Myoglobinurie atypique : de myopathie aiguë - Pratique Vétérinaire Equine n° 142 du 01/04/2004
Pratique Vétérinaire Equine n° 142 du 01/04/2004

Auteur(s) : C. Puyalto-Moussu*, A. Saison**, D. Leconte***

Fonctions :
*Afssa Dozulé-Lerpe, service
épidémiologie, route de Caen,
14430 Goustranville
**Afssa Dozulé-Lerpe, service
épidémiologie, route de Caen,
14430 Goustranville
***INRA, Domaine expérimental
fourrager, Le vieux pin,
61310 Le Pin-au-Haras

À l'automne 2002, soixante-sept chevaux répartis dans plusieurs foyers ont été atteints de myopathie aiguë. Le tableau clinique et épidémiologique était compatible avec le syndrome “myoglobinurie atypique.”

En 1986, une équipe de scientifiques écossais [6] décrit une série de cas de myopathie aiguë, observée chez des chevaux au pré, à l'automne 1984 et au printemps 1985 (est et sud-ouest de l'Écosse). Ces cas ressemblent à d'autres précédemment décrits chez des chevaux de course et de selle [4, 8, 10, 14, 16, 18], mais ils présentent une épidémiologie particulière [1]. En 1984, une synthèse sur plusieurs foyers écossais est réalisée à Edimbourg [1]. À partir de 1988, plusieurs autres séries de cas sont décrites dans la littérature scientifique : en Angleterre [19], en Allemagne [2], en Australie [14] et, plus récemment, en Belgique [3]. En mai 2001, une enquête réalisée auprès de dix-neuf facultés vétérinaires européennes permet de recenser plus de quarante cas récents dans neuf des pays sollicités (dont l'Irlande, la Suisse, le Danemark et la Lettonie). En automne 2002, la France découvre à son tour le syndrome baptisé en 1985 de “myoglobinurie atypique.”

Malgré les recherches réalisées à ce jour en matière de toxiques ou de toxines, l'étiologie de ce syndrome demeure inconnue. Les chevaux et les poneys atteints manifestent subitement des signes de myopathie aiguë (raideur, décubitus, tachycardie, polypnée, myoglobinurie). L'évolution est généralement fatale en douze à soixante-douze heures. Cette maladie atteint principalement des animaux au pré, en bon état d'embonpoint et n'ayant fourni aucun effort au moment ou dans les heures précédant l'apparition des signes cliniques. Elle touche fréquemment plusieurs animaux stationnés dans un même herbage, et survient à l'automne ou au printemps, apparemment lors d'intempéries (pluie, froid, vents violents).

Les analyses hémato-biochimiques révèlent une augmentation spectaculaire de l'activité des enzymes musculaires et, dans une moindre mesure des enzymes hépatiques. Si peu de lésions sont macroscopiquement visibles à l'autopsie (zones de décoloration sur certains muscles squelettiques et le myocarde, œdème pulmonaire, urines foncées), l'examen histologique des tissus révèle des lésions de dégénérescence et de nécrose musculaire (fréquemment associées à des lésions de dégénérescence du parenchyme hépatique et à une néphrose tubulaire).

Cet article décrit plusieurs foyers de myoglobinurie atypique recensés en France chez des chevaux et poneys à l'automne 2002, ainsi qu'au printemps et à l'automne 2003. Il expose également les résultats des enquêtes épidémiologiques mises en œuvre.

Description des cas français(1)

Localisation des foyers français

La première alerte a été déclenchée le 7 novembre 2002 par un vétérinaire des Vosges. Ce vétérinaire sentinelle du Respe (Réseau d'épidémiosurveillance des pathologies équines) a signalé plusieurs morts subites et inexpliquées de chevaux dans le département de la Meuse. En un mois, le Respe a recensé quatre-vingt-six animaux malades présentant un tableau clinique et épidémiologique compatible avec le syndrome “myoglobinurie atypique”. Seuls soixante-sept cas pour lesquels nous disposions d'informations cliniques et épidémiologiques suffisamment complètes ont été retenus pour les analyses ultérieures. L'anazootie a duré un peu plus d'un mois (premier cas enregistré le 17 octobre, dernier cas le 30 novembre 2002). Les animaux malades étaient répartis dans trente-quatre foyers (un à quatorze malades par foyer) (voir le tableau “Répartition des foyers et des cas individuels de myoglobinurie atypique par départements” et la figure “Répartition géographique des chevaux ayant manifesté des symptômes compatibles avec le syndrome “myoglobinurie atypique” entre le 17 octobre et le 30 novembre 2002 puis au printemps et à l'automne 2003”). Le taux de létalité a été particulièrement important (83 %), avec cinquante-cinq morts enregistrées pour soixante-sept malades.

