Les lithiases du haut appareil urinaire chez le chat : conduite diagnostique - La Semaine Vétérinaire n° 333 du 01/03/2013
La Semaine Vétérinaire n° 333 du 01/03/2013

UROLOGIE FÉLINE

Dossier

Auteur(s) : Christelle Maurey-Guenec

Fonctions : Service de médecine, ENV d’Alfort
7, avenue du Général-de-Gaulle 94700
Maisons-Alfort

Les lithiases du haut appareil urinaire représentent une cause non négligeable d’insuffisance rénale chez le chat. La localisation et la durée de l’obstruction induisent des tableaux cliniques variés et expliquent la difficulté diagnostique.

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Si les lithiases vésicales et urétrales sont communes chez les carnivores domestiques, les lithiases rénales et urétérales sont plus rares. Elles représentent selon les études, de 1 à 4 % des lithiases urinaires analysées [3]. Chez l’homme, cette proportion est totalement inversée puisqu’environ 90 % des lithiases ont une localisation rénale ou urétérale. Toutefois, depuis la fin des années 1980, une nette augmentation du nombre de cas de lithiases rénales et urétérales est observée en médecine vétérinaire, et tout particulièrement chez le chat [5, 6].

De récentes publications nord-américaines soulignent l’augmentation de ces lithiases dans l’espèce féline (décuplées au cours des 20 dernières années) [3]. Une grande majorité (près de 95 %) de ces urolithes est composée principalement d’oxalate de calcium (photo 1)[7, 8].

1 Conséquences d’une obstruction urétérale

Dans une étude chez le chien sain, il a été démontré que le débit de filtration glomérulaire après 7 jours d’obstruction urétérale totale diminue de 35 %. Après 14 jours, la perte du débit de filtration glomérulaire est de 54 % [9]. Bien qu’aucune étude n’existe chez l’animal avec une maladie rénale sous-jacente, il est possible d’envisager que les diminutions de débit de filtration glomérulaire soient encore plus importantes.

Les urétérolithes sont la cause la plus commune d’obstruction urétérale dans l’espèce féline. Toutefois, la présence de sténose (consécutive le plus souvent à un calcul), de caillots sanguins plus ou moins solidifiés (calculs de sang desséché) doivent aussi être envisagés devant une obstruction urétérale [10, 11]. Cela représente un défi diagnostique car les techniques d’imagerie classiques telles que les examens radiographique et échographique manquent de sensibilité dans ce contexte.

2 Signes cliniques

Les signes cliniques sont variables selon le caractère obstructif ou non du calcul et de la réserve fonctionnelle rénale de l’animal (encadré).

Il est admis que les calculs pyéliques, s’ils n’engendrent pas d’obstruction du flux urinaire, sont pauci-symptomatiques et souvent découverts de manière fortuite.

Les lithiases urétérales sont en théorie responsables de l’apparition d’une insuffisance rénale si les deux uretères sont obstrués. Cette situation est possible mais peu fréquente. En revanche, il n’est pas rare qu’un chat avec un calcul urétéral unilatéral présente une insuffisance rénale. Dans l’étude menée par Kyles et coll, 58 des 76 chats (soit 76 %) avec une obstruction urétérale unilatérale montraient des concentrations en urée et en créatinine supérieures aux valeurs usuelles alors que le deuxième uretère n’était pas obstrué [5]. Les hypothèses avancées sont multiples et peuvent dans certaines situations être associées. La première hypothèse serait une insuffisance rénale prérénale liée à la déshydratation qui vient compliquer l’obstruction urétérale, la deuxième, le rein controlatéral serait atteint d’une néphropathie, expliquée par exemple par un épisode obstructif passé. Cette dernière hypothèse est soutenue par le fait qu’il est fréquent chez ces chats de constater une asymétrie rénale avec un syndrome “petit rein/gros rein”, nouvellement dénommé. Ce syndrome témoigne de l’apparition, des mois ou des années auparavant, d’un épisode obstructif sur un rein. L’animal a réussi à éliminer son calcul après plusieurs jours ou plusieurs semaines. Ce rein cicatrise alors en s’atrophiant et perd de sa capacité fonctionnelle. Lorsqu’une obstruction se produit sur l’autre rein, la réserve fonctionnelle rénale est insuffisante et un syndrome urémique apparaît. De plus, la possibilité d’une pyélonéphrite, qui touche préférentiellement les deux reins, ne doit pas être négligée chez ces chats. Près d’un tiers des animaux présentent une infection du tractus urinaire au moment du diagnostic [5].

