Prise en charge d’une plaie du garrot chez les équidés - Pratique Vétérinaire Equine n° 172 du 01/10/2011
Pratique Vétérinaire Equine n° 172 du 01/10/2011

Article de synthèse

Auteur(s) : Céline Mespoulhès-Rivière

Fonctions : Clinique équine, ENV d’Alfort
7, avenue du Général-de-Gaulle
94700 Maisons-Alfort

Les plaies de garrot sont fréquentes chez le cheval. Leur gestion ne doit pas être négligée, car les plus graves peuvent nécessiter un traitement chirurgical afin de sauvegarder l’utilisation sportive du cheval.

Le garrot est la région anatomique du cheval correspondant aux processus épineux des premières vertèbres thoraciques (T2 à T9). En raison de sa localisation dorsale, cette région peut être facilement soumise à différents types de traumatismes, comme des morsures de congénères chez les chevaux qui vivent en groupe, ou des fractures ouvertes secondaires à des accidents plus violents (retournement lors d’un embarquement, chute sur un obstacle). Le second type de blessures du garrot, très fréquent, correspond aux plaies de harnachement [2, 5]. La selle venant s’appuyer de part et d’autre du garrot, une mauvaise adaptation du matériel employé à la morphologie du cheval peut entraîner des lésions chroniques allant de la simple irritation à la plaie franche, en passant par des lésions de type bursite du garrot ou fistule.

L’objectif de cet article est de décrire les lésions pouvant être identifiées ainsi que les étapes de la démarche diagnostique et thérapeutique. La grande difficulté de la gestion de ces lésions réside dans la nécessité de supprimer totalement les contraintes physiques locales, le cheval ne pouvant généralement plus être exploité jusqu’à la résolution totale des signes cliniques.

Prise en charge

L’anamnèse doit permettre de différencier les plaies d’origine traumatique des plaies de harnachement. Elle est complétée par l’examen clinique local, qui peut mettre en évidence une modification de la ligne dorsale du garrot, un gonflement, un œdème général de la zone ou au contraire localisé et fluctuant lors de bursite, ou encore une douleur locale à la palpation-pression. La réaction potentiellement violente du cheval lors de cette phase de l’examen est à surveiller.

Imagerie

En ce qui concerne la plaie, il convient de distinguer les érosions superficielles des plaies plus profondes ou chroniques ou des fistules. La mise en œuvre d’examens complémentaires est indispensable pour évaluer les structures anatomiques potentiellement touchées. L’anatomie de la région est en effet complexe, et implique des structures osseuses (processus épineux thoraciques), séreuses (bourse superficielle et profonde) et des corps musculaires (muscle épineux du thorax, muscle rhomboïde et muscle trapèze) [1]. Cette zone comporte de nombreuses structures ligamentaires (ligament supra-épineux) et aponévrotiques dont l’implication peut compliquer la cicatrisation des plaies, l’inflammation locale étant majorée par la lyse collagénique et les difficultés de drainage en région dorsale (photo 1). Une infection chronique d’une bourse séreuse se complique également parfois d’une ostéomyélite. Les plaies du garrot, sous une apparence courante et banale, doivent donc être prises en charge sans tarder afin d’éviter les complications.

À la suite d’un traumatisme du garrot, la réalisation de clichés radiographiques est recommandée. Il est important de connaître les images radiographiques normales en raison de la présence de centres d’ossification proximaux sur les premières vertèbres thoraciques, afin de ne pas les confondre avec des fractures ou des lésions d’ostéomyélite(1) (photo 2). L’identification de ces dernières lésions peut par conséquent se révéler difficile en début d’évolution. En cas de fistule, une radiographie de contraste (milieu de contraste ou sonde métallique stérile) peut aider à déterminer l’orientation et la profondeur de la plaie.

L’autre examen complémentaire d’imagerie auquel le vétérinaire peut avoir recours est l’échographie, afin d’évaluer les structures plus profondes. Sa mise en œuvre est compliquée en présence d’une plaie, compte tenu de la potentielle présence d’air dans les couches tissulaires. Elle peut cependant permettre d’identifier l’extension des lésions et la potentielle atteinte de la bourse séreuse profonde (située sous le ligament supra-épineux et s’étendant de T2 à T4) [1]. Il n’est pas facile de différencier l’atteinte réelle de la bourse séreuse d’une accumulation de liquide inflammatoire séquestrée entre les différentes aponévroses musculaires. L’échographie peut détecter des lésions d’ostéomyélite à des stades plus précoces que la radiographie [4]. Elle permet aussi de distinguer un hématome (liquide anéchogène) d’un processus infectieux (liquide hétérogène).

