Un cas de corps étranger métallique intestinal chez un poney - Pratique Vétérinaire Equine n° 150 du 01/04/2006
Pratique Vétérinaire Equine n° 150 du 01/04/2006

Auteur(s) : Marie Dehlinger*, Xavier Gluntz**, Gilles-André Battail***, Pierre Cirier****

Fonctions :
*Clinique Vétérinaire du Lys,
663, avenue Jean-Jaurès,
77190 Dammarie-Les-Lys

Les cas de corps étrangers intestinaux sont peu fréquents chez les équidés, qui sont sélectifs dans leur prise alimentaire. Une laparotomie exploratrice chez un poney qui présente un syndrome abdominal aigu révèle la présence d'un fil de fer qui provoque une péritonite localisée et des adhérences.

Un poney connemara hongre âgé de neuf ans est présenté en consultation pour un syndrome abdominal aigu qui évolue depuis douze heures.

L'animal présente des signes de douleur violente qui semblent s'accentuer avec le temps.

Cas clinique

Examen clinique

L'état général du poney est mauvais. Son corps présente des signes de sudation (plaques de poils séchés) et de nombreuses escarres.

Sa fréquence cardiaque est de 76 bpm et ses muqueuses sont congestionnées avec un TRC de trois secondes. La présence d'un liséré gingival est notée. La fréquence respiratoire est de 20 inspirations par minute. La température rectale est de 38,5 °C.

Les bruits digestifs sont absents dans les quatre quadrants d'auscultation, la circonférence abdominale est normale.

La palpation transrectale révèle la présence d'anses d'intestin grêle dilatées. Le sondage nasogastrique permet de recueillir 6 litres de reflux alimentaire.

Examens complémentaires

Les analyses hématobiochimiques révèlent une déshydratation marginale (Ht = 49,9 %), une leucocytose importante (20 900/mm3), ainsi qu'une hypercréatinémie (31 mg/l) qui signe une insuffisance rénale ou prérénale.

L'échographie transabdominale met en évidence des segments d'intestin grêle distendus et une quantité anormalement élevée de liquide abdominal (). La paracentèse abdominale permet de récupérer un liquide de couleur jaune orangé (taux de protéines = 32 g/l). Aucun paramètre cytologique n'a été notifié ().

Au vu de l'état clinique du poney et des résultats des examens complémentaires qui sont compatibles avec un début de péritonite, un traitement chirurgical est mis en œuvre immédiatement.

Laparotomie exploratrice

• Une antibioprophylaxie à base de ceftiofur (2 mg/kg, Excenel®) et de gentamicine (6,6 mg/kg, G4®), ainsi qu'un traitement anti-inflammatoire (flunixine-méglumine, 1,1 mg/kg, Avlezan®) sont administrés en préopératoire.

• Une prémédication est réalisée à l'aide d'α2-agonistes (détomidine, 20 μg/kg, Domosedan®) et de diazépam (0,1 mg/kg, Valium®). L'induction de l'anesthésie se fait à la kétamine (2,2 mg/kg, Imalgène 1 000®), puis un relais gazeux à l'halothane est mis en place.

• Le poney est placé en décubitus dorsal. Une préparation aseptique du site de laparotomie est effectuée.

• Une laparotomie standard sur la ligne blanche est réalisée. Les anses d'intestin grêle sont extériorisées. Elles sont dilatées par du gaz et du contenu digestif. L'examen de l'intestin grêle révèle une dizaine de zones inflammatoires d'environ 5 cm de diamètre sur la paroi de celui-ci. Elles sont constituées de tissu fibreux et correspondent à des sites de péritonite localisée. Des brides fibreuses relient certains sites (). Une anse de jéjunum est étranglée par l'une de ces brides () et présente un début d'altération de la vascularisation (coloration rose foncé violacée). L'examen du site d'adhérence le plus distal révèle la présence d'un corps étranger, un fil de fer en acier d'une dizaine de centimètres de long (). Il est planté dans la paroi intestinale et dépasse d'environ 1 cm du tissu fibreux réactionnel. Le reste du fil de fer se trouve dans la lumière intestinale.

