Auteur(s) : C. DEFLINE*, A. BÉNAMOU-SMITH**
Fonctions :
*Clinique Équine de Bernay, Le Manoir d'Irlande
27300 SAINT-AUBIN LE VERTUEUX
**Département Hippique, École Nationale Vétérinaire de Lyon, 1 av. Bourgelat
69280 MARCY-L'ÉTOILE
La myopathie à stockage de polysaccharides est fréquente aux États-Unis. En France, son implication dans les myopathies d'effort récurrentes et dans le syndrome du cheval faible ou couché est probablement sous-estimée.
La myopathie à stockage de polysaccharides (EPSM) a été décrite dans un premier temps chez les quarter horses et apparentés par l'équipe de Valberg [25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32] et chez les chevaux de races lourdes par l'équipe de Valentine [33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40], puis chez de nombreuses autres races : pur-sang, arabe, anglo-arabe, demi-trait et poney [32, 39, 40], aux États-Unis et au Canada.
Les chevaux atteints sont de tous âges [5, 27, 29] mais principalement des femelles [15, 29] ; une prédisposition familiale est observée chez les chevaux de race quarter horse et apparentés [29]. Les animaux atteints sont souvent calmes, placides [15, 29] et très musclés [29].
L'EPSM est caractérisée par une accumulation de 1,5 à 4 fois plus élevée de glycogène (jeunes animaux, pur-sang) ou de complexes de polysaccharides (adultes) sous forme non biodisponible dans les fibres musculaires des chevaux atteints [24, 34, 36, 38, 40]. Chez le cheval, contrairement à d'autres espèces (atteintes hépatique, rénale et cardiaque chez l'homme atteint de glycogénose, par exemple), seuls les muscles squelettiques sont affectés [23]. Les causes de cette surcharge en glycogène ne sont pas élucidées. Cependant, les auteurs s'accordent à penser qu'il s'agit davantage d'un excès de synthèse que d'un défaut d'élimination. Cela est confirmé par le fait qu'aucune anomalie de glycolyse et de glycogénolyse n'a été identifiée chez les chevaux malades[28, 31]. L'intervention de transporteurs spécifiques permettrait d'expliquer pourquoi l'exercice régulier diminue cette accumulation.
Chez les chevaux malades, une anomalie de transport du glucose vers les muscles a été identifiée [9, 14, 28, 30]. Celle-ci pourrait contribuer au stockage anormal du glycogène musculaire [8, 30, 31].
L'anomalie de métabolisme des glucides au sein des fibres squelettiques provoque une crise énergétique (diminution de l'ATP, des lactates et des gradients électrochimiques) dans les muscles touchés [25, 28, 30, 34, 35, 40], qui serait responsable de la faiblesse et des contractures musculaires [25], voire de la rhabdomyolyse [36]. Cette dernière n'est cependant pas constante chez tous les chevaux [34].
Chez de nombreuses autres espèces, des déficiences enzymatiques sont responsables de glycogénose [25]. Chez le cheval, aucune anomalie enzymatique n'a été identifiée comme cause de l'affection [25, 28, 34, 40].
Les signes cliniques varient selon la race de l'animal. Chez les quarter horses et apparentés atteints d'EPSM, le principal signe d'appel est la rhabdomyolyse récurrente. Chez les races lourdes, en revanche, les signes cliniques sont beaucoup plus variés (encadré 1).
La rhabdomyolyse récurrente est une manifestation fréquente d'EPSM chez les chevaux de race quarter horse et apparentés, paint, apaloosas et demi-sang ; il convient donc de la suspecter en première intention chez ces animaux [25]. Elle peut survenir lors de la mise à l'entraînement ou lorsque le cheval reçoit une forte quantité de céréales [15, 29], mais aussi chez des yearlings et chez des foals, sans qu'aucun exercice ne leur ait été imposé [5, 27]. La récurrence de l'affection est un caractère commun [15, 24], bien que certains cas aient été diagnostiqués des années après un épisode unique de myosite [15, 34, 37].
