Un cas de fracture du garrot géré chirurgicalement - Pratique Vétérinaire Equine n° 172 du 01/10/2011
Pratique Vétérinaire Equine n° 172 du 01/10/2011

Cas clinique

Auteur(s) : Élodie Lallemand*, Carine Tahier**, Nelsy Aubin***, Olivier Geffroy****

Fonctions :
*Unité de chirurgie, Oniris, route de Gachet,
BP 40706, 44307 Nantes Cedex 3
**Unité de chirurgie, Oniris, route de Gachet,
BP 40706, 44307 Nantes Cedex 3
***4, rue de l’Arentée, 44860 Pont-Saint-Martin
****Unité de chirurgie, Oniris, route de Gachet,
BP 40706, 44307 Nantes Cedex 3

Dans la plupart des cas de fractures du garrot, un traitement conservateur est suffisant.

Le cas présenté a nécessité un retrait des abouts osseux sous anesthésie générale.

Les fractures de la colonne thoraco-lombaire sont rares chez les équidés. Elles peuvent être observées plus fréquemment chez les adultes, à la suite d’un traumatisme important.

Elles sont, la plupart du temps, d’un pronostic sombre, exception faite de celles de processus épineux du garrot. Ce type de fractures observé en général, chez les chevaux qui se retournent, conduit à une modification visible de l’aspect du garrot. Cependant, le plus souvent, un traitement conservateur est de bon pronostic.

Cet article décrit un cas atypique de fracture du garrot, géré chirurgicalement. Il permet d’aborder les fractures du garrot dans leur ensemble ainsi que la chirurgie de résection de processus épineux thoraco-lombaires.

Cas clinique

Commémoratifs et anamnèse

Une jument selle français de 4 ans est référée par son vétérinaire traitant pour une fracture du garrot.

Destinée à concourir en saut d’obstacles, elle s’est retournée 4 mois avant sa présentation à la Clinique Équine. De multiples fractures de processus épineux thoraciques ont été diagnostiquées par son vétérinaire référent. La jument a été mise au repos, d’abord au box, puis au box et au petit paddock.

Trois mois après l’accident, la jument présente toujours une déformation importante de la région du garrot et ne tolère pas d’être sellée, une réaction inflammatoire et une douleur importante se manifestant à chaque tentative.

La jument est donc présentée en consultation de chirurgie 4 mois après l’incident afin de décider du traitement le plus approprié.

Examen clinique

L’examen clinique général, les analyses biochimiques, la numération et la formule sanguines n’ont pas révélé d’anomalie.

L’examen de la région du garrot de côté révèle la présence d’une proéminence osseuse et un affaissement du reste du garrot (photo 1). L’examen vu du dessus révèle une rupture de la ligne du milieu et un élargissement important du garrot caudalement à la proéminence osseuse. La région n’est pas douloureuse à la palpation.

Examens complémentaires

Des clichés radiographiques du garrot de profil sont réalisés (photo 2). Les processus épineux thoraciques des vertèbres T3 à T9 présentent très clairement des fractures, associées à des remaniements et à des remodelages importants, signes de l’instabilité établie et de l’aspect chronique.

Plus précisément, alors que la plupart des processus épineux fracturés montrent un déplacement disto-latéral au processus parent (T3, T5 à T8), l’about proximal du processus épineux de T4 s’est uniquement déplacé sur le côté et non distalement, ce qui explique la protubérance visible à l’examen clinique.

L’examen échographique a permis de confirmer les fractures et les déplacements diagnostiqués lors des radiographies. Un hématome organisé de taille importante est également visualisé autour de l’about proximal du processus épineux de T4 (photo 3).

Hypothèses diagnostiques

Compte tenu de l’historique et des examens complémentaires, une instabilité trop importante du processus épineux fracturé de T4 est suspectée, expliquant l’incapacité de la jument à présenter une consolidation osseuse en dépit d’un traitement conservateur. Cette constatation, associée à la gêne cosmétique et à l’impossibilité d’harnacher correctement la jument, amène à proposer le retrait chirurgical de ce processus épineux fracturé.

Traitement

Préparation

Des traitements systémiques préopératoires antibiotique (pénicilline procaïne, Dépocilline®, 22 000 UI/kg toutes les 24 heures, par voie intramusculaire) et anti-inflammatoire (flunixine méglumine, Finadyne®, 1,1 mg/kg toutes les 24 heures, par voie intramusculaire) sont mis en place.

L’intervention est réalisée sous anesthésie générale gazeuse en décubitus latéral après une préparation chirurgicale standard.

