Gestion d’une lactation de pseudo-gestation réfractaire aux traitements antilaiteux chez la chienne - Le Point Vétérinaire expert rural n° 334 du 01/04/2013
Le Point Vétérinaire expert rural n° 334 du 01/04/2013

PATHOLOGIE DE LA REPRODUCTION CANINE

Article de synthèse

Auteur(s) : Fernando Mir*, Alain Fontbonne**

Fonctions :
*Centre d’études en reproduction des carnivores
ENV d’Alfort
7, avenue du Général-de-Gaulle
94700 Maisons-Alfort
**Centre d’études en reproduction des carnivores
ENV d’Alfort
7, avenue du Général-de-Gaulle
94700 Maisons-Alfort

Une lactation de pseudo-gestation doit disparaître dans les 10 jours qui suivent le début du traitement. Dans le cas contraire, la chienne doit être réexaminée (recherche d’affections sous-jacentes) et son propriétaire questionné sur la bonne administration du médicament.

La lactation de pseudo-gestation ou “lactation nerveuse” (présence de gynécomastie, galactorrhée et/ou expression du comportement maternel) a longtemps été considérée comme physiologique. Il se pourrait que son utilité ancestrale ait été d’offrir la possibilité de nourrir des chiots aux femelles non saillies dans les groupes de canidés sauvages. D’après Jöchle et coll., 64 % des chiennes non stérilisées présentent ce syndrome régulièrement et 7 % d’entre elles des lactations irrégulières [8].

L’intérêt du traitement est discutable chez les animaux présentant peu de signes cliniques. Néanmoins, plusieurs études montrent une prédisposition au développement de tumeurs mammaires chez ceux atteints de lactation de pseudo-gestation à répétition [2, 12]. De plus, certains peuvent exprimer un comportement gênant et devenir agressifs vis-à-vis de leurs propriétaires.

ORIGINE DE LA LACTATION DE PSEUDO-GESTATION

Le lait apparaît sous l’action de la prolactine, sécrétée par l’adéno-hypophyse sous l’influence de plusieurs facteurs régulateurs (figure 1).

Le cycle sexuel de la chienne est semblable, qu’elle soit gravide ou non [9]. Ainsi, la baisse de progestérone sanguine qui se produit à la fin de la phase lutéale stimule la sécrétion de prolactine (figure 2).

La raison pour laquelle certaines chiennes expriment des signes cliniques et d’autres non reste inconnue. D’après Tsutsui et coll., celles avec une lactation de pseudo-gestation ont un taux de prolactine plus élevé et un taux de progestérone plus bas que celles qui n’en présentent pas [13]. Cependant, la même étude montre que quelques chiennes, pseudo-gestantes, affichent une prolactinémie et une progestéronémie élevées. Avec un même taux de prolactine, certaines expriment des signes cliniques alors que d’autres non. Il est donc possible que ces animaux soient plus sensibles aux effets de cette hormone. De plus, d’autres facteurs, comme les œstrogènes, peuvent jouer un rôle en raison de leurs effets stimulants sur le développement du tissu mammaire. Une corrélation positive entre le taux d’œstrogènes circulants et le taux de prolactine a été trouvée chez certaines femelles [3].

La durée des signes cliniques est variable (avec une persistance parfois jusqu’à 6 semaines). Une régression spontanée se produit par stimulation des barorécepteurs des mamelles engorgées, qui entraîne la chute de la prolactinémie [10].

TRAITEMENTS ANTILAITEUX

Les dopaminergiques (cabergoline : Galastop®, Lactovet®) et les anti-sérotoninergiques (métergoline : Contralac®) sont les antilaiteux les plus prescrits. La cabergoline montre une efficacité supérieure à 80 % après 5 à 7 jours de traitement chez la chienne [1]. La métergoline réduit le comportement maternel dans plus de 50 % des cas, sans que son activité sur la sécrétion de lait soit référencée [5]. Ces molécules ne sont pas exemptes d’effets secondaires. La cabergorline peut provoquer des vomissements et des états d’hypernervosité sont parfois observés chez les femelles sous métergoline [6].

D’autres stratégies, comme une diminution de la ration, ont été préconisées. D’après Hermo et coll., la réduction de 50 %, 40 % et 30 % du régime alimentaire pendant 2, 3 et 2 jours, respectivement, favorise la régression de l’engorgement du tissu mammaire, mais n’arrête pas la lactation [7].

CAUSES D’ÉCHEC DU TRAITEMENT

1. Administration inappropriée du traitement et interactions médicamenteuses

Le propriétaire doit s’assurer de l’ingestion correcte du médicament. De plus, l’apparition de vomissements peut amener à l’administration d’antidopaminergiques tels que le métoclopramide (Emeprid®), qui inhibe l’action de la cabergoline. De même, l’acépromazine (Calmivet®, Vétranquil®), administrée comme traitement des états anxieux, réduit les effets des antiprolactiniques, donc l’efficacité du traitement.

