Sécurité des sutures lors de cœliotomies - Pratique Vétérinaire Equine n° 147 du 01/07/2005
Pratique Vétérinaire Equine n° 147 du 01/07/2005

Auteur(s) : Marie Van Heirreweghe*, Marcel Marcoux**, M. Schambourg***, C. Céleste****, P.-Y. Mulon*****

Fonctions :
*Rassel 184, 1780 Wemmel, Belgique
marievanheir@hotmail.com
**Département des sciences cliniques,
Faculté de Médecine vétérinaire, Université
de Montréal, C.P. 5000, Saint-Hyacinthe,
Québec, Canada J2S 7C6
***Health Management Atlantic Veterinary
College. University of Prince Edward Island,
550 University Avenue, PE, C1A 4P3, Canada
****Département des sciences cliniques,
Faculté de Médecine vétérinaire, Université
de Montréal, C.P. 5000, Saint-Hyacinthe,
Québec, Canada J2S 7C6
*****Département des sciences cliniques,
Faculté de Médecine vétérinaire, Université
de Montréal, C.P. 5000, Saint-Hyacinthe,
Québec, Canada J2S 7C6

Le trempage préalable du polyglactin dans une solution de carboxyméthylcellulose 1 % (ou de solution saline à 0,9 %) avant de suturer la ligne blanche permet d'augmenter la sécurité des nœuds de chirurgien.

Les chirurgies abdominales dans l'espèce équine demandent une attention toute particulière en matière de prévention des adhérences, () (18 à 25 % des laparotomies) [6], des infections de plaie (25 % des laparotomies) [5] et des hernies incisionnelles, () (16 % des laparotomies) [3]. De nombreuses méthodes de prévention des adhérences sont décrites : antibiothérapie large spectre, anti-inflammatoires non stéroïdiens, diméthylsulfoxyde, héparine, l'utilisation en peropératoire du carboxyméthylcellulose 1 % (CMC) et de lavages de la cavité abdominale à la solution saline à 0,9 %. Le CMC est une solution de haut poids moléculaire qui va jouer un rôle de lubrification et d'hydroflottaison qui va diminuer l'abrasion des viscères et réduire ainsi l'inflammation qui induit les adhérences. Pour la prévention des infections, la solution saline 0,9 % est utilisée avec des antibiotiques lors du rinçage de la cavité abdominale. Les lavages réguliers en peropératoire à la solution saline vont permettre de retirer de celle-ci les facteurs de l'inflammation et les filaments de fibrine déjà formés pendant la chirurgie.

Une autre méthode de prévention des infections des plaies et des hernies incisionnelles, est de respecter les bonnes pratiques chirurgicales : le type de fil et sa taille doivent être choisis pour assurer une solidité maximale de la suture de la laparotomie et limiter ainsi les risques, le nombre de jetés doit être suffisant pour assurer une bonne sécurité du nœud mais ne doit pas être exagéré pour éviter le surplus de matériel étranger au niveau de la plaie, qui prédispose aux réactions tissulaires [10] et aux infections.

L'extrémité (début ou fin) d'une suture est constituée de trois parties : le nœud, formé de plusieurs jetés, la boucle, qui appose les deux lèvres de la plaie, et les chefs, qui évitent que les nœuds ne glissent ().

Un nœud est défini comme sécuritaire s'il cède par rupture plutôt que par glissement [7] (). Le nœud de chirurgien, (voir la “Nœud de chirurgien”), est défini comme un nœud plat (2 = 1 selon la nomenclature de Tera [5]). Le premier nœud est réalisé en passant deux fois le premier chef autour du deuxième, les jetés additionnels sont faits successivement comme des nœuds simples [2, 7]. Il est le nœud le plus fréquemment choisi par les chirurgiens pour suturer la ligne blanche chez le cheval. Dès le deuxième jeté, il va se bloquer et empêcher le nœud de se détendre et garder ainsi une bonne apposition de lèvres de la plaie. Les deux matériaux de suture résorbables, monofilaments et multifilaments, les plus fréquemment utilisés pour la suture de ligne blanche sont le polydioxanone 2 (PDS II®, Ethicon, Inc., Sommerville, NJ) et le polyglactin 910 3 (Vicryl®, Ethicon, Inc., Sommerville, NJ) [4]. Bien que ces deux fils aient les forces de tension parmi les plus élevées, 209,1 ± 7,8 N et 157,8 ± 6,1 N respectivement, aucun de ces deux fils n'est aussi solide que la ligne blanche [9] si le fil passe à plus de 1,5 cm de la plaie (distance recommandée pour ne pas déchirer la ligne blanche) [9], ce qui va à l'encontre d'une des premières règles de technique de suture qui veut que le fil soit plus fort que les tissus qu'il unit.

Le polydioxanone est un monofilament résorbable. La résorption par hydrolyse commence à soixante jours et termine en six mois. Le polyglactin 910 est un multifilament résorbable. La résorption par lente hydrolyse se fait en quarante à quatre-vingt-dix jours.

