Risques professionnels liés à la pratique de l’anesthésie - Pratique Vétérinaire Equine n° 168 du 01/10/2010
Pratique Vétérinaire Equine n° 168 du 01/10/2010

Fiche technique

Auteur(s) : Olivier L. Levionnois*, Karine Portier**

Fonctions :
*IPSAVEq, Dipl. ECVAA. Section d’anesthésiologie, Département des sciences cliniques vétérinaires, Faculté Vetsuisse de l’université de Berne, Boite postale 8466, 3001 Bern
**DMV, MSc, PhD, DScV, CertVA, MRCVS. VetAgro Sup, Campus vétérinaire de Lyon, 1, avenue Bourgelat, 69280 Marcy-L’Étoile

Les effets secondaires sur le personnel liés à la pratique de l’anesthésie sont rares et peu graves. Cependant, ils existent et il est important d’en prendre conscience afin de chercher à limiter les situations à risque dans l’environnement professionnel quotidien.

Un article récent de Merat F. et Merat S. a recensé ces dangers. Nous proposons ici une revue synthétique de ces effets indésirables et des moyens d’y remédier dans la pratique vétérinaire équine [1].

Alors que le recours à l’anesthésie se justifie pour le bien-être de l’animal et la réussite des interventions, sa pratique expose le personnel, et plus particulièrement l’anesthésiste, à certains dangers. Les gaz anesthésiques représentent un facteur de risque essentiel. Le stress professionnel, l’exposition au sang, à des maladies, aux rayonnements ionisants, le contact avec des produits pharmaceutiques addictifs, l’électrisation, etc., sont aussi à prendre en compte.

Risques liés à l’emploi d’agents anesthésiques inhalés

• L’utilisation d’agents anesthésiques inhalés est très fréquente dans les structures chirurgicales équines. Les gaz les plus souvent employés sont des agents volatils halogénés comme l’halothane, l’isoflurane ou le sévoflurane, éventuellement associés au protoxyde d’azote. Ces produits sont employés principalement au bloc, mais également en dehors pour une anesthésie de courte durée chez le poulain. La quantité de ces gaz exhalés par l’animal dans la salle de réveil est particulièrement importante chez les chevaux qui ventilent de gros volumes respiratoires et sont enfermés au réveil dans des espaces restreints et clos (photo 1).

Des effets secondaires tels qu’une toxicité neurologique et hématologique, hépatique, rénale, cancérigène et sur la reproduction (baisse de la fertilité, avortements spontanés, tératogénicité) leurs ont été attribués. Il convient, là, d’étudier chaque produit car ils ne présentent pas les mêmes risques (différence entre les agents anesthésiques et le protoxyde d’azote). De plus, il convient de différencier les études expérimentales de toxicité et les études cliniques. Ces dernières sont sujettes à de nombreux biais rendant très difficile d’établir un lien direct entre l’exposition aux gaz et le développement d’un symptôme particulier.

• Sur le plan clinique, l’augmentation du risque d’avortements spontanés a été rapportée en priorité. Malgré de nombreuses études contradictoires, ce risque est maintenu pour le protoxyde d’azote comme pour les agents anesthésiques, mais à très faible fréquence.

• La toxicité hépatique est assez spécifique de l’halothane. Elle est connue et figure depuis 1989 au tableau des maladies professionnelles du régime général de la Sécurité sociale. Des marqueurs non spécifiques du dysfonctionnement enzymatique permettent de valider en partie cette atteinte. Les cas de toxicité hépatique à l’isoflurane ou au sévoflurane restent en revanche pratiquement inexistants. L’halothane est également plus enclin que les autres gaz à causer une toxicité neurologique (diminution des performances intellectuelles et motrices). En revanche, lors d’exposition aiguë aux gaz anesthésiques, un mal de tête est courant. Certains effets sur le système immunitaire ont également été rapportés, notamment pour le protoxyde d’azote (anémie mégaloblastique, aplasie médullaire, agranulocytose, myéloneuropathie).

• Des effets sur les cellules sanguines et la mutagenèse ont été démontrés avec les gaz anesthésiques, même à d’infimes concentrations, lors d’administrations régulières et sur de longues périodes. Là encore, des études contredisent ces résultats, montrant que ces effets restent rares et non systématiques.