Intervention chirurgicale

Une incision cutanée et sous-cutanée est réalisée dans le plan sagittal, en regard de l’about fracturaire de T4 (photo 4). Une dissection sous-cutanée est réalisée en direction du côté gauche du ligament supra-épineux thoracique, afin d’éviter d’inciser celui-ci. La dissection est poursuivie jusqu’à l’hématome, qui est ponctionné et exploré afin de retirer les abouts osseux (photo 5). L’extrémité proximale du processus épineux de T4 est retirée, sans dissection préalable (photo 6) ainsi que deux autres fragments osseux, de tailles beaucoup plus réduites. L’hématome est ensuite cureté et irrigué à l’aide de NaCl à 0,9 %, puis des points simples profonds sont mis en place (Biosyn® déc. 5). De la gentamicine (G4®, 20 ml) est injectée dans la cavité résiduelle et les plans superficiels sont suturés avec un surjet simple du plan sous-cutané (Biosyn® déc. 2) et d’agrafes cutanées combinées avec des points de tension (points en U verticaux, Prolène® déc. 3,5) (photo 7). Ensuite, un bourdonnet est mis en place afin de protéger la plaie lors du réveil.

Gestion postopératoire

Le traitement avec de la pénicilline procaïne et de la flunixine méglumine est poursuivie pendant 2 jours. De la gentamicine (G4®, 6,6 mg/kg toutes les 24 heures, par voie intraveineuse) est également administrée dès le soir de l’intervention et pendant 4 jours. La pénicilline est remplacée par de la cefquinome (Cobactan®, 1 mg/kg toutes les 24 heures, par voie intraveineuse) pendant 4 jours. De la phénylbutazone est ensuite administrée en relais du traitement à base de flunixine, à raison de 2 mg/kg (Equipalazone®, toutes les 12 heures, par voie orale) durant 5 jours.

Localement, les compresses du bourdonnet sont changées quotidiennement pendant 4 jours, puis il est retiré. Les agrafes sont retirées 15 jours après l’intervention.

Suivi

La jument a été maintenue au box et dans un petit paddock pendant 1 mois, puis au pré durant 2 mois. Le travail a ensuite été repris progressivement. Elle sort actuellement en cycles classiques de saut d’obstacles réservés aux chevaux de 5 ans. L’aspect cosmétique est plutôt satisfaisant, surtout vu de côté, malgré une déviation du garrot vers la gauche, et la jument n’est pas sensible à la palpation ou à la pose de la selle (photos 8a et 8b).

Discussion

Épidémiologie

Les fractures de la colonne thoraco-lombaire sont plus fréquentes chez le cheval adulte que chez le poulain [2]. Dans une étude réalisée chez des chevaux adultes, il a été montré que 34 % des fractures affectant le crâne et la colonne vertébrale intéressent la portion thoraco-lombaire. Turner, qui a étudié la prévalence des problèmes dorsaux lors de consultations de boiteries dans une université américaine, révèle que 5 % des dorsalgies sont dues à des fractures de processus épineux du garrot [4].

Les chutes sur le dos et autres traumatismes sont souvent impliqués et peuvent parfois provoquer des fractures comminutives ou déplacer des corps vertébraux, ce qui nécessite la plupart du temps l’euthanasie. En général, chez l’adulte, ce sont les processus épineux du garrot qui se fracturent. Dans ce cas, de nombreux processus épineux peuvent être touchés en même temps et se déplacent latéralement [1, 2]. L’examen radiographique est le moyen diagnostique le plus utile [4].

Traitement

Le canal vertébral n’étant pas atteint, les signes cliniques se limitent à une douleur dans la région du garrot. Les chevaux sont traités médicalement, afin de contrôler la douleur et de limiter l’inflammation locale [2].

La plupart du temps, il n’est pas nécessaire de retirer ces abouts chirurgicalement, et une union osseuse peut être observée après une période de repos [1, 2].

Chez certains individus, lorsque la douleur persiste plus de 3 mois et qu’elle empêche de remettre le cheval au travail, une chirurgie peut être envisagée afin de retirer les processus fracturés. Ainsi, Perkins et coll. décrivent deux cas d’exérèses de processus épineux à la suite de fractures [3]. Ce geste chirur­gical est également réalisé lors de conflits des processus épineux thoraco-lombaires, dans des cas avancés et réfractaires aux traitements médicaux, ou lorsqu’une fistule du garrot est associée à une ostéomyélite des processus épineux sous-jacents [5].