L'anse étranglée est libérée de la bride fibreuse (). Elle retrouve rapidement une couleur normale et le péristaltisme reprend. Une entérectomie n'étant donc pas nécessaire, une entérotomie est réalisée afin de vidanger l'intestin grêle. La portion la plus distale du jéjunum est amenée sur une table d'entérotomie afin de l'isoler et d'éviter tout risque de contamination de la cavité abdominale. Une incision de 5 cm de long est réalisée sur le bord antimésentérique et le contenu de l'intestin grêle est entièrement évacué par taxis. La plaie d'entérotomie est ensuite suturée à l'aide de deux surjets au Vicryl décimale 3 avec une aiguille ronde (polyglactine).

Le fil de fer est retiré, puis les sites d'adhérence sont nettoyés et les brides fibreuses sont réséquées. Le tissu fibreux est excisé, et les sites où la séreuse est lésée sont soit enfouis avec un surjet enfouissant, soit épiploïsés. Les sutures intestinales sont réalisées à l'aide d'un fil résorbable Vicryl décimale 3 avec une aiguille ronde (polyglactine).

L'examen du reste de la cavité abdominale est normal.

La plaie est suturée en trois plans. Le plan musculaire est suturé à l'aide d'un surjet avec un fil Safil E Set Brown décimale 7 (acide polyglycolique), le plan sous-cutané par un surjet avec un fil résorbable Biosyn décimale 3 (glycomer) et le plan cutané avec des agrafes.

Un pansement collé stérile est mis en place.

Suivi postopératoire

Hospitalisation

• La nuit suivant l'intervention chirurgicale se passe sans incident. Le poney reçoit une perfusion d'entretien d'acétate de Ringer (3 l/h) jusqu'au lendemain pour contrôler une déshydratation modérée (voir le “Évolution des valeurs hématobiochimiques au cours de l'hospitalisation”).

• Le lendemain, le poney présente une légère augmentation de température (38,6 °C).

• Le transit est présent dans les quatre quadrants. Les traitements commencés en préopératoire sont poursuivis :

- une antibioprophylaxie à base de ceftiofur (Excenel®, 2 mg/kg une fois par jour, voie intraveineuse, pendant trois jours puis deux fois par jour pendant cinq jours) et de gentamicine (G4®, 6,6 mg/kg une fois par jour, par voie intraveineuse, pendant trois jours) ;

- un traitement anti-inflammatoire (flunixine-méglumine, Avlezan®, 1,1 mg/kg par voie intraveineuse, une fois par jour pendant trois jours puis une fois par jour pendant cinq jours).

• De l'héparine sodique (80 UI/kg, par voie sous-cutanée) est administrée afin de limiter la formation d'adhérences. Le rythme d'administration est de deux fois par jour pendant les deux premiers jours, une fois par jour pendant les deux jours suivants, puis un jour sur deux pendant deux jours.

• La fluidothérapie est poursuivie pendant 24 heures. Puis les perfusions sont arrêtées car le poney s'abreuve normalement et ne présente pas de reflux.

• L'animal est progressivement réalimenté au cours des quatre jours qui suivent l'opération. Il défèque normalement et son état général est bon.

• Six jours après l'opération, le poney présente une légère élévation de température (38,6 °C) en comparaison avec les jours précédents et une augmentation de sa fréquence cardiaque (56 bpm) le matin. La plaie de laparotomie est suintante et légèrement œdématiée. Une hyperthermie modérée persiste malgré l'administration de flunixine-méglumine (Avlezan®, 1,1 mg/kg une fois par jour, par voie intraveineuse) et de la gentamicine, arrêtée trois jours plus tôt, est de nouveau administrée (G4®, 6,6 mg/kg une fois par jour par voie intraveineuse). Le soir, les paramètres sont normaux.

• Les jours suivants, l'état général du poney est bon (). Huit jours après l'intervention chirurgicale, l'examen clinique est normal, le taux de globules blancs a augmenté par rapport au lendemain de l'opération (tout en restant subnormal), le taux de créatinine a diminué et retrouve une valeur normale, mais la plaie reste suintante et œdématiée. Un traitement anti-inflammatoire par voie orale (phénylbutazone, 2,2 mg/kg matin et soir pendant cinq jours, puis une fois par jour pendant cinq jours, Equipalazone®) est mis en place. Des soins locaux (hydrothérapie) sont effectués deux fois par jour jusqu'à la sortie de l'animal.

