Approche étiologique des anœstrus non saisonniers de la jument - Pratique Vétérinaire Equine n° 139 du 01/07/2003
Pratique Vétérinaire Equine n° 139 du 01/07/2003

Auteur(s) : J.-F. Bruyas

Fonctions : Unité de biotechnologie
et de pathologie de la reproduction,
École nationale vétérinaire
de Nantes, Atlanpole-Chantrerie,
BP 40706, 44307 Nantes Cedex 03

Les anœstrus non saisonniers chez la jument peuvent résulter d'une absence de croissance folliculaire, de la persistance de tissu lutéal ou de chaleurs silencieuses. Certains troubles et des circonstances physiologiques peuvent également en être responsables.

L'anœstrus se caractérise par une absence de manifestation œstrale. Hormis l'anœstrus saisonnier, les situations où les juments présentent un anœstrus sont assez rares. Il convient de mettre alors en œuvre une démarche diagnostique de manière à tenter d'en déterminer le plus précisément possible la cause et ainsi de pouvoir envisager le traitement le plus approprié.

Il est important de souligner que l'anœstrus correspond à une absence de manifestation comportementale des chaleurs mais qu'au niveau ovarien, différents statuts physiologiques sont possibles concernant la croissance folliculaire (encadré 1). Les situations et les causes d'anœstrus sont nombreuses (tableau ). Ces circonstances peuvent néanmoins être classées en trois catégories selon le statut ovarien associé au trouble :

- absence de croissance folliculaire terminale ;

- présence d'une structure lutéale persistante ;

- ou présence d'une activité ovarienne cyclique, avec anomalie de l'expression des manifestations comportementales associées.

Dans ce premier article, une approche étiologique de chacune de ces trois situations est proposée, avant d'envisager, dans un second temps, une approche diagnostique et thérapeutique.

Anœstrus liés à une « inactivité ovarienne »

L'anœ strus liée à une inactivité ovarienne correspond en fait à une absence de croissance folliculaire terminale. Le terme d'« inactivité ovarienne » n'est donc pas totalement approprié dans la mesure où la phase de la croissance non régulée persiste pratiquement toujours et où, le plus souvent, il n'y a qu'une absence de vagues de croissance folliculaire (encadré 1). Le modèle même de ce type d'anœstrus est l'anœstrus saisonnier. Ce dernier, du point de vue de la dynamique de croissance folliculaire, peut être décomposé en plusieurs périodes [21]. La phase d'arrêt de la cyclicité, en fin d'été ou en cours d'automne, a été très peu étudiée. La phase d'anœstrus profond correspond à la période dite d'« inactivité ovarienne », pendant laquelle seule se maintient la phase non régulée de la croissance folliculaire ; les ovaires présentent de petits follicules dont le diamètre ne dépasse pas 10 mm (photos , et ). La troisième période est souvent dite « phase de transition » ; les ovaires présentent des follicules dont le diamètre peut dépasser 20 mm ; en fin de période de transition, différentes vagues de croissance folliculaire peuvent se produire avant la première ovulation. Deux articles précédemment publiés dans cette revue [25, 26] proposent une approche des éléments qui participent au déterminisme de cet arrêt hivernal de la cyclicité et permettent de faire le bilan des connaissances actuelles sur les facteurs endocriniens associés et les perspectives de traitements médicaux susceptibles d'initier une cyclicité ovarienne chez des juments en anœstrus hivernal.

L'anœstrus saisonnier permet de disposer d'un « modèle » d'anœstrus par défaut de croissance folliculaire terminale, utilisable pour tester les différentes substances susceptibles d'être employées pour traiter les autres anœstrus par « inactivité ovarienne ».

Il convient cependant de souligner que les anœstrus liés à une absence de croissance folliculaire terminale sont rares.

Anomalies congénitales du développement gonadique

Les anomalies chromosomiques et les hypoplasies ovariennes congénitales qu'elles peuvent entraîner sont à l'origine d'anœstrus par défaut d'activité ovarienne. En fait, il s'agit d'animaux qui n'ont jamais manifesté d'œstrus, mais, en raison d'une utilisation sportive ou de loisir avant la décision de leur mise à la reproduction, la mise en évidence du trouble est parfois tardive.

