Un cas de bande pariétale circonférentielle de l’intestin grêle traitée chirurgicalement - Pratique Vétérinaire Equine n° 190 du 01/04/2016
Pratique Vétérinaire Equine n° 190 du 01/04/2016

CHIRURGIE DIGESTIVE

Cahier scientifique

Cas clinique

Auteur(s) : Anne-Christine François*, Cyril Tricaud**, Valérie Picandet***, Mélanie Dobromylskyj****, Matthieu Cousty*****

Fonctions :
*Clinique équine de Livet, cour Samson,
14140 Saint-Michel-de-Livet
**Clinique équine de Livet, cour Samson,
14140 Saint-Michel-de-Livet
***Pathology, The Royal Veterinary College,
Hawkshead Lane, North Mymms,
Hatfield Herts AL9 7TA, Angleterre

Les bandes pariétales circonférentielles sont une forme particulière de maladie infiltrative localisée à l’intestin. Peu?décrites, elles sont à l’origine de coliques qui nécessitent une laparotomie thérapeutique.

Les bandes pariétales circonférentielles sont une cause de colique non étranglée du petit intestin rapportée au Royaume-Uni, mais pas en France. L’objectif est de présenter un cas rencontré en France.

Cas clinique

Un poney connemara hongre de 8 ans est référé à la clinique de Livet pour des coliques ne répondant pas aux analgésiques. À son arrivée, le poney est calme, mais présente des signes récurrents de douleur abdominale. Les anomalies rencontrées à l’examen clinique d’admission sont une fréquence cardiaque à 56 battements par minute (bpm), une déshydratation estimée entre 0 et 5?% (muqueuses légèrement sèches et remplissage jugulaire lent), ainsi que des bruits digestifs diminués dans les cadrans droits.

Examens complémentaires

Une numération formule et une biochimie sanguines sont réalisées. Aucune anomalie significative n’est constatée. Un sondage naso-gastrique est pratiqué et aucun reflux n’est obtenu.

L’intestin grêle paraît distendu à la palpation transrectale. L’échographie trans­abdominale montre une distension de l’intestin grêle (diamètre supérieur à 8 cm), une diminution de la motilité avec des parois d’épaisseurs normales et une augmentation de la quantité de liquide péritonéal. La paracentèse pratiquée ne révèle pas d’anomalie significative (900 leucocytes/µl, 18 g/l de protéines et 3 mmol/l de lactate). Au regard de l’état clinique du poney et des examens complémentaires, une laparotomie exploratrice est proposée.

Intervention chirurgicale

Préparation

Le poney est placé sous traitement antibiotique avant l’intervention (ceftiofur 2,2 mg/kg par voie intraveineuse [IV] deux fois par jour, gentamicine 6,6 mg/kg IV une fois par jour) et anti-inflammatoire (flunixine méglumine 1 mg/kg IV une fois par jour). Le poney est positionné en décubitus dorsal sous anesthésie générale balancée (kétamine/romifidine/butorphanol et isoflurane). Une préparation chirurgicale standard de l’abdomen est réalisée.

Laparotomie exploratrice

Une laparotomie ventrale médiane est pratiquée sur la ligne blanche. La cavité abdominale est explorée selon une méthode systématique et standardisée. Une zone de striction circonférentielle de 1 cm de long est mise en évidence à la jonction jéjuno-iléale. Une surcharge de la courbure pelvienne est aussi présente. Des massages répétés de l’intestin grêle sont pratiqués afin de vidanger son contenu vers le cæcum. La striction gênant fortement la vidange manuelle, une résection de 10 cm et une anastomose jéjuno-iléale est envisagée. Les vaisseaux mésentériques sont ligaturés de manière conventionnelle avec un fil résorbable monofilament USP 0 (déc. 3,5). Le mésentère est sectionné en réalisant un angle de 60° pour élargir la taille de l’abouchement. L’anastomose est effectuée en deux plans après la mise en place de drain de Penrose, pour limiter les contaminations du contenu, et de points de tension mésentérique et antimésentérique (photos 1 et 2) :

– suture de la muqueuse avec un surjet simple interrompu à 180° avec un fil résorbable monofilament USP 2-0 (déc. 3), aiguille ronde (photo 3) ;

– suture de la couche musculeuse avec un surjet de Lembert avec un fil résorbable monofilament USP 2-0 (déc. 3), aiguille ronde.

