Techniques de maréchalerie courante chez l'âne et chez le mulet - Pratique Vétérinaire Equine n° 148 du 01/10/2005
Pratique Vétérinaire Equine n° 148 du 01/10/2005

Auteur(s) : Mohamed Bourassi*, Gigi Kay**

Fonctions :
*SPANA/Maroc,
41 résidence Zohra, Harhoura,
12000 Témara
**MRS Sennelager, Allemagne

Le parage du pied chez l'âne et chez le mulet doit tenir compte des particularités anatomiques et physiologiques de ces deux équidés.

L'âne est un animal essentiel pour la production agricole dans de nombreuses parties du tiers-monde et reste un animal de loisir apprécié dans les pays développés. L'âne est adapté à la marche sur des surfaces abrasives et le parage est fondamental pour faciliter le déplacement, corriger les défauts d'aplomb et donner une forme esthétique au pied. Le pas et le trot sont les allures les plus utilisées chez l'âne et chez le mulet [2, 3]. Le galop est rarement prolongé, en raison d'un manque de souplesse vertébrale par rapport au cheval. L'anatomie fonctionnelle et les affections spécifiques du pied de l'âne sont, par bien des aspects, différentes de celles du cheval et demeurent mal connues.

Particularités anatomiques du pied de l'âne

Le sabot est un organe de locomotion d'origine épidermique très développé. Il possède une structure tridimensionnelle complexe. Une boîte cornée enveloppe des structures osseuses, articulaires, vasculaires, nerveuses, des ligaments, des terminaisons tendineuses et des bourses synoviales. Cet ensemble constitue le pied. La partie visible de la boîte cornée est divisée en quatre éléments : la paroi, la ligne blanche, la sole et la fourchette [8] (). La paroi supporte le poids de l'animal. Elle est, elle-même, divisée en trois parties : la pince, les quartiers et les mamelles. Au niveau des talons, elle se réfléchit pour former les barres [13].

Le pied de l'âne a une forme cylindrique due à la croissance particulière de la corne [9, 3] et est caractérisé par une absence d'ouverture des talons [9]. L'angle du pied par rapport au sol est variable (entre 50° et 60°) selon la race et la taille de l'animal [2]. L'alignement phalangien peut être brisé et la fourchette, située en arrière, est soit en contact avec le sol, soit en retrait, fine et non fonctionnelle [9]. En général, les pieds sont encastelés pour protéger la sensibilité de la sole et de la fourchette. La muraille est épaisse et très hydratée, donc tendre, et elle préserve les articulations en absorbant les chocs [1, 3].

Particularités anatomiques du pied du mulet

Le pied du mulet est, en général, plus petit que celui d'un cheval de poids corporel équivalent. Il est globalement plus long et de forme plus étroite que celui du cheval, qui est plus arrondi. La paroi est épaisse et arrondie à l'endroit de la pince. Au niveau du quartier, elle est plus fine et pincée vers l'intérieur et, au niveau des talons, elle est évasée vers l'extérieur [2] (voir la “Aspect du pied du mulet comparé à celui du cheval”). La paroi est plus haute et plus droite que chez le cheval. Les sabots sont aussi habituellement plus denses et moins exposés aux fissures de quartier [2, 12].

Particularités physiologiques des pieds de l'âne et du mulet

L'âne et le mulet sont en général de petite taille [2, 3] et leurs membres sont relativement fins. Chez l'âne, la forme du pied et l'absence d'ouverture des talons ne permet pas au pied de s'évaser vers le sol à chaque foulée, ce qui confère à l'animal sa démarche “frappée” caractéristique. Il n'y a pas de rotation du pied lors du poser au sol comme chez le cheval.

L'âne et le mulet sont adaptés à la locomotion sur des surfaces escarpées comme les voies montagneuses où ils sont considérés comme dotés d'un “pied sûr”. L'âne s'agenouille pour se coucher et se relever [3].

Parage du pied de l'âne

Le but du parage chez l'âne est double. Il s'agit d'une part, d'assurer la fonction de locomotion et d'autre part, de donner une forme esthétique au sabot et au pied. L'objectif est d'éliminer la pression exercée sur la boîte cornée, les articulations, les ligaments et les tendons et, par conséquent, le stress engendré pour l'animal. Malgré le caractère calme de l'âne, une contention physique réalisée par un aide est nécessaire pour permettre de travailler avec le maximum de confort. Lors du parage, il convient de respecter le maintien de l'équilibre et d'un axe pied-boulet [4] (voir l'encadré “L'axe pied-boulet chez l'âne”).