La technique chirurgicale consiste à inciser la peau le long du plan sagittal, en regard des processus atteints. L’incision est ensuite poursuivie dans le ligament supra-épineux, puis les processus sont libérés de leurs attaches ligamentaires et musculaires. Les sommets des processus épineux sont ensuite réséqués, à l’aide d’une scie oscillante ou d’un ostéotome. La résection est effectuée de manière oblique, la partie caudale d’abord, puis la partie crâniale. La pointe est ensuite aplanie à l’aide de curettes et de rongeurs. La plaie est fermée de façon standard, de manière similaire à notre cas clinique [5]. Certains auteurs mettent en place un drain aspiratif fermé, surtout lors de traitement d’ostéomyélite [3].

Avantages et inconvénients de la chirurgie debout

Perkins et coll. ont été les premiers à décrire l’exérèse de processus épineux thoraco-lombaires debout [3]. L’intervention chirurgicale est alors pratiquée dans un travail et une quantité importante d’anesthésique local (20 à 40 ml de lidocaïne à 2 % par processus) est répartie dans la zone opératoire.

La réalisation de cette exérèse sur cheval debout permet d’éliminer le risque associé à une anesthésie générale et de diminuer les coûts inhérents à l’opération. La chirurgie debout diminue également l’hémorragie classiquement observée lorsque cette intervention est réalisée chez un cheval en décubitus latéral [3]. Nous avons constaté que l’hémorragie est plus marquée lors du retrait d’un processus épineux du garrot, par rapport à un processus plus caudal. Cette différence de saignement entre les chirurgies debout et couchée pourrait être due à une position plus haute du site opératoire par rapport au cœur, qui permettrait de diminuer la pression sanguine dans les tissus [3]. L’abord debout est aussi plus facile à réaliser, les deux côtés étant symétriquement accessibles, ce qui permet une meilleure visualisation des structures et un meilleur accès chirurgical que sous anesthésie générale [3].

Cette technique présente cependant quelques inconvénients. Elle ne devrait pas être réalisée en pratique ambulatoire. Il doit être possible d’anesthésier le cheval en cours d’intervention lors de problème majeur ou s’il présente un comportement récalcitrant. En effet, nous avons constaté que, dans de rares cas, la douleur est telle chez ces chevaux qu’il est impossible de procéder aux anesthésies locales nécessaires au geste chirurgical, même sous forte sédation. Nous pensons également que lors d’infection avérée, il est plus aisé de réaliser un débridement chirurgical complet sous anesthésie générale, en associant un rinçage et une aspiration en grandes quantités. De plus, l’infiltration de grandes quantités d’anesthésique local dans une zone infectée nous paraît contre-indiquée.

Pronostic et suivi

Le pronostic pour le retour au travail est bon dans la plupart des cas de fractures de processus épineux du garrot [2]. Les cas traités chirurgicalement ont également un bon pronostic (deux cas sur les deux cas de fractures de retour au travail) [3]. Une douleur résiduelle et une déformation du garrot sont parfois observées, et nécessitent l’utilisation d’une selle adaptée.

Conclusion

Les fractures de processus épineux du garrot, pourtant impressionnantes, sont traitées dans leur grande majorité par du repos, et le pronostic sportif est bon, à condition, cependant, de veiller à adapter le choix de la selle à la déformation locale des structures. Lors de cas atypiques, comme celui étudié ici, et présentant une instabilité chronique, il est possible de retirer chirurgicalement les processus épineux en question.

Références

  • 1. Jeffcott LB. Disorders of the thoracolumbar spine of the horse – a survey of 443 cases. Equine Vet. J. 1980; 12(4): 197-210.
  • 2. Nixon AJ. Fractures of the vertebrae. In: Nixon AJ. Equine fracture repair. 1st ed. Ed. Saunders, Philadelphia. 1996: 299-312.
  • 3. Perkins JD, Schumacher J, Kelly G et coll. Subtotal ostectomy of dorsal spinous processes performed in nine standing horses. Vet. Surg. 2005; 34(6): 625-629.
  • 4. Turner TA. Back problems in horses. 49th annual convention AAEP Proceeding. 2003.
  • 5. Walmsley JP, Pettersson H, Winberg F et coll. Impingement of the dorsal spinous processes in two hundred and fifteen horses: case selection, surgical technique and results. Equine Vet. J. 2002; 34(1): 23-28.

Éléments à retenir

→ Les fractures de processus épineux du garrot sont fréquentes chez les chevaux qui se retournent violemment sur le dos.

→ De nombreux processus peuvent être atteints simultanément et une importante déformation locale en résulte.

→ Il est possible de gérer la plupart des cas avec du repos et un harnachement adapté.

→ Une exérèse chirurgicale peut être envisagée face à un animal ne présentant pas d’amélioration avec des traitements conservateurs.

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