de l’animal, un fluide cristalloïde équilibré en électrolytes, avec des concentrations proches des concentrations plasmatiques, est conseillé, tel que la solution de Ringer lactate. Il existe des fluides plus équilibrés que le Ringer lactate, le Plasmalyte® par exemple, qui n’est pas commercialisé en France.

En médecine humaine, le fluide de choix pour la réanimation est la solution de chlorure de sodium (NaCl) 0,9 %. Ce type de fluide n’est utilisé que lors de conditions particulières (hyperkaliémie) chez le poulain. En effet, le NaCl a tendance à être acidifiant. Or les poulains hypovolémiques sont souvent en acidose métabolique.

Pour la même raison, les solutions de NaCl hypertoniques ne sont pas utilisées dans la réanimation du poulain nouveau-né. Elles provoquent également des changements d’osmolarité rapides dans le compartiment vasculaire qui peuvent mener à des ruptures de vaisseaux et à des hémorragies cérébrales.

Les solutés cristalloïdes entraînent une expansion du volume vasculaire très temporaire. En effet, ils ont tendance à fuir rapidement le compartiment vasculaire vers le compartiment extravasculaire. Afin de permettre une meilleure rétention des fluides dans le compartiment vasculaire, les colloïdes (synthétiques ou naturels) peuvent être utilisés. Composés de particules de poids moléculaire plus important, ils présentent une moindre tendance à passer la barrière capillaire et provoquent une plus forte augmentation de la pression oncotique.

Si le poulain reste hypovolémique malgré la restauration de fluide, l’emploi de vasopresseurs tels que la dobutamine est indiqué. Une perfusion continue peut être débutée à un débit de 2 mg/kg/min. Selon l’évolution des paramètres cliniques et des valeurs de lactates sanguins (norme < 2,5 mmol/l), la dobutamine peut être augmentée progressivement de 2 mg/kg/min jusqu’à un dosage maximal de 8 mg/kg/min.

Débit d’administration des fluides

Une fois que le volume de fluide à perfuser est calculé, il ne reste plus qu’à choisir le débit d’administration. En cas d’hypovolémie, un bolus de 20 ml/kg (1 l pour un poulain de 50 kg) peut être perfusé sur une période de 10 à 20 minutes pour compenser rapidement le déficit. Ensuite, les paramètres cliniques (qualité du pouls, température des extrémités, fréquence cardiaque) sont réévalués et un deuxième, voire un troisième bolus de fluide de 20 ml/kg peuvent être administrés [2].

La fluidothérapie peut donc être poursuivie avec une perfusion continue en prenant en compte le volume lié aux besoins de maintenance et aux éventuelles pertes à venir. Par exemple, pour un poulain de 50 kg, les besoins de maintenance de 100 ml/kg/j peuvent être couverts par une perfusion continue de fluides cristalloïdes à un débit de 208 ml/h (50 kg x 100 ml/kg/j sur 24 heures), soit un peu plus de 1 goutte/s avec un perfuseur de 20 gouttes/ml.

Glucose

Chez le poulain, une glycémie stable est difficile à obtenir lorsque l’animal ne tète pas régulièrement. Dans ce cas, il est important de mettre en place rapidement une perfusion continue de glucose afin de combler, au moins partiellement, les besoins énergétiques. Un apport de 2 à 8 mg/kg/min de glucose en perfusion continue est conseillé. Toute modification du débit de glucose doit être réalisée très progressivement car les hypo- et les hyperglycémies sont à éviter. L’apport idéal est proche du taux de transfert de glucose placentaire, c’est-à-dire 6,8 mg/kg/min [4]. Cependant, les poulains compromis présentent parfois une mauvaise tolérance aux apports de glucose exogène et deviennent hyperglycémiques. L’usage d’insuline permet alors de stabiliser la glycémie (0,4 UI/kg d’insuline régulière).

Du glucose à une concentration de 30 % est préférable à du glucose 5 % car ce dernier apporte proportionnellement trop d’eau libre et augmente le risque d’œdème [5].

Cas particuliers

Septicémie

Les poulains septicémiques sont souvent hypovolémiques à la suite d’une vasodilatation provoquée par la circulation de cytokines inflammatoires. Les signes cliniques typiques de l’hypovolémie sont une augmentation du temps de remplissage des veines jugulaires, des extrémités froides, un pouls faible, un temps de remplissage capillaire augmenté, une tachycardie, une tachypnée, etc. En ce qui concerne les analyses sanguines, un paramètre fiable pour évaluer l’hypoperfusion périphérique est l’élévation des lactates sanguins.

