Un cas d’accrochement chronique de la rotule chez un étalon de trait - Pratique Vétérinaire Equine n° 191 du 01/07/2016
Pratique Vétérinaire Equine n° 191 du 01/07/2016

ORTHOPÉDIE

Cahier scientifique

Cas clinique

Auteur(s) : François-Xavier Lalèyê

Fonctions : Responsable du bien-être des animaux
(Animal Welfare Officer),
Afrique de l’Ouest
Brooke West Africa Office
Impasse 58-60, rue Jules-Ferry,
Dakar, Sénégal
BP 22482 Dakar Ponty
francoislaleye@hotmail.com

L’accrochement de la rotule n’est pas rare, mais son passage à la chronicité, qui peut s’accompagner d’une amyotrophie localisée, l’est relativement plus. Ce cas présente la gestion d’un accrochement de rotule depuis plus de 3 mois, avec une contribution majeure de la physiothérapie.

Un étalon de trait utilisé par son propriétaire au Sénégal pour le transport de marchandises et rarement de personnes, âgé de 7 ans et de race locale sénégalaise (mélange de mpar et de mbayar), est présenté en consultation pour une boiterie chronique du membre postérieur droit.

Cas Clinique

Motif de consultation et anamnèse

Trois mois auparavant, l’étalon a présenté une boiterie du membre postérieur droit sans origine connue. Différents agents et docteurs vétérinaires ont tenté de le traiter essentiellement avec des anti-inflammatoires injectables sans aucun succès. Le propriétaire a consulté plusieurs tradi-praticiens (rebouteux locaux) qui, eux non plus, n’ont pu guérir l’animal. Les différents intervenants ne sont pas d’accord sur la localisation de la boiterie. Nous examinons l’étalon en clinique ambulatoire avant de le référer dans notre clinique pour son traitement.

Examen clinique

À distance

L’étalon présente un bon état corporel (3/5). Les initiales AD sont présentes sur la croupe et la cuisse droite. Elles correspondent aux initiales de son propriétaire. Le membre postérieur droit est en extension, soit décalé de 15 à 20 cm en arrière ou en avant du membre postérieur gauche avec la sole reposant en partie sur le sol et les talons décollés, soit avec le pied en contact avec le sol par la partie dorsale de la pince (photo 1). Une importante amyotrophie de tous les muscles de la croupe (fessiers superficiels, moyens, profonds et glutéo-biceps) provoquant une extériorisation de la pointe de la hanche droite est observée (photo 2). La cuisse droite présente une amyotrophie du quadriceps fémoral.

Palpation

À la palpation, la rotule apparaît bloquée et impossible à déplacer. Le grasset et le jarret ne peuvent être fléchis, et le cheval est douloureux et se défend. Seule la flexion du boulet est possible.

Le pied droit est long en pince. Son examen ne révèle aucune anomalie et le test à la pince est négatif.

Examen en mouvement

L’étalon présente une boiterie de grade 4/5. Il traîne littéralement le membre postérieur droit avec la face dorsale et la pince en contact du sol. Le jarret et le grasset droits restent raides.

Diagnostic et pronostic

Face à ce tableau symptomatique, l’hypothèse d’un accrochement permanent chronique (3 mois) de la rotule avec une amyotrophie de plus de 50 % des masses musculaires de la croupe et de la cuisse est retenue. Le traitement proposé au propriétaire est chirurgical et consiste en la desmotomie du ligament patellaire médial. La chronicité de l’affection et l’importance de l’amyotrophie assombrissent fortement le pronostic. Pour augmenter la probabilité de guérison, il est prévu de faire travailler le cheval pour remuscler sa croupe et sa cuisse droite.

Traitement

L’intervention chirurgicale s’effectue sous forte sédation. Le cheval reçoit 0,8 mg/kg de xylazine par voie intraveineuse. De la pénicilline est administrée à la dose de 2 200 000 UI (pendant 3 jours) ainsi que 2,2 mg/kg de phénylbutazone (une fois par jour, pendant 2 jours) et une injection de 25 000 UI de sérum antitétanique. Deux entraves (moyen de contention auquel sont habitués les chevaux de trait sénégalais) sont mises en place (photo 3). Une anesthésie locale est réalisée avec 2 ml de lidocaïne.

