Cinq principales zoonoses abortives des ruminants autres que la brucellose - Le Point Vétérinaire expert rural n° 332 du 01/01/2013
Le Point Vétérinaire expert rural n° 332 du 01/01/2013

ZOONOSES ABORTIVES DES RUMINANTS

Article de synthèse

Auteur(s) : Dominique Rémy*, Lorenza Richard**

Fonctions :
*ENV d’Alfort,
7, avenue du Général-de-Gaulle
94704 Maisons-Alfort
dremy@vet-alfort.fr
**Rue de la Chavoche
71510 Perreuil

Le vétérinaire doit sensibiliser ses salariés et les éleveurs au risque zoonotique lors d’avortement des ruminants et rappeler les règles principales à suivre pour prévenir une contamination humaine.

Le vétérinaire est de plus en plus soumis à une obligation de résultats et à un devoir d’information de l’éleveur et des organismes responsables de la santé publique et animale en cas d’avortements. Lors d’un avortement ou d’une série d’avortements dans un troupeau de bovins, d’ovins ou de caprins, il doit identifier l’agent abortif, mais également déterminer le danger zoonotique lié à l’agent responsable (photos 1 et 2). Pour limiter les risques, le praticien doit connaître les propriétés biologiques et l’épidémiologie de ces agents.

BACTÉRIES RÉSISTANTES

En dehors de Brucella, les cinq agents zoonotiques abortifs principaux chez les ruminants sont Salmonella ss, Listeria monocytogenes, Leptospira ss, Coxiella burnetii et Chlamydophila abortus. Ils présentent des épidémiologies différentes, mais se conservent longtemps dans le fumier et l’eau (tableau 1).

POPULATIONS À RISQUE

Les femmes enceintes constituent la population la plus à risque. Toutefois, toute personne en contact avec les animaux infectés ou leur environnement souillé est concernée. C’est le cas :

– des personnes qui travaillent en présence d’animaux infectés (éleveurs, vétérinaires et leurs salariés) ;

– des personnes qui fréquentent l’environnement souillé des animaux (famille de l’éleveur, personnes fréquentant l’élevage) ;

– des femmes enceintes, quel que soit le stade de la grossesse, surtout pour la fièvre Q. Un tiers des cas de listériose survenant pendant la grossesse peut conduire à une fausse couche, à un accouchement prématuré, à un enfant mort-né ou infecté [4]. Le risque d’avortement lié à la leptospirose chez la femme est peu documenté. En revanche, il est démontré pour celles qui sont en contact avec des brebis gestantes avortant à la suite d’une infection par C. abortus [1, 2].

Lors de listériose et de salmonellose, les jeunes enfants et les personnes âgées en bonne santé sont peu vulnérables, contrairement aux nourrissons et aux femmes enceintes. Les personnes de tout âge dont les défenses immunitaires sont réduites sont aussi concernées (atteintes du Sida, du cancer, du diabète ou d’autres maladies touchant plus particulièrement les intestins pour la salmonellose).

ZOONOSES PROFESSIONNELLES

Seules la fièvre Q et la leptospirose sont inscrites dans le tableau 53 du régime général et le tableau 49 du régime agricole de la Sécurité sociale et sont considérées comme des maladies professionnelles indemnisables (encadré 1) [3].

FORMES PARFOIS GRAVES

Si les formes bénignes des cinq maladies peuvent toucher tout type de population au contact des animaux infectés ou de leur environnement souillé, les formes graves sont plus rares. Cependant, elles peuvent notamment causer des interruptions de grossesse et une mortalité (encadré 2). La létalité peut être importante lors des formes nerveuses de listériose et ictéro-hémorragiques de la leptospirose.

