Pathogénie de la hernie discale chez le chien - La Semaine Vétérinaire n° 332 du 01/01/2013
La Semaine Vétérinaire n° 332 du 01/01/2013

LÉSIONS DU RACHIS

Dossier

Auteur(s) : Jennifer Carayol*, Guillaume Ragetly**

Fonctions :
*Clinique vétérinaire Bozon
78000 Versailles
**Centre hospitalier vétérinaire Frégis
43, Avenue Aristide-Briand
94110 Arcueil
gragetly@yahoo.fr

Une bonne connaissance des mécanismes d’installation des hernies discales permet de les différencier pour un diagnostic plus précis avec des examens complémentaires plus réduits.

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La hernie discale est la cause la plus fréquente de traumatisme nerveux chez le chien. Sa physiopathologie, la distinction entre les deux types de hernie et leurs conséquences sur la moelle épinière permettent de mieux appréhender cette affection pour choisir le traitement le plus adapté.

Elle atteint les disques cartilagineux intervertébraux avec des signes cliniques très variables. La douleur est le principal symptôme, souvent accompagnée d’une atteinte neurologique (parésie plus ou moins importante ou paralysie associée ou non avec une perte de sensibilité) (photos 1a et 1b). Chez le chien, se distinguent deux principaux types de hernie discale : le type Hansen I par extrusion et le type Hansen II par protrusion.

L’anatomie du disque intervertébral et ses rapports avec les structures avoisinantes permettent de comprendre la physiopathologie de chaque type de hernies discales et leurs conséquences sur la moelle épinière.

1 Anatomie du disque intervertébral

Les disques intervertébraux se situent entre chaque vertèbre, à l’exception de l’articulation atlanto-axiale. Ces éléments anatomiques ont pour rôle d’absorber les chocs subis par la colonne vertébrale. Chaque disque est composé de trois structures : l’anneau fibreux, le noyau pulpeux et les plateaux cartilagineux. L’ensemble présente à la fois résistance et flexibilité, lorsque les forces exercées restent dans les limites physiologiques. L’épaisseur des disques intervertébraux dépend de leur localisation. Ils sont plus épais en région cervicale et moins épais en région thoraco-lombaire [1].

Le noyau pulpeux

Situé au centre du disque, le noyau pulpeux est une structure amorphe et gélatineuse composée de protéoglycanes, de tissu conjonctif mucoïde, riche en acide hyaluronique, en chondroïtine sulfate et en kératine sulfate. Sa teneur en eau est élevée (80 à 88 %) car ces glycoprotéines sont hydrophiles. Le noyau est entouré de l’anneau fibreux. La majorité des forces de compression est absorbée par le noyau pulpeux. Avec l’âge, il est envahi par des fibres de collagène, se rigidifie et se rapetisse [6].

L’anneau fibreux

L’anneau fibreux entoure le noyau pulpeux et est constitué de lamelles de fibrocartilage. Au sein de sa structure, la direction des faisceaux de fibres varie régulièrement assurant le glissement des fibres les unes par rapport aux autres lors d’une charge biomécanique. Cette conformation permet le resserrement lors d’une augmentation de la force, ce qui rigidifie l’anneau fibreux et prévient son affaissement. Soixante-dix pour-cent de la matière sèche de l’anneau fibreux est constituée de collagène. Des fibres élastiques complètent cette composition, elles procurent une flexibilité dynamique au noyau et aux terminaisons nerveuses. Seul le tiers extérieur de l’anneau fibreux est innervé. La portion ventrale est plus épaisse que la portion dorsale, ce qui localise le noyau de manière excentrique. Ainsi, la portion dorsale est plus fragile et constitue une localisation préférentielle de rupture.

Les plateaux cartilagineux

Ils forment cranialement et caudalement les délimitations des disques intervertébraux. Leur surface est constituée par un matériel comparable à du cartilage hyalin. Leurs fibres se combinent avec celles des anneaux fibreux, ce qui permet une solide attache entre le disque et l’os trabéculaire des plateaux vertébraux. L’épaisseur des plateaux peut atteindre 2 ou 3 mm à la périphérie avec un amincissement vers le centre. La région centrale des plateaux est perméable aux nutriments qui alimentent le noyau.

