À propos d'un cas d'intussusception cæcocolique traité chirurgicalement - Pratique Vétérinaire Equine n° 138 du 01/04/2003
Pratique Vétérinaire Equine n° 138 du 01/04/2003

Auteur(s) : Pierre Cirier*, Xavier Gluntz**

Fonctions :
*Clinique vétérinaire du Lys
678, avenue Jean-Jaurès
77190 Dammarie-Les-Lys

Une intussusception cæcocolique chez une ponette est traitée chirurgicalement, sans typhlectomie. Aucune des causes connues qui favorisent cette affection n'est mise en évidence.

Une ponette française de selle, âgée de treize ans, est adressée à la clinique pour une crise abdominale aiguë qui ne rétrocède pas aux traitements médicaux classiques.

Cas clinique

Examen à l'arrivée

Les coliques ont débuté depuis six heures lors de l'arrivée de l'animal à la clinique. Son état général est moyen ; la ponette présentedenombreuses escarres (photo ), est très agitée et se coince régulièrement dans son box.

Les muqueuses sont roses, mais présentent un liséré. La fréquence cardiaque est de 60 battements par minute (bpm), le temps de remplissage capillaire (TRC) de deux à trois secondes et la température de 37,8 °C. À l'auscultation des quatre quadrans abdominaux, aucun bruit digestif n'est audible et la palpation transrectale révèle un déplacement à droite du côlon ascendant. Le sondage nasogastrique permet de recueillir cinq litres de reflux verdâtre.

L'échographie abdominale ne révèle pas d'anomalie significative : parois intestinales non épaissies, motilité intestinale satisfaisante, présence de liquide en petite quantité. La paracentèse réalisée ensuite permet de recueillir du liquide en faible quantité et d'aspect normal (couleur jaune citrin).

Les analyses hématologiques et biochimiques mettent en évidence une leucopénie (2 700 leucocytes/mm3 ; valeurs usuelles : 5 000 à 10 000/mm3).

Suivi clinique médical

Après ces examens, les hypothèses diagnostiques incluent :

- une obstruction intraluminale du côlon par une impaction, une intussusception cæcocolique ou un corps étranger ;

- une obstruction extraluminale par une masse ;

- une obstruction non étranglée de l'intestin grêle.

En raison de la réticence des propriétaires pour la chirurgie et du résultat de la paracentèse, la colique est traitée médicalement dans un premier temps.

La jument est tranquillisée (détomidine, 6 mg par voie intraveineuse) à deux reprises dans la nuit, mais la douleur réapparaît.

Le lendemain matin, elle passe quelques crottins d'aspect normal et son état général est stable. La ponette ne présente pas de reflux gastrique et la palpation transrectale ne montre pas d'évolution. L'animal est de nouveau tranquillisé et une perfusion de lactate de Ringer (5 l/h pendant 7 heures) est administrée. Dans la journée, la douleur semble diminuer et rétrocède après l'administration de scopolamine et de noramidopyrine (Estocelan®, 30 ml par voie intraveineuse, soit 120 mg de scopolamine et 15 g de dipyrone).

Plus tard dans la journée, l'état général de la ponette se dégrade : fréquence cardiaque à 60 bpm, muqueuses congestionnées, leucopénie et hématocrite augmenté (45 % ; valeurs usuelles : 35 % à 45 %). De plus, la palpation transrectale met en évidence un élément anormal en position médiane sur le plancher du bassin.

Ce dernier examen et l'aggravation de l'état de la ponette motivent une intervention chirurgicale, qui est acceptée par les propriétaires.

La ponette reçoit une double antibiothérapie : gentamicine (G4®, 6,6 mg/kg par voie intraveineuse une fois par jour pendant cinq jours) et pénicilline-procaïne (Dépocilline®, 23 000 UI/kg par voie intramusculaire deux fois par jour pendant huit jours). En outre, de la flunixine est prescrite (Finadyne®, 1,1 mg/kg par voie intraveineuse).

Chirurgie abdominale

Anesthésie

L'induction de l'anesthésie est réalisée par voie intraveineuse à l'aide de xylazine (1,1 mg/kg) et de kétamine (2,7 mg/kg), en association avec du diazépam (0,1 mg/kg).

De l'halothane est ensuite utilisé en relais peropératoire.

Chirurgie

La jument est placée en décubitus dorsal, l'abdomen est tondu et préparé chirurgicalement.

Une incision médiane de 25 cm est réalisée sur la ligne blanche.

Après ouverture de la cavité abdominale, le cæcum est recherché en vain. Une intussusception cæcocolique qui intéresse tout l'apex du cæcum est ainsi mise en évidence (photos et ).