MODES DE CONTAMINATION ET MESURES

1. Mode de contamination

Le mode de contamination dépend de la bactérie (tableau 2). Listeria monocytogenes et Salmonella ss peuvent– se transmettre directement lors d’avortement, mais le plus souvent indirectement, soit par l’intermédiaire de mains souillées par des déjections, soit à la suite de la consommation d’aliments contaminés. Le mode de contamination aérien de C. burnetii et C. abortus doit être signalé. Le danger concerne essentiellement l’agent de la fièvre Q car son transport aérien peut porter sur plusieurs kilomètres. Le risque de contamination alimentaire par C. burnetiia été considéré comme nul à la suite d’une saisine de l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) en 2011.

2. Conseils à prodiguer

Ces considérations impliquent la délivrance de conseils d’hygiène aux personnes en contact avec un avorton et ses enveloppes. Outre le port de gants et l’usage d’une fourche pour éliminer les produits d’avortement, il est conseillé à l’éleveur, au vétérinaire et à leur personnel d’apporter un grand soin à l’hygiène des mains. Ces conseils prennent encore plus d’importance lorsque ces personnes et leur entourage appartiennent à une catégorie à risque. De plus, le lait qui provient des vaches d’un élevage infecté ne peut être consommé par l’éleveur et ses ascendants ou ses descendants qu’après avoir été bouilli pendant plusieurs minutes.

D’autres conseils peuvent également être prodigués :

– les femmes enceintes ne doivent pas assister aux mises bas, manipuler le placenta ou le fœtus, ni participer à la traite pendant les épisodes cliniques ;

– il est déconseillé de boire, de manger et de fumer sur les lieux de travail ;

– les vêtements et les bottes doivent être régulièrement nettoyés et désinfectés et les vêtements changés en fin de journée ;

– le port de masque est conseillé pour les femmes enceintes circulant dans l’exploitation ou pour le personnel lors de brassage du fumier ou d’épandage du lisier en cas de fièvre Q ;

– lors de circulation de C. burnetii, l’utilisation d’eau émise à forte pression est déconseillée, et si elle est nécessaire, un masque doit être porté ;

– la consommation de fromages ou de produits au lait cru fabriqués à la ferme doit être proscrite dans les exploitations infectés par une salmonelle ou une listéria.

3. Mesures plus générales

Enfin, d’autres mesures, plus générales, visent à prévenir la propagation des agents zoonotiques :

– le nettoyage et la désinfection du matériel agricole, notamment après la traite ;

– le nettoyage et la désinfection des locaux ;

– le nettoyage des moyens de transport (notamment les roues), plus particulièrement durant toute la phase clinique ;

– la décontamination du lisier et du fumier, à l’intérieur et à l’extérieur des bâtiments d’élevage (inactivation thermique ou chimique) [5] ;

– la réalisation du transport des déchets et des cadavres à l’équarrissage dans un sac étanche (photo 3) ;

– la séparation et la réforme des animaux infectés ;

– des précautions doivent être prises lors de regroupement de cheptels, de vente d’animaux, de participation à des expositions et de transport des animaux.

RESPONSABILITÉ DU VÉTÉRINAIRE

1. Déclaration

Dans le cadre de la législation de la brucellose, l’éleveur doit déclarer à son vétérinaire tout avortement survenant chez un bovin. Le praticien doit déclarer à la Direction départementale chargée de la protection des populations (DDcPP) tout avortement signalé par l’exploitant. La recherche entreprise concerne a minima l’agent de la brucellose [6]. Des recherches systématiques d’autres agents, en premier lieu C. burnetii, vont être à l’essai dans des départements pilotes sur la base du volontariat. Les prélèvements et les analyses seront à la charge de l’État.

Actuellement, aucun agent zoonotique abortif (autre que B. abortus ou melitensis) isolé et identifié lors d’un avortement n’implique une obligation d’une déclaration. Celle-ci est cependant vivement conseillée. Elle peut venir de la part de l’éleveur, vis-à-vis de sa laiterie. Elle peut être réalisée auprès de la DDcPP par le vétérinaire qui a effectué les prélèvements en vue de recherches ou par le laboratoire qui a effectué les analyses. Ils sont tous les trois soumis à une clause de confidentialité vis-à-vis de l’exploitant.