Le parage [4, 5, 7] commence par l'inspection du pied de l'âne et une évaluation morphologique complète :

- si le pied apparaît irrégulier avec des talons épais et un axe pied-boulet mal dessiné, une réduction de la hauteur des talons est nécessaire ;

- en revanche, si la pince est longue et les talons bas, il est important de conserver autant de tissu des talons que possible. Mieux vaut alors se concentrer sur la réduction de la longueur de la pince.

Le parage de la sole

La croissance de la sole chez l'âne est beaucoup plus importante que celle du cheval ou du poney. Il est établi qu'elle croît de manière similaire à la paroi [7, 11, 15]. Le tissu solaire doit être taillé en premier afin que le bord distal de la paroi porte effectivement le poids de l'animal. La meilleure façon de procéder est d'enlever des quantités croissantes de tissu pour obtenir une surface solaire concave et éliminer tout le tissu lâche et nécrosé, en particulier près de la fourchette [5, 7]. Une controverse demeure toutefois concernant le soutien normal de la sole : pour certains, celle-ci doit supporter la plus grande partie du corps de l'animal, alors que pour d'autres, au contraire, un poids minimal doit être appliqué sur la sole [7].

La parage de la paroi

Il convient de parer la paroi en tenant compte de l'équilibre de l'animal et en conservant la taille de talon nécessaire pour garder un axe pied-boulet idéal [7, 11, 15].

Le parage de la fourchette

Le rôle amortissant de la fourchette est controversé. Ainsi, le parage de la fourchette dans sa portion postérieure est discuté [11, 15]. Il est possible qu'il existe une relation entre la forme bulbaire de certaines fourchettes et l'axe pied-boulet “sous lui” de l'âne. Cela pourrait être lié à une hypertrophie de la fourchette due à la pression exercée sur les structures palmaires du pied et au stress engendré. Ces fourchettes à forme bulbaire peuvent retrouver une structure plus fonctionnelle une fois le parage correctif effectué.

Le rôle de la fourchette dans l'assistance au retour veineux à partir du pied est également débattu. Il convient de parer la fourchette de telle façon qu'elle supporte le poids du corps seulement lorsque le pied est sous la charge.

Le parage des barres

La fonction des barres est encore controversée. En pratique, si l'âne réalise un travail sur un sol dur, les barres doivent être grandes et à la même hauteur que les talons. En revanche, si l'âne travaille sur un sol mou ou sur une litière épaisse, il est plus judicieux de parer les barres [11, 15] au même niveau que la sole afin qu'elles ne soient pas souillées par l'accumulation de terre ou d'éléments de la litière.

Les pieds en babouche

Quand le soin des pieds est négligé durant une longue période, le sabot s'allonge de manière anormale, se déforme et, souvent, se tourne vers l'extérieur. On parle alors de “pied en babouche” (). Dans ce cas, des forces anormales s'exercent sur le membre, avec une forte extension de ses articulations distales.

Avant de parer un “pied en babouche”, il est essentiel de savoir que la surcroissance est entièrement constituée d'une corne insensible qui encercle des parties de la sole et de la fourchette dégénérées. Les relations structurales entre la bande coronaire et la troisième phalange ne changent pas. Chez un animal non fourbu, l'excroissance peut atteindre approximativement la bande coronaire. Elle peut s'étendre jusqu'à 1,5 cm distalement à la bande coronaire chez un individu sévèrement fourbu. Une radiographie en incidence latéro-médiale, avec des marqueurs radio-opaques, permet de définir la relation entre le squelette distal et la paroi du sabot ; des signes de remaniement de la troisième phalange peuvent être observés dans les cas sévères.

Le sabot “en babouche” est à parer par étapes, pour garantir une bonne croissance de la sole et préserver les structures anatomiques sous-jacentes.

Les forces mécaniques anormales appliquées peuvent être à l'origine d'une séparation de la couche laminaire et d'un étirement important de la ligne blanche. Dans de tels cas, la sole doit temporairement supporter le poids de l'animal. Une litière épaisse, propre et stable permet de réduire les traumatismes et la contamination du tissu laminaire exposé.