Exploration de la plaie

Lors de la prise en charge de toute plaie, il convient au préalable de tondre largement la zone, en évitant la pénétration de poils dans la plaie. La peau autour celle-ci est nettoyée puis pré­parée aseptiquement (à l’aide d’un savon antiseptique). La plaie est lavée avec une solution diluée d’antiseptiques. La plupart des plaies de garrot secondaires au harnachement sont des abrasions cutanées associées à des contusions plus profondes. Lors d’un traumatisme aigu, une inspection en profondeur doit cependant être réalisée stérilement. En cas de fistule, l’insertion d’une sonde cannelée dans la plaie après préparation aseptique permet, dans certains cas, de préciser l’orientation et la profondeur du trajet, ainsi que la potentielle implication de structures osseuses. En présence d’une zone liquidienne identifiée par palpation, une ponction stérile pour analyse bactériologique est réalisée, idéalement après repérage, ou sous contrôle échographique (photo 3).

Traitement

Traitement conservateur

Le traitement à mettre en œuvre est fonction de la gravité de la lésion. Les plaies superficielles d’échauffement et les abrasions cutanées secondaires au harnachement sont généralement traitées conservativement après tonte et désinfection locale. L’application de pommades cicatrisantes à base de sulfadiazine, par exemple, permet une cicatrisation sans complications, à condition d’éliminer l’origine de la blessure. La zone concernée ne doit plus être soumise à aucune pression, et cela nécessite souvent d’arrêter l’exploitation du cheval. Par la suite, des mesures préventives sont impérativement mises en œuvre sous peine de récidive, l’un des facteurs prédisposant étant la morphologie locale du cheval.

Traitement chirurgical

En cas de traumatisme plus profond ou d’infection chronique, une exploration chirurgicale est souvent nécessaire afin de débrider la zone (photo 4a et 4b).

Technique chirurgicale

L’abord utilisé peut être dorsal ou latéral et l’intervention réalisée sur cheval debout ou sous anesthésie générale. Un abord latéral permet de réaliser une incision en peau saine avec fermeture par première intention, tout en favorisant l’établissement d’une voie de drainage en région déclive. L’intervention permet de retirer les fragments osseux en cas de fracture, d’éliminer les tissus et les structures collagéniques nécrosés et de favoriser le drainage (photo 5a et 5b). Celui-ci peut être obtenu par la mise en place de drains passifs (mèches de gaze imbibées d’antiseptiques, drain de Penrose) ou avec un système de drainage aspiratif (drain multiperforé le plus souvent en silicone, connecté à un système commercial avec un réservoir sous vide, ou encore à une seringue de 50 ml, dont le piston est maintenu sous traction au moyen d’une aiguille rose 18G). Cette phase de l’intervention est primordiale car le défaut de drainage favorise les complications inflammatoires locales et la récidive de l’infection. De la même façon, avant fermeture de tout ou partie de l’incision, la zone est abondamment rincée à l’aide de liquide isotonique stérile (NaCl à 0,9 % ou Ringer lactate) additionné d’antiseptiques.

Un pansement de type bourdonnet peut ensuite être suturé pour protéger la plaie. Il est recommandé d’attacher le cheval debout au boxe afin d’éviter la contamination ou la déhiscence de la plaie, en particulier si le cheval se roule. Cette mesure est obligatoire si un système de drainage est employé.

Soins complémentaires

Un traitement anti-inflammatoire peut être mis en œuvre (phénylbutazone, 2,2 mg/kg, deux fois par jour durant 5 jours, la dose devant ensuite être adaptée selon la lésion), ainsi qu’un traitement antibiotique. Ce dernier repose sur un traitement à large spectre (gentamicine, 6,6 mg/kg par voie intraveineuse, une fois par jour, associée à de la pénicilline, 22 000 UI/kg par voie intramusculaire deux fois par jour), puis adapté en fonction des résultats d’une culture bactérienne réalisée sur un prélèvement pré- ou peropératoire.

