Alimentation enrichie en sel et fonction rénale chez le chat - Le Point Vétérinaire expert canin n° 335 du 01/05/2013
Le Point Vétérinaire expert canin n° 335 du 01/05/2013

NUTRITION FÉLINE

Analyse d’article

Auteur(s) : Mathieu Faucher

Fonctions : Clinique vétérinaire Alliance
8, boulevardd Godard
33300 Bordeaux

Les chats ont naturellement des urines très concentrées. Dans certaines conditions pathologiques (urolithiases, cystite idiopathique), l’obtention d’urines plus diluées est nécessaire. Parmi plusieurs stratégies possibles, la supplémentation de la ration en chlorure de sodium permet d’atteindre cet objectif [4]. Cependant, un apport élevé en chlorure de sodium pourrait favoriser le développement d’une maladie rénale chronique, d’une hypertension artérielle, ou modifier les concentrations urinaires de certaines substances [2].

EFFETS SUR LES PARAMÈTRES URINAIRES

L’objectif d’un régime alimentaire enrichi en sel est de diluer les urines à des fins thérapeutiques. Dans cette étude, la densité urinaire est significativement plus faible dans le groupe consommant l’aliment riche en sel (AS), comparé à celui recevant l’aliment contrôle (AC), à 3 mois uniquement. La différence n’est plus significative durant le reste de l’étude. Cela est en contradiction avec plusieurs essais qui ont mis en évidence un effet sur la densité urinaire lorsque les urines de 24 heures sont collectées en cage à métabolisme [4, 6, 7]. Ce résultat est cependant conforme à un autre travail qui a comparé des régimes alimentaires similaires et collecté les urines ponctuellement à trois reprises sur une durée totale de 6 mois [9]. Ici, les urines ont été collectées ponctuellement, ce qui peut indiquer que cette méthode est inadéquate pour évaluer correctement l’effet de la supplémentation en sel de la ration sur leur dilution. L’effet observé uniquement à 3 mois pourrait également évoquer qu’il est transitoire et qu’un nouvel état d’équilibre est atteint sans diminution de la densité urinaire.

La protéinurie mesurée par le rapport protéines/créatinine urinaires (RPCU) n’est pas un marqueur fonctionnel rénal. Une étude ayant évalué plusieurs paramètres dans une population de chats âgés a montré qu’un RPCU élevé peut prédire le développement d’une azotémie [5]. Elle est également un facteur de mauvais pronostic chez les chats insuffisants rénaux chroniques [8]. Le RPCU n’est à aucun moment différent entre les groupes AS et AC.

EFFETS SUR LA FONCTION RÉNALE

Les animaux ont été répartis en deux groupes de manière randomisée, mais en prenant soin d’observer une répartition homogène des débits de filtration glomérulaire initiaux et des anomalies du Doppler tissulaire. La présence d’une cardiopathie est un critère d’exclusion. Les animaux présentant un examen Doppler tissulaire anormal ne sont pas exclus, mais répartis de manière homogène entre les deux groupes. En effet, des anomalies cardiaques pourraient impacter la fonction rénale et représenter un biais de l’étude si elles étaient mal réparties entre les groupes.

L’effet du chlorure de sodium sur la fonction rénale est un sujet de controverse en médecine tant humaine que vétérinaire. Plusieurs études s’y sont intéressées chez le chat. La plupart d’entre elles ne montrent aucun effet sur la fonction rénale, en particulier un essai portant sur des chats matures dont certains sont suspects de maladie rénale chronique, suivis pendant 6 mois [9]. Une seule étude rapporte une altération de la fonction rénale lorsque la ration est supplémentée en sel : lors de cet essai randomisé en cross over, la variation de la créatinine sur 12 semaines est significativement plus importante lorsque les animaux consomment une ration riche en sel que lorsqu’ils consomment l’aliment contrôle [6].

Ces travaux n’évaluent la fonction rénale des chats inclus que par les paramètres biochimiques. La présente étude a choisi de mesurer le débit de filtration glomérulaire, qui est le meilleur indicateur de la fonction rénale. Il a été déterminé par la mesure de la clairance de la créatinine exogène et n’est pas influencé par un régime enrichi en sel suivi pendant 2 ans par des chats matures.

La parathormonémie (PTH) n’est pas un marqueur fonctionnel rénal à proprement parler. Chez le chat, une élévation de la PTH est d’autant plus fréquente que le stade de l’insuffisance rénale chronique augmente [3]. De plus, une PTH élevée peut précéder l’apparition de l’azotémie [3]. La PTH n’est pas affectée par un régime enrichi en sel dans cette étude.