La petite plaie chirurgicale est refermée par deux points simples. Aucun bandage n’est mis en place et les soins locaux se limitent à du spray cicatrisant deux fois par jour avec une surveillance stricte (recherche de chaleur, d’écoulement et/ou de douleur) du site chirurgical.

Dans les heures qui suivent l’intervention, aucune modification de la démarche n’est constatée.

Suivi et complications éventuelles

La première semaine suivant l’intervention chirurgicale, l’étalon est mis au repos strict en box paillé. Tout au long de la deuxième semaine, des séances de massage de 15 minutes sont pratiquées matin et soir. La première semaine, elles sont réalisées avec une pommade à base d’huile de laurier, d’eucalyptol, de matricaire, de calendula, de menthol, d’huiles essentielles de cajeput, de noix de muscade et de cèdre (Vegebom (r) baume végétal cheval). Le massage concerne le quadriceps et les muscles du plat de la cuisse. Une séance de massage se déroule comme suit :

- 10 mouvements de haut en bas effectués entre le pouce et les quatre doigts de la main droite, puis 10 autres de la main gauche (soit 20 mouvements au total) ;

- la friction énergique avec le poing droit (10 mouvements) des muscles du plat de la cuisse (toute la largeur de la cuisse, soit trois séries), puis le poing gauche dix fois, soit un total de 40 mouvements ;

- ensuite le quadriceps fémoral est empoigné par la main droite et saisi sporadiquement de haut en bas dix fois. L’opération est répétée avec la main gauche (soit 20 mouvements au total) ;

l’opérateur effectue 10 mouvements de haut en bas ses mains et doigts réunis formant un angle de 90° avec la paume de la main et placés latéralement (main gauche) et médialement (main droite) au quadriceps fémoral ;

- l’opérateur termine le cycle en effectuant 10 mouvements de haut en bas, ses mains et doigts réunis formant un angle de 90° avec la paume de la main, et placés latéralement (main gauche) et médialement (main droite) au muscle gastrocnémien.

Au cours de cette semaine de massage, une attention particulière est portée à la plaie chirurgicale pour éviter de la traumatiser directement soit méca­niquement (massage) soit par un contact avec la pommade de massage. Le cycle complet est répété trois fois, soit environ 15 minutes pour une séance.

Les points de suture sont retirés 12 jours après l’intervention. La plaie a cicatrisé sans complication.

Après cette semaine de massage (soit 2 semaines après l’intervention), l’étalon ne présente aucune amélioration de sa boiterie et son membre reste bloqué en extension. Cependant, visuellement, l’amyotrophie des muscles de la croupe et de la cuisse commence légèrement à se réduire. Celle du quadriceps ne présente pas d’évolution visible.

Les massages sont arrêtés et, dès la troisième semaine, l’étalon est mis au travail avec deux séances par jour se déroulant comme suit :

- montée et descente d’une petite colline 15 minutes pendant 1 semaine puis 20 minutes pendant 3 semaines (4e, 5e et 6e semaine postchirurgie) ;

- à la fin de chaque séance, l’étalon regagne son box (5 minutes) en marchant à reculons ;

- de la 7e à la 10e semaine, les séances de l’étalon consistent à la marche à reculons pendant 20 minutes sur sol sableux deux fois par jour, soit 40 minutes d’exercice journalier (tableau).

Résultats

Nous observons dès la 3e semaine une diminution de l’amyotrophie du quadriceps fémoral et des fessiers. Cependant, le membre reste toujours en extension. C’est à partir du 50e jour (8e semaine) que l’étalon arrive à fléchir son membre, d’abord de façon raide, puis très rapidement de façon plus souple jusqu’à arriver à se gratter l’oreille avec ce même membre (photo 4). Il est remis à son propriétaire à la fin de la 10e semaine de traitement avec des consignes strictes (30 minutes de marche en main deux fois par jour et reprise du travail après 1 mois). Des visites 2 et 4 mois après la sortie de l’étalon de notre clinique (soit 130 et 190 jours postchirurgie) permettent de constater un retour à la normale sans aucune trace visible de récidive.