Le mésentère est rapproché avec un fil résorbable monofilament USP 0 en fin de procédure en raison de la petite taille de la résection (photo 4).

Une entérotomie de la courbure pelvienne est réalisée pour vidanger la courbure pelvienne. Elle est suturée de manière conventionnelle en deux plans avec un fil résorbable monofilament USP 0. La cavité abdominale est lavée avec du lactate de Ringer. Les organes abdominaux sont remis à leur emplacement physiologique. La ligne blanche est suturée de manière conventionnelle avec un surjet simple à l’aide d’un fil polyfilament résorbable USP 5 (Vicryl® boucle). Un surjet sous-cutané est réalisé avec un fil polyfilament résorbable USP 2-0. Des agrafes sont placées sur la peau ainsi qu’un pansement collant pour le réveil du poney. Le réveil est assisté aux cordes. Dès que le poney est debout, un pansement abdominal est mis en place.

Hospitalisation

L’hospitalisation s’est déroulée sans complication majeure. Une hyperthermie ponctuelle a été notée à J2 et un élargissement du spectre des antibiotiques par l’ajout de métronidazole (25 mg/kg par voie rectale trois fois par jour) est effectué. Le poney présente ce même jour de discrets signes d’inconfort. De l’oméprazole 1 mg/kg (dose préventive Sykes et coll. consensus 2015) per os (PO) une fois par jour est rajouté au traitement ainsi que du sucralfate PO trois fois par jour [6]. Une réalimentation progressive est mise en place avec de l’herbe, puis du foin mouillé 2 jours plus tard et des grains spécifiques (Convalescent Diet® Dodson et Horell). Elle se déroule sans difficulté.

Suivi et convalescence

Le poney rentre à l’écurie à J10 avec du foin mouillé à volonté et du Convalescent Diet® est conseillé pour une durée de 15 jours avant de reprendre une alimentation normale. Les agrafes sont retirées à J15 et un pansement abdominal est remis en place pour 10 jours.

Le poney reste au box pendant 1 mois. Par la suite, il est marché en main deux fois par jour, à raison de 5 à 10 minutes pendant 1 mois. Puis il sort dans un petit paddock individuel pendant 1 mois. Après 3 mois, le poney a repris son activité habituelle.

Histopathologie

Le prélèvement expose trois parties distinctes. La première présente des villosités d’architecture normale, un œdème de la lamina propria et une lymphangectasie dans certaines villosités. La deuxième partie, dont la muqueuse est un peu plus atteinte, montre des zones focales de perte des entérocytes, des cellules inflammatoires dans la lamina propria, des villosités et un exsudat des cellules inflammatoires en surface des villosités (photo 5). La troisième partie, dont la muqueuse est la plus affectée, met en évidence une perte totale des villosités, des cryptes ouvertes sur la surface et un exsudat inflammatoire important contenant des éosinophiles et des neutrophiles, des noyaux nécrotiques, des débris cellulaires, des érythrocytes et de la fibrine (photo 6). La réponse inflammatoire s’étend à travers la lamina propria jusqu’à la sous-muqueuse (photo 7). Un diagnostic d’entérite ulcérative, nécrotique focalement, étendue et modérément active, de l’intestin grêle est établi. Ces lésions sont compatibles avec des bandes pariétales circonférentielles (circumferential mural band).

Discussion

Incidence des bandes pariétales circonférentielles

L’aspect en bande pariétale circonférentielle et l’histopathologie de la portion d’intestin grêle sont en faveur de lésions focales consécutives à une maladie infiltrative particulière. Les bandes pariétales circonférentielles ont été rapportées en Angleterre, en Irlande et aux États-Unis [1, 3, 5]. À notre connaissance, cela n’a pas été rapporté en France.

Dans une large étude rétrospective irlandaise récente, 28 cas ont été identifiés sur une période de 5 ans et demi et sur un effectif de 559 cas de coliques gérées chirurgicalement. Dans la majorité des cas, une décompression manuelle de l’intestin grêle a été suffisante. Sur un cas, une anastomose a été réalisée sur la partie distale du jéjunum en raison d’une obstruction supérieure à 80 % du diamètre de la lumière, ce qui était similaire à notre cas [3]. Dans des études plus anciennes, la résection était réalisée plus fréquemment [1, 5]. Dans le cas décrit, les deux abouts de l’iléon et du jéjunum avaient le même diamètre, et la couche musculeuse et la membrane séreuse ont été suturées avec un surjet de Lembert. Lors d’anastomose jéjuno-iléale avec une différence de diamètre des deux abouts, il a été suggéré de suturer la couche musculeuse avec des points de Lembert pour mieux répartir la tension [4].