• La sortie du poney s'effectue treize jours après son admission.

Suivi à moyen terme

Les agrafes sont retirées dix-huit jours après l'opération.

Pendant les deux mois qui suivent l'intervention chirurgicale, le poney est sorti au pas. Une échographie de contrôle de la cicatrice de la plaie de laparotomie est réalisée et ne montre pas d'anomalie, à l'exception d'une petite hernie qui persiste sur la cicatrice.

Entre les deux et six mois postopératoires, le poney reprend progressivement le travail.

Six mois après, l'animal est en bon état général et présente une activité sportive normale. Il n'a pas manifesté de nouvel épisode de colique depuis son hospitalisation.

Discussion

Choix de l'approchechirurgicale

La libération de l'anse d'intestin grêle étranglée par la bride fibreuse a permis d'objectiver la vitalité de cette anse. Même si une entérectomie n'était pas nécessaire, il était préférable de vider de son contenu la totalité de l'intestin grêle, afin de favoriser la reprise de sa motilité, et par conséquent du transit. C'est pourquoi il a été réalisé une entérotomie, comme classiquement décrite. La vidange de l'intestin grêle a été effectuée par taxis depuis le duodénum, d'une part, et par voie rétrograde depuis la valvule iléo-cæcale, d'autre part, sans rencontrer d'autre corps étranger.

Ainsi, les différents sites de péritonite localisée correspondent vraisemblablement au cheminement du fil de fer dans l'intestin grêle. Le fil s'est fiché dans la paroi, ce qui a provoqué une péritonite localisée, puis il a dû se détacher par l'action du péristaltisme ou de la réaction inflammatoire pour se replanter plus loin dans la paroi et générer une nouvelle péritonite. Lors de la protrusion hors de l'intestin, le fil de fer peut aussi avoir lésé l'anse intestinale en regard du site primaire, créant une lésion de la séreuse et ainsi une péritonite localisée en “miroir”. Une adhérence, fibrineuse puis fibreuse, s'est ensuite développée.

Ces sites réactionnels sont traités différemment en fonction de l'importance des lésions. La fibrine les recouvrant est retirée le plus doucement possible, sous un filet continu de Ringer-lactate, par “épluchage” progressif à l'aide de compresses. Lorsque la lésion ponctiforme est parfaitement cicatrisée, cet “épluchage” ne sert qu'à éviter la formation ultérieure de nouvelles adhérences. Lorsque la cicatrisation est incomplète ou que le tissu fibreux nécessite d'être en partie excisé, un simple surjet séro-séreux permet d'enfouir la zone lésée. Cependant, lorsque celle-ci est trop étendue, son enfouissement peut provoquer une diminution importante du diamètre luminal de l'intestin grêle, pouvant aller jusqu'à causer une occlusion intestinale. Pour écarter ce risque, et pour éviter de pratiquer plusieurs entérectomies, nous avons appliqué chez ce poney la technique d'épiploïsation, très utilisée en chirurgie abdominale chez les carnivores. La portion intestinale où se situe la zone lésée est entièrement “emballée” par de l'omentum ; celui-ci est maintenu en place par des points fixés sur le mésentère, en respectant la vascularisation de ce dernier.

L'ingestion de corps étrangers et ses conséquences chez le cheval

Épidémiologie

Si les cas de pénétration du réseau par un corps étranger métallique à l'origine de réticulo-péritonite, ou d'abcédation d'organes adjacents, sont fréquents chez les bovins [24], l'ingestion de corps étrangers par des chevaux est relativement rare. Contrairement aux bovins et aux ovins, ces animaux sont, en effet, sélectifs dans leur comportement alimentaire [4, 15, 24].

Les cas de troubles dus à l'ingestion de corps étrangers vulnérants ou pénétrants ont rarement été rapportés chez le cheval [24]. Des morceaux de bois, des os, des aiguilles, des cordes en nylon, des fils de fer, du matériel de clôture en caoutchouc, probablement ingérés avec l'aliment, ont été néanmoins retrouvés dans l'estomac de chevaux [4]. L'âge ne semble pas être un facteur [15].

De rares cas de corps étrangers découverts dans la bouche ou le pharynx de chevaux ont été rapportés et seulement deux corps étrangers métalliques. Ils ont été détectés par radiographie, car les corps étrangers métalliques sont souvent enkystés dans les tissus mous [10].

