Le shivering ou la maladie des tremblements chez le cheval - Pratique Vétérinaire Equine n° 175 du 01/07/2012
Pratique Vétérinaire Equine n° 175 du 01/07/2012

Article de synthèse

Auteur(s) : Laure-Aline Dequier*, Jean-Luc Cadoré**

Fonctions :
*Cabinet vétérinaire, RD 734,
17550 Dolus-d’Oléron
**Pôle équin, Campus vétérinaire de Lyon
1, avenue Bourgelat
69280 Marcy-L’Étoile

Le shivering est une affection neuromusculaire idiopathique du cheval relativement fréquente, souvent bénigne et bien identifiée par les vétérinaires.

Décrit depuis la fin du xixe siècle, le shivering reste pourtant mal connu et très peu de publications lui sont consacrées.

Différents termes sont utilisés pour désigner cette affection, comme la maladie du tremblement ou le syndrome du trembleur. Cependant, le vocable le plus courant est celui de “shivering”, qui dérive de “shivers”, employé par les Anglo-Saxons et qui signifie “frissonnements” [15, 19].

Cet article vise à décrire les principaux aspects du shivering, en particulier cliniques.

Description clinique

Atteinte des membres postérieurs

Le shivering atteint le plus fréquemment les membres postérieurs. Il est caractérisé par un spasme associant un tremblement de la totalité de la masse musculaire fessière et un mouvement d’hyperflexion, avec une composante d’abduction, involontaire (photo 1). Le spasme est déclenché à l’initiation du mouvement uniquement (préhension du pied et reculer) et disparaît ensuite. Dans certains cas, des spasmes sont observés lors des premiers pas (départ “à froid”), dans les virages serrés, et ils surviennent parfois sans aucun facteur déclenchant (cheval au repos au box, par exemple) (photo 2). La maladie peut être unilatérale ou bilatérale, avec souvent un degré d’atteinte différent sur les deux membres. Une élévation de la queue plus ou moins marquée est parfois présente pendant le spasme.

Le cheval maintient la position pendant quelques secondes, puis le pied se repose sur le sol doucement ou de façon très violente (photos 3a à 3d) [3].

Tous les degrés d’atteinte existent. Les spasmes peuvent s’exprimer par de simples piétinements et de très légères sensations de tremblement à la préhension du pied.

Le spasme est répétable si l’élément déclencheur est reproduit, mais pas forcément à chaque essai [6, 18].

Les mouvements passifs lors de la manipulation du membre peuvent être difficilement réalisables et diminués [5].

Atteinte des membres antérieurs

Une forme de shivering touchant les membres antérieurs, beaucoup plus rare, est décrite. Le spasme ne se manifeste pas de la même façon. Seul le tremblement de la masse musculaire de l’épaule est présent, avec une flexion du membre plus modérée que sur les membres postérieurs [3, 18]. Le mouvement est moins stéréotypé que sur les membres postérieurs en fonction des individus. Les muscles de la région cervicale sont parfois impliqués lors du spasme. Certains chevaux lancent leur membre en avant comme pour se dégager du spasme (photo 4).

Des cas de shivering “généralisé” sont suspectés, avec une atteinte de plusieurs membres et de la face (tremblement de la lèvre inférieure, clignement des yeux et mouvements des oreilles) lors des spasmes [3]. Les tremblements de la face peuvent être associés au déclenchement d’un spasme sur un membre antérieur.

Facteurs aggravants

Les facteurs aggravants sont souvent bien identifiés par les propriétaires de chevaux atteints. Certains sont valables dans tous les cas, comme le stress, la douleur ou encore l’immobilité totale [3]. D’autres varient en fonction de l’individu, tels le froid, le transport, des sols inappropriés, les bandages ou les protections sur les membres atteints, ou une modification des aplombs [3, 15].

L’effet de l’exercice est différent selon les cas. Certains chevaux sont mieux au repos au pré, d’autres ont besoin d’exercice au quotidien. Dans tous les cas, l’immobilité totale ou un exercice violent ou inhabituel aggravent les signes.

Étiologie

Le shivering se rattache aux mouvements anormaux qui sont des troubles de la motricité. Ces derniers peuvent être la résultante de lésions du système nerveux central ou périphérique.

Parmi les différents mouvements anormaux décrits, le shivering se rapproche à la fois d’une dystonie (contractions musculaires déclenchant des postures stéréotypées, mises en jeu par le mouvement ou le maintien d’une attitude), d’un tremblement (oscillations rythmiques autour d’un point d’équilibre), mais aussi d’une myoclonie (contractions brusques et brèves d’un muscle avec ou sans mouvement associé) [4, 21].

