Lipome infiltrant de la paroi thoracique chez un poulain âgé de 18 mois - Pratique Vétérinaire Equine n° 156 du 01/10/2007
Pratique Vétérinaire Equine n° 156 du 01/10/2007

Auteur(s) : Lysiane Préveiraud*, Olivier M. Lepage**

Fonctions :
*ENV de Lyon
Département hippique
69280 Marcy-L'Étoile

Le lipome infiltrant est une affection rare chez le cheval, et son pronostic à long terme est peu connu.

Un poulain selle français de 18 mois est présenté en consultation pour une masse dans la région du passage de la sangle.

Cas clinique

Anamnèse

Le poulain vit au pré avec d'autres chevaux du même âge. Un soir, au retour du pré, le propriétaire constate la présence d'une masse d'environ 15 cm de diamètre, située dans la région du passage de la sangle, non douloureuse à la palpation. Étant donné l'apparition subite et le mode de vie du poulain, le vétérinaire traitant suspecte un hématome consécutif à un coup de pied. Un examen échographique de la région révèle l'absence de fracture costale et la nature organisée de la masse. Un traitement local à base de lidocaïne et de prednisolone (Ekyflogyl®) est entrepris, sans résultat. La masse n'ayant pas évolué ni en taille ni en consistance en huit mois, le poulain est alors présenté en consultation à la clinique.

Examen clinique général

À l'admission, l'état général du poulain est bon et ses paramètres vitaux sont normaux. La masse est située sur la face latérale du thorax et se poursuit en région du passage de la sangle à droite (). D'environ 20 cm de diamètre, elle est de consistance spongieuse mais assez ferme, ni chaude ni douloureuse à la palpation, et de surface irrégulière. Elle semble adhérente au plan musculaire sous-jacent. Les hypothèses diagnostiques à ce stade sont un lipome infiltrant, un autre type de tumeur ou un granulome inflammatoire.

Examens complémentaires

Un examen échographique est réalisé. Il révèle une masse constituée d'un tissu organisé, qui présente de nombreuses zones hypoéchogènes bordées et parcourues de lamelles d'une substance isoéchogène aux muscles périphériques. Cette lésion ne communique pas avec la cavité thoracique. Ce type d'image échographique, dite “marbrée”, est compatible avec un lipome infiltrant. En se fondant sur l'anamnèse, l'examen clinique et l'échographie, un diagnostic de suspicion de lipome infiltrant est émis. En accord avec le propriétaire de l'animal, l'exérèse chirurgicale de la masse est décidée à des fins diagnostiques et thérapeutiques.

Traitement

L'intervention chirurgicale est réalisée sous anesthésie générale, le cheval est placé en décubitus latéral gauche. Un volet cutané de 40 cm de diamètre est pratiqué puis récliné (). Plusieurs masses de petite taille, de couleur jaune, dont l'aspect macroscopique correspond à celui d'un lipome, sont présentes dans le tissu sous-cutané. Des prélèvements pour une analyse histopathologique sont effectués.

Le muscle peaucier (muscle sous-cutané du tronc), d'aspect normal, est ensuite incisé selon un volet parallèle et décalé intérieurement de 1 cm par rapport au volet cutané, pour être à son tour récliné. Une masse à l'aspect marbré, en regard des côtes et en continuité avec les muscles intercostaux sous-jacents, est alors mise en évidence ().

L'exérèse de la masse est réalisée, mais, compte tenu de son caractère infiltrant et adhérent aux muscles intercostaux et de la proximité de la plèvre, il n'est pas certain qu'elle soit totale. Macroscopiquement, la lésion apparaît comme un tissu musculaire infiltré par du tissu graisseux, ce qui lui donne un aspect marbré ( et ). Un prélèvement est effectué pour un examen histopathologique.

Les sutures musculaires et cutanées sont ensuite réalisées. Un drain de Penrose est positionné en partie déclive de l'incision (). Un pansement collé et un corset, pour protéger la plaie et limiter la formation de collections, sont mis en place.