Chez les chevaux de races lourdes, les lésions musculaires laissent présager une maladie évolutive lente présente dès le plus jeune âge et ne s'exprimant qu'à la faveur d'un facteur déclenchant [36, 38].
Les signes cliniques varient dans leur intensité, de l'intolérance à l'effort au décubitus avec impossibilité de se lever, en passant par tous les stades de rhabdomyolyse [21, 29]. Ils peuvent être asymétriques, voire limités à un groupe musculaire [29].
La forme aiguë se manifeste par un décubitus prolongé d'apparition brutale. Le pronostic est très défavorable [36, 38]. Dans de rares cas, le muscle diaphragmatique est affecté et la mort peut survenir très rapidement [1, 32].
La myopathie postanesthésique est un signe fréquent d'EPSM [32]. De plus, les épisodes de rhabdomyolyse peuvent être modérés et passer pour des coliques, surtout lorsque le cheval reste couché.
La masse musculaire est souvent diminuée, en particulier dans les régions de l'arrière-main et de l'épaule [35, 36, 38], en association avec un amaigrissement [32].
Faiblesse, tremblements, crampes et douleurs musculaires sont des manifestations fréquentes d'EPSM [32, 35, 36, 38] et peuvent nécessiter l'euthanasie de l'animal [32].
Les chevaux atteints adoptent une position anormale, les membres postérieurs légèrement sous le corps, et beaucoup d'entre eux sont dans l'incapacité de donner les pieds [32].
Les allures sont souvent raides avec de petites foulées [36, 38]. L'action anormale des membres postérieurs est plus évidente lors des premiers pas en avant, lors du reculer ou sur le cercle [32, 35, 36, 38]. Les signes cliniques s'intensifient lorsque le cheval est contenu (barre, van, etc.) et après l'exercice.
Certains chevaux souffrant d'EPSM présentent des signes d'insuffisance respiratoire. Une atteinte des muscles diaphragmatique et cardiaque est alors confirmée à l'autopsie [32, 37].
Le diagnostic différentiel dépend des signes d'appel que présente le cheval (tableau et encadré 1 “Hypothèses diagnostiques et examens complémentaires réalisés” dans l'article précédent p. 52).
L'opinion des auteurs varie sur les résultats d'analyses des enzymes musculaires plasmatiques. Les concentrations de créatine kinase (CK) et d'aspartate-amino-transférase (ASAT) plasmatiques sont fréquemment augmentées : de légèrement au repos à fortement lors d'épisodes de rhabdomyolyse [4, 15, 29, 34]. Toutefois, certains chevaux, notamment des chevaux de trait et ceux présentant une amyotrophie sévère associée à une grande faiblesse, présentent des concentrations dans les normes [32].
Ces tests consistent à comparer les concentrations plasmatiques d'enzymes musculaires avant et après une période contrôlée d'exercice pour rechercher certains désordres musculaires.
En pratique, les chevaux sont longés au trot pendant une période de quinze à trente minutes. Des prises de sang sont réalisées avant l'exercice, juste après celui-ci et quatre à six heures après [7].
Chez les chevaux atteints d'EPSM, la concentration plasmatique de sélénium est de normale à diminuée. Celle de vitamine E est soit dans les normes, soit supérieure ou légèrement inférieure à celle-ci, alors qu'elle est nettement inférieure lors d'EMND [36, 38, 40].
L'examen complémentaire de choix pour le diagnostic d'EPSM est l'analyse histologique de fragments musculaires prélevés par biopsie (encadré 2). Il révèle une élévation du stockage du glycogène (davantage chez les jeunes animaux) et/ou de polysaccharides (davantage chez l'adulte) dans les fibres musculaires de type 2 (fibres à contraction rapide) [29, 34]. Les lésions musculaires augmentent avec l'âge.
Une grande quantité de glycogène peut être retrouvée dans les fibres musculaires de chevaux sains, selon leur régime alimentaire, leur entraînement et la composition du muscle en fibres musculaires. L'analyse histologique des échantillons de biopsie est susceptible de faux négatifs, compte tenu de la faible quantité de tissu prélevé (< 200 fibres) et de l'absence de polysaccharides anormaux chez les animaux jeunes [29].