En 2003, quinze cas compatibles avec la myoglobinurie atypique ont été recensés dans huit foyers (six au printemps, neuf à l'automne). Seuls cinq chevaux ont survécu.

Signes cliniques

Les chevaux atteints présentent une raideur musculaire très importante (82 % des cas), fréquemment accompagnée de tremblements, abattement (74 %) évoluant vers un décubitus (90 %), des urines foncées (100 %), une sudation (58 %) et une polypnée (70 %) associée à une tachycardie (76 %). Des manifestations de coliques ont été observées (43 %). Ils sont pour beaucoup en hypothermie (42 %), rarement en hyperthermie (10 %). Seuls 31 % des malades ont présenté une anorexie. La présence d'un ictère a été rarement décrite (8 %). Le taux de mortalité est élevé (83 % en 2002 ; 67 % en 2003). La mort est survenue moins de vingt-quatre heures après le début des symptômes dans 46 % (30/65) des cas, en quarante-huit heures dans 47 % (31/65) des cas et en soixante-douze heures pour 15 % (10/65) des cas. Quatre chevaux sont morts dans des délais plus longs (cinq à dix jours). Les chevaux rescapés ont été retirés très précocement de l'herbage et ont fait l'objet de soins intensifs. Les traitements mis en œuvre ont été essentiellement symptomatiques (perfusions, anti-inflammatoires, antalgiques, antibiotiques, complexe vitamine E-sélénium, etc.).

Hématologie et biochimie sanguine

Les examens réalisés sur les cas recensés sont incomplets. Cependant, les paramètres hémato-biochimiques indiquent de façon constante une augmentation très importante des enzymes musculaires (CPK, AST) et, dans une moindre mesure, des enzymes hépatiques (gamma-GT et phosphatases alcalines) (voir le tableau “Valeurs des paramètres biochimiques mesurés chez six chevaux atteints de myoglobinurie atypique”). L'électrophorèse des protéines réalisée sur le cas n° 84 indique une augmentation importante de la fraction 5 (musculaire squelettique) et, dans une moindre mesure, de la fraction 1 (myocardique) (voir le tableau “Valeurs de l'électrophorèse des iso-LDH du cas n° 84 de myoglobinurie atypique décrit dans cette étude”). Les dosages de la bilirubine et du fibrinogène sont également augmentés. Ces modifications sont fréquemment associées à un déséquilibre phosphocalcique (chute brutale du calcium, augmentation du phosphore).

La valeur du dosage de la myoglobine dans l'urine du cas n 84 est égale à 529 μg/l, la valeur normale étant inférieure à 100μg/l.

Observations anatomo-pathologiques

Onze autopsies ont été réalisées en 2002 par des vétérinaires ou des structures universitaires (ENVA en France, Suisse, Belgique et Allemagne). À l'examen nécropsique, les lésions décrites sont essentiellement une décoloration des muscles squelettiques (associée parfois à une nécrose et à des hémorragies) et cardiaque. Elles sont souvent associées à une congestion et à un œdème pulmonaire. De l'urine brune et épaisse était présente dans la vessie. L'examen histologique des organes décrit des foyers inflammatoires de dégénérescence et de nécrose sur la plupart des muscles, ainsi que des lésions de dégénérescence hépatique (avec vacuolisation des hépatocytes). Des lésions de néphrose ont également été mentionnées.