Un cas de pleurésie, accompagnée d'un abcès pulmonaire, a été décrit. Le cheval a avalé un fil de fer qui a perforé l'œsophage thoracique et a provoqué ces lésions [24]. Des perforations de l'intestin par une épine de porc-épic [4], une aiguille numéro 8 d'environ 5 cm [26], des morceaux de bois chez un cheval qui rongeait sa mangeoire [24] ou des fils de fer [3, 4, 10] ont été rapportées chez le cheval.

La perforation de la paroi digestive par un corps étranger, métallique ou non, peut provoquer plusieurs types de lésions : une péritonite, la formation de zones de fibrose et d'adhérences, la formation d'abcès (digestifs ou non).

Les péritonites dues à la pénétration du tractus gastro-intestinal par un corps étranger sont rares [24]. Dans une étude sur 30 cas de péritonite, un seul causé par un corps étranger a été décrit, dans une autre étude 1 cas sur 21 [24]. Dans une étude sur 67 cas, 1 cas était imputé à un corps étranger : un fil de fer à l'origine d'une péritonite septique [8]. Un cas de péritonite par contamination fécale de la cavité abdominale, suite à une perforation de l'abdomen et du petit côlon par une balle de calibre 22, a été décrit [25].

La péritonite est une affection grave chez le cheval, qui peut mettre le pronostic vital de l'animal en jeu. Elle peut être primaire, mais, chez le cheval, elle est généralement secondaire à une lésion péritonéale parasitaire, chimique, traumatique ou infectieuse. Elle fait partie des complications majeures après une chirurgie abdominale [8, 19].

Conséquences des lésions de péritonite localisée

Dans le cas des corps étrangers perforants, souvent de petit diamètre, la péritonite peut être localisée, comme dans notre cas clinique. Des abcès ou des adhérences peuvent entraîner une perte de poids chronique, des coliques intermittentes, voire un syndrome abdominal aigu, en fonction de la section d'intestin impliquée, de l'extension de la lésion et du degré d'obstruction luminale [2, 19].

En effet, fibrose, abcès et adhérences peuvent conduire à des lésions digestives secondaires. La réaction fibreuse autour du ou des corps étrangers fichés dans la paroi intestinale peut être si importante qu'elle diminue de manière significative le diamètre luminal de l'intestin grêle, causant ainsi une occlusion [3, 4, 15]. Une masse de tissu de granulation encapsulant un corps étranger peut aussi causer des lésions intestinales par altération de l'apport sanguin (à l'intestin grêle principalement, qui est très sensible à l'ischémie) ou par compression des vaisseaux mésentériques [3, 4]. Les abcès peuvent de la même manière diminuer le diamètre luminal jusqu'à l'occlusion ou compromettre l'apport sanguin à l'intestin grêle (abcès mésentériques). Mais à l'examen, lors de laparoscopie ou d'autopsie, le corps étranger responsable n'est parfois pas retrouvé, mais uniquement une fistule faisant communiquer la lumière intestinale et le centre de l'abcès [3, 4]. Les adhérences peuvent aussi provoquer une occlusion intestinale par compression [2] ou par étranglement d'une anse d'intestin grêle lors de brides (comme dans notre cas).

Dans tous ces cas, ce sont l'occlusion intestinale et/ou l'ischémie qui provoquent les signes cliniques, plus que le corps étranger en lui-même.

Les adhérences dans l'abdomen du cheval

Pathogenèse des adhérences

Lors de lésion des séreuses abdominales ou viscérales, ou de contamination de la cavité abdominale (corps étranger, chirurgie digestive, etc.), l'inflammation péritonéale se traduit par la production de fibrine à partir du fibrinogène, qui se dépose sur les lésions [16, 7]. Des adhérences fibrineuses peuvent alors se former, mais elles sont une réponse normale à l'inflammation et, dans la majorité des cas, elles subissent la fibrinolyse [9]. Le problème se pose lorsque les adhérences fibrineuses persistent et se transforment, après trois à quatre jours, en adhérences fibreuses, par migration de fibroblastes et production de collagène [1, 7, 21]. Ces adhérences fibreuses peuvent être de trois types : séreuse-séreuse, séreuse-péritoine pariétal, omentum-séreuse ou péritoine [5, 11]. Les adhérences fibreuses se manifestent cliniquement lorsqu'elles entraînent occlusion et/ou strangulation des organes digestifs [16].