D’après Mayhew, les manifestations cliniques du shivering laissent supposer une hypertonie réflexe des muscles impliqués dans le spasme, donc un trouble de l’équilibre entre la contraction et la relaxation de ces derniers [16]. Les éléments en jeu sont alors le fuseau neuromusculaire, l’organe tendineux de Golgi et l’arc réflexe myotatique, à l’origine du maintien de la posture et de la régulation du tonus musculaire [12, 16].

La cause de cette hypertonie reste indéterminée et plusieurs hypothèses ont été émises :

– un trouble nerveux : il s’agirait d’une lésion périphérique ou centrale, du défaut d’un neurotransmetteur. Les investigations nécropsiques sur le système nerveux des chevaux atteints n’ont pas donné de résultats [5, 23] ;

– un trouble musculaire : le shivering serait l’expression d’une myopathie. Certains auteurs ont trouvé des anomalies histologiques musculaires chez des chevaux présentant des signes de shivering [2, 23]. Pourtant, le lien entre celles-ci et les signes cliniques n’est pas clairement établi, avec des résultats très variables selon les études [3, 5, 9] ;

– un trouble ostéo-articulaire : cette hypothèse a été évoquée dès 1930 par Mitchell, des lésions d’ostéo-arthrose de la colonne vertébrale ayant été mises en évidence chez des chevaux atteints de shivering [17]. D’autres auteurs l’ont aussi évoquée. Une compression nerveuse due aux exostoses expliquerait alors les signes [5, 9] ;

– une infection ou un traumatisme à l’origine d’une lésion nerveuse, recoupant la suspicion d’un trouble nerveux.

L’hypothèse d’un dysfonctionnement nerveux est la plus consensuelle, mais sa nature reste indéterminée.

Prédispositions

Bien que des cas aient été décrits dans de nombreuses races, plusieurs références bibliographiques font état d’une prédisposition des chevaux de trait, en particulier de la race de trait belge [2, 3, 5, 9, 14, 16]. De plus, les poneys semblent être très rarement atteints [3]. Un caractère héréditaire est suspecté, mais n’a jamais été prouvé [3, 18]. Aucune prédisposition d’âge ou de sexe n’a été démontrée. L’impression clinique générale plaide en faveur d’une prédisposition des chevaux de grande taille, quelle que soit leur race, et d’une apparition des signes cliniques chez des individus plutôt jeunes.

Diagnostic

La difficulté à donner le membre est le principal signe d’appel, donc souvent noté par le propriétaire ou le maréchal-ferrant.

L’anamnèse apporte des éléments intéressants, dont les conditions de survenue du spasme et les facteurs aggravants.

L’observation minutieuse du spasme, en particulier pour les cas légers ou intermittents, est capitale. Dans ce cas de figure, demander au propriétaire de filmer son cheval en situation est parfois très intéressant.

Diagnostic différentiel

Le diagnostic différentiel comprend en premier lieu les maladies à l’origine d’une modification du mouvement des membres postérieurs : harper, accrochement intermittent de la rotule et myopathie fibrosante, pour lesquelles une observation minutieuse de la démarche permet le plus souvent de faire la différence (tableau 1). Dans un second temps, il convient de prendre également en compte certaines affections neurologiques, musculaires ou neuromusculaires qui, dans certains cas, entraînent des signes évoquant le shivering :

– les rhabdomyolyses à l’exercice chroniques (myopathie de stockage de polysaccharides, myopathie récurrente à l’exercice) ;

– la maladie du neurone moteur (affection neurodégénérative qui serait induite par une carence en vitamine E) ;

– le syndrome du cheval raide (affection très rare se caractérisant par une raideur et des spasmes dans les muscles axiaux de l’arrière-main et ceux des membres postérieurs) ;

– l’encéphalomyélite à protozoaires (présente sur le continent américain).

Pour toutes ces affections, la présence d’autres signes cliniques associés et la réalisation des examens complémentaires indiqués selon l’affection suspectée (échographie, dosages sanguins, biopsie musculaire, électromyographie) permettent d’établir le diagnostic.

Des douleurs ostéo-articulaires touchant les membres ou le dos peuvent aussi être à l’origine d’anomalies de la démarche. Certains chevaux atteints d’éparvin présentent une démarche évoquant celle du harper. Des investigations radiographiques ou échographiques, et des anesthésies diagnostiques font alors la différence avec le shivering (photo 7).

Les traumatismes des nerfs périphériques (pour les membres postérieurs, les nerfs sciatique, fémoral et péronier) peuvent également entraîner une anomalie de la démarche souvent caractéristique du nerf atteint.