Le traitement ne diffère pas de celui des autres causes de rhabdomyolyse aiguë [7].
Chez les chevaux de races lourdes atteints et en décubitus, l'administration d'huile végétale (500 à 1 000 ml/j) par voie nasogastrique ou d'émulsion lipidique par voie intraveineuse [32] permet de relever certains chevaux [35].
L'EPSM résulte d'un défaut au niveau du métabolisme des glucides, qui conduit à leur accumulation, sous forme non métabolisable, dans le muscle. Ainsi, une alimentation pauvre en glucides, et riche en graisses et en protéines de haute qualité est justifiée [40].
Les glucides sont diminués par suppression des céréales au profit d'un apport calorique lipidique. Les lipides représentent parfois jusqu'à 25 % des apports caloriques journaliers totaux [15, 31, 40]. L'apport de lipides est réalisé par l'adjonction progressive d'huile végétale dans la ration. La nature de cette huile importe peu. Un cheval de 500 kg peut recevoir jusqu'à 300 à 500 ml d'huile par jour [4, 32]. Dans tous les cas, le nouveau régime alimentaire est maintenu à vie, ce qui est réalisé sans danger et n'entraîne pas de modifications hématobiochimiques [20].
La qualité des protéines de la ration est essentielle [31], de même que la qualité et la quantité des fourrages [4, 7, 15]. Cependant, le foin de luzerne n'est pas recommandé en raison d'un taux de glucides supérieur [7].
Les chevaux dont le régime est riche en lipides ont besoin d'un complément en vitamine E et en sélénium en fonction des carences de la ration [3, 4, 15]. Il convient également de corriger les déséquilibres électrolytiques et phosphocalciques [24].
Un exercice quotidien et régulier est, en outre, prescrit [15, 31, 40] pour réduire l'accumulation de glycogène [7, 8, 27]. Le maintien des chevaux en pâture limite de façon significative la survenue des épisodes de rhabdomyolyse [7].
Après le changement alimentaire, une amélioration est généralement observée dans les trois mois. Elle concerne d'abord l'allure, puis l'augmentation de la musculature [35, 40].
Les adaptations nutritionnelles peuvent suffire à guérir les chevaux atteints d'EPSM qui présentent des signes de rhabdomyolyse, mais aussi des modifications de la démarche.
Cependant, des animaux continuent de présenter des signes cliniques malgré le régime alimentaire. Ces variations interindividuelles dépendraient de la nature de la surcharge (amélioration plus rapide en cas d'accumulation de glycogène) et/ou de la quantité de fibres musculaires lésées [40].
La myopathie à stockage de polysaccharides est une maladie musculaire fréquente aux États-Unis et probablement sous-diagnostiquée en France. Elle est potentiellement présente chez toutes les races, quelle que soit l'activité de l'animal. Cependant, elle ne s'exprime pas de la même manière chez toutes. Chez les chevaux de sang et demi-sang, il est essentiel de la rechercher lors de myopathies d'effort récurrentes. Le diagnostic de certitude passe par la réalisation d'un examen complémentaire réalisable en pratique (la biopsie musculaire) et devrait permettre une avancée dans la gestion des chevaux à myopathie récidivante. Chez les chevaux lourds, l'EPSM est probablement souvent impliquée dans le syndrome du cheval faible et/ou couché. Une fois qu'elle est identifiée, le traitement à mettre en œuvre est simple (modifications de la ration).
Ainsi, la poursuite de la démarche diagnostique lors de syndrome myopathie-faiblesse-décubitus peut apporter un espoir thérapeutique simple.
• Une prédisposition familiale de myopathie à stockage de polysaccharides (EPSM) est observée chez les chevaux de race quarter horse et apparentés.
• Chez les quarter horses et apparentés atteints d'EPSM, le principal signe d'appel est la rhabdomyolyse récurrente.