Un déséquilibre inflammation/cicatrisation peut aussi évoluer vers la formation d'abcès lorsque la contamination est plus importante [2, 18].

Certaines adhérences (omentum-séreuse) pourraient avoir un rôle bénéfique, en augmentant l'apport sanguin aux zones lésées, favorisant ainsi la cicatrisation [9]. L'omentum est utilisé en chirurgie humaine et des petits animaux pour combler un espace mort, adhérer à une zone lésée, protéger cette zone, augmenter l'apport sanguin pour favoriser la cicatrisation et, par là même, empêcher la formation d'adhérences [11]. L'omentum ainsi fixé agit comme une greffe vasculaire [21]. Cette technique a donc été utilisée dans notre cas clinique pour éviter la formation de nouvelles adhérences sur des zones trop importantes pour être enfouies par suture.

Importance clinique des adhérences

Les adhérences ne sont pas fréquemment citées dans la littérature comme la cause primaire d'un syndrome abdominal entraînant une laparotomie, mais elles sont souvent citées comme la raison d'une seconde laparotomie [11]. En effet, la formation d'adhérences est la cause la plus commune de coliques récurrentes après une chirurgie de l'intestin grêle, et la deuxième cause justifiant une nouvelle laparotomie après une chirurgie digestive abdominale [5, 7, 9, 14, 16, 21].

Beaucoup d'adhérences sont cliniquement silencieuses [14]. Le taux d'adhérences ayant des répercussions cliniques après une chirurgie de l'intestin grêle est, selon les études, de 14 à 25 % [5, 16, 17]. Après une chirurgie abdominale, ce taux serait de 5 % [5]. L'intervention sur l'intestin grêle est donc un facteur de risque dans l'apparition d'adhérences postopératoires [5, 20, 21, 23], tout comme une laparotomie chez les poulains âgés de moins de six mois [1, 5, 20, 21, 22, 23]. En effet, chez les foals, le taux d'adhérences est de 33 % [12]. Les chevaux miniatures semblent également plus prédisposés aux adhérences postopératoires [5].

Thérapeutiques préventives anti-adhérences

Le traitement d'adhérences installées étant souvent décevant [1, 5, 7, 9, 11, 12, 14, 16, 17, 20, 21, 22], la prévention est fondamentale.

La première technique de prévention est le respect des bonnes techniques chirurgicales : chirurgie aseptique et atraumatique, manipulation limitée des viscères, hydratation des viscères exposés pour éviter la dessiccation, l'enfouissement des sutures concernant la séreuse [5, 14, 16, 22]. La poudre des gants de chirurgie peut favoriser l'apparition d'adhérences (en jouant le rôle de corps étranger), aussi le rinçage des gants avant l'opération chirurgicale ou le port de gants non poudrés sont-ils recommandés [5, 21].

Plusieurs techniques de prévention, péri- ou postopératoires, ont été décrites. Aucune n'étant complètement efficace, il est judicieux d'en employer plusieurs [21].

L'utilisation postopératoire d'antibiotiques à large spectre et d'anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS), comme la flunixine-méglumine, diminue l'inflammation péritonéale et la charge bactérienne abdominale, donc la production de fibrine et la formation d'adhérences [5, 21, 22, 23].

Le DMSO (DiMéthylSulfOxyde), administré avant la reperfusion de lésions ischémiques, semble diminuer la réponse inflammatoire, donc la formation d'adhérences [5, 23]. La dose conseillée est de 0,1-1 g/kg, en solution à 10 %, administré pendant l'opération chirurgicale et dans les 24 à 72 heures suivantes [5].

