Marsupialisation de la vessie chez un veau charolais - Le Point Vétérinaire expert rural n° 334 du 01/04/2013
Le Point Vétérinaire expert rural n° 334 du 01/04/2013

CHIRURGIE DU VEAU

Cas clinique

Auteur(s) : Hélène Michaux*, Marie Babkine**

Fonctions :
*Département des sciences cliniques,
CHUV de la Faculté de médecine
vétérinaire de Saint-Hyacinthe, Québec
**Département des sciences cliniques,
CHUV de la Faculté de médecine
vétérinaire de Saint-Hyacinthe, Québec

Une atrésie urétrale totale et une persistance du canal de l’ouraque chez un veau charolais de 6 jours sont traitées par herniorraphie puis cystostomie.

Lors de persistance de la veine ombilicale avec abcédation, le traitement chirurgical est possible par marsupialisation de la veine ombilicale en position paramédiane. Le traitement chirurgical du canal de l’ouraque est l’herniorraphie associée à une cystostomie partielle.

Dans ce cas particulier d’anomalie du tractus urinaire, la marsupialisation de la vessie et son pronostic chez un veau charolais sont décrits.

CAS CLINIQUE

1. Anamnèse

Un veau charolais femelle âgé de 6 jours et qui pèse 50 kg environ est référé au Centre hospitalier de la faculté de médecine vétérinaire de Saint-Hyacinthe (Canada), pour des écoulements d’urine par le nombril et une absence de miction spontanée depuis sa naissance.

2. Examen clinique

À son arrivée, l’animal présente une température de 39,2 °C, une fréquence cardiaque de 180 battements par minute et une fréquence respiratoire de 36 mouvements respiratoires par minute.

Aucune anomalie n’est rapportée hormis un écoulement d’urine par l’ombilic. Un méat urinaire existe, mais il est de taille réduite.

L’ombilic est de taille anormalement augmentée.

Une persistance du canal de l’ouraque et une atrésie de l’urètre sont suspectées.

3. Examens complémentaires

Le veau est sédaté avec 5 mg de diazépam par voie intraveineuse (IV). Une injection épidurale est réalisée entre la dernière vertèbre sacrée et la première vertèbre caudale avec 2 ml de lidocaïne 2 %.

Une urétroscopie est pratiquée. Il est possible d’entrer dans l’ostium urinaire, dont la taille paraît légèrement diminuée, puis dans l’urètre (photo 1). Mais rapidement une membrane empêche tout passage pour rejoindre la vessie (photo 2).

À l’échographie, une vessie pleine et de grande taille est observée (photo 3). Le sondage du début de l’urètre permet de mesurer un espace d’environ 2,5 cm entre le bout aveugle de l’urètre et la partie distale de la vessie (photo 4).

De plus, l’échographie révèle la persistance du canal de l’ouraque (photo 5).

4. Pronostic et options thérapeutiques

La persistance du canal de l’ouraque a sans doute permis au veau de survivre sans que la miction soit possible. Le pronostic est réservé.

L’option thérapeutique choisie est chirurgicale : une marsupialisation de la vessie consécutive à une résection en bloc des structures ombilicales (herniorraphie) et à une cystostomie partielle. Elle permet également le traitement du canal de l’ouraque. Si le propriétaire refuse l’intervention, l’euthanasie du veau est recommandée.

La décision chirurgicale est prise par le propriétaire afin d’engraisser le veau et de le faire abattre à l’âge de 4 à 5 mois.

5. Antibiothérapie et analgésie

L’antibiotique choisi est l’ampicilline sodique à la dose de 10 mg/kg par voie IV avant et au cours de l’intervention. Une dose de kétoprofène est injectée par voie IV à la dose de 1 mg/kg dans le temps préopératoire.

6. Anesthésie et contention

L’anesthésie et la contention nécessitent :

– une prémédication : 5 mg de diazépam par voie IV (0,1 mg/kg) ;

– une injection épidurale : 4 ml de lidocaïne 2 % dans l’articulation sacro-coccygienne ;

– une anesthésie locale traçante : 20 ml de lidocaïne 2 % diluée dans 10 ml d’eau stérile. Le mélange est injecté par voie sous-cutanée autour de l’ombilic suivant la forme d’une ellipse ;

– l’entretien de l’anesthésie : injection par voie IV de 60 ml de gaïacolate de glycéril éther (GGE) et de 60 mg de kétamine (0,1 mg/kg), quand cela est nécessaire ;

– 1 l de solution saline isotonique (chlorure de sodium 0,9 %) administrée par voie IV à raison de 10 ml/kg/h contribue à perfuser le veau pendant l’intervention.