Comme le rappelaient Darré et coll. [10], les anomalies le plus souvent impliquées concernent les gonosomes : pseudo-hermaphrodisme femelle chez des juments porteuses d'une formule caryotypique 64XY ou en mosaïque XX/XY et, plus fréquemment encore, monosomie X (formule 63X correspondant au syndrome de Turner en médecine humaine) ou, plus exceptionnellement, monosomie X partielle avec délétion des bras courts d'un des deux chromosomes X. D'autres anomalies plus rares sont, comme les précédentes, associées à un phénotype de jument, mais ce sont des juments infertiles qui ne manifestent le plus souvent pas d'œstrus : trisomie X simple (65XXX) ou mosaïque (64XX/65XXX). Des cas cliniques sont régulièrement rapportés dans la littérature et ont été recensés dans l'article de Darré et coll. [10]. Depuis, quelques autres ont encore été décrits [6, 33, 42].

Néanmoins, les défauts de développement gonadiques ne sont pas tous associés à des anomalies chromosomiques. Ainsi, une femelle née d'une ponette du troupeau de l'École nationale vétérinaire de Nantes (ENVN) présentait une absence d'ovaires sans anomalie du caryotype. Des anomalies géniques peuvent, sans doute, également être en cause : leur existence est démontrée chez certaines espèces, notamment des rongeurs de laboratoire.

De la même manière, par référence à ce qui est connu chez d'autres espèces, il convient de ne pas exclure les cas d'hypogonadisme congénital lié à des anomalies de fonctionnement de l'axe hypothalamo-hypophysaire. Cependant, leur diagnostic n'est pas aisé à établir.

Hypogonadisme acquis

Iatrogène

Le défaut de fonctionnement ovarien peut avoir une origine iatrogène. Des traitements stéroïdiens, en particulier au cours de la période pré- et postpubertaire, sont susceptibles d'être à l'origine d'un défaut définitif de croissance folliculaire. Des expériences ont montré que l'administration d'anabolisants (l'undecyclénate de boldénone) à doses élevées induit une suppression de l'activité ovarienne [40]. En outre, plusieurs études soulignent que l'effet des anabolisants sur l'inhibition de la fonction ovarienne est à la fois dose- et molécule-dépendant [11] : des doses élevées peuvent provoquer un arrêt de la cyclicité ovarienne par défaut de croissance folliculaire sur de longues périodes après l'arrêt du traitement. Cet effet est souvent réversible quelques mois après l'arrêt de l'administration, mais il est parfois irréversible.

Associé à une endocrinopathie

Certaines endocrinopathies semblent également induire ou, du moins, être associées à l'arrêt d'activité ovarienne. Cela a été en particulier rapporté chez de vieilles juments atteintes du syndrome plus ou moins justement dit de « cushing ». Le lien entre le syndrome et l'anœstrus n'est pas connu, mais plusieurs hypothèses peuvent être avancées :

- interférences hormonales entre les différents agents endocriniens dont la sécrétion est modifiée ;

- compression par la tumeur hypophysaire en cause des cellules à gonadotrophines (FSH et/ou LH) à l'origine d'une perturbation de leur activité sécrétoire.

D'autres endocrinopathies (hypothyroïdie, hypercorticisme, etc.) décrites chez d'autres espèces de mammifères comme étant à l'origine de troubles de l'activité ovarienne ne semblent pas avoir été rapportées chez la jument.

Associé à une tumeur ovarienne

Les tumeurs ovariennes chez la jument sont rares. Les tumeurs des cellules de la granulosa sont les plus fréquentes. Ce processus néoplasique provoque d'intenses modifications au sein de l'ovaire atteint, le rendant non fonctionnel. En outre, le plus souvent, l'autre gonade, l'ovaire controlatéral, est hypoplasiée sans croissance folliculaire. Le mécanisme d'inhibition de l'activité de l'ovaire controlatéral n'est pas identifié. Lors du processus tumoral, une sécrétion androgénique légèrement plus intense est parfois, mais non systématiquement, dépistée, en revanche, le taux circulant d'inhibine semble systématiquement élevé. Ce dernier phénomène pourrait alors être à l'origine d'une inhibition de la libération de FSH et donc également de la croissance folliculaire...