La déclaration est obligatoire lorsque Listeria monocytogenes et Salmonella ss (mais pas depuis 2011 pour C. burnetii) sont isolés dans du lait cru en vue de sa consommation ou de sa transformation en produits au lait cru (photos 4a et 4b).

3. Santé publique

Lors de tout avortement et a fortiori lors de d’identification d’un agent zoonotique, le vétérinaire doit avertir l’éleveur de la nature du risque pour ses animaux, mais également pour lui et sa famille, ainsi que pour les consommateurs s’il réalise de la vente en direct de lait ou de produits au lait cru, ou de la vente en vue de production au lait cru.

En cas de consultation chez un médecin, l’éleveur ou son entourage doivent signaler la présence d’un agent zoonotique dans son élevage. Le vétérinaire n’a pas à prévenir les autorités légales représentant la santé publique de la survenue de certaines zoonoses. C’est le médecin consulté par son patient qui doit, après identification de certains agents zoonotiques ou lors d’une toxi-infection alimentaire collective, avertir l’agence régionale de santé.

La responsabilité de l’exploitant et du vétérinaire vis-à-vis de ces déclarations risque d’évoluer rapidement car de nombreux textes de loi vont être promulgués concernant une nouvelle liste des maladies.

3. Transport

Le vétérinaire doit prévenir son personnel du risque lors de manipulation de prélèvements (placenta, fœtus, etc.) pour l’envoi au laboratoire d’analyse. De plus, il est responsable du colis lors de son transport, donc du risque de contamination pour le transporteur ou le personnel du laboratoire lors de son ouverture. Un condi-tion-nement qui respecte la règle du triple emballage est indispensable. Utiliser les boîtes cartonnées fournies par les laboratoires est capital.

4. Qualité alimentaire

Enfin, les responsabilités de l’éleveur et de son vétérinaire sont engagées vis-à-vis de la qualité alimentaire des produits de l’élevage au même titre que les autres partenaires de la filière. Un certain nombre de règlements européens ont été rassemblés dans ce qui est appelé le Paquet hygiène et qualité. Ils fixent les règles à appliquer a minima dans les 27 pays de l’Union européenne. Les exploitants et les vétérinaires sont, en particulier, soumis à une obligation de résultats concernant cette qualité alimentaire.

Conclusion

Le vétérinaire dépasse désormais largement la maîtrise des risques sanitaires en élevage. Il est de plus en plus impliqué dans le domaine de la santé publique vétérinaire et de la protection des populations. En ce sens, il doit rappeler à l’éleveur et à sa famille les risques encourus lors de survenue d’une zoonose. La déclaration des avortements et les actions qui l’accompagnent vont être modifiées, et la réglementation de la classification des maladies va évoluer. La recherche de certaines d’entre elles va sans doute être systématisée.

Références

  • 1. Euzéby JP. Chlamydophilose des ruminants. Dictionnaire de bactériologie vétérinaire. http://www.bacterio.cict.fr/bacdico/cc/chlamydophila.html
  • 2. Euzéby JP. Listeria. Dictionnaire de bactériologie vétérinaire. http://www.bacterio.cict.fr/bacdico/ll/leptospira.html
  • 3. INRS. Zoonose en milieu professionnel. Dossier extrait du site www.inrs.fr. 2009.
  • 4. Goulet V, Laurent E. La listériose de la femme enceinte et du nouveau-né en France : évolution de 1984 à 2006. Bull. Epi. Hebd. 2008;14-15:107-110.
  • 5. Morisse JP, Cotte JP, Argente G et coll. Approche épidémiologique de l’excrétion de salmonelles dans un réseau de 50 exploitations bovines laitières avec ou sans antécédents cliniques. Ann. Méd. Vét. 1992;136:403-409.
  • 6. Rémy D. Avortements en série : conduite à tenir pour les prélèvements. Point Vét. 2011;323:50-53.
  • 7. Rémy D, Milleman Y, Laval A. Typologie d’élevages ayant connu un épisode de salmonellose à partir d’une enquête réalisée en Saône-et-Loire. Bull. GTV. 1997;2:43-51.
  • 8. Saana M. Listériose et contamination du lait et des produits dérivés du lait. Point Vét. 1994;26:68-78.
  • 9. Simon JL. Maîtriser les avortements – Fiche technique (V2 septembre 2010). GDS Rhône-Alpes. 2010.