Des examens général, orthopédique et neurologique complets doivent être réalisés pour établir le diagnostic d’exclusion, et, en aucun cas, il ne faut conclure hâtivement à un shivering pour tout cheval qui fléchit anormalement un membre ou refuse de donner ses pieds.

Examens complémentaires

Différentes investigations peuvent être proposées chez un cheval présentant des signes évocateurs (tableau 2). Elles devraient être pratiquées sur un grand nombre de cas pour permettre de conclure. En l’état actuel des connaissances sur le sujet, la plupart des examens complémentaires ne présentent un intérêt que pour le diagnostic d’exclusion.

Traitement

Actuellement, aucun traitement médical n’est connu. Sur le terrain, l’action bénéfique des tranquillisants (acépromazine ou α2-agonistes) est reconnue et permet parfois de ferrer de chevaux très atteints (diminution du stress et effet myorelaxant).

Une régression significative des signes cliniques est souvent obtenue par la mise en place de mesures hygiéniques. Cependant, celles-ci sont à étudier au cas par cas. Il convient donc pour chaque cheval d’évaluer les facteurs aggravants qui lui sont propres afin de les prévenir. Les propriétaires sont souvent très sensibles à ces facteurs et les identifient rapidement.

Les recommandations générales sont les suivantes : éviter toute situation de stress, adapter l’exercice et le mode de vie (box ou pré) en fonction de ce qui améliore l’état de santé du cheval en proscrivant l’immobilité totale. Si la ferrure devient impossible, la tranquillisation peut être tentée dans un premier temps et/ou un parage au sol.

Les maréchaux-ferrants connaissent bien le shivering et ont chacun leurs astuces pour réussir à ferrer les chevaux : ne jamais aller contre le spasme, trouver la position dans laquelle l’animal peut maintenir son pied au soutien (souvent assez près du sol) et rester le plus immobile possible dans cette position.

Pronostic

Étant donné le manque de connaissances sur le shivering, la question du pronostic demeure difficile.

Dans les cas évolutifs, le pronostic est réservé à défavorable. En effet, l’aggravation de la violence et de la fréquence des spasmes est susceptible d’entraîner pour le cheval des difficultés à se lever et une perte de condition avec amyotrophie [3]. Les cas très sévères peuvent donc se résoudre par la mort ou une demande d’euthanasie.

Pour les autres cas, qui sont la majorité, l’évolution est stable ou très lente, et le pronostic vital est bon. Le pronostic sur l’utilisation sportive dépend, quant à lui, de la possibilité de ferrer l’animal et d’un éventuel défaut de propulsion [3].

Le discours est donc à adapter au cas de figure, tout en gardant toujours une réserve pour les jeunes chevaux.

Conclusion

Le shivering est une affection intéressante et mystérieuse pour laquelle de nombreuses questions restent à élucider. Une enquête épidémiologique auprès des maréchaux-ferrants, des essais de traitement, une étude sur la prédisposition génétique en répertoriant les cas à grande échelle ou encore la réalisation d’examens complémentaires systématiques permettraient peut-être d’apporter des éléments de réponse.

Dans la plupart des cas, c’est une maladie bien tolérée, même pour une utilisation sportive de bon niveau, ce qui explique certainement le manque d’études sur le sujet.

Références

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  • 2 – Andrews FM, Spurgeon TL, Reed SM. Histochemical changes in skeletal muscles of four males with neuromuscular disease. Am. J. Vet. Res. 1986;47:2078-2083.
  • 3 – Baird JD, Firshmann AM, Valberg SJ. Shivers (shivering) in the Horse: A Review. In: Proceedings of the 52th Annual Convention of the American Association of Equine Practitioners, San Antonio, Texas. 2006:52359-52364.
  • 4 – Cotard JP. Les mouvements anormaux. Dans : Neurologie des carnivores domestiques. Rec. Méd. Vét. 1985;161(11):835-984.
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  • 9 – Firshmann AM, Baird JD, Valberg SJ. Prevalences and clinical signs of polysaccharide myopathy and shivers in Belgian draft horses. J. Am. Vet. Med. Assoc. 2005;227:1958-1964.
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Éléments à retenir

→ Le shivering des membres postérieurs se caractérise par une hyperflexion et une abduction involontaire du membre déclenchées à l’initiation du mouvement.

→ L’observation clinique et l’exclusion d’autres affections sont les clés du diagnostic.

→ Aucun traitement n’est disponible, mais la maîtrise des facteurs aggravants peut permettre une régression significative des signes cliniques.

→ La rapidité d’évolution et la possibilité de ferrer sont les deux points à prendre en compte pour le pronostic. L’utilisation sportive du cheval est possible dans la majorité des cas.

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