Dans la plupart des cas et de manière assez surprenante, les animaux tolèrent bien la nouvelle angulation de la partie distale du membre. Dans certains cas, l'administration d'analgésiques après le ferrage peut être proposée. Un suivi du parage mensuel permet de contrôler la formation de la nouvelle paroi du sabot.

Parage du pied du mulet

Chez le mulet, il convient d'évaluer précisément et rapidement l'aplomb du pied. L'équilibre est observé sous deux angles, en maintenant l'animal debout avec la jambe étudiée relevée.

• L'équilibre médio-latéral est observé en vues dorsale et plantaire ou palmaire. Il convient de relever :

- si la surface inférieure du sabot et la couronne sont parallèles ;

- si la surface inférieure du pied et la couronne font un angle droit avec la colonne osseuse proximale à la paroi ;

- si les talons sont de même hauteur ;

- si la paroi du sabot est symétrique et peut être visuellement divisée en deux moitiés identiques.

• L'équilibre antéro-postérieur qui correspond à l'aplomb du pied de l'avant à l'arrière, doit également être étudié. Trois lignes, tracées mentalement, permettent d'évaluer cet aplomb. En vue latérale, une première ligne droite court le long de la ligne du paturon et est continue à travers le pied, jusqu'au sol (axe sabot-paturon). Une seconde ligne passe le long de la pince et la dernière passe le long des talons. L'aplomb antéro-postérieur est bon si ces trois lignes sont parallèles les unes aux autres, donnant un axe pied-paturon droit [10]. Il est important de noter que si, idéalement, le pied devrait être paré de manière à obtenir un axe pied-paturon droit, cela n'est pas toujours possible chez le mulet.

Lors du parage, il convient de commencer par rechercher l'intersection entre la sole et la ligne blanche sur la pince à l'aide du rogne-pied, afin de déterminer la longueur de paroi à tailler [10]. Puis la corne excédentaire de la paroi est rognée à l'aide des couteaux de parage afin de corriger l'équilibre. Le parage débute toujours par les talons ou par l'extrémité arrière de la paroi médiane. Il convient de tailler autour du pied jusqu'à l'extrémité arrière de la paroi latérale puis de rogner les barres jusqu'au niveau de la sole sans les enlever complètement. Après avoir ajusté la corne, la paroi est égalisée à l'aide de la râpe jusqu'à ce qu'elle soit plane. Enfin, les bords tranchants de l'extérieur de la paroi sont râpés afin d'éviter que la paroi se fissure [10].

Le ferrage chez l'âne et chez le mulet

Le sabot de l'âne et du mulet est dur et résistant. Il leur permet, en général, de travailler sans être ferrés. Néanmoins, selon les régions, le type de travail et la taille de l'animal, le ferrage des membres antérieurs seuls, voire des quatre membres, est parfois réalisé [6].

La ferrure, chez l'âne et chez le mulet, présente certaines particularités par rapport au cheval. Plusieurs types de fers sont utilisés chez l'âne. Le choix de la ferrure dépend de la région. Au Maroc, par exemple, la plus utilisée est la ferrure cylindrique, ouverte ou fermée, sans pinçon associé. Les fers des sabots antérieurs sont différents de ceux des sabots postérieurs. Pour les fers antérieurs, le pinçon est rectiligne et les branches sont droites, les éponges sont “entalonnées” et leur redressement protège les talons [3, 6]. Les éponges sont étroites et amincies et la pince est couverte. Le fer porte quatre ou six étampures selon la taille, avec le bord externe parallèle à la rive garniture externe du fer, le centre de la dernière étampure correspondant à la moitié de la longueur du fer [3]. La mamelle des fers postérieurs est moins saillante et la couverture est conservée au niveau des éponges. Les étampures sont disposées davantage en arrière et uniquement le long des branches.

Dans certaines régions du Maroc, les propriétaires d'âne et de mulet utilisent des fers en caoutchouc (). En outre, dans certains cas pathologiques, des fers orthopédiques identiques à ceux du cheval sont utilisés.

Chez ces deux équidés, le déferrage se fait presque dans les mêmes conditions que chez le cheval (voir le “Techniques de déferrage chez l'âne et chez le mulet”). Un matériel classique est utilisé et comprend un arrache-clou, un marteau et une trichoise ().