Maladies infiltratives digestives chez le cheval

De façon générale, les maladies infiltratives sont à l’origine de malabsorption et de maldigestion affectant le plus souvent l’intestin grêle. La malabsorption est un déficit d’assimilation des nutriments ou du transport de ceux-ci. La maldigestion est une dégradation inefficace des micronutriments [2]. Il existe deux types de maladies inflammatoires de l’intestin associés à une infiltration éosinophilique. Quand l’infiltrat atteint seulement l’intestin, la maladie porte le nom d’entérite ou d’entérocolite focale idiopathique à éosinophile (EFIE). Mais si d’autres organes sont atteints, tels que la peau, le foie, le pancréas, l’œsophage, les poumons, l’affection porte le nom de maladie éosinophilique épithéliotrophique et multisystémique (MEEM) [1, 3]. L’origine de la MEEM reste inconnue [1]. La distinction est aussi clinique [3]. Les chevaux atteints de MEEM sont présentés pour un amaigrissement et de l’anorexie malgré une alimentation adéquate et appétante. Selon le stade de la maladie, l’appétit peut diminuer [2, 3]. Le pronostic est défavorable. Tandis que les chevaux atteints de EFIE sont présentés pour une colique aiguë et le pronostic est favorable [3]. Aucune prédisposition de sexe, de race ou d’âge à l’EFIE n’a été notée [1].

Lors de maladie infiltrative chronique, la numération et la formule sanguines révèlent une neutrophilie et une hyperfibrinémie ainsi qu’une anémie normocytaire et normochrome. La biochimie met souvent en évidence une hypoprotéinémie caractérisée par une hypoalbuminémie par perte digestive [2].

Le diagnostic établi par histologie est fondé sur le degré d’inflammation de la muqueuse et de la sous-muqueuse ainsi que sur le type de cellules dominant [2]. En ce qui concerne les entérites éosinophiliques, deux critères sont nécessaires pour établir le diagnostic : les éosinophiles doivent être le type cellulaire dominant et en nombre supérieur aux taux tradi­tionnellement retrouvé dans la muqueuse et la sous-muqueuse intestinales. D’autres caractéristiques histologiques sont observées lors d’entérite à éosinophiles, incluant de l’œdème, des vaisseaux lymphatiques dilatés, des zones hémorragiques et de dégénérescence des muscles lisses et une activation des fibroblastes et des capillaires sanguins [1].

Quelques cas d’entérite éosinophilique focale ou multifocale ont été décrits chez les chevaux [1]. Dans une étude rétrospective, 6 chevaux présentant une entérite à éosinophiles sont sélectionnés [5]. Chez tous, une douleur abdominale persistante, un intestin grêle distendu et du reflux gastrique sont observés. Les résultats de paracentèse n’étaient pas typiques d’ischémie intestinale (faible augmentation des leucocytes et des protéines totales). Le traitement proposé est une entérectomie intestinale. Aucune complication postchirurgicale n’est notée et le pronostic vital est favorable. Dans une autre étude rétrospective plus récente, 12?chevaux atteints d’EFIE ont été étudiés [1]. Le diagnostic a été posé par laparotomie et histologie. La laparotomie montrait des constrictions érythémateuses et circonférentielles de l’intestin, ainsi que des plaques de membranes séreuses circonscrites qui ont été réséquées par une anastomose jéjuno-jéjunale. Cette forme particulière d’entérite à éosinophiles a été associée à des bandes circonférentielles de la paroi [3].

