TOXICOLOGIE CANINE
Cas clinique
Auteur(s) : Laurent Masson
Fonctions : 162, rue d’Aguesseau,
92100 Boulogne-Billancourt
Le développement de la cigarette électronique expose les chiens à une source d’agents toxiques. Leurs recharges contiennent une grande concentration de nicotine.
Un jeune chien bouledogue français âgé de 4 mois et pesant 6 kg est amené en urgence à la suite de l’ingestion du contenu d’une recharge de 10 ml pour cigarette électronique (qu’il a déchiquetée) quelques heures auparavant.
Des vomissements sont rapportés par la propriétaire. Grâce à l’étiquette du flacon, la nature des agents toxiques est connue : nicotine à la concentration de 11 mg/ml, excipient composé de 80 % de propylène glycol et de 20 % de glycérine végétale (photo). Hormis une faiblessegénéralisée, l’examen clinique de l’animal se révèle normal. Un traitement éliminatoire à base de charbon activé est mis en place pour une période de 48 heures (Carbovital®, 5 ml, deux fois par jour) Une hospitalisation pour une perfusion intraveineuse est proposée mais refusée. Le lendemain, le chien présente une diarrhée non hémorragique. Un nouvel examen clinique ne montre aucune autre anomalie. Un traitement symptomatique à base de spasmolytique et un soutien de la flore intestinale est instauré. Il comporte du bromure de prifinium (Prifinial®, 0,75 mg/kg par voie sous-cutanée, puis une administration par voie orale le lendemain à la dose de 4,6 mg/kg) et Enterococcus faecium, montmorillonite (Canikur®, 2 ml deux fois par jour) pendant une semaine. L’animal est guéri dès le lendemain, sans aucune séquelle.
Les animaux de compagnie sont exposés à plusieurs sources de nicotine : tabac et produits substitutifs du tabac, ainsi que certains insecticides (encadré 1). Les gommes à mâcher sont peu dangereuses pour les chiens malgré une forte concentration en nicotine, car l’alcaloïde n’est absorbé qu’après mâchonnement. À l’inverse, les cigarettes sont plus dangereuses car la dose de nicotine mentionnée sur le paquet correspond à celle inhalée et non à celle consécutive à l’ingestion du tabac [5, 6].
La nicotine est un alcaloïde hydrosoluble, rapidement absorbé à travers la paroi gastro-intestinale, la peau et les muqueuses. L’excrétion est ralentie lorsque le pH urinaire est alcalin. Les effets pharmacologiques de la nicotine sont biphasiques [3]. À faibles doses, ils sont semblables à ceux de l’acétylcholine : stimulation des récepteurs postsynaptiques nicotiniques du système nerveux central, des ganglions sympathiques et parasympathiques et de la jonction neuromusculaire des muscles squelettiques. À fortes doses, ces effets sont suivis d’une saturation des récepteurs nicotiniques à cause d’une dépolarisation permanente.
Dans ce cas, la quantité ingérée est difficile à évaluer : le flacon était entamé et son contenu a été retrouvé en partie sur le sol. Néanmoins, ce chiot a pu être exposé à une dose toxique. Selon Plumlee, un traitement doit être instauré au-delà d’une dose ingérée supérieure à 0,92 mg/kg, soit environ 0,5 ml de la recharge [6]. En revanche, il est peu probable que la dose létale moyenne soit atteinte puisqu’elle est égale, chez le chien, à 10 mg/kg, soit la moitié du flacon. Cela n’écarte cependant pas totalement le risque de mort de l’animal [5].
Les signes cliniques apparaissent rapidement après l’ingestion (en moins d’une heure) et sont similaires à ceux rencontrés lors d’intoxication par des insecticides anticholinestérasiques (encadré 2).
Un vomissement est généralement le premier symptôme observé. D’autres troubles digestifs, comme une hypersalivation et une accélération du péristaltisme avec des défécations répétées, sont décrits, comme dans ce cas.
Les atteintes cardiaques et nerveuses sont variables :
– à faibles doses ou en début d’intoxication massive : une bradycardie, une vasoconstriction et une ataxie, une hyperexcitation, des trémulations, voire des convulsions ;
– à fortes doses : une dépression, une tachycardie, une vasodilatation et une prostration, une paralysie descendante, voire un arrêt respiratoire par paralysie du diaphragme et des muscles thoraciques.
Un myosis a déjà été rapporté chez le chien.
Le tableau clinique évolue généralement en 24 à 48 heures.
En l’absence d’antidote, seul un traitement éliminatoire et symptomatique est possible.
L’usage d’un vomitif est rarement nécessaire car les vomissements apparaissent rapidement après l’ingestion. L’atropine peut être utilisée pour combattre les signes parasympathiques (à la dose de 0,2 à 1 mg/kg en bolus intraveineux [IV], ou un quart en IV et le reste par voie sous-cutanée [SC]). Les injections sont renouvelées toutes les 2 heures jusqu’à atropinisation, puis toutes les 6 à 12 heures dans les cas les plus graves [5]. Le glycopyrrolate peut être employé avec les mêmes objectifs (0,01 mg/kg IV, SC ou intramusculaire jusqu’à atropinisation) [5]. Le charbon activé (Carbovital®, à la dose de 1 ml/kg) limite l’adsorption de la nicotine tandis que les anti-acides l’augmentent. L’acidification des urines à l’aide de chlorure d’ammonium (50 mg/kg/j par voie orale) favorise l’élimination rénale de la nicotine. Elle est cependant peu utile chez le chien dont l’urine est déjà acide, mais se révèle intéressante chez les herbivores (NAC).