• L’exposition aux gaz anesthésiques peut être mesurée par la métrologie d’ambiance des salles d’intervention et de réveil, et la métrologie individuelle du personnel en contact. Dans les salles de réveil, il est démontré que des quantités importantes de gaz anesthésiques expirés se trouvent systématiquement près du sol. Une bonne aération de ces salles et la limitation du personnel strictement nécessaire pour l’accompagnement du cheval au début de son réveil sont ainsi recommandées. La récupération et l’élimination des gaz d’évacuation de la machine d’anesthésie comme de ceux aspirés pour la mesure de la capnie (taux de CO2 dans les gaz respiratoires), ainsi que l’utilisation d’appareils hermétiques et fonctionnels sont indispensables pour limiter la pollution ambiante.

Mesures limitant l’exposition du personnel aux vapeurs halogénées

Il convient d’appliquer les mesures suivantes :

– machine d’anesthésie sans fuite grâce à des tests journaliers (tous les matins) et un entretien hebdomadaire (vérification, nettoyage et remplacement des pièces) ;

– anesthésie volatile seulement avec intubation endotrachéale et ballonnet ;

– réduire la durée de l’anesthésie volatile (animal bien préparé, pas de temps d’attente, communication entre le chirurgien et l’anesthésiste au début et à la fin de la procédure) ;

– diminuer le débit de gaz frais ;

– utiliser l’anesthésie intraveineuse si approprié ;

– évacuer correctement les vapeurs anesthésiques du circuit pendant et à la fin de l’anesthésie ;

– ventiler correctement la zone de réveil est tout particulièrement important en anesthésie équine ;

– limiter la manipulation des bouteilles d’isoflurane, et plutôt en fin de journée ;

– éviter la présence continue à proximité de la machine d’anesthésie et des voies respiratoires d’un cheval sous anesthésie volatile.

Pénibilité du travail et charge mentale

• Les situations d’urgence, le manque de formation, d’expérience, ou le cumul des responsabilités peuvent conduire, entre autres, à un épuisement professionnel, à l’origine de symptômes d’asthénie psychique et physique, avec éventuellement des perturbations du sommeil, des difficultés relationnelles et un syndrome dépressif. Sans en être spécifique, le travail d’anesthésiste a été reconnu pour être plus prédisposé à ces risques que d’autres spécialités médicales. Une meilleure reconnaissance, une bonne formation, l’échange et la communication avec des confrères ou l’amélioration des conditions de travail contribuent à prévenir le risque de fatigue. L’utilisation sur place de fiches de suivi anesthésique et de fiches résumés avec les procédures à suivre, les dosages et les protocoles permet de réduire la charge journalière de travail et d’améliorer la sécurité de l’animal, et, de fait, le confort de l’anesthésiste.

• En anesthésie équine, manipuler un animal lourd et parfois dangereux (phases de couchage et de réveil) présente des risques de blessures et d’accidents traumatiques physiques. Le recours à une infrastructure adaptée (portes pivotantes au coucher, tables roulantes ou treuils pour les transports, réveil à la corde ou en liberté) et l’expérience personnelle permettent de limiter le risque d’incidents et la fatigue causée par les efforts physiques répétés (photo 2).

Toxicomanie

La toxicomanie est la dépendance vis-à-vis de substances telles que les tranquillisants, les hypnotiques, les anesthésiques ou les opiacés. Le contrôle sur le lieu de travail et la prévention permettent d’éviter ou de reconnaître un problème. L’enseignement, le contrôle strict de la délivrance et de l’utilisation de ces produits et l’amélioration des conditions de travail sont à privilégier.

Accidents d’exposition au sang

La transmission de maladies ou l’auto-administration accidentelle de certaines substances (anesthésiques) peuvent généralement être évitées par le respect de règles de prévention :

– lors de contact avec des animaux à risque ou de manipulation de produits dangereux avec risque de projection : port de gants, de lunettes et de masques simples ; utilisation de capuchons d’aiguilles, en prenant garde de ne pas les porter à la bouche ou en direction du visage ;

– utiliser des conteneurs de recueil pour matériels usagés.