• L'examen complémentaire de choix pour le diagnostic d'EPSM est l'analyse histologique de fragments musculaires prélevés par biopsie.
• L'EPSM est potentiellement présente chez toutes les races et quelle que soit l'activité de l'animal.
• Il est essentiel de la rechercher lors de myopathies d'effort récurrentes et lors de syndrome du cheval faible et/ou couché.
(1) Perte de masse musculaire
(2) Allure raide
(3) Flexion exagérée des jarrets, des grassets
(4) Difficultés à tourner, à reculer
(5) Appui alterné en permanence sur les deux membres postérieurs
(6) Tremblements et en particulier après l'exercice
(7) Perte d'énergie
(8) Mauvaises performances
(9) Difficultés à donner les pieds pour le ferrage
(10) Épisodes de coliques, en particulier après l'exercice
Encadré 1.
◊ Site de prélèvement
EMND : muscles posturaux, fibres de type 1 → Muscle sacrocaudalis dorsalis medialis : muscle bilatéral, longeant latéralement le corps de la queue.
EPSM : fibres de type 2 → muscles semi-membraneux et semi-tendineux, glutéaux, biceps fémoral [15].
◊ Taille du prélèvement
EMND : 2,5 cm x 1,5 cm x 1 cm [13].
EPSM : 3 à 5 cm x 1 cm de diamètre.
◊ Mode de prélèvement
- Prélèvement possible à l'aiguille à biopsie (5 mm de diamètre) mais interprétation plus délicate.
- Prélèvement chirurgical préférable.
◊ Contention
Cheval debout
Sédation
Anesthésie locale :
- anesthésie épidurale caudale ;
- anesthésie en L ou en U inversé ;
- anesthésie autour du site.
◊ Prélèvement
Attention : ilestessentielde nepas appliquer d'anesthésique local dans les fibres musculaires du site prélevé, ce qui entraînerait des erreurs d'interprétation du prélèvement.
◊ Technique chirurgicale
- Préparation chirurgicale classique
- Incision cutanée de 5 cm de long, dans le sens des fibres musculaires (incisions craniocaudale pour le muscle sacrocaudalis dorsalis medialis et verticale pour les semi-membraneux et semi-tendineux). Pour les muscles semi-membraneux et semi-tendineux, une incision au-dessus du tuber ischium est idéale.
- Incision parallèle du fascia musculaire.
- Prélèvement musculaire à l'aide de deux incisions parallèles.
- Hémostase et dissection mousse.
Il est indispensable d'identifier à ce stade-là les extrémités distales et proximales (la rétraction des fibres musculaires rend impossible l'orientation du fragment).
- Contrôle des saignements (compression, ligatures).
- Suture du fascia musculaire, fil résorbable, surjet simple.
- Suture du plan sous-cutané, fil résorbable, surjet simple.
- Suture de la peau, fil irrésorbable, points séparés ou surjet vertical.
La mise en place d'un pansement compressif est recommandée pour la plaie de la fesse. Cela peut être réalisé par la suture d'une bande gaze en compression sur la plaie.
- Repos jusqu'à ce que les plaies soient entièrement cicatrisées.
◊ Suites opératoires
Aucun traitement antibiotique ni anti-inflammatoire n'est généralement nécessaire. La seule complication sur ce type de prélèvement est la déhiscence de la plaie, celle-ci cicatrisant alors par seconde intention.
◊ Fixation et envoi
L'orientation du prélèvement biopsié est essentielle pour l'interprétation des résultats. Une bonne méthode consiste à allonger le fragment biopsié sur un morceau d'abaisse-langue et à y fixer les extrémités à l'aide d'aiguilles. Les fragments sont ensuite placés dans une quantité adéquate de formol pour la recherche d'EMND, et congelés et expédiés rapidement pour la recherche d'EPSM. Le laboratoire auquel sont envoyés les prélèvements doit être expérimenté dans ce type d'analyses pour permettre une interprétation satisfaisante des résultats.
Encadré 2.
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