Rapports anatomiques

Dorsalement et ventralement, l’anneau se situe entre les ligaments longitudinaux dorsal et ventral. De T2 à T10, le ligament intercapital, joignant les deux têtes des côtes, repose ventralement sur le ligament longitudinal dorsal, et dorsalement sur le disque (figure 1). Dans cette région, le ligament longitudinal dorsal est plus large. Ces deux paramètres conjugués expliquent la faible incidence des hernies discales dans cette portion de la colonne. Dorsalement au ligament longitudinal dorsal, dans le canal vertébral, se trouve la moelle épinière (figure 2). Elle est protégée par la dure-mère, l’arachnoïde et la pie-mère. Le liquide céphalo-rachidien circule dans l’espace sous-arachnoïdien, entre l’arachnoïde et la pie-mère.

Entre 13,9 et 25,4 % des hernies discales aiguës sont cervicales et entre 66 et 83,6 % des hernies discales aiguës sont thoraco-lombaires. Les espaces les plus souvent atteints sont C2-C3 pour les hernies discales cervicales et T12-T13, T13-L1 et L1-L2 pour les hernies thoraco-lombaires.

2 Description des types de dégénérescence des disques intervertébraux

Chez le chien, deux types de dégénérescence du disque sont décrits lors de hernie discale : fibroïde et chondroïde. Ces dégénérescences conduisent à deux grandes catégories de manifestations : l’extrusion (Hansen I) ou la protrusion (Hansen II) du disque intervertébral (tableau).

Hernie discale par extrusion : physiopathologie

L’extrusion du disque, ou hernie discale de type Hansen I, est caractérisée par une rupture complète de l’anneau fibreux avec translocation du noyau pulpeux dans le canal vertébral (figure 3A et photo 2). Elle est probablement causée par des stress anormaux répétés, associés à une altération des propriétés biomécaniques du noyau pulpeux. En effet, l’extrusion du disque est souvent associée avec une dégénérescence chondroïde (même s’il est possible d’en rencontrer lors de protrusion). Le plus souvent, le noyau extrudé se trouve au sein de l’espace épidural adjacent, mais il peut migrer cranialement, caudalement ou latéralement [7].

La dégénérescence chondroïde (ou métaplasie chondroïde) atteint surtout les chiens de races chondrodystrophiques. La chondrodystrophie regroupe tous les troubles de l’ossification endochondrale et de la chondrogenèse. Les altérations peuvent être d’origines génétique, vasculaire, endocrinienne, mécanique ou métabolique. Une métaplasie chondroïde précoce est décrite. Cette dégénérescence apparaît simultanément à l’intérieur des disques et à plusieurs niveaux de la colonne. Les quatre races officiellement chondrodystrophiques sont le teckel, le caniche nain, le pékinois et le beagle. D’autres races telles que le shih tsu, le lhassa apso, le bouledogue français, le cocker spaniel, ou le welsh corgi sont souvent citées [4].

Ce processus dégénératif commence dès la naissance et pourrait résulter d’un vieillissement prématuré des chondrocytes à l’intérieur du noyau pulpeux. Cela induit une déshydratation, une augmentation du collagène (25 % à l’âge de un an versus 5 % chez le chien normal), une diminution des protéoglycanes et une augmentation relative de la kératine sulfate par rapport à la chondroïtine sulfate. Il s’ensuit une modification des propriétés biomécaniques du disque (perte de fonction de coussin hydraulique). De plus, chez certains chiens, l’anneau fibreux est fragilisé et le matériel dégénéré progresse à travers les défauts du mur annulaire ce qui facilite la hernie du disque.

Une seconde catégorie de hernie discale par extrusion a été décrite par Funkquist après les descriptions de Hansen [5]. Cette forme, aussi appelée hernie discale Funkquist de type III, est, selon nous, une sous-catégorie de la forme Hansen I [2]. Elle correspond à une extrusion d’une faible quantité du noyau pulpeux qui crée une commotion sans compression persistante vu la faible quantité de disque (souvent peu ou pas minéralisé). Pour ces cas particuliers où les examens d’imagerie ne révèlent pas de compression, la chirurgie n’est pas indiquée.

Hernie discale par protrusion : physiopathologie

La protrusion du disque, ou hernie discale de type Hansen II, est caractérisée par un renflement de l’anneau fibreux qui va progressivement comprimer la moelle épinière et/ou les racines nerveuses (figure 3B, photo 3). Elle est due à une dégénérescence fibroïde, plus communément appelée “métaplasie fibroïde”, qui atteint en général des chiens de race non chondrodystrophique. Cette métaplasie est caractérisée par une fibrose étendue de l’anneau fibreux. Elle se caractérise par un dépôt de tissu fibreux, une déshydratation du disque et une augmentation relative de la kératine sulfate par rapport à la chondroïtine sulfate. Des microtraumatismes répétés, probablement par des torsions chroniques, entraînent des fissures dans l’anneau fibreux altérant ses propriétés. Cette altération apparaît plus souvent chez des chiens de grandes races : le berger allemand, l’épagneul breton, le loulou de Poméranie, le griffon, le dalmatien et le labrador retriever [3]. Chez ces chiens, le noyau pulpeux est le plus souvent préservé durant toute la vie de l’animal et la métaplasie fibreuse est observée après l’âge de 7 ans.