Celle-ci est résolue manuellement en massant le côlon ventral droit vers la jonction cæcocolique, tout en tirant précautionneusement le cæcum vers l'extérieur depuis sa base non invaginée. Puis le cæcum est observé pendant quelques minutes. Sa paroi est œdémaciée, mais elle se recolore et présente du péristaltisme. Le cæcum paraît donc viable et il est repositionné dans l'abdomen. Les autres segments intestinaux qui peuvent être extériorisés sont également examinés ; ils ne présentent pas d'anomalie. Ils sont replacés en position anatomique.

Le cæcum est ressorti (photo ) et sa viabilité est manifeste (couleur normale, péristaltisme, diminution de l'œdème de la paroi, ce qui signifie une non-altération de la circulation sanguine). Une typhlectomie (résection chirurgicale partielle ou totale du cæcum) n'est donc pas nécessaire, et le cæcum est réintroduit dans la cavité abdominale en position normale.

L'incision abdominale est suturée : surjet au polyglactine (Vicryl® déc. 5) concernant la ligne blanche, surjet sous-cutané au glycomer (Biosyn® déc. 3) et suture cutanée par des agrafes.

Un pansement stérile est mis en place avant le retour de l'animal dans le box de réveil. Le réveil se déroule normalement et la ponette passe une nuit calme.

Suivi postopératoire

Le lendemain de l'intervention, à l'examen clinique, l'état général de la ponette est bon : température de 37,7 °C, fréquence cardiaque de 42 bpm et bruits digestifs audibles dans les quatre quadrans abdominaux. L'hématocrite est revenu à une valeur normale ; en revanche, la leucopénie persiste. La ponette reçoit de l'eau, puis un quart de foin le soir.

Le surlendemain, l'animal est en bon état général, mais n'a pas passé de crottins. Il reçoit de petites quantités de foin. Lors du changement du pansement, la plaie présente une bonne évolution.

Trois jours après l'opération, l'état général de la ponette est bon, mais celle-ci n'a toujours pas passé de crottins. De la paraffine est donc administrée par sondage nasogastrique.

Les jours suivants, l'examen clinique de la ponette est bon et elle passe ses premiers crottins.

La plaie abdominale présente une suppuration modérée ; elle est nettoyée et le pansement est changé régulièrement.

La ponette quitte la clinique huit jours après l'opération.

Conduite à tenir

Les consignes sont de maintenir la ponette au box pendant deux mois et de prévoir une échographie de contrôle de la plaie à l'issue de cette période.

Il est indiqué de distribuer le foin à la ponette une demi-heure avant les concentrés, de reprendre l'alimentation habituelle progressivement sur une semaine et de remettre le panier de jeûne entre les repas les premiers temps.

Des soins locaux au niveau de la plaie et une antibiothérapie par voie orale, avec une association de triméthoprime et de sulfamide (15 mg/kg, deux fois par jour) sont poursuivis pendant quatre semaines.

Discussion

Les intussusceptions cæcocoliques sont des affections connues, mais relativement rares en pathologie abdominale ; elles représentent entre 1,3 % et 3,5 % des coliques chirurgicales [2, 3, 5, 6].

Le diagnostic est difficile et il est établi la plupart du temps lors d'une laparotomie exploratrice, car celle-ci s'impose souvent comme l'unique solution chez les chevaux atteints de la forme aiguë (pour lesquels un traitement médical ne résout pas le syndrome douloureux) ou de la forme plus chronique.

Le traitement est généralement chirurgical et le pronostic est réservé [1].

La chirurgie abdominale de cette affection comporte des variantes. La réduction de l'intussusception, souvent délicate, peut être manuelle par massage du côlon (taxis externe et traction modérée de la base du cæcum non invaginée) ou bien nécessiter une colotomie (ouverture du côlon ventral droit au niveau de la bande charnue latérale). Dans un second temps, le chirurgien pratique une typhlectomie si la partie invaginée du cæcum n'est pas viable. Cette intervention est réalisée par la colotomie ou bien à l'extérieur après dévagination. Cette typhlectomie, souvent délicate lorsque le cæcum est difficile à extérioriser, peut être remplacée (le cæcum est laissé en place et est digéré dans le côlon) ou complétée en dernier lieu par une iléocolostomie (bypass complet du cæcum) [1 à 5].

L'originalité du cas présenté dans cet article est liée à l'absence de typhlectomie ou de colotomie dans la mesure où la réduction manuelle de l'intussusception a été possible par taxis externe et par traction de la base du cæcum. Après une remise en place dans l'abdomen et un examen dix minutes plus tard, la partie invaginée du cæcum a semblé viable. Il a donc été décidé, dans un premier temps, d'arrêter la chirurgie, sans exclure la possibilité d'une nouvelle intervention dans les vingt-quatre heures si l'état clinique de la ponette s'était dégradé, ce qui aurait suggéré une nécrose du cæcum. Une surveillance stricte a été réalisée pendant cette période (fréquences cardiaque et respiratoire, température, bruits digestifs, absence de douleur et remontée des leucocytes).