Les juments atteintes de tumeur de la granulosa peuvent présenter différentes modifications comportementales sans forcément de rapport direct avec les perturbations de sécrétion des différents stéroïdes sexuels : anœstrus, œstrus prolongé voire persistant, virilisme. L'anœstrus est cependant la manifestation clinique la plus fréquemment associée à une tumeur des cellules de la granulosa.

Âge et conditions d'entretien

Un arrêt de l'activité ovarienne peut survenir chez des juments âgées ou très âgées. Bien que beaucoup de juments de plus de vingt ans continuent à être cyclées [7, 8, 22, 61], d'autres présentent, à l'inverse, un arrêt de la cyclicité ovarienne et des ovaires de taille réduite, avec aucun follicule de plus de 5 mm de diamètre. Les causes de telles situations, bien qu'inconnues, pourraient, comme le suggèrent Ginther et coll. [22], être dues à un épuisement de la réserve en follicules primordiaux ou à un défaut de sensibilité des follicules des vieilles juments aux stimulations gonadotropes, en particulier de FSH. Il est probable que ces juments puissent être dans un stade physiologique proche de celui de la ménopause humaine.

Associées souvent à l'âge des juments, leurs conditions d'entretien et en particulier leur état d'engraissement, ou plutôt, chez les juments d'âge, leur maigreur plus ou moins marquée semblent influencer la survenue et la précocité de l'éventuel arrêt de la cyclicité ovarienne. L'état d'engraissement pourrait être, comme dans le cadre de l'anœstrus saisonnier, un élément régulateur de l'activité ovarienne. Les juments maigres à très maigres présentent de très longs anœstrus saisonniers avec seulement quelques cycles ovariens estivaux. En revanche, les juments en bon état d'engraissement présentent soit un anœstrus court de quelques mois, soit une activité cyclique permanente [18, 20, 25, 27]. L'influence de l'état d'engraissement sur la fonction ovarienne semble se manifester essentiellement par l'intermédiaire des taux sanguins de leptines. Les leptines sont des protéines, sécrétées principalement par le tissu adipeux, qui interviennent dans la régulation de l'appétit. Elles sont également impliquées dans la régulation de la fonction de reproduction. Les femelles de mammifères avec de faibles réserves lipidiques à l'origine d'une faible sécrétion de leptines ou, à l'inverse, les individus obèses en raison d'un déficit congénital de leptines ne sont pas cyclés [56].

Anœstrus post-abortum

Un anœstrus est assez fréquemment, mais pas systématiquement observé après un avortement induit ou spontané survenant pendant la période d'activité des cupules endométriales. En effet, après un avortement précoce survenu entre quarante et cent à cent vingt jours de gestation, il est rare que les cupules endométriales, structures d'origine trophoblastique qui sécrètent la gonadotrophine chorionique équine (eCG = PMSG), soient éliminées spontanément. À l'inverse, ces structures persistent parfois pendant plusieurs mois, beaucoup plus longtemps que si la gestation s'était poursuivie normalement. Les mécanismes physiopathologiques responsables à la fois du maintien de ces cupules et du blocage souvent associé de la cyclicité ovarienne ne sont pas déterminés. Bien que certaines juments après un avortement précoce retrouvent rapidement une cyclicité avec ou sans persistance des cupules endométriales [11], d'autres présentent un anœstrus de durée variable mais qui peut parfois se prolonger pendant plusieurs mois, voire d'une saison de reproduction à l'autre, voire au-delà.

Anœstrus post-partum ou de lactation

Les autres anœstrus liés à une « inactivité ovarienne » sont souvent post-partum et dénommés parfois anœstrus de lactation. La saison, l'âge ou les conditions d'entretien sont souvent en cause [11]. En fait, souvent cet anœstrus n'est rien d'autre, en quelque sorte, qu'une superposition de la période post-partum et de la période d'anœstrus saisonnier. Les autres causes susceptibles d'être à l'origine d'un anœstrus de lactation ou post-partum ne sont pas connues chez la jument, mais pourraient être liées, là encore, à un défaut de réserve lipidique à l'origine d'un faible taux circulant de leptines [23, 28].