Lors de cette dégénérescence progressive, un renflement du disque peut apparaître. Le matériel du noyau dégénéré peut former une hernie à travers les fibres annulaires rompues. Le plus souvent, ces protrusions ont lieu de manière dorso-latérale, en raison d’une discontinuité plus importante des fibres lamellaires dans cette région.

3 Description des atteintes de la moelle épinière

Les traumatismes de la moelle épinière associés aux hernies discales peuvent être classés en atteintes par commotion ou par compression.

Les atteintes par compression

Les atteintes par compression peuvent être retrouvées dans les deux types principaux de hernie discale (Hansen de type I, dont la variante Funkquist de type III, et II). Elles sont extradurales avec production d’une force par le matériel hernié ou par un hématome. Elles peuvent aussi être intramédullaires lors d’œdème au sein de la moelle elle-même. La compression peut apparaître de manière aiguë ou progressive. Ces atteintes se produisent d’abord dans la substance blanche. Elles vont d’une démyélinisation à une malacie (ramollissement pathologique) sévère. Les fibres myélinisées de large diamètre (responsables de la proprioception) sont d’abord touchées. Les fibres de diamètre moyen sont ensuite atteintes (responsables de la fonction motrice et de la sensation superficielle). Lors de compression sévère, les fibres de faible diamètre, non myélinisées, peuvent être altérées, avec une perte de la sensibilité douloureuse profonde. Cela explique la progression des signes neurologiques observée après l’apparition de la douleur, lors d’une compression médullaire : perte de la proprioception puis perte des mouvements moteurs et, enfin, perte de la sensibilité.

Les atteintes par commotion

Les atteintes par commotion sont observées lors de hernies discales Hansen de type I et Funkquist de type III. Dans ce cas, des effets primaires et secondaires sont recensés.

L’effet primaire est la commotion en elle-même. Elle affecte les méninges, la moelle épinière et la vascularisation et est directement associée à la hernie discale. La sévérité des atteintes primaires dépend de la taille du matériel hernié et de la vitesse à laquelle le processus s’est déroulé.

La substance grise est plus rigide et fragile que la substance blanche et est plus sujette aux effets primaires.

Les effets secondaires suivent quatre mécanismes physiopathologiques :

– l’ischémie de la moelle épinière. C’est le résultat de perturbations de sa vascularisation, qui apparaissent lors des effets primaires. La substance grise réclame des niveaux de métabolisme et d’oxygène importants, c’est pourquoi elle est plus vulnérable à l’ischémie et aux effets secondaires que la substance blanche ;

– la surproduction de radicaux libres apparaît lorsque la production d’antioxydants pour l’élimination des radicaux libres est freinée par l’ischémie. D’importants dommages des membranes cellulaires neuronales apparaissent ;

– les anomalies électrolytiques. En raison des autres effets primaires et secondaires, les canaux à calcium transmembranaires des neurones restent ouverts. La concentration intracellulaire de cet ion augmente et entraîne des perturbations de membrane ;

– l’activation des neutrophiles et des macrophages. Ces cellules, recrutées lors de la réaction inflammatoire, produisent des enzymes aggravant les dommages au tissu neuronal.

Lorsque les effets primaires et secondaires sont sévères, une myélomalacie peut se développer. La myélomalacie diffuse est une complication gravissime lors d’une hernie discale aiguë ou suraiguë. Elle se traduit par une nécrose de la moelle. L’ischémie et l’infarctus du parenchyme de cet organe conduisent à une démyélinisation étendue et à une infiltration par des cellules inflammatoires qui s’étendent rapidement cranialement et caudalement. La migration du réflexe panniculaire, des réflexes motoneurones centraux, qui deviennent motoneurones périphériques au niveau des membres postérieurs et antérieurs, sont les signes observés en cas de myélomalacie respectivement descendante et ascendante. La mort par paralysie des muscles respiratoires se produit généralement dans les 3 à 10 jours.