EFFETS SUR LA PRESSION ARTÉRIELLE

L’hypertension artérielle représente un risque de lésions des organes “terminaux”, et notamment les reins pour lesquels elle peut être un facteur de lésions rénales progressives. Chez l’homme, l’hypertension peut être sensible au sel ou non. Cette variabilité pourrait être expliquée par une variabilité dans le gène codant pour l’angiotensinogène [2]. Chez le chat, aucune augmentation de la pression artérielle n’a pu être documentée lors de suivi d’un régime alimentaire enrichi en sel sur une durée variable (de quelques jours à 6 mois) [1, 6, 7, 9]. La présente étude confirme ces données sur une durée de 2 ans.

La pression artérielle semble donc insensible au sel chez le chat. Il n’est actuellement pas recommandé de diminuer l’apport alimentaire de sel lors d’hypertension dans l’espèce féline. De plus, un régime pauvre en sel peut être délétère en entraînant une kaliurèse inappropriée et une hypokaliémie [1].

Conclusion

Cette étude s’est intéressée de manière exhaustive et dans des conditions contrôlées à la fonction rénale de chats matures recevant un aliment enrichi en chlorure de sodium. Après 2 ans de suivi dans une population à risque de maladie rénale chronique, aucune altération de la fonction des reins n’a pu être constatée. Ces données ne sont pas extrapolables au chat insuffisant rénal chronique pour lequel une étude spécifique serait justifiée.

Références

  • 1. Buranakarl C, Mathur S, Brown SA. Effects of dietary sodium chloride intake on renal function and blood pressure in cats with normal and reduced renal function. Am. J. Vet. Res. 2004;65:620-627.
  • 2. Chandler ML. Pet food safety: sodium in pet foods. Top Comp. Anim. Med. 2008;23:148-153.
  • 3. Finch NC, Syme HM, Elliott J. Parathyroid hormone concentration in geriatric cats with various degrees of renal function. J. Am. Vet. Med. Assoc. 2012;241:1326-1335.
  • 4. Hawthorne AJ, Markwell PJ. Dietary sodium promotes increased water intake and urine volume in cats. J. Nutr. 2004;134:2128S.
  • 5. Jepson RE, Brodbelt D, Vallance C et coll. Evaluation of predictors of the development of azotemia in cats. J. Vet. Intern. Med. 2009;23:806-813.
  • 6. Kirk CA, Jewell DE, Lowry SR. Effects of sodium chloride on selected parameters in cats. Vet. Ther. 2006;7:333-346.
  • 7. Luckschander N, Iben C, Hosgood G et coll. Dietary NaCl does not affect blood pressure in healthy cats. J. Vet. Intern. Med. 2004;18:463-467.
  • 8. Syme HM, Markwell PJ, Pfeiffer D et coll. Survival of cats with naturally occurring chronic renal failure is related to severity of proteinuria. J. Vet. Intern. Med. 2006;20:528-535.
  • 9. Xu H, Laflamme DPL, Long GL. Effects of dietary sodium chloride on health parameters in mature cats. J. Feline Med. Surg. 2009;11:435-441.

Conflit d’intérêts

Aucun.

RÉSUMÉ

OBJECTIF

Déterminer les effets d’un aliment enrichi en chlorure de sodium sur la fonction rénale de chats sains matures.

MÉTHODE

• Cette étude prospective est contrôlée, randomisée en aveugle. Elle porte sur un groupe de 26 chats sains d’un âge médian de 10,4 ans et hébergés dans des conditions contrôlées.

• L’examen clinique, la pression artérielle, le bilan hématologique, biochimique et urinaire complet, l’aldostérone plasmatique (Pl-Ald) et urinaire, la réninémie, la parathormonémie, le débit de filtration glomérulaire (DFG) et les échographies rénale et cardiaque sont suivis sur une période de 2 ans. Le DFG est déterminé par la mesure de la clairance plasmatique de la créatinine exogène.

• Ces chats sont répartis de manière randomisée entre deux groupes selon qu’ils reçoivent un aliment riche en sel (AS) ou un aliment contrôle standard (AC). Ces derniers sont homogènes en ce qui concerne le DFG et les résultats de l’échocardiographie.

RÉSULTATS

• Le bilan initial est anormal chez 6 chats, qui sont exclus de l’étude. Quatre chats sont exclus au cours de la seconde année d’étude (2 cas de mort brutale et 2 cas de maladie).

• L’analyse des deux aliments montre que leur composition est équivalente excepté pour le sodium (3,1 g/Mcal et 1 g/Mcal pour les groupes AS et AC, respectivement) et le chlore (5,5 g/Mcal et 2,2 g/Mcal pour les groupes AS et AC, respectivement).

• La densité urinaire est significativement plus basse dans le groupe AS que dans le groupe AC à 3 mois uniquement. La Pl-Ald est significativement plus basse et le rapport sodium/créatinine urinaires significativement plus élevé dans le groupe AS que dans le groupe AC tout au long de l’étude.

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