3 Démarche diagnostique

La situation la plus souvent à l’origine du diagnostic de lithiases pyélique et/ou urétérale est une insuffisance rénale. Il convient alors de répondre aux questions suivantes lors de diagnostic d’insuffisance rénale chronique, surtout si une aggravation est constatée :

– existe-t-il une lithiase localisée dans le haut appareil urinaire ?

– cette lithiase entraîne-t-elle une obstruction totale ou partielle du flux urinaire (la décision thérapeutique dépend en partie du caractère obstructif) ?

– quelles sont les complications associées ?

Les examens nécessaires sont des examens d’imagerie, sanguin et urinaire.

Examens d’imagerie

EXAMEN RADIOGRAPHIQUE

Le diagnostic de certitude repose sur la réalisation d’un cliché radiographique abdominal sans préparation (mais avec un lavement colique en cas de selles abondantes). Ainsi, les calculs radio-opaques (les lithiases oxalo-calciques et, à un moindre degré, les lithiases phospho-ammoniaco-magnésiennes) sont visualisés. Ces clichés permettent de préciser le siège et le nombre de calculs. Toutefois, les calculs de taille inférieure à 2 mm ne sont pas détectés.

Cet examen ne permet pas d’apprécier le degré de dilatation des cavités pyélo-calicielles et de l’uretère et ainsi d’évaluer le caractère obstructif ou non du calcul. La sensibilité est bonne (77 à 100 %) mais sa spécificité est faible avec des difficultés d’identification d’obstructions urétérales, de localisation et de latéralisation (photos 2a et 2b) [1, 5].

EXAMEN ÉCHOGRAPHIQUE

L’examen échographique rénal et urétéral permet une meilleure observation du parenchyme rénal et ainsi de l’évaluation du caractère obstructif. L’association des examens échographique et radiographique présente une sensibilité de 90 % (photos 3a et 3b) [5].

EXAMEN RADIOGRAPHIQUE AVEC PRODUIT DE CONTRASTE

Des clichés radiographiques avec produit de contraste sont parfois nécessaires pour démontrer le caractère obstructif en l’absence d’une mise en évidence de l’obstacle.

La pyélographie est la technique de choix. Elle consiste en une injection de produit de contraste directement dans la cavité pyélique sous contrôle échographique. Cela implique que la cavité pyélique soit dilatée et de posséder une expertise technique. Le risque de lacération de la cavité pyélique est réel (photo 4) [1].

L’urographie intraveineuse apparaît moins invasive. Elle présente l’inconvénient de nécessiter que le rein filtre le produit de contraste, ce qui est rarement le cas en situation d’obstruction. Par ailleurs, les produits iodés de contraste possèdent un potentiel néphrotoxique qui justifie de limiter leur utilisation dans un tel contexte.

EXAMEN TOMODENSITOMÉTRIQUE

La sensibilité de l’examen tomodensitométrique n’a pas été évaluée dans ce contexte. Toutefois, sa sensibilité reste supérieure à l’examen radiographique (meilleure résolution spatiale). Cette technique a toute sa place dans la démarche diagnostique, en particulier lorsque les examens radiographique et échographique n’ont pas permis de localiser et de dénombrer les calculs présents.

Examens sanguins

L’évaluation de la fonction rénale (urémie, créatinémie) est indispensable.