ENCADRÉ 1
Réglementation relative aux maladies professionnelles

Classification des agents biologiques

Selon l’article R 231-61-1 du Code du travail, il existe 4 groupes.

→ La chlamydiose n’est pas considérée comme une zoonose professionnelle.

→ La leptospirose, la salmonellose et la listériose sont classées dans le groupe de danger 2 : agents biologiques pouvant provoquer une maladie chez l’homme et constituer un danger pour les travailleurs.

Leur propagation dans la collectivité est peu probable. Il existe généralement une prophylaxie ou un traitement efficace.

→ La fièvre Q est classée dans le groupe de danger 3 : agents biologiques pouvant provoquer une maladie chez l’homme et constituer un danger pour les travailleurs.

Leur propagation dans la collectivité est possible. Il existe généralement une prophylaxie ou un traitement efficace.

Maladies professionnelles indemnisables : leptospirose et fièvre Q

→ Leptospirose (décret 2007-1121 du 19 juillet 2007 – art 1(V))

Toute manifestation clinique de lesptospirose provoquée par Leptospirosa interrogans doit être déclarée dans un délai de 21 jours et confirmée par identification de la bactérie ou à l’aide d’un sérodiagnostic d’agglutination, à un taux considéré comme significatif.

→ Fièvre Q (Décret 2005-368 du 19 avril 2005 – art 1 (V))

Toute manifestation clinique aiguë de fièvre Q doit être déclarée dans un délai de 21 jours (sauf pour les formes chroniques).

ENCADRÉ 2
Formes bénignes des zoonoses abortives des ruminants hors brucellose

→ Listériose ou gastro-entérite fébrile à Listeria : symptômes de gastro-entérite avec des diarrhées, une fièvre, des céphalées et une myalgie après une brève période d’incubation.

→ Salmonellose : gastro-entérite qui disparaît sans traitement après 3 à 5 jours chez des adultes de condition normale. Chez les éleveurs et les vétérinaires pratiquant des interventions obstétricales, une dermatite pustuleuse des bras et des avant-bras peut se développer sous forme de points rouges évoluant en plaques qui disparaissent en 15 jours mais peuvent aussi s’aggraver et donner des lésions étendues, douloureuses, voire ulcérées.

→ Fièvre Q : syndrome grippal avec fièvre à 40-41 °C, frissons, transpiration abondante, céphalées importantes, courbatures et parfois nausées et vomissements. Il dure 2 jours ou prendre une allure biphasique.

→ Leptospirose : syndrome grippal avec des frissons, des céphalées, des myalgies et une arthralgie diffuses. Des complications oculaires (uvéites, irido-cyclite, etc.) apparaissent de 1 à 5 mois plus tard et guérissent généralement sans séquelles.

→ Chlamydiose : syndrome grippal avec fièvre, céphalées, sensation de malaise et nausées.

Points forts

→ Les personnes qui travaillent et vivent avec les animaux infectés, surtout les femmes enceintes, les jeunes enfants, les personnes âgées ou immunodéprimées sont les plus exposés au risque de zoonose.

→ Le praticien doit déclarer tout avortement à la direction départementale chargée de la protection des populations (DDcPP).

→ Le vétérinaire doit rappeler les mesures de protection indispensables à l’éleveur, à sa famille et à ses salariés.

→ Le praticien est responsable en cas de contamination lors du transport ou de l’ouverture des prélèvements envoyés au laboratoire.

→ La fièvre Q et la leptospirose sont des maladies professionnelles indemnisables.

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