En 2003, un poney a été autopsié par le service d'anatomie-pathologie de l'Afssa Dozulé (cas n° 84). Le tableau nécropsique est caractérisé par des lésions de dégénérescence et de nécrose affectant divers muscles squelettiques (principalement quadriceps fémoraux, triceps brachiaux, intercostaux) et le myocarde (ventriculaire et septal), des lésions de dégénérescence et de congestion du parenchyme hépatique, des hémorragies délimitées du cortex rénal, ainsi qu'une coloration rouge des urines. Des clostridies (Clostridium perfringens) ont été isolées à partir du gros intestin, avec un dénombrement atteignant 4 millions de bactéries par gramme de fèces

Enquête épidémiologique

Un questionnaire épidémiologique élaboré par l'équipe du Dr Hélène Amaury (Université de Liège) a été adressé par le Respe à chaque cabinet vétérinaire, au moment de sa déclaration de cas suspects. En outre, à l'automne 2003, un recensement botanique a été réalisé dans les herbages de douze foyers (cinq départements) ayant hébergé en 2002 des chevaux atteints de myoglobinurie atypique, ainsi que sur six parcelles témoins (ayant hébergé, sur la même période, des chevaux n'ayant pas manifesté de symptômes de myoglobinurie atypique).

Caractéristiques de la population de chevaux atteinte

Tous les chevaux, à l'exception d'un seul rentré au box la nuit, vivent au pré en permanence. Les signes cliniques sont apparus au pré, à l'exception d'un cheval qui avait été rentré au box depuis une dizaine d'heures. Seuls cinq chevaux ont été soumis à un exercice léger dans les quarante-huit heures précédant l'apparition des symptômes. La population de chevaux malades était constituée de 47 % de juments, 24 % de hongres et de 29 % d'étalons. La répartition par races est spécifiée dans le tableau “Répartition par race de quatre-vingt-deux chevaux français suspects de myoglobinurie atypique à l'automne 2002, puis au printemps et à l'automne 2003”. En 2002, comme en 2003, la maladie a principalement atteint des chevaux de race selle français, des poneys et des chevaux de trait. Il est probable que la forte représentation de ces races soit liée aux pratiques d'élevage (plein air intégral) dans ce type de population résidant dans les régions concernées. Il s'agit de chevaux en bon état général, complémentés au pré dans 40 % des cas (essentiellement foin, orge, aliment complet). Seuls 17 % des malades disposent d'un abri dans l'herbage. Dans 76 % des cas, d'autres équidés se trouvent sur les mêmes parcelles que les malades et n'ont présenté aucun signe clinique de myoglobinurie. Certains d'entre eux ont en revanche présenté des anomalies hémato-biochimiques du même type, mais dans une moindre mesure que les malades.

Les effectifs de chevaux malades par classes d'âge sont portés dans le tableau “Répartition par classes d'âge de soixante-douze chevaux français suspects de myoglobinurie atypique à l'automne 2002, puis au printemps et à l'automne 2003.” En 2002, la population atteinte est principalement constituée de jeunes chevaux (75 % des animaux atteints sont âgés de moins de cinq ans). En 2003, la myoglobinurie atypique a atteint des chevaux plus âgés (moyenne du groupe égale à neuf ans).

Description de l'environnement des cas

À l'exception d'un foyer, où les chevaux malades sont hébergés sur deux parcelles distinctes, les malades au sein d'un foyer sont stationnés sur une même parcelle. Les prairies sur lesquelles sont stationnés les animaux étaient exclusivement des prairies naturelles de flore variée. La quasi-totalité (94 %) de ces parcelles est en pente. Elles sont exposées majoritairement au nord ou à l'est et 58 % d'entre elles présentent des zones humides à l'automne. Elles sont, pour la plupart (88 %), bordées par différentes variétés d'arbres (principalement : bouleaux, charmes, noisetiers, sapins, érables, chênes, frênes ; moins fréquemment : platanes, aulnes, peupliers, tilleuls, robiniers, acacias, châtaigniers, sureaux, ifs). La moitié d'entre elles (53 %) sont situées en lisière d'un bois. Un passage fréquent de gibiers a été mentionné dans 37 % des cas. Seules trois parcelles hébergent d'autres espèces domestiques (bovins, caprins).