Le pied de l'âne, comme celui du mulet, présente des particularités anatomiques et physiologiques dont la connaissance est nécessaire pour effectuer un parage adéquat. En plus de ses indications correctives, le parage chez l'âne et le mulet présente des indications curatives lors de certaines affections répandues chez les équidés. Comme le parage, le ferrage, même s'il n'est pas systématiquement préconisé, obéit à des exigences spécifiques de ces deux équidés.

Éléments à retenir

> Les sabots de l'âne et du mulet sont plus denses et moins exposés aux fissures de quartier que ceux du cheval.

> Chez l'âne, quand le soin des pieds est négligé durant une longue période, le sabot s'allonge de manière anormale, se déforme et se tourne vers l'extérieur. On parle alors de “pied en babouche”.

> Le but du parage est de restaurer la fonction de locomotion et de donner une forme esthétique au sabot et au pied.

> Lors du parage, l'idéal est de respecter le maintien de l'équilibre et d'un axe pied-boulet rectiligne, mais cela n'est pas toujours possible chez l'âne et chez le mulet.

L'axe pied-boulet chez l'âne

> L'axe pied-boulet ou pied-paturon chez l'âne est déterminé par les centres proximal et distal du canon et par le centre de la troisième phalange.

> En accord avec ce principe, le canon doit être perpendiculaire au sol. La ligne oblique qui passe par les trois dernières articulations du membre doit être la bissectrice de l'angle “canon-sol”, de telle manière que les phalanges représentent une colonne osseuse sans déviation (). Cette bissectrice doit être parallèle à la paroi dorsale du sabot.

> Toutefois, ces valeurs sont souvent théoriques. En effet, la plupart des ânes présentent un axe pied-boulet “sous lui”, car les talons sont trop bas et/ou la pince est très longue [5, 6].

D'après [7].

Références

  • 1. Bordalai CC, Nigam JM. Angiographic studies of the donkey foot (normal and abnormal). J. Am. Rad. 1977 ; 18(3) : 90-92.
  • 2. Burnham SL. Anatomical differences of the donkey and mule. Proceedings of the 48th Annual AAEP Convention. 2002 : 112-119.
  • 3. Chabchoub A, Landolsi F, Abrougui M. L'examen clinique et les particularités des pieds chez l'âne. Nouveau praticien vétérinaire équin. 2004 : 134 : 38-40.
  • 4. Crane M. Medical. In : Professional hand book of the donkey. 3rd ed. Svendsen, Londres. 2000 : 19-36.
  • 5. Crane M. Parage du pied de l'âne. SPANA Technical bulletin. 2002 ; 5 : 38-39.
  • 6. D'Auteville P, Fromond P. Précis de maréchalerie. Editions Maloine, Paris. 1976 : 306 p.
  • 7. Fowler J. Trimming donkey feet. Equine Veterinary Education. 1995 ; 7(1) : 18-21.
  • 8. Getty R. Sisson and Grossman's The Anatomy of the domestic animals. 5th Edition, W.B. Saunders Co, London. 1995 : 512-520.
  • 9. Hifney A, Misk NA. Anatomy of the hoof in donkey. Assiut Veterinary Medical journal. 1983 ; 11(20) : 3-6.
  • 10. Ouassat M. Système locomoteur. Guide SPANA des soins des animaux. 2002 : 98-99.
  • 11. Reilly JD. The donkey foot. In : Professional hand book of the donkey. 3rd Ed. Svendsen, Londres. 2000 : 71-92.
  • 12. Reilly JD, Kempson SA. Towards an understanding of hoof horn quality. In K Mortensen (Ed). Proceeding of the 7th International symposium on Diseases of the Ruminant. Digit, Denmark. 1992 : 112-126.
  • 13. Reilly JD, Cottrell DF, Martin RJ, Cuddeford D. Tubule density in equine hoof horn. Biomimetics. 1996 ; 4(1) : 23-36.
  • 14. Reilly JD. No hoof no horse. Equine veterinary journal. 1995 ; 27(3) : 166-168.
  • 15. Svendsen ED. The Professional Handbook of the Donkey. England : Sovereign Printing Group. 1989, 400 p.
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