L'héparine diminue la conversion du fibrinogène en fibrine et augmente la fibrinolyse [21]. Son utilisation systémique est une des thérapeutiques anti-adhérences les plus courantes [21]. Son efficacité dans la prévention de la formation d'adhérences est néanmoins controversée, surtout lors de l'utilisation de doses sans effets secondaires dangereux [14]. Selon les études, les effets sont plus ou moins limités [14, 21, 23]. Le dosage, la fréquence et la voie d'administration sont importants pour l'efficacité de la thérapie [21]. Les dosages usuels vont de 20 à 100 UI/kg toutes les 6 à 12 heures deux à trois jours postopératoires [5]. Il semble que l'administration par voie intraveineuse en péri-opératoire, puis l'administration sous-cutanée pendant trois jours toutes les 8 à 12 heures soient la solution la plus efficace [21]. L'utilisation intrapéritonéale en péri-opératoire est moins commune [21], mais semble diminuer la formation des adhérences [14].

Les prokinétiques, comme la lidocaïne, l'érythromycine, le cisapride et le métoclopramide permettent de lutter contre l'iléus, facteur de risque pour la formation d'adhérences [5, 21]. En effet, la stase prolongée favorise le contact entre des séreuses inflammées [5, 14].

La carboxyméthylcellulose (CMC) forme une solution visqueuse qui peut être utilisée par voie intrapéritonéale. La solution idéale est dosée à 1 %, car, à 2 % ou plus, des effets secondaires existent [23]. Elle est idéalement utilisée en péri-opératoire pour lubrifier les viscères manipulés et les gants du chirurgien, diminuant ainsi les traumatismes directs (manipulation, frictions, instruments) et indirects (dessiccation, etc.) [9, 17, 22]. Puis un certain volume de la solution est instillé dans l'abdomen avant la fermeture de la plaie. Il semble que la solution crée alors un effet d'“hydroflottaison” qui sépare les surfaces séreuses inflammées le temps de la cicatrisation, donc diminue la formation d'adhérences [9, 17, 22, 23]. Le volume à utiliser est plus controversé, la seule certitude étant qu'au-delà de 7 ml/kg de solution à 1 %, des effets secondaires comme une anorexie, une fièvre et une dépression ont été notés [9]. Les recommandations vont de 2 à 5 ml/kg [5, 17, 22], voire de ne pas dépasser 2 litres au total pour un cheval adulte [21].

La CMC peut être combinée avec du hyaluronate de sodium et forme alors un film [5, 14, 16, 20, 22]. Ce film peut être appliqué sur les tissus traumatisés (site d'entérotomie, d'entérectomie, lésions, etc.) et forme une barrière stérile, biorésorbable, translucide qui se transforme en gel hydrophile après un jour. Il reste en place plus de sept jours, c'est-à-dire qu'il sépare les surfaces séreuses pendant la phase précoce de la cicatrisation postopératoire, et limite donc la formation d'adhérences [16, 20]. Les résultats sont très bons [5, 16, 20], mais cette technique est limitée par la nécessité d'une hémostase méticuleuse, la petite taille des membranes et leur prix [20].

Le lavage péritonéal postopératoire donne de bons résultats, meilleurs que le lavage péri-opératoire [5, 7]. Les cathéters de drainage sont posés lors de la chirurgie et retirés 34 heures après [7]. Ce lavage permet de retirer la fibrine formée pendant l'opération chirurgicale, de séparer les anses intestinales et de retirer les médiateurs de l'inflammation produits [7]. Dix litres de Ringer lactate sont utilisés. Le Ringer lactate étant utilisé lors d'arthroscopie, il est préféré au sérum physiologique, qui provoque une inflammation modérée [7].

L'omentectomie est une technique controversée [5, 11, 21], car elle ne limite que la formation des adhérences omentales et, comme précisé plus haut, l'omentum peut avoir un rôle bénéfique.

Thérapeutiques curatives

Le traitement curatif des adhérences abdominales est essentiellement chirurgical. Il est assez limité car le taux de récidives après lyse chirurgicale des adhérences est important, et plusieurs laparotomies sont financièrement difficiles [1]. Lors de la chirurgie, les adhérences sont excisées délicatement, les segments d'intestin grêle concernés sont retirés et les zones lésées sont enfouies [1, 5, 12, 17].

La laparoscopie est une technique prometteuse, à la fois pour le diagnostic et le traitement des adhérences [1]. Elle est moins invasive, et même s'il peut y avoir reformation d'adhérences, elles sont moins fréquentes et moins importantes [12]. De bons résultats sont obtenus en opérant dix jours après la chirurgie initiale [1, 12].