Discussion

Physiopathologie de l’accrochement de la rotule

L’accrochement de la rotule est une affection fréquente touchant toutes les races de chevaux. Le cheval dispose d’un mécanisme pour rester de longues périodes debout (au cours d’une partie de son sommeil par exemple) sans trop solliciter sa musculature. La rotule, prenant appui sur la lèvre fémorale médiale, bloque l’articulation en extension. En cas de flexion et pour quitter cette position, le quadriceps fémoral doit soulever la rotule par-dessus la lèvre fémorale médiale et la replacer dans la trochlée où elle coulisse et permet la flexion. L’accrochement de la rotule survient quand le ligament patellaire médial se bloque sur la lèvre fémorale médiale de la trochlée et empêche le retour de la rotule à sa position normale. Cette affection a une incidence marquée chez les chevaux de petite taille ou les chevaux présentant des anomalies de conformation, un manque d’exercice et un mauvais état général [2, 3].

Prévention et traitement

Prise en charge

Une prise en charge médicale est conseillée dès l’apparition des symptômes. Elle consiste à faire travailler le cheval pour renforcer le ligament patellaire médial de la cuisse et permettre le glissement de la rotule sur les lèvres de la trochlée, empêchant ainsi son accrochement [1]. Il y a 20 ans, le traitement médical consistait essentiellement à faire travailler le cheval, à monter et à descendre une colline, et à marcher en cercle plus ou moins serré. Sur les lésions plus anciennes ou ne répondant pas favorablement au traitement médical, un traitement chirurgical fondé sur la desmotomie du ligament patellaire médial peut être mis en place [7]. Le splitting du tiers proximal du ligament patellaire médial est également une technique chirurgicale qui a montré une très bonne efficacité. Son principe est de réaliser des lacérations longitudinales du ligament patellaire médial, ce qui, après cicatrisation, va augmenter la taille du ligament pour faciliter le glissement de ce dernier latéralement. L’intervention peut nécessiter d’être répétée plusieurs fois avant d’obtenir un épaississement satisfaisant. Celle-ci doit s’accompagner d’un programme de musculation et d’un suivi échographique régulier [6]. Cette technique, pour un résultat optimal, doit être réalisée sous anesthésie générale et de façon échoguidée. Il est possible de la pratiquer sur cheval debout et à l’aveugle, mais dans ce cas les risques de complication sont élevés. Sa mise en œuvre pour ces différentes raisons n’a pas été envisagée dans la gestion du cas décrit.

Accompagnement postopératoire et rééducation fonctionnelle

La particularité du cas décrit est sa chronicité (plus de 90 jours) qui oblige à combiner un traitement chirurgical (desmotomie) et un traitement médical pour rendre aux muscles leur morphologie normale. La majorité des auteurs sont d’accord pour conseiller un repos strict ou accompagné d’un travail léger (marche en main) pendant au moins 1 à 3 mois après l’intervention, ce qui diminue le risque de séquelles postchirurgicales (fragmentation de la rotule entre autres) [4]. Dans le cas décrit, l’amyotrophie très avancée ne permet pas de respecter ce délai au risque de ne plus pouvoir récupérer les muscles de la cuisse et la physiothérapie débute 1 semaine après l’intervention chirurgicale. La semaine de massage a permis de stimuler les muscles en favorisant la circulation sanguine, les préparant ainsi au travail des semaines suivantes.

Le blocage quasi permanent du membre en extension n’a pas facilité les exercices sur la colline (montée/descente), l’étalon traînant son membre dans les descentes, mais prenant appui sur lui dans les montées. Un fort tremblement des muscles de la cuisse du membre en extension était visible à la fin des exercices sur la colline.