Quels que soient la situation et, semble-t-il, le facteur déclenchant, ce type d'anœstrus peut s'installer d'emblée après le poulinage ou à l'inverse, et c'est le cas le plus fréquent, après que la jument a manifesté un premier œstrus post-partum (chaleurs de poulinage ou chaleurs de lait). L'examen génital de la jument en anœstrus ne révèle rien de particulier et la répétition des examens ovariens souligne l'absence de croissance folliculaire terminale. Il est alors difficile de proposer à la fois un pronostic et une conduite thérapeutique.

Pour les juments dont le poulinage est prévu en fin d'hiver-début de printemps, une bonne mesure pour tenter de prévenir un anœstrus saisonnier en période post-partum est de soumettre les poulinières aux protocoles de photostimulation préconisés pour réduire la durée de l'anœstrus saisonnier [25, 26]. La photostimulation des poulinières a alors pour conséquence fréquente de raccourcir la durée de gestation qui, sinon, est plus longue en début de saison qu'en fin de printemps-début d'été.

Anœstrus liés à la persistance d'une structure lutéale

Gestation

La gestation est effectivement une cause physiologique d'anœstrus qu'il convient de ne pas négliger. Aussi, en présence d'une jument présentée comme en anœstrus, le premier geste lors de l'examen gynécologique est de vérifier qu'elle n'est pas gravide. Tout praticien a été confronté un jour ou l'autre à une telle situation où un propriétaire vous présente sa jument prétendue en « inactivité ovarienne » alors qu'elle a été saillie sans qu'il ne le sache (« fugue » de la jument ou d'un étalon, saillie prématurée par un poulain d'un peu plus d'un an vivant dans le même pré, etc.).

Corps jaune persistant

Les corps jaunes persistants constituent une cause non exceptionnelle et plus fréquente que chez les autres espèces de mammifères domestiques d'anœstrus chez la jument. Plusieurs circonstances peuvent conduire à la mise en place d'une structure lutéale persistante chez cette espèce. Sharp [55] rapporte que cela concerne habituellement 5 à 7 % des juments au cours d'une saison, mais que certaines estimations évoquent une incidence pouvant atteindre 20 % des juments au cours d'une saison de reproduction.

Mortalité embryonnaire

Une non-lutéolyse du corps jaune peut être liée à la survenue d'une mortalité embryonnaire après que le signal d'origine embryonnaire a été émis pour inhiber la décharche physiologique de PGFα. Expérimentalement, il a été montré que si l'embryon est éliminé avant quatorze à seize jours de gestation, la durée de la phase lutéale n'est pas modifiée, en revanche, si l'embryon atteint l'âge de seize jours avant de disparaître, alors il y a maintien du corps jaune [55]. Ainsi, lorsqu'un embryon dégénère spontanément après le seizième jour de gestation, la sécrétion progestéronique peut se poursuivre et être à l'origine d'un anœstrus de durée variable.

Avortement plus tardif

Lorsqu'un avortement survient pendant la phase de la gestation où les corps jaunes sont indispensables à son maintien, soit avant quatre-vingts à cent jours, il est possible que les structures lutéales poursuivent leur sécrétion après l'expulsion du fœtus. Ainsi, lors d'un avortement spontané pendant la période de sécrétion des cupules endométriales (quarante à cent jours), il peut se produire un anœstrus soit (voir supra) par défaut de croissance folliculaire en raison de la persistance des cupules endométriales, soit, mais c'est plus rare, par maintien de la sécrétion lutéale de progestérone qui est ou non alors associée à celle d'eCG.

Lésions utérines

Des lésions de l'endomètre sont parfois rendues responsables du défaut de lutéolyse. En particulier, Daels et Hughes [11] évoquent le cas d'infections utérines graves, de pyomètres associés à un anœstrus par persistance lutéale. En général, les signes cliniques des infections utérines sont suffisamment univoques pour orienter le diagnostic et la conduite du traitement de l'affection utérine.

Iatrogène

Alors que les protocoles thérapeutiques à base d'anti-inflammatoires non stéroïdiens n'entraînent pas d'inhibition de la décharge lutéolytique de prostaglandine [11], il apparaît que certains traitements peuvent être à l'origine d'un défaut de lutéolyse.