Diagnostic prairial

Il a été réalisé à l'automne 2003 sur quatorze parcelles ayant hébergé en 2002 des chevaux atteints de myoglobinurie atypique, ainsi que sur six parcelles témoins (qui n'ont hébergé, à la même période, des chevaux n'ayant pas manifesté de symptômes de myoglobinurie atypique). Ces parcelles étaient situées sur douze sites différents, dans les départements de la Meuse (6), des Ardennes (3), de l'Oise (1), des Yvelines (1) et du Val-d'Oise (1).

Historique des parcelles

Toutes les prairies, à l'exception d'une seule, sont des prairies permanentes ou de vieilles prairies temporaires. Leur entretien est réduit, voire inexistant. Les traitements herbicides sont exceptionnels (1/14) et les fertilisations modérées à nulles. La fauche des refus, parfois annoncée, est souvent absente et les parcelles présentent une végétation hétérogène (zones surpâturées et latrines), signe d'une déprise allant parfois jusqu'à la friche. En revanche, certaines parcelles sont surpâturées sur toute leur surface ce qui indique un excès de chargement entraînant une dégradation de la flore prairiale.

Composition botanique

Comme l'indique la figure “Répartition des différentes espèces végétales présentes sur les quatorze parcelles ayant hébergé en 2002 des chevaux atteints de myoglobinurie atypique (Ma) et les six parcelles témoins (Te)”, la proportion de graminées exprimée en présence relative oscille entre 25 et 63 %, pour une moyenne proche de 43 %. Elle est donc inférieure aux normes de référence proches de 60 % [10, 11, 12].

Les légumineuses occupent une part réduite, comprise entre 0 et 19 %, avec une moyenne de 8 %. Ce taux est satisfaisant, car il convient de limiter le développement du trèfle qui deviendrait rapidement envahissant dans les zones surpâturées et pourrait causer des troubles chez les individus pâturant beaucoup (cas de juments suitées enregistrés au printemps 1985). Les plantes diverses (mono- et dicotylédones) affichent une présence comprise entre 23 et 63 %. Leur présence relative moyenne est comparable entre les prairies où des chevaux ont été malades (46 %) et les herbages témoins (47 %), pour une moyenne générale, toutes prairies confondues, de 48 %. L'importance de ces plantes diverses (97 espèces végétales), liée à l'entretien réduit des prairies et à la faible fertilisation, est nettement supérieure aux normes (comprises entre 20 et 30 % dans ce type de prairies extensives).

La proportion de plantes toxiques (Bryonia dioica, Colchicum automnale, Arum maculatum, Chelidonium majus, Glechoma hederacea, Mercurialis annua, Hypericum perforatum, Potentilla anserina, Primula veris, Ranunculus acris, Ranunculus flammula, Ranunculus repens, Sinapsis arvensis) varie de 2,5 à 16,7 % sur les parcelles des malades et de 0 à 19,5 % dans les herbages témoins. Aucune plante toxique n'a été retrouvée de façon systématique dans toutes les parcelles. Il convient néanmoins de noter la présence abondante de lierre terrestre (y compris dans les herbages témoins) et de chênes dont les glands sont susceptibles d'entraîner des hémoglobinuries à cette période de l'année [7]. En ce qui concerne l'ingestion de plantes toxiques, un effet apprentissage est noté par certains auteurs et pourrait expliquer la moindre atteinte des animaux âgés. La présence de champignons ou de moisissures en quantité importante n'a pas été observée sur le couvert végétal des herbages.

Les microclimats de ces parcelles (ombrage, exposition, lisière de forêt, haies, etc.) engendrent d'autres caractéristiques, comme la présence d'insectes ou de gibier, qui n'ont pas encore été explorées à ce jour comme facteurs de risque potentiels. Néanmoins, cet inventaire botanique a été réalisé à l'automne 2003 (soit un an après l'apparition des nombreux cas de l'automne 2002) ; la flore a donc pu évoluer de façon non négligeable suite à la sécheresse et aux températures élevées de l'été 2003. Certaines espèces présentes en 2002 ont pu être absentes au moment de l'inventaire.

Données climatiques

Les informations recueillies par le questionnaire adressé aux propriétaires des chevaux malades n'ont qu'une valeur indicative. Un refroidissement au cours des trois jours précédant l'apparition des cas (contexte de nuits particulièrement fraîches) a cependant été mentionné dans 53 % des questionnaires. Dans 72 % des cas, des pluies modérées à abondantes fréquemment associées à des vents violents ont été notifiées.