Le pronostic de l’intoxication par la nicotine reste toujours réservé car le tableau clinique peut s’aggraver. Il est plutôt bon chez les animaux stabilisés durant les 4 premières heures de l’intoxication, comme chez ce bouledogue français.
Dans notre cas, la présence de propylène glycol dans la solution ingérée peut avoir accentué la faiblesse observée (encadré 3). En effet, il présente des effets narcotiques, comparables à ceux de l’éthylène glycol, qui peuvent se traduire par une apathie et une somnolence [2, 4].
Enfin, une cytotoxicité des recharges liquides a récemment été mise en évidence, corrélée non pas à la présence de nicotine, mais à celle des substances chimiques utilisées comme saveurs [1].
Bien que rares, les intoxications par la nicotine font partie du diagnostic différentiel lors de tableau clinique évoquant une intoxication par des pesticides anticholinestérasiques. L’association du propylène glycol dans la composition des recharges à la nicotine peut aggraver le tableau clinique, et notamment les troubles nerveux. Un traitement symptomatique et éliminatoire doit être mis en place en raison du pronostic réservé, dose-dépendant.
Aucun.
→ Une cigarette : de 10 à 30 mg.
→ Un cigare : de 50 à 150 mg.
→ Un gramme de tabac à priser : de 12,9 à 16,6 mg.
→ Un patch de nicotine : de 7 à 114 mg.
→ Une gomme à mâcher : de 2 à 4 mg.
→ Un millilitre de recharge d’inhalateur : de 9 à 20 mg.
→ Les insecticides “bio” pour jardin : de 0,05 à 4 %.
→ Système gastro-intestinal : vomissements, hypersalivation, diarrhée.
→ Système cardiovasculaire : tachycardie, arythmies, hypertension, puis bradycardie, hypotension, bradypnée.
→ Système nerveux central : abattement, convulsions, coma, hypothermie, mydriase puis myosis.
→ Système nerveux périphérique : faiblesse généralisée, tremblements, fasciculation, paralysie.
→ Système endocrinien : augmentation de la sécrétion en catécholamines.
→ Le développement des cigarettes électroniques est une nouvelle source d’intoxication chez les animaux de compagnie.
→ La nicotine peut provoquer un tableau clinique évocateur d’une intoxication par des insecticides anticholinestérasiques.
→ Chez le chien, le pronostic de l’intoxication par la nicotine est réservé et dose-dépendant.
→ Le traitement est non spécifique, principalement éliminatoire et de soutien.
→ Circonstances d’intoxication
Le propylène glycol est une substance largement utilisée, rentrant dans la composition d’huile hydraulique, de liquide de refroidissement, d’antigel pour voiture (d’où la confusion fréquente avec l’éthylène glycol), de nombreux produits pharmaceutiques et cosmétiques comme solvants, et même dans certains aliments industriels comme additifs.
→ Pharmacotoxicité
Le propylène glycol est le moins toxique des glycols. Il est rapidement absorbé dans le tractus digestif ainsi qu’à travers la peau lésée (lors de brûlure, par exemple). Sa toxicité est liée à ses effets narcotiques similaires à ceux de l’éthanol au niveau cérébral et à l’accumulation d’acide lactique provenant de sa dégradation enzymatique au niveau hépatique. L’élimination, par voie rénale, est presque complète en 24 heures.
Bien que des cas d’intoxication aient été décrits dans de nombreuses espèces, le chat semble plus sensible en raison de l’interaction du propylène glycol et de ses métabolites avec les groupes sulfhydrylesde l’hémoglobine conduisant à la formation de corps de Heinz.
La DL50 chez le chien est évaluée à 9 ml/kg, alors qu’elle est d’environ 20 ml/kg chez la plupart des animaux de laboratoire [3].
→ Tableau clinique
Les signes cliniques d’intoxication aiguë par le propylène glycol sont liés à ces effets narcotiques (apathie, somnolence, etc.) et à l’acidose lactique. L’ingestion d’une grande quantité de propylène glycol entraîne une dépression du système nerveux central, une ataxie, des trémulations musculaires (surtout chez le chat), des vomissements, une polyurie et une déshydratation.
Les signes cliniques apparaissent dans un délai de 40 à 60 minutes. Les corps de Heinz sont surtout observés chez le chat et disparaissent dans les 8 semaines après l’exposition. Le propylène glycol ne provoque pas d’insuffisance rénale ni de néphrite avec des oxalates, mais une diurèse osmotique [2, 5]. L’analyse sanguine révèle une acidose métabolique et une hyperosmolarité, ainsi que, parfois, une hypoglycémie et une hyperurémie.
→ Traitement
Un traitement de soutien est mis en place, avec notamment une perfusion intraveineuse et une correction de l’acidose à l’aide de bicarbonate de sodium. L’administration de N-acétylcystéine est conseillée, mais son efficacité est toute relative. Il en est de même pour le charbon activé car il se lie faiblement au propylène glycol et, aussi, en raison de l’absorption gastro-intestinale rapide de l’agent toxique.
→ Pronostic
Le pronostic est généralement réservé à bon, avec une récupération en 12 heures environ.