Exposition aux rayonnements ionisants

L’observation des règles de radioprotection sont indispensables même lors de procédures sous anesthésie générale. L’exposition répétée à des champs électromagnétiques intenses (imagerie à résonance magnétique) est également à éviter [2].

Électrisation au bloc opératoire

En raison de l’utilisation de dispositifs électriques dans un environnement humide et stressant pour l’anesthésiste, aux côtés de l’animal sous anesthésie générale, il persiste un risque minime mais existant d’électrocution.

Explosions

L’utilisation d’oxygène dans un environnement comportant de nombreux appareils électriques, comme le bloc opératoire, représente toujours un risque d’explosion. Le contact avec des lasers (à titre d’instruments chirurgicaux) est à proscrire. La surchauffe exagérée des bonbonnes de gaz comprimé est également dangereuse. Le transport d’une bouteille d’oxygène dans un véhicule de travail n’est pas interdit par la loi en France pour les vétérinaires, mais représente un risque d’explosion important. À la moindre impulsion électrique, Une fuite même faible dans un espace confiné et éventuellement chauffé représente un risque très important d’explosion, (exemple : ouverture automatique des portes d’une voiture). Il est indispensable d’observer certaines règles (http://www.afgc.fr).

• Lors de transport :

– bien attacher la bouteille ;

– toujours la fermer et retirer les équipements démontables (robinets, détendeurs) ;

– ventiler le véhicule (fenêtre, ventilation) ;

– ne pas fumer.

• En dehors d’un transport :

– sortir la bouteille du véhicule ;

– ne pas exposer la bouteille à la chaleur.

Ces risques rares et souvent mal identifiés existent néanmoins et nécessitent une vigilance de la part du personnel pour travailler dans de bonnes conditions de sécurité et de calme. Le contact régulier à des concentrations non négligeables d’anesthésiques volatils, particulièrement en salle de réveil où l’anesthésiste reste souvent proche de la tête de l’animal dans un environnement confiné et mal aéré, est fréquent et peut entraîner fatigue et maux de tête ainsi que des effets non désirables à long terme. Tout particulièrement, il convient pour une femme dès le début d’une grossesse d’en parler ouvertement avec son médecin traitant.

Références

  • 1 – Merat F, Merat S. Occupational hazards related to the practice of anaesthesia. Ann. Fr. Anesth. Reanim. 2008; 27: 63-73.
  • 2 – Smith JA. Hazards, safety, and anesthetic Considerations for magnetic resonance imaging. Topics Companion Anim. Med. 2010; 25: 98-106.
Formations e-Learning

Nouveau : Découvrez le premier module
e-Learning du PointVétérinaire.fr sur le thème « L’Épanchement thoracique dans tous ses états »

En savoir plus

Boutique

L’ouvrage ECG du chien et du chat - Diagnostic des arythmies s’engage à fournir à l’étudiant débutant ou au spécialiste en cardiologie une approche pratique du diagnostic électrocardiographique, ainsi que des connaissances approfondies, afin de leur permettre un réel apprentissage dans ce domaine qui a intrigué les praticiens pendant plus d’un siècle. L’association des différentes expériences des auteurs donne de la consistance à l’abord de l’interprétation des tracés ECG effectués chez le chien et le chat.

En savoir plus sur cette nouveauté
Découvrir la boutique du Point Vétérinaire

Agenda des formations

Calendrier des formations pour les vétérinaires et auxiliaires vétérinaires

Retrouvez les différentes formations, évènements, congrès qui seront organisés dans les mois à venir. Vous pouvez cibler votre recherche par date, domaine d'activité, ou situation géographique.

En savoir plus


Inscrivez-vous gratuitement à notre Newsletter

Découvrez en avant-première chaque mois le sommaire du Pratique Vétérinaire Equine.

Vidéo : Comment s'inscrire aux lettres d'informations du Point Vétérinaire

Retrouvez-nous sur
Abonné à Pratique Vétérinaire Equine, retrouvez votre revue dans l'application Le Point Vétérinaire.fr