Résultats de l'analyse histopathologique

Les petites masses du tissu sous-cutané sont des lipomes, la masse principale est un lipome infiltrant. L'aspect microscopique de celui-ci révèle des rangées d'adipocytes bien différenciés qui s'infiltrent entre les fibres musculaires normales ().

Évolution postopératoire

Un traitement antibiotique (pénicilline) et anti-inflammatoire (phénylbutazone) est mis en place durant les premiers jours. La cicatrisation de la plaie est compliquée par la formation d'un hématome entre les plans musculaires. Un pansement compressif est appliqué sous le corset pour limiter les risques de collection. Quinze jours après l'intervention chirurgicale, une déhiscence cutanée est notée en partie cranio-ventrale de la plaie. Les tissus nécrosés sont alors débridés, et l'antibiothérapie est reprise (timéthoprime-sulfaméthoxypyridazine, Avemix®, à la dose de 30 mg/kg per os, deux fois par jour pendant cinq jours, puis enrofloxacine, Baytril®, à la dose de 7,5 mg/kg per os, une fois par jour pendant cinq jours) et associée à des soins locaux (hydrothérapie). La sortie de la clinique est autorisée trois semaines après l'opération. La plaie est alors en bonne voie de cicatrisation. Des soins d'hydrothérapie locale sont recommandés jusqu'à la cicatrisation complète.

Un mois et demi après l'intervention, la cicatrisation cutanée est presque terminée. Une zone en relief est toujours visible à l'emplacement des lipomes sous-cutanés qui n'ont pas été retirés lors de l'opération. Sept mois après la procédure chirurgicale, lors d'une visite de contrôle, la cicatrisation cutanée est complète et aucun signe de récidive du lipome infiltrant n'est observé (). Deux ans et demi après l'intervention, le cheval est à nouveau présenté à la clinique dans le cadre d'une visite d'achat. Aucune récidive n'est notée. Sur le plan esthétique, le site de la cicatrisation reste visible par la présence, entre autres, de quelques poils blancs et des lipomes sous-cutanés.

Le pronostic vital et sportif est favorable.

Discussion

Les lipomes sont des tumeurs bénignes des adipocytes, non invasives et généralement bien circonscrites [1]. Ils comptent parmi les tumeurs mésenchymateuses les plus souvent rencontrées chez l'homme et le chien [6]. Ils sont également fréquents chez le cheval d'âge moyen ou avancé, notamment sur le mésentère, où ils peuvent devenir pédiculés [1]. Le lipome infiltrant constitue une forme bien distincte de lipome sur les plans macroscopique et histologique. Il présente une certaine agressivité locale en raison de son caractère invasif et de sa capacité de récidive après exérèse. Il est considéré comme une tumeur bénigne, à la différence du liposarcome qui métastase [9]. Les tissus les plus souvent infiltrés sont le muscle, en premier lieu, puis les fascias, les os, les capsules articulaires, le myocarde et les nerfs [10].

L'existence de lipome infiltrant est rapportée essentiellement chez l'homme et le chien, plus rarement chez le cheval et les bovins [4, 5]. Chez le cheval, seulement deux cas confirmés ont été décrits, l'un localisé au flanc et l'autre au cœur [1, 7]. Un troisième cas, à l'encolure, semble correspondre à ce diagnostic [3]. Chez le chien, les lipomes infiltrants sont fréquemment retrouvés sur les extrémités [9, 2]. Chez l'homme, le tronc, les membres et, plus rarement, d'autres régions comme la tête, le cou, la cavité buccale ou le flanc peuvent être affectés [8]. Si, chez l'homme et le chien, ces tumeurs concernent essentiellement des individus d'âge moyen, chez le cheval, les individus jeunes, moins de trois ans dans les cas publiés, semblent les plus touchés [8, 6]. Une prédisposition raciale est évoquée chez le chien de race labrador [2, 13].