Ainsi, bien que le plus souvent les irrigations et les lavages utérins soient responsables de libérations prématurées de PGFα, certains traitements intra-utérins pourraient être paradoxalement à l'origine d'un défaut de lutéolyse. Ainsi, des récoltes d'embryons par lavage utérin effectué le septième ou le huitième jour postovulation induisent parfois des lutéolyses précoces mais également, de temps en temps, alors que l'embryon a été récupéré, des défauts inexpliqués de décharge de PGFα en fin de cycle [5]. De la même manière, Allen [1] a rapporté que des injections intra-utérines de pénicilline avaient induit des phases lutéales prolongées.

Différentes expériences ont, par ailleurs, souligné que l'ocytocine pouvait participer au mécanisme de la lutéolyse chez la jument, mais que des administrations répétées ou continues par des pompes osmotiques d'ocytocine à partir du huitième jour postovulation initiaient des persistances lutéales, sans doute en entraînant une down-régulation de ses récepteurs utérins [24, 59]. Il est cependant peu probable que ces conditions expérimentales soient reproduites fréquemment chez des juments d'élevage. Néanmoins, des manipulations répétées de l'appareil génital pourraient peut-être, dans certaines conditions particulières, être à l'origine de libérations répétées d'ocytocine à un stade de la phase lutéale induisant le même phénomène.

Il a par ailleurs été démontré que les traitements à base de progestérone ou de progestatifs utilisés pour inhiber l'œstrus et/ou synchroniser les chaleurs n'inhibaient ni la croissance folliculaire, ni les ovulations [12, 34, 36, 37, 58]. Ainsi, des juments sous progestatifs peuvent ovuler, ce qui est parfois à l'origine d'échec de synchronisation d'œstrus, ce qui souligne l'intérêt d'un traitement mixte associant, au terme du traitement progestatif, une injection de PGFα. Il apparaît que les ovulations, au cours des traitements progestatifs, sont très fréquemment suivies d'une phase lutéale prolongée par défaut de lutéolyse. Ainsi, Daels et coll. [12], lors de traitements à base d'altrenogest pendant quinze jours, mis en place en fin de phase lutéale, ont rapporté une forte incidence d'ovulations en cours de traitement et également une incidence non négligeable de retards à la lutéolyse de ces corps jaunes apparus pendant la durée du traitement. Ce type de protocole est d'ailleurs maintenant utilisé pour produire expérimentalement des anœstrus par phase lutéale prolongée [32].

Ovulation en fin de phase lutéale

L'encadré rappelant la physiologie de la dynamique de la croissance folliculaire chez la jument souligne que, chez cette espèce, sans que l'on puisse encore en expliquer le déterminisme, il peut survenir des ovulations en phase lutéale. Ces dernières sont vraisemblablement à l'origine de la forte incidence des persistances lutéales chez cette espèce. En effet, si une vague de croissance folliculaire se produit au cours de la phase lutéale et que son follicule dominant ovule en fin d'interœstrus, quelques jours plus tard, au moment de la décharge lutéolytique physiologique de PGFα, la jument présente alors deux corps jaunes. Le premier, mis en place à la suite de l'ovulation de la phase œstrale précédente, va régresser sous l'action de la prostaglandine endogène. Le second, de mise en place récente, risquera alors d'être immature et ne répondra pas à l'action de la PGFα car âgé de moins de cinq jours (figure ). Ce « jeune » corps jaune, dont l'installation est passée cliniquement inaperçue, va alors se maintenir sans qu'une nouvelle décharge lutéolytique ne se produise. Un anœstrus par persistance lutéale débute. La durée de cet anœstrus est variable mais peut être longue. La mise en évidence de ce type de persistance lutéale fait remettre en cause, comme le soulignent Daels et Hughes [11], l'existence de ce que pendant de nombreuses années certains auteurs décrivaient comme des corps jaunes persistants d'origine idiopathique (c'est-à-dire d'étiologie inconnue).

Follicule lutéinisé (anovulatoire) persistant

Les follicules lutéinisés peuvent, comme le souligne une étude rétrospective récente de McCue et Squires [39], être à l'origine d'un allongement de l'interœstrus, donc, de cas d'anœstrus plus ou moins longs : en moyenne quarante jours, mais parfois cent jours.