7. Étapes chirurgicales

L’intervention chirurgicale est réalisée en deux étapes : une résection en bloc des structures ombilicales, puis une cystostomie (encadrés 1 et 2).

L’incision ombilicale est fermée par un plan musculaire (points en X avec du PDS® II-0), un plan sous-cutané (points simples continus avec du Vicryl® 2-0) et un plan cutané (points en X avec du Supramid® 2-0).

Un champ collant stérile est apposé sur la plaie ombilicale, sans inclure la plaie de marsupialisation.

8. Suivi postopératoire et évolution du cas clinique

Le veau est remis à son propriétaire dès son réveil. Il doit être isolé avec sa mère dans un box propre. L’antibiothérapie recommandée est la pénicilline procaïne à la dose de 21 000 UI/kg pendant 5 jours.

Le pansement est retiré le lendemain. Les points de la plaie ventrale sont enlevés 15 jours plus tard.

Il est recommandé d’engraisser le veau puis de le faire abattre entre 3 et 4 mois.

L’éleveur est contacté par téléphone 6 mois plus tard. La plaie de marsupialisation s’est bouchée après 5 mois. Le veau a alors été abattu, mais sa carcasse a été saisie en raison de la présence de nombreuses adhérences intra-abdominales.

DISCUSSION

1. Anomalie observée

L’absence de communication entre la vessie et l’urètre condamne l’animal en l’absence d’une intervention chirurgicale. Dans le cas présenté, le veau a pu survivre pendant 6 jours avant toute intervention grâce à la persistance du canal de l’ouraque qui a permis un écoulement d’urine par le nombril par gravité et surpression. Cela a limité le risque d’insuffisance rénale par hydronéphrose et d’uropéritoine par rupture de la vessie.

Pour des raisons économiques, aucune analyse biochimique n’a été réalisée pour contrôler la fonction rénale. Le maintien de la perfusion rénale est optimisé par l’injection de 1 l de solution isotonique par voie intraveineuse pendant toute la durée de la chirurgie, à 10 ml/kg/h.

La malformation de l’urètre observée dans ce cas est particulière. En effet, l’anomalie congénitale la plus fréquente est un rétrécissement du diamètre urétral, qui provoque une obstruction qui peut être totale. Le cul-de-sac se trouve alors en général à proximité de l’orifice urétral. Cette atrésie peut être corrigée, soit par insertion d’une sonde, qui est laissée en place pendant 2 à 3 jours, pour transpercer la membrane persistante, soit par urétroplastie [1].

Dans le cas présenté, le cul-de-sac est situé très dis-ta-lement par rapport à l’orifice urétral, à 2 cm de la vessie, et il ne semble exister aucune jonction entre lui et la vessie.

2. Choix de la technique chirurgicale

En raison de la particularité de cette anomalie, le traitement chirurgical par urétrostomie ne semble pas envisageable. La marsupialisation est le traitement de choix, en considérant la nécessité d’un traitement à long terme et la persistance du canal de l’ouraque.

De plus, une hospitalisation de longue durée n’est pas nécessaire car les soins postopératoires sont réduits. Les complications sont généralement rares. Les inconvénients sont l’écoulement de l’urine et l’irritation cutanée qui en découle, la striction de la plaie, le prolapsus vésical au travers de la plaie et la cystite par infection ascendante.

La marsupialisation de la vessie ne présente pas de grande difficulté. Toutefois, l’asepsie doit être respectée, lors du passage en bloc de l’ombilic dans la plaie de marsupialisation, et l’écoulement d’urine dans la cavité abdominale empêché.

Les autres difficultés sont les mêmes que celles rencontrées lors d’herniorraphie et de cystostomie pour traiter une persistance du canal de l’ouraque, avec notamment l’individualisation des structures, dont les vaisseaux sanguins vestigiaux.

Le suivi postopératoire consiste à vérifier l’écoulement de l’urine par la plaie de marsupialisation et la bonne cicatrisation de la plaie d’herniorraphie.

3. Complication

L’antibiothérapie postchirurgicale durant 5 jours avec de la pénicilline procaïne à la dose de 21 000 UI/kg par voie intramusculaire une fois par jour permet, en général, de prévenir la péritonite. Cependant, les adhérences observées lors du contrôle de la carcasse après l’abattage de l’animal laissent-présumer qu’une péritonite chronique est apparue.