L’ionogramme (potassium, phosphore, calcium, sodium, chlore) permet de déterminer les complications associées. L’hyperkaliémie est redoutée. Elle est souvent associée à une obstruction urétérale bilatérale et doit être traitée rapidement car elle est létale. Les dyscalcémies ne sont pas rares, 15 % des chats au moment du diagnostic présentent une hypercalcémie classée comme idiopathique, 22 % sont hypocalcémiques [5].

Les chats sont souvent anémiés (48 %), et l’origine, multifactorielle, associe un déficit en érythropoïétine, des saignements et une hémodilution [2, 5].

Examens urinaires

La présence d’une cristallurie, qui permet de suspecter la nature cristalline n’est constatée que dans 30 % des cas [5].

Une uroculture doit être réalisée afin de rechercher une infection du tractus urinaire documentée chez 10 à 30 % des individus selon les études [5]. L’analyse bactériologique des urines fait partie des examens complémentaires indispensables lorsqu’un calcul est identifié. En effet, une obstruction urinaire partielle ou complète associée à une infection est particulièrement délétère pour le rein et constitue une urgence thérapeutique. L’analyse bactériologique permet de confirmer la présence d’un agent pathogène et d’établir un antibiogramme [2].

4 Diagnostic étiologique

Le diagnostic de certitude de la nature minérale du calcul repose sur l’analyse par spectrophotométrie infrarouge. Cela implique de récupérer un calcul. En l’absence d’intervention chirurgicale, il est rare de pouvoir réaliser cette analyse.

Il est toutefois possible de prévoir cette nature lithiasique en s’appuyant sur :

– l’épidémiologie. La très haute fréquence des lithiases oxalo-calciques est un élément orientant. Certaines races semblent particulièrement atteintes telles que le ragdoll et, selon l’expérience de l’auteur, le sacré de Birmanie ;

– l’imagerie. La radio-opacité est un élément qui peut orienter sur la nature minérale ;

– les analyses urinaires et sanguines. La cristallurie, la mise en évidence de maladies associées sont des facteurs d’aide à la prévision des calculs (photo 5) [4].

Conclusion

L’augmentation de la fréquence des lithiases du haut appareil urinaire dans l’espèce féline doit inciter le clinicien à envisager cette hypothèse, en particulier dans un contexte d’insuffisance rénale. Les examens échographique et radiographique sont ainsi justifiés dans une démarche étiologique face à une maladie rénale. Le caractère obstructif ou non du calcul conditionne la démarche thérapeutique [6].

Références

  • 1. Adin CA, Herrgesell EJ, Nyland TG et coll. Antegrade pyelography for suspected ureteral obstruction in cats: 11 cases (1995-2001). J. Am. Vet. Med. Assoc. 2003;222(11):1576-1581.
  • 2. Berent AC. Ureteral obstructions in dogs and cats: a review of traditional and new interventional diagnostic and therapeutic options. J. Vet. Emerg. Crit. Care. 2011;21(2):86-103.
  • 3. Cannon AB, Westropp JL, Ruby AL et coll. Evaluation of trends in urolith composition in cats: 5,230 cases (1985-2004). J. Am. Vet. Med. Assoc. 2007;231(4):570-576.
  • 4. Heiene R, Rumsby G, Ziener M et coll. Chronic kidney disease with three cases of oxalate-like nephrosis in Ragdoll cats. J. Feline Med. Surg. 2009;11(6):474-480.
  • 5. Kyles AE, Hardie EM, Wooden BG et coll. Clinical, clinicopathologic, radiographic, and ultrasonographic abnormalities in cats with ureteral calculi: 163 cases (1984-2002). J. Am. Vet. Med. Assoc. 2005;226(6):932-936.
  • 6. Kyles AE, Hardie EM, Wooden BG et coll. Management and outcome of cats with ureteral calculi: 153 cases (1984-2002). J. Am. Vet. Med. Assoc. 2005;226(6):937-944.
  • 7. Ling GV. Nephrolithiasis: prevalence of mineral type. In: Kirk RW, Bonagura JD. Current Veterinary therapy XII. Small animal practice. Ed. WB Saunders, Philadelphia. 1995:980.
  • 8. Ling GV, Ruby AL, Johnson DL et coll. Renal calculi in dogs and cats: prevalence, mineral type, breed, age, and gender interrelationships (1981-1993). J. Vet. Intern. Med. 1998;12(1):11-21.
  • 9. Vaughan DE, Sweet RE, Gillenwater JY. Unilateral ureteral occlusion: pattern of nephron repair and compensatory response. J. Urol. 1973;109(6):979-982.
  • 10. Westropp JL, Ruby AL, Bailiff NL et coll. Dried solidified blood calculi in the urinary tract of cats. J. Vet. Intern. Med. 2006;20(4):828-832.
  • 11. Zaid MS, Berent AC, Weisse C et coll. Feline ureteral strictures: 10 cases (2007-2009). J. Vet. Intern. Med. 2011; 25(2):222-229.