Hypothèses étiologiques

Malgré des investigations qui se poursuivent dans différents pays, l'origine des cas de myoglobinurie atypique n'est toujours pas élucidée.

L'épidémiologie des cas observés en France à l'automne 2002 est très comparable à celle des cas décrits par les Belges en 2002 [3], à l'exception d'une plus grande proportion de femelles atteintes dans l'anazootie belge. La Wallonie a été touchée il y a deux ans par ce même syndrome qui a occasionné la mort de quarante-trois jeunes chevaux et poneys au pré. Le même scénario s'est reproduit en 2003 avec une quarantaine de cas recensés. Les autres séries diffèrent des cas français par les catégories d'âge concernées (animaux en moyenne plus âgés) et les races (par exemple, une majorité de pur-sang a été concernée en Grande-Bretagne) [1, 6, 19].

Dans tous les cas cités dans la littérature, des intempéries (pluie engendrant un fort taux d'humidité, vents et chute de la température) précédant d'un à deux jours l'apparition des cas ont été rapportées. Ces derniers sont apparus à l'automne ou au printemps dans des zones géographiques assez délimitées. Ces éléments sont en faveur d'une association entre l'apparition de la myoglobinurie atypique et de conditions climatiques locales particulières.

L'hypothèse la plus plausible semble être une intoxication par des végétaux, des substances produites par des champignons microscopiques (mycotoxines) ou des toxines bactériennes (type clostridies) qui se seraient trouvés (de part la saison et les conditions climatiques) en quantité plus importante que d'ordinaire dans l'environnement des animaux atteints. Dans quelques foyers français, des analyses effectuées chez des chevaux non malades, présents sur les mêmes parcelles que les animaux morts, témoignent qu'ils ont été soumis à la même exposition (meilleure résistance ou moindre intensité de l'exposition à un éventuel toxique). Ces résultats confortent ceux de Delguste et coll. [3].

L'enquête épidémiologique réalisée sur les cas français, tout comme les observations des autres équipes [2, 19], n'est pas en faveur de contaminants de l'environnement (herbicides, insecticides, engrais chimiques, traitements des clôtures, etc.).

L'hypothèse d'une myopathie nutritionnelle par carence en vitamine E (dosage sérique < 1,5 mg/l) et en sélénium (dosage sérique < 0,5 mol/l) touchant les jeunes animaux a tout d'abord été envisagée. Les lésions anatomo-pathologiques observées, les dosages effectués par certaines équipes [6, 15], ainsi que les échecs thérapeutiques par supplémentation ne plaident pas en faveur de cette hypothèse. Il n'est cependant pas exclu que ces carences puissent constituer, pour certains individus, des facteurs prédisposants.

Parmi les causes connues de myopathie toxique chez le cheval, les phytotoxines de certaines plantes du genre Cassia, Eupatorium, Gossypium, Karwinskia, Ixioloena, Cystisum ou Lupinum ont été citées dans la littérature [8, 17]. Cependant, tout comme les séries de cas belges et allemands [2, 3], aucune de ces plantes n'a été identifiée dans, ou à proximité, des parcelles visitées. De plus, aucune autre espèce végétale potentiellement toxique (y compris pour d'autres espèces) n'a été trouvée de façon constante sur ces parcelles.

Le contexte d'apparition des malades (série de cas sur une courte période, associée à une saison et à des conditions climatiques particulières, atteignant préférentiellement de jeunes individus) a orienté les investigations vers des mycotoxicoses [13]. Plusieurs mycotoxines sont connues pour être toxiques, voire spécifiquement myotoxiques chez le cheval [15]. C'est, par exemple, le cas du monensin, antibiotique produit par Streptomyces cinnamonensis qui se développe dans l'humus ou sur des plantes fanées. Une intoxication aiguë par cette molécule (DL50 de 0,19 mg/kg) serait susceptible de produire des symptômes comparables (à l'exception d'une hypokaliémie observée dans ce type d'intoxication) [5]. La recherche de monensin par spectrométrie de masse dans les tissus et les sérums de cas belges et allemands s'est révélée infructueuse, mais sa faible absorption rend sa détection dans les organes difficile. La présence de Fusarium a été détectée dans des échantillons d'herbe par Brandt et coll. [2]. Aucune fumonisine (responsables de la leuco-encéphalomalacie équine) n'a été détectée dans ces mêmes échantillons. En outre, les symptômes observés ne sont pas en adéquation avec ce type d'intoxication (troubles neurologiques et ictère). Il en est de même pour les autres mycotoxicoses létales connues chez le cheval (“grass staggers” lors d'intoxication au lolitrem et strachybotriotoxicose). En bref, les analyses toxicologiques ciblées sur les mycotoxines sont restées à ce jour infructueuses.