Les conditions d’intervention ayant été stériles, sans bris d’asepsie, il est peu probable qu’un manque d’étanchéité de la plaie de marsupialisation soit à l’origine de cette péritonite chronique car l’animal n’aurait pas repris un poids satisfaisant après la chirurgie. L’hypothèse de complications à la suite de la fermeture de la plaie de marsupialisation est plus vraisemblable. La fermeture progressive de la marsupialisation a pu entraîner une augmentation de pression de liquide dans la vessie dont la taille et l’élasticité avaient diminué après l’intervention, provoquant ainsi une inflammation importante de la vessie, puis des tissus adjacents. L’éleveur rapporte que la plaie de marsupialisation s’est finalement refermée, ce qui est normal. Chez les petits ruminants, lors de marsupialisation de la vessie à la suite d’urolithiases, un rétrécissement moyen de la plaie de 0,24 cm par mois en moyenne est rapporté pour une fermeture totale après 180 jours environ, soit 6 mois, ce qui a été observé pour le veau charolais [2].

Une étude réalisée chez les agneaux et les veaux ayant subi une marsupialisation rapporte que cette procédure est vouée à l’échec chez les veaux en raison de déhiscence des sutures et de la fuite d’urine dans la cavité abdominale. Dans cet essai, la technique chirurgicale comporte une seule incision paramédiane dans laquelle la marsupialisation de la vessie est incluse [2]. De plus, elle est réalisée sur des vessies saines sans persistance du canal de l’ouraque, ce qui explique certainement l’échec de cette intervention. La chirurgie réalisée chez ce veau charolais a été facilitée par l’étirement préalable de la vessie par le canal de l’ouraque.

Conclusion

La marsupialisation de la vessie chez un jeune bovin de boucherie est un traitement envisageable lors d’une anomalie de l’urètre compliquée d’une persistance du canal de l’ouraque. Il s’agit d’un traitement à moyen terme afin d’engraisser l’animal. Cependant, ce cas clinique se révèle être un échec économique puisque, malgré la survie du veau après le traitement chirurgical, sa viande n’a pas pu être consommée en raison d’adhérences dans l’abdomen. Cela confirme la nécessité de ne pas attendre la fermeture de la plaie de marsupialisation et d’abattre l’animal dès que le gain de poids est raisonnable.

Références

  • 1. Bidault C. Urologie et néphrologie des ruminants. Thèse de doctorat vétérinaire, ENV d’Alfort. 2009:315p.
  • 2. Canpolat I, Bulut S. Experimental evaluation of urinary bladder marsupialization in the male lambs and calves. Indian. Vet. J. 2005;82(4):398-400.

ENCADRÉ 1
Résection en bloc des structures ombilicales

→ Une incision cutanée en ellipse est effectuée autour de l’ombilic, suivie de la dissection mousse du tissu sous-cutané avec hémostase (photo 6).

La paroi musculaire est incisée sur 2 cm de long cranialement et à gauche de l’ombilic (création d’une boutonnière). L’abdomen est exploré par cette incision pour évaluer d’éventuelles structures persistantes et/ou adhérentes (photo 7).

Le vestige de la veine ombilicale est mis en évidence et palpé pour vérifier toute anomalie, telle qu’une infection.

La paroi abdominale est incisée autour de l’ombilic avec une lame 10 montée sur un bistouri et des ciseaux Metzenbaum à environ 1 cm de l’ombilic.

Le vestige de la veine ombilicale et les deux artères ombilicales sont ligaturés avec du fil Dexon® 2-0 après la mise en place de pinces hémostatiques (photo 8).

→ Une seconde incision ovale de la peau puis des muscles est réalisée à droite de la première incision en position paramédiane. L’ombilic et le canal de l’ouraque sont entourés d’un gant stérile, puis glissés dans cette nouvelle ouverture, de l’intérieur vers l’extérieur de l’abdomen.

Le tissu sain de l’apex de la vessie, lié au canal de l’ouraque, est également extériorisé (photo 9).

ENCADRÉ 2
Cystostomie

La cystostomie s’effectue de la manière suivante :

– suture matelas discontinue de la séreuse de la vessie à l’aponévrose externe du muscle droit de l’abdomen avec du fil Novafil® BU 2/0 monté sur une aiguille tranchante (photo 10) ;

– suture matelas discontinue de la séreuse de la vessie à la peau avec du fil Vicryl®2-0 monté sur une aiguille tranchante ;

– cystostomie (photo 11) ;

– suture matelas discontinue de la muqueuse de la vessie à la peau avec du fil Vicryl® 2-0 monté sur une aiguille tranchante (photo 12).

Points forts

→ La persistance du canal de l’ouraque a permis à l’urine de s’écouler par le nombril durant les 6 premiers jours de vie du veau, évitant une évolution fatale par hydronéphrose ou uropéritoine.

→ Une herniorraphie suivie d’une cystostomie est indiquée dans ce cas particulier où aucune communication n’existe entre le vestige urétral et la vessie.

→ Abattre l’animal dès que cela est possible sans attendre la fermeture de la plaie de marsupialisation évite la complication de péritonite chronique due à l’écoulement urinaire.

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