Cette option permet une simplification de la procédure, et un gain de temps anesthésique et chirurgical, mais aussi une amélioration du pronostic due à une chirurgie abdominale sans contamination d'origine digestive (absence d'effraction de la lumière intestinale). En effet, lors de typhlectomie, l'extériorisation complète du cæcum peut être difficile. Le chirurgien doit parfois effectuer des manipulations très proches de la cavité abdominale, d'où des risques de contamination, surtout si la typhlectomie est réalisée sans autosutures. Le risque septique est encore accru lorsqu'une colotomie est associée à la typhlectomie.

Cependant, l'option mise en œuvre dans le cas présenté ici ne peut pas être envisagée si la partie invaginée ne semble pas viable après résolution de l'invagination.

Un autre aspect intéressant du cas exposé réside dans l'absence des facteurs prédisposants communément relatés dans la littérature. Les publications font état d'un âge inférieur à cinq ans et la moyenne est comprise entre deux et trois ans [2 à 6]. Les circonstances favorisantes rapportées sont le parasitisme par Anoplocephala perfoliata (photo ), les changements dans la structure de la paroi intestinale (lipomes, néoplasmes, granulomes, abcès, trajets de migration de larves, etc.) et l'administration de substances qui peuvent modifier le péristaltisme intestinal (agents parasympathomimétiques, benzimidazoles, organophosphorés, etc.) [1, 3, 5]. Aucun de ces facteurs prédisposants ou favorisants n'a pu être mis en évidence, ni même suspecté.

Enfin, ce cas illustre bien l'existence de symptômes polymorphes et non spécifiques de ce type d'affection, c'est-à-dire celle de plusieurs formes (aiguë, subaiguë et chronique). Pour cette ponette, il s'agissait d'une forme subaiguë dont la douleur modérée a été gérée médicalement pendant près de vingt-quatre heures. La palpation transrectale initiale n'a pas permis de mettre en évidence une anomalie pathognomonique ; en revanche, lors de la dernière palpation préopératoire a été décelé un élément anormal en position ventrale et médiane, qui aurait pu faire penser à ce type d'entité pathologique (palpation du côlon contenant une masse œdémaciée représentée ici par le cæcum). Cependant, la décision opératoire a été prise lorsque l'état général de la ponette a commencé à se dégrader.

Conclusion

Ce cas tend à confirmer que les intussusceptions cæcocoliques sont difficiles à diagnostiquer et que, en l'absence de certitude, la décision chirurgicale est influencée par l'état clinique de l'animal. Le caractère épidémiologique atypique de ce cas par rapport à ce qui est relaté dans la littérature relance le débat sur la physiopathologie de telles affections. Enfin, le bon rétablissement de la ponette est sans doute en relation avec le caractère moins invasif de la chirurgie (absence d'entérotomie et d'entérectomie).

Éléments à retenir

• Les facteurs connus pour favoriser l'intussusception cæcocolique sont le parasitisme par Anoplocephala perfoliata, les modifications de structure de la paroi intestinale et l'administration de substances qui peuvent perturber le péristaltisme.

• L'intussusception cæcocolique se manifeste par des symptômes polymorphes et peu spécifiques (formes aiguës, subaiguës ou chroniques), ce qui rend le diagnostic clinique délicat.

• Le traitement de l'intussusception cæcocolique est le plus souvent chirurgical ; il convient dans un premier temps d'essayer une réduction manuelle sans colotomie (massage du côlon et traction douce sur le cæcum).

• Comme chez ce cheval, lorsque le cæcum semble viable, une résolution de l'intussusception cæcocolique sans typhlectomie peut être envisagée avec succès.

Références

  • 1. ALEXANDER K, BOURE L, COTE N. Les intussusceptions cæcocoliques. Prat. Vét. Équine, 1999 ; 31 : 419-425.
  • 2. BOUSSAUW B, WILDERJANS H, PICAVET MT. Four cases of caecocolic intussusception in the horse and its surgical treatment by ileocolostomy. Vlaams Diergeneesk. Tijdschr. 1994 ; 63 : 197-200.
  • 3. GAUGHAN EM, HACKETT RP. Cecocolic intussusception in horses : 11 cases (1979-1989). J. Amer. Vet. Med. Assn. 1990 ; 197 : 1373-1375.
  • 4. HUBERT JD, HARDY J, HOLCOMBE SJ, MOORE RM. Cecal amputation within the right ventral colon for surgical treatment of nonreducible cecocolic intussusception in 8 horses. Vet. Surgery. 2000 ; 29 : 317-325.
  • 5. MILNE EM, POGSON DM, ELSE RW, ROWLAND AC. Caecal intussusception in two ponies. Vet. Record. 1989 ; 125 : 148-150.
  • 6. OWEN R, JAGGER DW, QUAN-TAYLOR R. Caecal intussusception in horses and the significance of Anoplocephala perfoliata. Vet Record. 1989 ; 124 : 34-37.
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