Conflit d’intérêts

Aucun.

ENCADRÉ
Signes cliniques lors de lithiases du haut de l’appareil urinaire chez le chat

→ Signes cliniques d’une insuffisance rénale d’apparition aiguë ou chronique :les signes cliniques les plus fréquents lors de lithiases urétérales sont une diminution de l’appétit, une léthargie, des vomissements, une polyuro-polydipsie et un amaigrissement. Des modifications mictionnelles liées à la présence de calculs dans le bas appareil urinaire (pollakiurie, dysurie) sont rares [5].

→ Abdomen aigu : la colique néphrétique se traduit par des douleurs irradiantes lombaires et abdominales. Elle est très évocatrice chez l’homme lors de maladie lithiasique. Chez le chat, les signes pouvant être comparés à une colite néphrétique ont été rapportés dans de rares cas mais les signes de douleur sont, en général, plus frustres. Ainsi, dans un groupe de 11 chats avec une obstruction urétérale, seul un chat a présenté une douleur abdominale à l’examen clinique [5].

→ Hématurie : cette hématurie (le plus souvent uniquement microscopique) peut être accompagnée ou non de signes d’atteinte du bas appareil urinaire (pollakiurie par exemple), en particulier lors d’infections du tractus urinaire.

→ Absence de signes cliniques : la lithiase peut être découverte fortuitement à la faveur d’un examen radiologique motivé par une autre cause (fréquent lors de calcul rénal).

1. Calculs du haut appareil urinaire chez un chat après un retrait chirurgical. Les calculs du haut appareil urinaire sont très fréquemment des calculs d’oxalate de calcium.

2a et 2b. Clichés radiographiques abdominaux de face (2a) et de profil (2b) chez un chat, permettant de visualiser et de latéraliser des calculs urétéraux (flèches).

2a et 2b. Clichés radiographiques abdominaux de face (2a) et de profil (2b) chez un chat, permettant de visualiser et de latéraliser des calculs urétéraux (flèches).

3a et 3b. Examen échographique rénal chez un chat, permettant d’apprécier le caractère obstructif d’une lithiase urétérale (3a) et de la visualiser (flèche). 3b : hydronéphrose associée.

3a et 3b. Examen échographique rénal chez un chat, permettant d’apprécier le caractère obstructif d’une lithiase urétérale (3a) et de la visualiser (flèche). 3b : hydronéphrose associée.

4. Cliché radiographique de profil d’une pyélographie antégrade chez un chat. L’arrêt de la colonne de contraste, à 55 min, confirme l’obstruction urétérale. Cet examen est la technique de choix pour déterminer le caractère obstructif ou non de la lithiase.

5. Chat persan. Les chats de race sont prédisposés aux lithiases oxalo-calciques.

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