2. Stimulation de la sécrétion lactée

La lactation est souvent stimulée par le léchage ou la succion par la chienne ou d’autres animaux (chiots, chatons, etc.). De la même façon, traire ou masser les mamelles stimule la sécrétion de prolactine. L’application de pommade sur les mamelles est donc à proscrire.

3. Imprégnation œstrogénique

Des kystes ovariens folliculaires, des tumeurs des cellules de la granulosa hormone-sécrétantes ou une exposition chronique à des crèmes œstrogéniques appliquées sur les bras des femmes traitées pour des troubles liés à la ménopause peuvent favoriser le développement mammaire et une galactorrhée réfractaire aux anti-laiteux (photos 1 à 3) [14]. Il convient donc de demander à la propriétaire si elle ne suit pas un traitement substitutif de ménopause (patch, gel).

Un frottis vaginal (détection d’une imprégnation œstrogénique en présence de nombreuses cellules kératinisées), un examen échographique ovarien et une mesure de l’œstradiolémie sont à réaliser.

4. Hypothyroïdie

L’hypothyroïdie, particulièrement si elle est associée à une augmentation compensatoire de l’hormone thyréotrope (thyrotropin releasing hormone [TRH]), peut être aussi à l’origine d’un échec du traitement. Son effet sur la sécrétion de prolactine est double : une stimulation par la TRH en plus de la disparition du rétrocontrôle négatif exercé par la thyroxine [3]. Ces chiennes n’expriment pas forcément les signes cliniques habituels d’hypothyroïdie. Une mesure de la cholestérolémie et de la triglycéridémie après une mise à jeun pendant 24 heures, ainsi que celle de la T3 totale et de la T4 libre dialysée sont recommandées pour confirmer le diagnostic.

5. Stérilisation pendant la seconde partie de la phase lutéale

La stérilisation pendant la seconde partie de la phase lutéale induit une suppression totale de la sécrétion de progestérone, à l’origine d’une augmentation brutale du taux de prolactine. Cette perte du rétrocontrôle négatif peut se traduire en une galactorrhée ou par des troubles du comportement (photo 4) [11]. D’après Gobello et coll., seules les chiennes ayant présenté des signes cliniques de pseudo-gestation peuvent récidiver [3]. Dans ce cas, la réponse aux antiprolactiniques est moins bonne (75 % versus 87,5 %, d’après Harvey et coll.) [6]. Le traitement nécessite souvent d’être prolongé, voire complété par des agents adjuvants.

6. Autres causes

En médecine humaine, d’autres causes d’hyperprolactinémie, telles que les micro-adénomes hypophysaires, les insuffisances hépatique ou rénale et les traitements à base de corticoïdes ou de sulpiride (utilisé dans le traitement de la schizophrénie) sont fréquemment diagnostiquées chez la femme. Elles n’ont pas encore été confirmées chez la chienne [3]. Un dosage de la prolactinémie en cas d’échec du traitement médical peut être une aide dans l’approche diagnostique de ces affections.

TRAITEMENT DES CAS RÉFRACTAIRES

L’ovariectomie s’impose en cas de tumeur des cellules de la granulosa ou de kystes ovariens. Chez les chiennes destinées à la reproduction, l’exérèse de l’ovaire atteint, la ponction d’un kyste ovarien isolé ou une cystectomie peuvent être proposées.

Pour empêcher la femelle de se lécher les tétines, le port d’une collerette est indispensable avant de débuter un nouveau traitement. Il convient aussi de limiter l’accès aux autres animaux qui peuvent stimuler la sécrétion de lait par léchage (parfois, la vue ou le cri d’un autre animal peut déclencher la sécrétion lactée).

Le traitement à base de cabergoline peut être renouvelé pendant une semaine supplémentaire. Il convient de prévenir le propriétaire que l’administration de cabergoline pendant plus de 2 semaines est susceptible de provoquer un changement transitoire de la couleur de la robe (décoloration graduelle mais extensive et/ou apparition de taches sur l’ensemble du corps) dû à la suppression de l’hormone mélanotrope (melanocyte stimulating hormone) (photo 5) [4].

La supplémentation avec des extraits thyroïdiens (lévothyroxine : Forthyron®, Leventa®) à raison de 20 µg/kg en deux prises quotidiennes jusqu’à réponse clinique peut être instaurée empiriquement, même en l’absence de suspicion d’hypothyroïdie. Ce traitement est souvent associé à une semaine supplémentaire de cabergoline et donne, en général, de bons résultats. Deux à 4 semaines de supplémentation sont souvent nécessaires avant de constater une disparition de la galactorrhée.

L’administration de progestagènes est souvent efficace pour arrêter les lactations de pseudo-gestation. Néanmoins, ce traitement est déconseillé en raison des multiples effets secondaires (tumeurs mammaires, hyperplasie glandulo-kystique de l’utérus, pyomètre, diabète, polyuro-polydipsie, etc.) de ces molécules. Le risque d’induire un pyomètre est majeur en cas de galactorrhée secondaire à un hyperœstrogénisme.