Conclusion

Chez le chien, la hernie discale est une affection rencontrée fréquemment. Elle atteint des chiens de tous âges et ses manifestations cliniques sont variables selon les cas. De part son anatomie et ses rapports avec les structures qui l’entourent, le disque intervertébral est soumis à des contraintes biomécaniques qui vont participer au mécanisme physique causant la hernie discale. La compréhension de sa physiopathologie et des mécanismes biologiques qui en découlent va permettre une meilleure appréhension de la maladie. Selon sa localisation (cervicale ou thoraco-lombaire), la gravité des signes cliniques et son type (hernie discale de type Hansen I, II ou de type Funkquist III), le traitement doit être instauré rapidement.

Références

  • 1. Barone R. Anatomie comparée des mammifères domestiques. Tome second : Arthrologie et myologie. 4e éd. éd. Vigot, Paris. 2000:55.
  • 2. Brisson B. Intervertebral disc disease in dogs. Vet. Clin. North Am. Small Anim. Pract. 2010;40(5):829-858.
  • 3. Cauzinille L. Traumatismes vertébraux et médullaires. Première partie : Anatomie, physiophathologie et examen neurologique. Prat. Méd. Chir. Anim. Comp. 1992;27:7-14.
  • 4. Coates JR. Intervertebral disk disease. Vet. Clin. North Am. Small Anim. Pract. 2000;30(1):77-110.
  • 5. Funkquist B. Thoracolumbar disk protrusion with severe cord compression in the dog: III. Treatment by decompressive laminectomy. Acta Vet. Scand. 1962;3:344-366.
  • 6. Griffin JF, Levine JM, Kerwin SC. Canine thoracolumbar intervertebral disk disease: pathophysiology, neurologic examination, and emergency medical therapy. Compend. Vet. 2009 E1-E13.
  • 7. Robin Y. Dynamique de la maladie discale du chien (étiopathogénie et évolution). Prat. Méd. Chir. Anim. Comp. 1983;18(5):31-37.

ENCADRÉ
Hernies discales par extrusion ou par protusion

Figure 1
Anatomie d’une vertèbre thoracique

Figure 1Anatomie d’une vertèbre thoracique

D’après [7]

Figure 2
Anatomie d’une vertèbre lombaire

Figure 2Anatomie d’une vertèbre lombaire

Figure 3
Hernie discale de type Hansen

Figure 3Hernie discale de type Hansen

D’après [6]

1a et 1b. Teckel atteint de paralysie postérieure bilatérale et couple de chiens parésiques.

1a et 1b. Teckel atteint de paralysie postérieure bilatérale et couple de chiens parésiques.

2. Image d’un examen tomodensitométrique de hernie discale par extrusion. La plupart des disques thoraciques et lombaires ont un noyau pulpeux sans signal (compatible avec une déshydratation associée à la dégénérescence du noyau pulpeux). La plupart des anneaux fibreux des disques de la région lombaire fait procidence dans le canal vertébral. En se rapprochant de chaque espace intervertébral, la colonne ventrale de gras épidural et de liquide céphalo-rachidien (LCR) s’atténue progressivement et subit un léger déplacement dorsal (suspicion de lésions extradurale) (flèche rouge). En L2-L3, la quantité de matériel sans signal dans la partie ventrale du canal vertébral s’étend cranialement à l’espace intervertébral ce qui suggère une extrusion du disque (flèche bleue). À ce niveau, les colonnes de gras épidural et de LCR dorsale et ventrale sont atténuées et l’épaisseur de la moelle épinière est extrêmement réduite : cela est compatible avec une compression. S’étendant cranialement à la compression sur un peu plus de deux vertèbres, le signal intramédullaire est augmenté. Cela serait dû à une contusion et de l’œdeme intramédullaire. Des compressions, certes moins marquées, ne peuvent pas totalement être exclues à T12-T13 et T13-L1 (flèches violettes) et des images transverses seraient nécessaires pour déterminer le statut de la moelle épinière dans ces espaces.

3. Image d’un examen tomodensitométrique de hernie discale par protusion. Comme sur la photo 2, les noyaux pulpeux sont déshydratés et la plupart des anneaux fibreux des disques thoraciques et lombaires font procidence dans le canal vertébral (sans compression). En T12-T13, la protrusion et l’atténuation de la colonne ventrale sont plus marquées (flèche rouge). De plus, l’image révèle une atténuation de la colonne de gras épidural et de liquide céphalo-rachidien (LCR) dorsale et un déplacement dorsal de la moelle épinière : cela est compatible avec une compression de la moelle épinière. En L1-L2, une atténuation limitée de la colonne de gras épidural et de LCR dorsale est notable (flèche bleue). Des images transverses seraient nécessaires pour évaluer cet espace intervertébral plus en détail.

TABLEAU
Comparaison synthétique des deux types de hernie discale chez le chien

TABLEAUComparaison synthétique des deux types de hernie discale chez le chien
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