En cas d’écoulement de la plaie par des orifices de drainage passif (mèche), l’application de vaseline sur la peau située en région déclive prévient l’irritation cutanée et facilite les soins.

Suivi

Il est primordial de laisser un temps de convalescence suffisant avant la reprise d’une activité montée. Une reprise d’activité trop précoce favorise la récidive des plaies superficielles sur un épiderme sensibilisé, et la mise en place d’une inflammation chronique dans les plans plus profonds, avec un risque de développement de bursite.

Il est cependant souvent difficile d’arrêter de façon prolongée certains chevaux, en particulier les chevaux d’école. Sur le plan économique, le manque à gagner immédiat lors de l’arrêt d’un cheval est cependant à mettre en balance avec les coûts associés lors de récidives et d’épisodes multiples de maladies associées aux harnachements. Une sensibilisation des cavaliers, et notamment des gestionnaires de centres équestres, doit également être réalisée, afin de limiter l’incidence de ces lésions, généralement associée à une non-adaptation du matériel à la morphologie des chevaux.

Prévention

À la suite d’une plaie de harnachement, l’adaptation du matériel est indispensable pour prévenir les récidives. Elle est également recommandée après un traumatisme, lors de la remise en activité, afin d’éviter toute pression sur la zone antérieurement lésée et de favoriser la guérison complète des tissus mous profonds.

Le pommeau de la selle ne doit pas être en contact avec le garrot. Certains chevaux ont un garrot très prononcé et la selle est à adapter à leur morphologie, éventuellement en modifiant l’arçon [3]. L’emploi d’amortisseurs de dos et de tapis bien dégarrottés prévient également les pressions excessives. Enfin, lors de la reprise du travail, l’application locale de vaseline limite les frottements.

Conclusion

Les plaies de garrot associées au harnachement nécessitent une prise en charge rapide et le soulagement immédiat de la région, sous peine de les voir évoluer vers la chronicité, ce qui complique leur résolution et nécessite un arrêt prolongé du cheval. Lors d’atteinte chronique ou de traumatisme plus conséquent, la mise en œuvre d’examens complémentaires est nécessaire afin d’évaluer les structures atteintes et l’éventuelle nécessité d’un traitement chirurgical. Dans tous les cas, la convalescence doit être suffisamment prolongée pour permettre une cicatrisation adéquate et éviter les récidives inflammatoires ou infectieuses locales. Les chevaux souffrant de plaie de garrot (avec ou sans fracture associée) ont un meilleur pronostic pour le retour au travail que ceux souffrant de bursite du garrot, compte tenu du caractère souvent chronique et récidivant de cette affection.

(1) Voir l’article “L’imagerie du garrot” de Carine Tahier, dans ce numéro.

Références

  • 1. Barone R. Anatomie comparée des mammifères domestiques. Dans: Arthrologie et Myologie, tome 2. 3e éd. Ed. Vigot. 1989: 71-73 et 613-615.
  • 2. Clayton HM, Kaiser LJ, Nauwelaerts S. Pressure on the horse’s withers with three styles of blanket. Vet. Journal Apr. 2010; 184(1): 52-55.
  • 3. Von Peinen K, Wiestner T, von Rechenberg B et coll. Relationship between saddle pressure measurements and clinical signs of saddle soreness at the withers. Equine vet. J. 2010; 42 (38): 650-653.
  • 4. Reef VB. Equine Diagnostic Ultrasound. Ed. Saunders. 140p.
  • 5. Sells PD, Pinchbeck G, Mezzane H et coll. Pack wounds of donkeys and mules in the Northern High Atlas and Iowlands of Morocco. Equine Vet. J. 2010; 42(3): 219-226.

Éléments à retenir

→ Une plaie du garrot ne doit pas être prise à la légère car l’atteinte de structures profondes peut rapidement compliquer la situation et, par la suite, favoriser les récidives.

→ La mise en œuvre d’examens complé­mentaires d’imagerie est recommandée afin de ne pas passer à côté de l’atteinte de structures profondes.

→ La prévention des récidives passe par un temps de convalescence permettant une cicatrisation complète des lésions et par l’adaptation du harnachement.

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