La marche à reculons n’est citée que pour remettre ponctuellement la rotule en place, quand l’accrochement se produit de façon fortuite plus ou moins régulièrement ou au cours d’un examen orthopédique [7, 8]. Cependant, elle n’est pas souvent citée comme moyen de prévention et de traitement de l’accrochement de la rotule au cours de séances régulières. Dans ce cas précis, elle a permis de débloquer la rotule et a contribué à un retour relativement rapide à la normale. C’est un exercice difficile à mettre en place au début, mais, une fois le cheval habitué, la séance se déroule aisément avec de petites pauses tous les 30 mètres. L’étalon présentait un fort tremblement des muscles de la cuisse à droite comme à gauche au cours des séances. Il serait intéressant d’étudier si cet exercice est aussi performant voire plus que celui de la montée et de la descente d’une colline dans le traitement de l’accrochement de la rotule.

Le retour à la normale apparaît au bout du 56e jour. Il est très long par rapport à la normale (14 à 42 jours), mais en tenant compte de la forte amyotrophie et de la chronicité de la lésion (plus de 90 jours), ce temps est acceptable [5].

Faute d’appareils d’imagerie médicale disponibles (radiographie et échographie), aucune évaluation ni aucun suivi des lésions n’ont pu être réalisés pour mesurer le degré d’amyotrophie et sa régression. Seuls un examen visuel et une palpation ont été utilisés.

Conclusion

L’affection chronique de la rotule avec amyotrophie est relativement rare. Quand elle se produit, la combinaison de gestions chirurgicale et médicale fondées sur la physiothérapie peut contribuer à un retour à la normale plus ou moins rapidement. Les massages et la marche à reculons semblent apporter des résultats satisfaisants.

  • 1. Dumoulin M, Pille F, Desmet P et coll. Upward fixation of the patella in the horse. Vet. Comp. Orthop. Traumatol. 2007;20:119-125.
  • 2. Dyson S. Normal ultrasonographic anatomy and injury of the patellar ligaments in the horse. Equine Vet. J. 2002;34:258-264.
  • 3. Edge-Hughes L. Equine back pain. Orthop. Pract. 2007;19:122-125.
  • 4. Krammer J. Medial patellar desmotomy. In: Manual of equine field surgery. Wilson D, kramer J, Constantinescu G et coll. Saunders Elsevier, Missouri. 2006:80-76.
  • 5. King C, Mansmann R. Lameness: recognizing and treating the horse’s most common ailment. Guilford Conn., The Lyons Press. 1997:1048p.
  • 6. Lechartier A, Mespoulhès-Rivière. Comment traiter un accrochement de patella, dit rotule chez le cheval. Le Nouv. Prat. Vét. Equine. 2011;25 (7):47-53.
  • 7. Murray R, Dyson S, Tranquille C et coll. Association of type of sport and performance level with anatomical site of orthopaedic injury and injury Diagnosis. Equine Vet. J. 2006;36 (Suppl.) 411-416.
  • 8. Tnibar M. Medial patellar ligament splitting for the treatment of upward fixation of the patella in 7 equines. Vet. Surg. 2002;3:462-467.
  • 9. Walmsley J. the stifle. In: Diagnosis and management of lameness in the horse. Ross M, Dyson S. 2nd ed. Hardcover. 2010:460-470.

CONFLIT D’INTÉRÊTS : AUCUN.

ÉLÉMENTS À RETENIR

• La desmotomie du ligament patellaire médial est une pratique courante dans le traitement des cas aigus d’accrochement de la rotule.

• Le suivi postopératoire est déterminant pour le retour au travail du cheval.

• Une bonne physiothérapie et des exercices simples mais réguliers permettent de faire disparaître une forte amyotrophie et un blocage chronique de la rotule.

• La marche à reculons apporte des résultats intéressants et peut être associée à la prévention ou au traitement des cas chroniques ou répétitifs d’accrochement de la rotule.

Remerciements

L’auteur tient à remercier le personnel du Haras national de Kébermer qui a participé de près ou de loin à la gestion du cas de l’étalon : le capitaine Mamadou Barro, le capitaine Mamadou Diarra, le doyen Daouda Sylla, les palefreniers Allah Gueyé et Ngor.

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