Ces structures sont, en fait, des follicules anovulatoires. Les juments présentent un œstrus avec une croissance folliculaire qui semble physiologique. Cependant, le follicule dominant pré-ovulatoire n'ovule pas. Lors de suivi échographique, son contenu liquidien devient hétérogène avec des spots échogènes. La cavité folliculaire se remplit alors d'un réseau de fibrine, puis, dans la majorité des cas, de tissu lutéal. La jument présente alors un début d'interœstrus qui peut se prolonger de manière anormalement longue.

Ginther [21] avait bien décrit ce phénomène qui lui semblait plus fréquent en fin de saison de reproduction et avoir une incidence de l'ordre de 5 %. McCue et Squires [39], lors du suivi de 720 juments sur un total de 1 840 cycles, décrivent une incidence de ces dysovulations de 8 % des cycles. Ils observent une augmentation de l'incidence avec l'âge des juments : respectivement, 4,5 % des cycles des juments de six à dix ans contre 13 % des cycles des juments de seize à vingt ans. Ils observent également une tendance à la répétition de ces dysovulations pour une même jument la même saison. En revanche, aucune cause ni élément prédictif n'a pu être mis jusque-là en évidence. De la même manière, aucune explication n'est avancée pour comprendre la raison de la tendance de ces follicules lutéinisés à persister après leur formation et à induire des interœstrus prolongés.

Chaleurs silencieuses

Une troisième catégorie d'anœstrus est représentée par des juments qui ne manifestent pas de comportement d'œstrus alors qu'elles présentent une activité ovarienne cyclique avec croissance folliculaire, émergence de follicule dominant et ovulation cyclique. McDonnel [40] estime que ces juments représentent la majorité des individus en anœstrus pendant la saison de reproduction.

Les causes de ces non-expressions des chaleurs malgré une cyclicité ovarienne ne sont pas toutes clairement identifiées, pas plus que leur déterminisme. Ce défaut comportemental se rencontre chez des juments qui ont subi des traitements stéroïdiens au cours d'une carrière sportive. Ainsi, des juments traitées avec des anabolisants peuvent conserver une activité ovarienne cyclique, mais un anœstrus uniquement comportemental [40]. De la même manière, cet auteur rapporte le cas de juments sous traitements à base de dexaméthasone (30 mg/j pendant cinq jours) dont l'œstrus était aboli malgré des cycles ovulatoires.

Certaines juments refusent également l'étalon lors de saillie en main [40]. Ces juments au caractère difficile paraissent anxieuses à l'approche du mâle et se défendent violemment lors des tentatives de saillie. Cela pourrait résulter :

- chez les maïdens, d'une inexpérience de la jument mise pour la première fois à la reproduction ;

- chez les poulinières suitées, de la présence à côté de l'animal ou, à l'inverse, de l'absence à ses côtés de son poulain ;

- chez certains individus, de, la contention nécessaire à une saillie en main.

McDonnel [40] souligne que les situations de refus de l'étalon en main sont souvent liées à des facteurs de conduite d'élevage : mauvais souvenir d'une saillie au mauvais moment, sociabilisation insuffisante de la femelle pendant sa croissance...

Conclusion

Confronté à un cas d'anœstrus, il est nécessaire tout d'abord de bien garder à l'esprit que, chez la jument, les deux causes principales sont l'existence d'une gestation et celle d'un anœstrus saisonnier qui, éventuellement, se prolonge (souvent alors associé à un mauvais état d'engraissement). Cependant, les causes d'anœstrus peuvent être nombreuses, c'est la raison pour laquelle, il convient de proposer une approche diagnostique et thérapeutique.

Éléments à retenir

• Les anœstrus non saisonniers peuvent résulter soit d'une absence de croissance folliculaire, soit de la persistance de tissu lutéal, soit de chaleurs silencieuses malgré une cyclicité ovarienne.

• Certaines anomalies chromosomiques, des traitements stéroïdiens en période prépubertaire, les endo-crinopathies, les tumeurs ovariennes sont aussi parfois impliqués.

• Après un avortement survenant pendant la période de sécrétion des cupules endométriales, un anœstrus durable survient fréquemment. En post-partum, un anoestrus saisonnier associé ou non à un faible état d'engraissement peut provoquer une période d'anœstrus.