L’ovariectomie est déconseillée pendant un épisode de galactorrhée car il existe un risque de supprimer complètement la sécrétion de progestérone et d’aggraver la pseudo-gestation. Cependant, une fois les signes cliniques contrôlés, il est recommandé de pratiquer une stérilisation pendant la période d’anœstrus pour prévenir les récidives.

Conclusion

Une administration inappropriée des “antilaiteux” ou une persistance de la sécrétion de prolactine due à une stimulation de la lactogenèse sont les causes les plus fréquentes d’un échec du traitement. Cependant, une lactation réfractaire peut aussi être un signe d’appel d’une maladie endocrinienne telle que l’hypothyroïdie ou l’hyperœstrogénisme. Dans ce cas, des examens complémentaires sont à réaliser.

La supplémentation avec des extraits thyroïdiens reste une aide en cas de lactation réfractaire aux antilaiteux d’origine inconnue.

Références

  • 1. Arbeiter K, Brass W, Ballabio R et coll. Treatment of pseudo-pregnancy in the bitch with cabergoline, an ergot dérivative. J. Small Anim. Pract. 1988;29:781-788.
  • 2. Else RW, Hannant D. Some epidemiological aspects of mammary neoplasia in the bitch. Vet. Rec. 1979;104(14):296-304.
  • 3. Gobello C, de la Sota RL, Goya R. A review of canine pseudo-cyesis. Reprod. Dom. Anim. 2001;36(6):283-288.
  • 4. Gobello C, Castex G, Broglia G et coll. Coat colour changes associated with cabergoline administration in bitches. J. Small Anim. Pract. 2003;44(8):352-354.
  • 5. Grünau B, Nolte I, Hoppen HO. The treatment of pseudo-pregnancy in the bitch with prolactin inhibitors metergoline and bromocriptine. Tierarztl. Prax. 1996;24(2):149-155.
  • 6. Harvey MJA, Cauvin A, Dale M et coll. Effect and mechanisms of the anti-prolactin drug cabergoline on pseudo-pregnancy in the bitch. J. Small Anim. Pract.1997;38(8):336-339.
  • 7. Hermo G, Gerez PG, Dragonetti AM et coll. Effect of short-term restricted food intake on canine pseudo-pregnancy. Reprod. Dom. Anim. 2009;44(4):631-633.
  • 8. Jöchle W, Heim U, Heim G. Pseudo-pregnancy in the bitch and its treatment with cabergoline. Kleintierpraxis. 1994;39:561-566.
  • 9. Johnston SD, Root Kustritz MV, Olson PNS. The canine estrus cycle. In: Johnston SD, Root Kustritz MV, Olson PNS. Canine and feline theriogenology. 1sted. Ed. WB Saunders, Philadelphia. 2001:16-31.
  • 10. Johnston SD, Root Kustritz MV, Olson PNS. Disorders of the mammary gland of the bitch. In: Johnston SD, Root Kustritz MV, Olson PNS. Canine and feline theriogenology. 1sted. Ed. WB Saunders,Philadelphia. 2001:243-256.
  • 11. Lee WM, Kooistra HS, Mol JA et coll. Ovariectomy during the luteal phase influences secretion of prolactin, growth hormone, and insulin-like growth factor-I in the bitch. Theriogenol. 2006;66(2):484-490.
  • 12. Queiroga FL, Pérez-Alenza MD, Silvan G et coll. Role of steroid hormones and prolactin in canine mammary cancer. J. Steroid Biochem. Mol. Biol. 2005;94(1-3):181-187.
  • 13. Tsutsui T, Kirihara N, Hori T et coll. Plasma progesterone and prolactin concentrations in overtly pseudo-pregnant bitches: a clinical study. Theriogenol. 2007;67(5):1032-1038.
  • 14. Verstegen J, Onclin K. Prolattina, antiprolattinici e funzione riproduttiva dei carnivori domestici. Rivista di Zootecnica e Veterinaria. 1995;23(2):3-18.

Conflit d’intérêts

Aucun.

Points forts

→ La lactation de pseudo-gestation pourrait prédisposer au développement de tumeurs mammaires et être responsable d’un comportement agressif chez la chienne.

→ La progestérone est la principale hormone responsable du rétrocontrôle négatif de la prolactine.

→ Un trouble ovarien est à exclure dans la démarche diagnostique des lactations réfractaires aux antiprolactiniques.

→ L’ovariectomie est à proscrire pendant la seconde partie de la phase lutéale.

→ Les extraits thyroïdiens sont indiqués dans les cas réfractaires, même si l’animal ne présente pas de signes d’hypothyroïdie.

Retrouvez toute l’actualité vétérinaire
dans notre application