PERFORMANCES DE REPRODUCTION
Avis d’experts
Auteur(s) : Daphné Brisard
Fonctions : Inra
Station Physiologie de la reproduction
et des comportements
37380 Nouzilly
La physiopathologie de la subfertilité, considérée par la génétique moléculaire à l’échelle d’une population (race holstein), est à l’étude, avec l’espoir de trouver la voie de l’amélioration des performances.
Partout dans le monde, une dégradation des performances de reproduction de la vache laitière est constatée [2, 6]. La race holstein semble être la plus touchée. La baisse de fertilité est caractérisée par l’allongement de l’intervalle vêlage-1re insémination artificielle (IA1) et de celui entre deux vêlages. Le phénomène touche davantage les vaches que les génisses et les multipares par rapport aux primipares [4, 16, 18]. Les conséquences économiques en sont énormes pour l’éleveur [20].
La dégradation a ralenti ces dernières années (figure 1). L’espoir de retrouver la voie de l’amélioration génétique est désormais permis, grâce aux progrès des connaissances génétiques et physiopathologiques en reproduction des bovins (photo). Les travaux conduits au laboratoire de la physiologie de la reproduction et des comportements (PRC) de l’Institut national de la recherche agronomique (Inra) de Nouzilly sont résumés dans cet article, en forme d’état des lieux(1). Davantage de précisions ont été exposées aux dernières Rencontres autour des recherches sur les ruminants à Paris, en décembre dernier [5].
Plusieurs régions du génome, appelées QTL (pour quantitative trait loci), ont été pointées du doigt par différentes équipes de recherche comme susceptibles d’intervenir dans la fertilité femelle de diverses races de vaches laitières [3, 15]. Un QTL situé sur le chromosome 3 (QTL-Fert-F-BTA3) a particulièrement retenu notre attention chez les vaches laitières : les individus porteurs d’un certain haplotype de ce QTL présentent une perte embryonnaire avant 56 jours après l’IA1 plus élevée que la moyenne [14]. Le QTL-Fert-F-BTA3 a été finement cartographié récemment [11]. Ces travaux ont permis de positionner plusieurs gènes. Les vaches homozygotes pour les QTL associés aux haplotypes dits “Fertil+” (favorables) et “Fertil-” (non favorables) sont actuellement étudiées.
Les travaux de recherche se sont focalisés sur les individus porteurs du QTL-Fert-F-BTA3. Stéphanie Coyral-Castel a mis en évidence une diminution du taux de réussite avant 35 jours après l’IA1 chez les vaches primipares “Fertil-” par rapport aux vaches primipares “Fertil+” (39 % versus 70 %). En revanche, les paramètres ovariens au cours du cycle précédant l’IA1 ne diffèrent pas entre haplotypes [9].
De plus, une diminution de la qualité embryonnaire après maturation puis fécondation in vitro (MIV/FIV) a été mise en évidence chez les génisses “Fertil-” [10]. Cela se traduit par une réduction du taux de blastocystes expansés accompagnée d’une diminution du nombre de blastomères par embryon.
Nous avons choisi d’étudier l’hypothèse selon laquelle une moindre qualité ovocytaire est impliquée dans la moindre qualité embryonnaire des génisses “Fertil-” (figure 2).
Plusieurs études traitent déjà de l’implication de l’ovocyte mature dans les échecs de fécondation et du développement embryonnaire précoce.
Étape finale, la maturation est bien documentée [17]. Des facteurs de régulation ont été identifiés, par exemple le MPF (pour meiosis/maturation promoting factor) ou la voie des MAPK (pour mitogen activated protein kinase) [13].
Les objectifs de l’étude ont alors été circonscrits : analyser la qualité ovocytaire sur le plan de la maturation, dans les deux haplotypes, chez des vaches en troisième lactation. Pour cela, les niveaux des transcripts(2) de gènes du QTL seraient analysés, qu’ils soient associés à la qualité ovocytaire ou liés au métabolisme, dans des ovocytes matures et dans les cellules du cumulus (CCs) qui l’entourent chez des vaches “Fertil+” et “Fertil-” [21].
Deux protocoles d’hyperstimulation ovarienne chez des vaches laitières de race prim’holstein ont été mis en œuvre, destinés à augmenter le nombre d’ovocytes collectés par ponction intrafolliculaire in vivo (“ovum pick up”) et, ainsi, à synchroniser les individus pour les ponctions. Ces procédés ont permis de collecter des complexes ovocytes cumulus (COCs) parvenus à maturation in vivo et des COCs immatures (susceptibles d’être arrivés à maturation in vitro).
Après maturation in vivo ou in vitro, le stade nucléaire des ovocytes a été mis en évidence (par coloration Hoechst et révélation aux ultraviolets).
Qu’elle se soit produite in vitro ou in vivo, la maturation était arrêtée ou ralentie chez les vaches “Fertil-” par rapport aux animaux “Fertil+” : le pourcentage d’ovocytes se trouvant en métaphase II était plus faible comparativement à ceux au stade immature.
L’expression de gènes appartenant au QTL a ensuite été analysée, en lien avec la qualité ovocytaire, l’apoptose ou encore le métabolisme dans les cellules du cumulus, après maturation in vivo.