• La gestation est la raison principale (et physiologique) de survenue d'un anœstrus.

• Les chaleurs silencieuses sont la cause la plus fréquente d'anœstrus en cours de saison de reproduction.

Rappels de la dynamique de la croissance folliculaire chez une jument cyclée

• La croissance folliculaire est un phénomène continu qui se déroule pendant toute la vie génitale des femelles des mammifères domestiques, quel que soit leur stade physiologique (cyclicité, gestation, anœstrus saisonnier). La croissance folliculaire se décompose en deux phases (figure ) : une phase dite non régulée qui se déroule en permanence et semble indépendante des régulations hormonales hypothalamo-hypophyso-ovariennes ; et une phase régulée dépendante de ces sécrétions (c'est uniquement cette phase qui est absente pendant une partie de l'anœstrus saisonnier).

• Ainsi, chaque jour, quelques follicules primordiaux, jusque-là quiescents, débutent leur croissance. Pendant la première phase non régulée, les cellules folliculaires, qui formaient jusque-là une simple assise autour de l'ovocyte, se multiplient et finalement se différencient en cellules de la thèque et de la granulosa... En parallèle, l'ovocyte débute sa maturation cytoplasmique, membranaire et nucléaire, et augmente de taille. Après plusieurs semaines (à peu près quatre-vingt-cinq jours) de croissance, les cellules folliculaires commencent à sécréter du liquide folliculaire : un follicule cavitaire se forme. Chez la jument, lorsque le diamètre des follicules cavitaires dépasse 5 à 10 mm, ces derniers deviennent sensibles à l'action des gonadotrophines hypophysaires (FSH et LH). La phase régulée de la croissance débute. Ainsi, à intervalles de temps plus ou moins réguliers, tous les follicules cavitaires en croissance sensibles à ces stimulations (cela semble correspondre à des follicules de diamètre voisin de 10 mm) sont « recrutés ». Une phase de croissance et de maturation plus rapide débute alors.

• Quelques jours plus tard, parmi cette cohorte de follicules cavitaires en croissance recrutés, un, parfois deux follicules sont « sélectionnés », c'est-à-dire qu'ils poursuivent leur maturation et leur croissance alors que les autres vont commencer à régresser, à « s'atrésier ». Le follicule sélectionné dit « dominant » est un follicule pré-ovulatoire qui en principe n'ovulera que si l'environnement hormonal (décharge gonadotrope « ovulante ») le permet ; sinon, il « s'atrésiera » aussi. Cette séquence recrutement-sélection-ovulation/atrésie du follicule dominant correspond à une vague de croissance folliculaire.

Ainsi, chez la jument, à chaque cycle, il ne se produit le plus souvent qu'une seule vague de croissance folliculaire (figure ). Les moments du recrutement et de la sélection ne sont pas parfaitement encore bien définis et sont quelque peu variables d'un cycle à l'autre, mais il semble que le recrutement ait lieu vers dix à quatorze jours avant l'ovulation et que la sélection se produise à un moment proche du début des chaleurs sur un follicule de 15 à 25 mm de diamètre. Le ou les follicule(s) dominant(s) ovule(nt) après la régression du corps jaune du cycle précédent. Chez les juments, 80 % des cycles semblent être associés à ce type de dynamique folliculaire avec une seule vague de croissance par cycle.

Lors des autres cycles, il se produit alors deux vagues de croissance folliculaire. Au cours de ces cycles à deux vagues de croissance folliculaire, la première survient rapidement après l'ovulation du cycle précédent et aboutit à l'émergence d'un follicule dominant pendant la phase lutéale. Dans la majorité des cas, ce premier follicule dominant régresse et, une fois atrésié, une seconde vague de croissance folliculaire conduit à la formation du follicule dominant qui ovulera après la fin de la phase lutéale et au cours de la phase œstrale (figure ). Cependant, il arrive que dans 5 % à 10 % des cycles environ, selon Ginther [21] et Newcombe [47], le follicule dominant de la première vague de croissance ovule pendant la phase lutéale (figure ).

Encadré 1. D'après [13, 14, 21, 51].

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