L'hypothèse diagnostique de lipome infiltrant repose sur l'anamnèse (âge de l'animal) et les signes cliniques (masse molle, non douloureuse et mal délimitée). Le diagnostic différentiel est celui des masses cutanées molles, et comprend une hernie abdominale, un abcès, un lipome ou un autre type de tumeur et un hématome [7]. Dans deux cas sur trois, l'hématome est le diagnostic retenu par le vétérinaire référent. L'échographie est l'examen complémentaire de choix, le plus abordable en pratique, même si elle ne permet pas d'établir un diagnostic de certitude [7]. Il est préférable de ne pas réaliser une cytoponction ou une biopsie en première intention, si la masse se révèle être un hématome. De plus, la cytologie (aspiration à l'aiguille fine) est en général non spécifique et peut conduire à un diagnostic erroné de simple lipome [11]. Certains auteurs rapportent des diagnostics erronés de lipome, au lieu de celui de lipome infiltrant, également à partir de biopsies [2]. La tomodensitométrie (TDM) et l'imagerie par résonance magnétique (IRM), utilisées chez l'homme et le chien, semblent être les meilleurs moyens d'établir un diagnostic de certitude [6, 13]. Chez le cheval, la TDM et l'IRM n'ont jamais été mises en œuvre pour diagnostiquer un lipome infiltrant, probablement en raison de difficultés techniques de disponibilité et de coût.

Chez le cheval, le diagnostic définitif est établi grâce à l'analyse histopathologique d'une biopsie obtenue durant l'intervention chirurgicale ou à partir d'une pièce d'exérèse. L'aspect histologique du lipome infiltrant est caractéristique : des adipocytes d'aspect normal, bien différenciés, sont observés, infiltrés entre les fibres musculaires, ce qui crée une atrophie myofibrillaire [6, 7, 9].

Chez l'homme et le chien, le traitement est chirurgical, mais les récidives sont fréquentes (respectivement 50 et 60 %) et dépendent de la localisation de la tumeur [2, 8]. Pour limiter celles-ci au minimum, l'exérèse doit être la plus large possible, ce qui n'est pas toujours réalisable, par exemple pour les tumeurs situées en région du cou ou des membres, ou encore au niveau des muscles intercostaux, comme c'est le cas ici. Chez le chien, des traitements adjuvants de radiothérapie (irradiation au Cobalt 60) ont été essayés [10]. Il semblerait que ce protocole, réalisé en complément d'une chirurgie cyto-réductrice, ait un effet bénéfique. Une stabilisation de la taille de la lésion, ou une absence de récidive peuvent être observées. Un essai de traitement à la doxorubicine, un antibiotique utilisé dans la prise en charge de certains cancers tels que le lymphome ou l'hémangiosarcome, a été mené sur un cas de lipome infiltrant chez un chien, avec une diminution d'au moins 50 % de la taille de la tumeur [12]. Il serait intéressant de tester ce traitement sur une population plus étendue, en association avec une exérèse chirurgicale. Chez l'homme, seul le traitement chirurgical est pratiqué. Si la lésion est stable et non gênante d'un point de vue fonctionnel, l'exérèse n'est pas réalisée afin d'éviter un acte trop délabrant, comme lors d'une localisation à l'encolure [8].

Chez le cheval, le seul traitement relaté est l'exérèse chirurgicale. Il n'est pas possible d'évaluer le taux et la vitesse de récidive car tous les cas connus ont fait l'objet d'une euthanasie, et seul le poulain décrit dans cet article présente une évolution favorable, sans récidive apparente plus de deux ans après une excision chirurgicale.