Ces poulains septicémiques sont particulièrement sensibles à la surcharge en fluide, même à des débits classiques de maintenance de 100 ml/kg/j. Dans ce cas, une solution alternative est l’utilisation de la formule de Holliday-Segar : le calcul de la maintenance en fluide est fondé sur une estimation du métabolisme basal en fonction de la surface corporelle, plutôt que sur le poids du poulain [3, 5]. Cette formule permet de prévenir les surcharges en volume et est applicable chez les poulains de moins de 100 kg. Les besoins pour les 10 premiers kilos de l’animal sont estimés à 100 ml/kg/j, pour les 10 kg suivants, à 50 ml/kg/j, et, pour les kilos supplémentaires, à seulement 25 ml/kg/j (figure 2).

Par exemple, pour un poulain de 50 kg, la formule est la suivante : 10 kg x 100 ml/kg/j + 10 kg x 50 ml/kg/j + 30 kg x 25 ml/kg/j, ce qui fait un volume de 2 250 ml/j. Si la formule classique était appliquée, un volume total de 5 000 ml/j serait obtenu.

Les poulains en sepsis ont besoin, encore plus que les autres poulains, de bénéficier d’un transfert d’immunité passive adéquat afin de mieux combattre l’infection. En cas de transfert inadéquat, une administration de plasma frais ou congelé permet un apport d’anticorps, avec les avantages des colloïdes (photo 1).

Entérocolite

Les poulains compromis, et en particulier les animaux atteints d’une entérocolite, surtout lorsque celle-ci dure depuis un temps certain, présentent souvent une acidose métabolique (photo 2). Ce trouble de l’équilibre acido-basique est lié en grande partie à l’accumulation d’acides (acide lactique) et parfois aussi à la perte de tampon (bicarbonate [HCO3-]). Pour cette raison, il est conseillé de restaurer dans un premier temps une bonne perfusion tissulaire afin de favoriser l’élimination de lactate tissulaire. Une réévaluation du statut acido-basique est ensuite recommandée.

Si le pH sanguin reste inférieur à 7,2 et/ou que le déficit en base est supérieur à 10 meq/l, du bicarbonate de sodium (NaHCO3) peut être administré dans un second temps. Ce soluté est utilisable seulement lorsque la fonction respiratoire n’est pas compromise car le CO2 qui résulte de la métabolisation du NaHCO3 est éliminé par cette voie. Le déficit en bicarbonate est calculé selon la formule : 0,6 x poids (kg) x déficit en base (mEq). La moitié des besoins en NaHCO3 est administrée sur 6 heures, puis le statut acido-basique de l’animal est réévalué. En fonction des résultats obtenus, les fluides pour couvrir les besoins éventuellement restant sont administrés.

Rupture de vessie

Les poulains avec une rupture de vessie présentent des modifications biochimiques typiques : une hypercréatininémie (normes : 0,6 à 2 mg/dl), une hyperkaliémie (normes : 4,8 ± 1,4 meq/l), une hyponatrémie (normes : 142 ± 19 meq/l) et une hypochlorémie (normes : 101 ± 11 meq/l), associées à une acidose métabolique. Ces changements électrolytiques sont également observés lors de myopathie et dans certains cas d’entérocolite. L’urgence est alors, avant la correction chirurgicale, la résolution de l’hyperkaliémie, car cette dernière peut entraîner une bradyarythmie possiblement fatale (photo 3). Pour ce faire, les fluides de choix sont l’administration de chlorure de sodium 0,9 %, de glucose et, éventuellement, de NaHCO3 selon le statut acido-basique.

  • 1. Corley K. Equine hospital manual. Blackwell, Oxford, UK. 2008:365p.
  • 2. Corley K, Axon J. Resuscitation and emergency management for neonatal foals. Vet. Clin. Equine Pract. 2005;21:431-455.
  • 3. Holliday MA, Segar WE. The maintenance need for water in parenteral fluid therapy. Pediatrics. 1957;19:823-832.
  • 4. Silver M, Comline RS. Fetal and placental O2 consumption and uptake of different metabolites in the ruminant and horse during late gestation. Adv. Exp. Med. Biol. 1976;75:731-736.
  • 5. Spalding HK, Goodwin SR. Fluid and electrolyte disorders in the critically ill. Sem. Anesth. Perioperative Med. Pain. 1999;18(1):15-26.

CONFLIT D’INTÉRÊTS : AUCUN

ENCADRÉ : OBJECTIFS DE LA FLUIDOTHÉRAPIE

• Restaurer et maintenir la fonction cardio-vasculaire et provoquer une augmentation du débit cardiaque.

• Améliorer la pression de perfusion tissulaire.

• Corriger la déshydratation et stabiliser les signes vitaux.

• Rétablir l’équilibre acido-basique.

• Corriger les désordres électrolytiques.

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