Seule une diminution de l’expression de gènes impliqués dans la synthèse des prostaglandines (PTGS2 et PTGES1) a été observée dans les CCs des vaches “Fertil-” (figure 3). Ces gènes sont des marqueurs de la compétence ovocytaire au développement [1]. Ils induisent une limitation des dégradations (apoptose) [7]. Leur expression augmente pendant la maturation.
Après maturation in vivo, la diminution de l’expression d’un gène appartenant au QTL a été identifiée (gène dit PEX19, qui participe à la détoxification des cellules). Celle d’un autre gène lié au métabolisme a aussi été confirmée (gène dit NAMPT, du nom d’une adipokine, substance qui accroît la compétence ovocytaire au développement [8]).
La comparaison entre les vaches “Fertil+” et “Fertil-” pour l’expression de gènes du QTL impliqués dans la voie des MAPK a été approfondie. Celle-ci a été privilégiée parce que plusieurs travaux ont montré l’impact des prostaglandines sur elle (figure 4). Les MAPK jouent un rôle prépondérant dans la maturation ovocytaire [13]. Après analyse d’ovocytes matures individuels, seule une diminution des ARN messagers d’un gène dit MOSa été notée chez les vaches “Fertil-” après maturation in vivo comme in vitro (MOS est impliqué dans la régulation de certaines MAPK ; il participe au bon déroulement de la méiose dès les premiers stades jusqu’à l’arrêt en métaphase II) [12].
En résumé, l’altération de l’expression des gènes impliqués dans la voie des prostaglandines dans les cellules du cumulus des vaches “Fertil-” après maturation in vivo pourrait expliquer en partie les différences de fertilité entre les deux haplotypes.
Il a été précédemment établi que l’inhibition d’un gène baptisé PTGS2 (prostaglandin synthase 2) au cours de la maturation conduit à un retard de maturation ovocytaire pour le groupe traité (travaux conduits par Nuttinck et coll. [19]). Nous avons reproduit cette observation (en testant l’inhibiteur NS-398 utilisé à deux concentrations différentes) (figure 5). Après quantification des transcripts de gènes des ovocytes matures par RT-PCR (real time-polymerase chain reaction), une altération de l’expression de plusieurs autres gènes appartenant à la voie des MAPK a été constatée avec l’inhibiteur, reproduisant ce qui a été observé “spontanément” (sans inhibiteur) dans les ovocytes des vaches “Fertil-”. De plus, tout comme dans les cellules du cumulus des vaches “Fertil-”, une diminution de l’expression de FASN (fatty acid syntase) a été observée. Or ce gène est impliqué dans le métabolisme lipidique qui est lié à la synthèse des prostaglandines (figure 6).
La cinétique entière de développement des embryons a été suivie (réalisation de fécondations in vitro avec des complexes ovocytes cumulus parvenus à maturation avec [ou sans] l’inhibiteur). Trois jours après la FIV, un retard de développement embryonnaire est noté avec l’inhibiteur (qui disparaît néanmoins à FIV + 5). À FIV + 5, le nombre moyen de cellules par embryon est diminué. Ces résultats “reproduisent” des constats réalisés chez les génisses “Fertil-”.
Le défaut de maturation menant à la moindre fertilité mise en évidence chez les génisses a aussi été observé chez les vaches “Fertil-” en troisième lactation. L’expression dans les cellules du cumulus CCs de gènes appartenant au QTL-Fert-F-BTA3 étudiés ici ne semble pas être impliquée dans cette différence après maturation in vitro. En revanche, le gène de “détoxification” PEX19 pourrait être un facteur limitant de la maturation in vivo dans les CCs des vaches “Fertil-”. La régulation de la méiose par le gène PTGS2 (qui inclut la voie des MAPK) dans l’ovocyte, ainsi que la synthèse de prostaglandines E et l’induction d’apoptose dans les cellules du cumulus pourraient être impliquées dans les phénomènes observés.
Il reste à préciser les acteurs majeurs de ces voies qui induisent la moindre aptitude de l’ovocyte au développement dans l’haplotype “Fertil-”.
À court terme, les gènes identifiés ne peuvent pas servir de marqueurs de prédiction d’une moindre fertilité. Il serait intéressant, à l’avenir, d’être en mesure d’associer leur expression à des marqueurs non invasifs (sanguins ou lactiques), d’autant qu’il existe de multiples QTL associés à la fertilité. Les individus à faible potentiel reproducteur pourraient ainsi, à terme, être plus facilement détectés.
(1) Étude réalisée sous la direction de Svetlana Uzbekova avec la participation de l’équipe coordonnée par Joëlle Dupont. Remerciements aux membres de l’unité expérimentale de physiologie animale de l’Orfrasière et des unités de la biologie du développement et de la reproduction et de la physiologie de la reproduction et des compor ? tements de l’Inra.
(2) Petites portions d’un gène transcrites.
Aucun.
→ Les hypothèses formulées A PRIORI n’ont pas été contredites par les résultats : l’étape de maturation de l’ovocyte est déterminante, la voie des MAPK également, etc.
→ De multiples parties de génome regroupées (QTL) sont associées à la fertilité. Le QTL situé sur le chromosome 3 (QTL-Fert-F-BTA3) a été privilégié.
→ Les gènes identifiés ne peuvent servir de marqueurs de prédiction d’une moindre fertilité qu’associés à d’autres marqueurs non invasifs.