Une dernière hypothèse, qui intéresse également d'autres maladies d'étiologie inconnue telles que la dysautonomie équine (ou “grass sickness”), concerne des toxines d'origine bactérienne. Les clostridies semblaient des candidates potentielles [3], mais les calques de muqueuse gastrique et les dénombrements réalisés lors d'autopsies n'ont pas été jusqu'à ce jour très concluants. Il convient de mentionner que la prolifération rapide de ce type d'organismes pathogènes rend extrêmement délicate l'interprétation des résultats. Certaines toxines de Clostridium (par exemple, la toxine de Clostridium septicum) sont connues pour être myotoxiques. Leur dosage est la meilleure solution pour conforter ou infirmer cette hypothèse, mais les méthodes font encore défaut pour un certain nombre de toxines.

Enfin, l'implication de certains agents viraux pouvant occasionner des myopathies d'origine inflammatoire a été suspectée, même si les caractéristiques épidémiologiques de cette affection ne sont pas en faveur d'un passage viral. Des dosages d'anticorps sériques de différents virus (grippe, rhinopneumonie, rhinovirus, adénovirus, bornavirus) ont été réalisés sans succès [2, 19].

Conclusion

Cette série de cas français de myoglobinurie atypique conforte les descriptions cliniques, biologiques et épidémiologiques des autres pays confrontés à ces anazooties. Si le contexte d'expression de cette maladie est à présent mieux connu, son étiologie demeure à ce jour inconnue et le pronostic des animaux qui en sont atteints reste sombre. Une meilleure compréhension de la physiopathogénie de cette affection ainsi que des recherches plus approfondies en toxicologie [20] contribueraient à la progression des connaissances quant à son origine. Cela implique qu'il existe, dans les pays qui y sont confrontés :

(1) une structure qui permette aux praticiens de déclarer les cas ;

(2) des infrastructures permettant d'hospitaliser, puis d'autopsier systématiquement les chevaux malades ;

(3) enfin des équipes capables de réaliser dans chaque foyer une enquête épidémiologique approfondie accompagnée de prélèvements dans l'environnement.

Note :

  • (1) automne 2002, printemps et automne 2003.

  • Remerciements particuliers : aux vétérinaires praticiens, aux écoles vétérinaires qui ont géré les cas recensés, aux laboratoires privés et départementaux partenaires du RESPE, à l'unité Maladies émergentes et virologie équine de l'Afssa Alfort, aux services de Microbiologie et d'Anatomie-Pathologie de l'Afssa Dozulé, au CNITV de Lyon, aux Services de Protection des Végétaux de Picardie, de Lorraine et d'Ile-de-France, à la Fredec du Calvados, aux Directions Départementales des Services Vétérinaires, aux Docteurs Delguste et Votion (université de Liège), au professeur Deprez (université de Gan), au professeur Straub (université de Bern).

Éléments à retenir

• Des chevaux ont été recensés en France avec un tableau clinique et épidémiologique compatible avec le syndrome “myoglobinurie atypique”.

• Les sujets atteints présentent de la raideur, une faiblesse allant jusqu'au décubitus, de la tachycardie et une polypnée ainsi que des modifications hémato-biochimiques (augmentation des enzymes musculaires et hépatiques) associées à une myoglobinurie.

• Les chevaux atteints en France en 2002 étaient principalement de jeunes chevaux à l'herbage.

• L'hypothèse d'une intoxination (bactéries ou mycotoxines) ou d'une intoxication en relation avec l'environnement est émise, mais l'étiologie reste encore inconnue.

Références

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