Il a été rapporté que les nœuds glissent plus facilement in vivo qu'en milieu sec et qu'ils glissent à des forces de traction moindre dans la solution saline et in vivo qu'en milieu sec [4].

Cette étude a deux buts : premièrement, vérifier par une étude biomécanique in vitro la sécurité du nœud de chirurgien après trempage dans différents milieux tels que la solution saline 0,9 % ou le CMC 1 % et deuxièmement, comparer les forces de tension du PDS II 2 et du Vicryl 3.

Matériel et Méthodes

Matériel

La sécurité des nœuds et la tension de rupture des fils sont testées, à l'aide d'un tensiomètre (Instron modèle 1011, Universal testing machine, Instron Corp., Canton, MA), (), sur des fils secs et sur des fils trempés dans une solution saline à 0,9 %, ou de carboxyméthylcellulose 1 %.

Méthodes

• Groupe 1 : La sécurité des nœuds a été testée sur des fils secs pour les deux matériaux de suture. Tous les nœuds ont été noués à la main, à l'aide d'un porte-aiguille et par le même manipulateur en veillant à appliquer la même tension pour chaque nœud et sur chaque chef. Ensuite les chefs ont été coupés systématiquement à 3 mm.

Dix nœuds de chirurgien pour chaque type de fil sont faits avec quatre, cinq, six et sept jetés. Une vitesse de traction de 50 mm/min, la plus communément utilisée par les auteurs [2], a été appliquée jusqu'à ce que le nœud glisse ou casse. Pour chaque nœud les données suivantes sont notées : type d'échec (glissement ou rupture) et force de tension.

• Groupe 2 : Les fils sont trempés trente secondes dans la solution saline 0,9 %, ensuite les nœuds sont noués comme expliqué précédemment. Après la réalisation, les nœuds ainsi obtenus sont remis dans la solution saline 0,9 % pendant une heure (temps moyen estimé entre la fin de la suture et le levé du cheval qui est un moment ou les fils sont mis sous très forte tension). Ils sont ensuite immédiatement testés dans le tensiomètre. Cette opération est effectuée successivement par série de dix nœuds avec quatre, cinq, six et sept jetés. Les mêmes données sont notées.

• Groupe 3 : Les fils sont trempés trente secondes dans le CMC 1 %, ensuite les nœuds sont noués comme expliqué précédemment. Les nœuds ainsi obtenus sont remis dans le CMC 1 % pendant une heure. Ils sont ensuite immédiatement testés dans le tensiomètre. Cette opération est effectuée successivement par série de dix nœuds avec quatre, cinq, six et sept jetés. Les mêmes données sont notées.

Statistiques et résultats

Les statistiques sont établies par modèle linéaire de type ANOVA et test post-hoc de Tukey, (p significatif si < 0,05).

Pour les trois groupes (sec, saline et CMC) de nœuds avec quatre jetés, tous les nœuds avec le PDS® ont cassé alors qu'avec le Vicryl®, sept nœuds sur dix ont glissé en milieu sec et dans les deux autres milieux, tous les nœuds ont cassé.

Le modèle linéaire de type ANOVA sur PDS® et Vicryl® pour les séries de quatre, cinq, six et sept jetés avec le type de fil, le type de milieu et le nombre de jetés comme facteurs, montrait un effet significatif du type de fil (p < 0,0001), du nombre de jetés (p = 0,002) et du type de milieu (p < 0,0001) sur la force (voir la figure “Représentation graphique des forces de tension en fonction du type de fil, du nombre de jetés et du type de milieu”).

Discussion

La force de tension d'une ligne blanche saine chez le cheval a une moyenne de 494,9 ± 58,3N [10]. Les sutures actuellement utilisées ont une force de tension moindre que la ligne blanche saine. Si les fils passent à plus de 1,5 cm des bords de la plaie [4], ils vont casser avant la ligne blanche et provoquer une éventration ou une hernie incisionnelle. Si le diamètre du fil est trop petit ou si les fils passent à moins de 1,5 cm des bords de la plaie, la suture peut déchirer la ligne blanche et entraîner les mêmes complications. Le Vicryl 3® et le PDS II 2® sont les deux fils résorbables en un temps suffisamment long, disponibles sur le marché, ayant la force de tension la plus élevée.