Cas particulier des bandes pariétales circonférentielles

Les bandes circonférentielles à éosinophiles de la paroi sont une forme particulière d’EFIE et semblent être pathognomoniques des infiltrations éosinophiliques de l’intestin. De manière générale, les éosinophiles jouent un rôle dans les réactions d’hypersensibilité. L’activation suivie de la dégranulation des éosinophiles libère des amines vaso-actives qui peuvent endommager la paroi de l’intestin [3]. Ces bandes peuvent se former à la suite de la stimulation du mécanisme de fibrose par les enzymes éosinophiliques. Les bandes peuvent engendrer une obstruction de la lumière de l’intestin. Cette obstruction engendre des coliques récurrentes ou un épisode aigu lors d’une obstruction plus importante et d’une distension de l’intestin grêle [2]. L’histologie ne révèle pas de fibrose des parois de l’intestin, mais celle des neurones de la paroi de l’intestin [3]. Une incidence de 5 % est rapportée sur l’ensemble des coliques admises sur une durée de 5 ans et demi dans un effectif irlandais [3]. Tous les chevaux atteints présentent une fréquence cardiaque élevée, une modification de la couleur des muqueuses et un intestin grêle distendu observé par échographie abdominale ou par palpation transrectale. À l’échographie, l’intestin grêle est hypo- à amotile, non épaissi avec un contenu hypoéchogène dans la lumière et, dans certains cas, un sédiment hyperéchogène. Ces bandes circonférentielles prennent toute la circonférence de l’interstin grêle, sont perpendiculaires à son axe et d’une épaisseur de 1 à 5 mm. Le traitement proposé est une laparotomie durant laquelle une décompression manuelle est effectuée. Cette technique serait plus efficace que l’entérectomie proposée par Archer (2006) [1]. De plus, lorsque ces bandes sont nombreuses, il n’est pas envisageable d’effectuer plusieurs résections de l’intestin, car cela pourrait entraîner des iléus postopératoires. L’histologie montre des neutrophiles éparpillés dans du mucus avec des bactéries à la surface de la muqueuse. Une réaction inflammatoire sévère perpendiculaire à l’axe longitudinal de l’intestin est présente dans la sous-muqueuse, la musculeuse et la membrane séreuse.

L’absence de fibrose significative et la rémission totale des cas parus dans l’étude de Perez Olmos et coll. suggèrent un phénomène de nature aiguë [3]. De plus, 2 jours après une laparotomie, les bandes ne sont plus visibles à la laparotomie [1, 3]. En médecine humaine, la réaction allergique à une alimentation spécifique est l’hypothèse la plus acceptée. Deux études ont traité d’organismes fongiques identifiés chez les chevaux (Pythium sp., Hyphomyces destruens). Dans ces études, une masse jéjunale de tissu fibreux provoquant une sténose est identifiée, ainsi que des lésions ulcératives de peau [3]. La cause allergique peut aussi expliquer que ces lésions soient plus fréquemment retrouvées dans certains pays.

Conclusion

Les bandes pariétales circonférentielles sont une cause rare de coliques, en particulier en France. Bien qu’une décompression à la suite d’une laparotomie soit souvent suffisante, il a été nécessaire de réaliser une entérectomie sur ce cas.

  • 1. Archer DC, Barrie Edwards G, Kelly DF et coll. Obstruction of equine small intestine associated with focal idiopathic eosinophilic enteritis: an emerging disease? Vet. J. 2006;171:504-512.
  • 2. Kalck KA. Inflammatory bowel disease in horses. Vet. Clin. North Am. Equine Pract. 2009;25:303-315.
  • 3. Perez Olmos JF, Schofield WL, Dillon H et coll. (2006) Circumferential mural bands in the small intestine causing simple obstructive colic: a case series. Equine Vet. J. 2006;38:354-359.
  • 4. Rendle DI, Woodt JL, Summerhays GE et coll. (2005) End-to-end jejuno-ileal anastomosis following resection of strangulated small intestine in horses: a comparative study. Equine Vet. J. 2005;37:356-359.
  • 5. Southwood LL, Kawcak CE, Trotter GW et coll. Idiopathic focal eosinophilic enteritis associated with small intestinal obstruction in 6 horses. Vet. Surg. 2000;29: 415-419.
  • 6. Sykes BW, Hewetson M, Hepburn RJ et coll. European college of equine internal medicine consensus statement-equine gastric ulcer syndrome in adult horses. J. Vet. Intern. Med. 2015;29 (5):1288-1299.

Remerciements

Remerciements au Dr Alice Lefèvre pour avoir référé ce cas.

CONFLIT D’INTÉRÊTS : AUCUN

ÉLÉMENTS À RETENIR

• Les bandes pariétales circonférentielles provoquent une obstruction non étranglée.

• Lors de l’intervention chirurgicale, la vidange manuelle de l’intestin grêle par massage est suffisante dans la majorité des cas.

• Lors de la chirurgie, la résection-anastomose est rarement nécessaire.

• Il peut y avoir une ou plusieurs bandes pariétales.

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