Ce cas représente le premier résultat positif à long terme obtenu par l'exérèse chirurgicale d'un lipome infiltrant chez le cheval. Cette affection rare doit être incluse dans le diagnostic différentiel des masses cutanées, le diagnostic de suspicion se fondant sur l'examen clinique, l'échographie et l'aspect macroscopique lors de l'excision chirurgicale. Toutefois, étant donné la difficulté d'exérèse, le risque de récidive est probablement élevé, au vu de ce qui est constaté chez le chien et l'homme. C'est donc un élément important à mentionner au propriétaire de l'animal avant d'envisager le traitement chirurgical, et ce tant que nous ne disposerons de pas plus de données à long terme chez le cheval.

Éléments à retenir

> Le lipome infiltrant a un caractère invasif local et une capacité de récidive importante après exérèse, mais il ne métastase pas.

> Le seul traitement actuellement envisageable chez le cheval pour un lipome infiltrant est l'exérèse chirurgicale.

> Le cas décrit dans cet article représente le premier résultat positif à long terme (2,5 ans) obtenu par l'exérèse d'un lipome infiltrant chez le cheval. Cependant, étant donné la difficulté de la réalisation d'une exérèse totale, le risque de récidive est probablement élevé, au vu de ce qui est constaté chez le chien et l'homme.

Références

  • 1 - Baker D, Kreeger J. Infiltrative lipoma in the heart of a horse. Cornell Vet. 1987 ; 77 : 258-262.
  • 2 - Bergman PJ, Withrow SJ, Straw RC, Powers BE. Infiltrative lipoma in dogs : 16 cases (1981-1992). J. Am. Vet. Med. Assoc. 1994 ; 205(2) : 322-324.
  • 3 - Blackwell JG. Unusual adipose tissue growth in a colt. J. Am. Vet. Med. Assoc. 1972 ; 161 : 1141-1142.
  • 4 - Di Giancomillo M, Lombardo R, Berreta S, Pravettoni D et coll. Congenital facial infiltrative lipoma in a calf. Vet. Radiol. Ultrasound. 2002 ; 43(1) : 46-49.
  • 5 - Gleiser CA, Jardine JH, Raulston GL, Gray KN. Infiltrating lipomas in the dogs. Vet. Pathol. 1979 ; 16 : 623-624.
  • 6 - Kramek BA, Spackman CJA, Hayden DW. Infiltrative lipoma in three dogs. J. Am. Vet. Med. Assoc. 1985 ; 186(1) : 81-82.
  • 7 - Lepage OM, Laverty S, Drolet R, Lavoie JP. Infiltrative lipoma in a Quarter Horse. Cornell Vet. 1992 ; 83 : 57-60.
  • 8 - Lerosey Y, Choussy O, Gruyer X, Marie JP et coll. Infiltrating lipoma of the head and neck : a report of one pediatric case. Int. J. Pediatr. Otorhinolaryngol. 1999 ; 47(1) : 91-95.
  • 9 - McChesney AE, Stephens LC, Lebel J, Snyder S, Ferguson HR. Infiltrative lipoma in dogs. Vet. Pathol. 1980 ; 17 : 316-322.
  • 10 - McEntee MC, Page RL, Mauldin GN, Thrall DE. Results of irradiation of infiltrative lipoma in 13 dogs. Vet. Radiol. Ultrasound. 2000 ; 41(6) : 554-556.
  • 11 - McEntee MC, Thrall DE. Computed tomographic imaging of infiltrative lipoma in 22 dogs. Vet. Radiol. Ultrasound. 2001 ; 42(3) : 221-225.
  • 12 - Ogilvie GK, Reynolds HA, Richardson RC, Withrow SJ et coll. Phase II evaluation of doxorubicin for treatment of various canine neoplasms. J. Am. Vet. Med. Assoc. 1989 ; 195(11) : 1580-1583.
  • 13 - Thomson MJ, Withrow SJ, Dernell WS Powers BE. Intermuscular lipomas of the thigh region in dogs : 11 cases. J. Am. Anim. Hosp. Assoc. 1999 ; 35 : 165-167.
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