Les complications postopératoires

L'infection de la plaie de laparotomie fait partie des complications les plus communes après une chirurgie de coliques (avec la thrombose jugulaire, l'iléus, les coliques récurrentes, la hernie incisionnelle, la fourbure, etc.) [6, 13]. Selon une étude récente [13], le suintement ou l'infection de la plaie de laparotomie survient dans 27 % des cas. Il semble que le taux d'infection de plaie augmente lorsque, à l'admission du cheval, le taux de protéines totales sanguines est augmenté [13]. L'application d'un bandage suturé par-dessus la plaie, laissé en place trois jours, est associée à une augmentation du taux d'infections par rapport à l'absence de pansement, probablement parce que celui-ci est appliqué pendant une période où le risque est augmenté [13]. En revanche, un pansement temporaire pendant la période de réveil est associé à une diminution du taux d'infections [13]. L'administration d'héparine par voie intrapéritonéale pendant l'opération chirurgicale semble diminuer ce taux, ainsi que l'utilisation d'antibiotiques dans la plaie [13]. A contrario, l'administration d'antibiotiques par voie intrapéritonéale augmente le taux d'infections, mais probablement car ils sont utilisés lorsque la situation favorise cette complication [13]. Le choix des antibiotiques administrés par voie générale ne semble pas influencer réellement le taux d'infections, mais la réalisation d'une résection ou d'une entérotomie l'augmente [6].

Une infection de plaie de laparotomie ne doit pas être prise à la légère, car elle accroît le risque de hernie incisionnelle [6, 22].

L'échographie est une aide diagnostique précieuse pour détecter et évaluer les complications de plaie de laparotomie (œdème, suintement, infection, abcès). Des sondes de 5 et 7,5 MHz sont utilisables, mais la sonde de 7,5 MHZ offre une meilleure résolution. L'épaisseur de la paroi abdominale, de 1 à 2 cm avant chirurgie, augmente de 2,5 à 4 cm pendant la cicatrisation. L'échographie permet de suivre l'évolution de la cicatrisation de la plaie de manière non invasive. Il convient néanmoins d'être prudent car elle peut favoriser la contamination de la plaie ou sa déhiscence par la pression appliquée lors de l'examen. Cet examen est à éviter pendant la phase précoce de la cicatrisation [27].

Les mesures thérapeutiques incluent l'administration d'antibiotiques et d'anti-inflammatoires, ainsi que des soins locaux (hydrothérapie, antiseptiques, etc.) [22]. Une antibioprophylaxie à base de ceftiofur et de gentamicine ainsi qu'un traitement anti- inflammatoire (flunixine-méglumine) ont été administrés en préopératoire. C'est le protocole antibiotique que nous utilisons habituellement lors de coliques, car ces deux antibiotiques sont complémentaires et ce protocole présente un des spectres d'action les plus larges.

L'ingestion de corps étrangers avec l'alimentation n'est pas fréquente chez le cheval, mais il est néanmoins possible de découvrir divers matériaux dans le tractus digestif. Les signes cliniques sont plus souvent dus aux conséquences de la présence du corps étranger (péritonite, abcès, adhérences, fibrose) qu'à celui-ci (mis à part les corps étrangers volumineux obstructifs type entérolithe).

Le traitement, souvent chirurgical, et le pronostic dépendent des structures impliquées et des lésions.

Éléments à retenir

> Les cas de corps étrangers chez les équidés sont rares car ces animaux sont très discriminants dans leur sélection alimentaire.

> L'expression clinique d'un corps étranger digestif est rarement due à celui-ci, mais aux conséquences de sa présence.

> Les adhérences chez ,les équidés sont rarement la cause primaire d'un syndrome abdominal aigu, mais une complication commune après une chirurgie digestive.

> Aucune thérapeutique préventive anti-adhérences n'est complètement efficace. La prévention est indispensable en raison de la difficulté du traitement curatif et de leur mauvais pronostic.

> Les complications de plaie de laparotomie, même mineures (suintement, infection) doivent être traitées car elles peuvent conduire à des troubles plus graves (déhiscence, hernie).

Références

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  • 2 - Dabareiner RM. Peritonitis in horses. In : Smith BP. Large Animal Internal Medicine, 2nd ed. MI, Mosby, Saint Louis. 1998 : 742-749.
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