Il ressort de notre étude que le PDS II® permet d'avoir des nœuds sécuritaires à partir de quatre jetés quel que soit le milieu. Pour le Vicryl® cinq jetés sont nécessaires pour avoir un nœud sécuritaire en milieu sec, alors que quatre jetés suffisent dans les deux autres milieux (salin ou CMC). Bien qu'il faille plus de jetés pour faire un nœud sécuritaire avec le Vicryl® en milieu sec, ce matériel de suture a, pour cinq jetés et plus, toujours une force de tension supérieure au PDS II®, ce qui est non négligeable pour la suture de la ligne blanche. L'étude a aussi démontré que, contrairement à ce qui était attendu, même lorsque les fils sont mis en présence de lubrifiants, un nœud avec quatre jetés ou plus (PDS® et Vicryl®), reste sécuritaire. De plus, pour le Vicryl®, les nœuds faits en présence de saline ou de CMC deviennent sécuritaires à quatre jetés et pour les cinq, six et sept jetés, la force de tension est supérieure à celle obtenue sur les fils secs. Ce phénomène n'a pas été observé avec le PDS II®. Le Vicryl® n'est pas un fil enrobé et les forces de friction qui empêchent un bon serrage du nœud en milieu sec pourraient avoir été réduites par le trempage, ce qui expliquerait la meilleure sécurité des nœuds dans la solution saline et le CMC.

Conclusion

Le Vicryl® semble mieux adapté à la suture de la ligne blanche puisqu'il possède une force de tension supérieure à celle du PDS II® quel que soit le nombre de jetés. Les milieux utilisés dans notre étude ne diminuent aucunement la sécurité des nœuds faits avec du Vicryl® ou du PDS II®. Ils ont même tendance à augmenter la sécurité des nœuds (quatre jetés avec du Vicryl®) et la force de tension du Vicryl®.

Malgré les limites inévitables de notre étude in vitro (milieu non comparable à celui d'une plaie, nœuds noués à la main sans contrôle de la force de tension, force unique et non cyclique), il nous semble recommandable d'utiliser le Vicryl®, en l'humidifiant préalablement, pour la suture de structures nécessitant des fils de ce type de diamètre. Selon notre étude, quatre jetés sont suffisants pour avoir un nœud sécuritaire avec le Vicryl 3® si le fil est trempé préalablement dans une solution (saline ou CMC). Ce petit nombre de jetés peut contribuer à diminuer l'incidence des infections de plaie.

  • Remerciements

    Nous remercions le Dr Guy Beauchamp pour son aide pour les analyses statistiques et le Dr Pascal Dubreuil pour nous avoir permis d'utiliser son Tensiomètre Instron®.

Éléments à retenir

> L'étude évalue la sécurité des nœuds de chirurgien (sur deux types de fils : le Vicryl 3® et le PDS II 2®) en présence de carboxyméthylcellulose 1 % ou de solution saline 0,9 %.

> Contrairement à l'hypothèse selon laquelle des milieux tels que le CMC ou la solution saline diminueraient la sécurité des nœuds de chirurgien, ces deux milieux augmentent : les nœuds faits avec le Vicryl® deviennent sécuritaires avec quatre jetés lorsqu'ils sont trempés dans le CMC ou dans la solution saline alors qu'en milieu sec ils ne le sont qu'à cinq jetés.

> La force de tension du Vicryl® est significativement supérieure lorsque le fils a été trempé préalablement dans ces deux solutions.

Références

  • 1. Chism PN, Latimer FG, Patton CS et al. Tissue strength and wound morphology of the equine linea alba after ventral median celiotomy. Vet Surg. 2000 ; 29 : 145-151.
  • 2. Dinsmore RC, Understanding surgical knot security : A proposal to standardize the literature. Journal of the American College of Surgeons. 1995 ; 180 : 689-699.
  • 3. Gibson KT, Curtis CR, Turner AS et al. Incisional Hernias in the Horse Incidence and Predisposing Factors. Vet Surg. 1989 ; 18 : 360-366.
  • 4. Gupta BS, Wolf KW, Postlethwait RW et al. Effect of lubrication on frictional properties of sutures. Surg Gyn Obst. 1985 ; 161 : 416-418.
  • 5. Honnas CM, Cohen ND. Risk factors for wound infection following celiotomy in horses. J Amer Vet Med Assn. 1997 ; 210 : 78-81.
  • 6. Murphy DJ, Peck LS, Detrisac CJ et al. Use of high-molecular-weight carboxymethylcellulose in a tissue protective solution for prevention of postoperative abdominal adhesions in ponies. Amer J Vet Res. 2002 ; 63 : 1448-1454.
  • 7. Rosin E, Robinson GM. Knot Security of Suture Materials. Vet Surg. 1989 ; 18 : 269-273.
  • 8. Tera H, Aberg C. The strength of suture knot after one week in vivo. Acta Chir. Scand. 1976 ; 142 : 301-307.
  • 9. Trostle SS, Wilson MG, Stone WC et al. A Study of the Biomechanical Properties of the Adult Equine Linea Alba : Relationship of the Tissue Bite Size and the Suture Material to Breaking Strenght. Vet Surg. 1994 ; 23 : 435-441.
  • 10. Van Rijssel EJ, Brand R, Admiraal C. Tissue reaction and surgical knot : the effect of suture size, knot configuration, and knot volume. Obstet Gynecol. 1989 ; 74 : 64-68.
  • 11. Wilson DA, Baker GJ, Boero MJ. Complications of Celiotomy Incisions in Horses. Vet Surg. 1995 ; 24 : 506-514.
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