La sarcosporidiose bovine commence à faire parler d’elle - Le Point Vétérinaire n° 306 du 01/06/2010
Le Point Vétérinaire n° 306 du 01/06/2010

MALADIES DES BOVINS

Infos

FOCUS

Auteur(s) : Lionel Zenner

Fonctions : VetAgro Sup, Campus vétérinaire de Lyon
Parasitologie et maladies parasitaires
1, av. Bourgelat
69280 Marcy-L’ÉtoileCNRS UMR 5558
Laboratoire de biométrie et biologie évolutive
43, bd du 11-Novembre-1918
69622 VilleurbanneUniversité de Lyon

Des enquêtes épidémiologiques permettraient de mieux appréhender la prévalence de la sarcosporidiose bovine, peu connue et dont les conséquences sont des saisies à l’abattoir.

Sur le terrain, les cas de sarcosporidiose bovine, le plus souvent identifiés par des saisies à l’abattoir, restent rares mais présents et peuvent conduire à des saisies totales des carcasses. Cela suscite beaucoup d’interrogations de la part des éleveurs et des vétérinaires, qui veulent comprendre pourquoi les animaux sont atteints et comment prévenir la maladie.

L’agent pathogène est un protozoaire Apicomplexa du genre Sarcocystis (coccidie extra-intestinale de la famille des Sarcocystidés). Trois espèces peuvent contaminer les bovins : Sarcocystis bovicanis (ou S. cruzi), S. bovifelis (ou S. hirsuta) et S. bovihominis (ou S. hominis). Le cycle parasitaire est un cycle dixène obligatoire, dont les hôtes intermédiaires sont les bovins et les hôtes définitifs, respectivement le chien, le chat et l’homme (figure et encadré).

Une maladie bovine souvent inapparente

Cette affection est le plus souvent totalement inapparente tant qu’aucune saisie à l’abattoir ne s’est produite. En effet, les formes cliniques sont rares et ne se manifestent qu’après une infestation massive de l’animal. La plupart des descriptions cliniques proviennent d’infestations expérimentales, même si quelques cas ont été décrits. Classiquement, il existe deux formes de cette maladie : aiguë et chronique. La première est liée aux tachyzoïtes de seconde génération et aux bradyzoïtes qui commencent à se développer dans les kystes musculaires. Elle se traduit, 20 à 30 jours après l’infection, par un syndrome fébrile intermittent (41 °C), avec une anorexie, une anémie, un amaigrissement et une baisse de production. D’autres symptômes moins habituels peuvent survenir, ainsi que des formes abortives chez les vaches gestantes. La chronicité est liée à la multiplication des bradyzoïtes dans les fibres musculaires, et apparaît entre le troisième et le quatrième mois après l’infection. Tous les muscles peuvent être touchés, même si des localisations électives sont observées, comme le myocarde, la langue, le diaphragme ou l’œsophage. Les symptômes sont principalement des douleurs musculaires et des troubles fonctionnels (difficultés locomotrices, gêne à la préhension et à la mastication des aliments, etc).

Le diagnostic clinique est très difficile à établir et la sarcosporidiose n’est jamais évoquée en première intention. Une suspicion de forme aiguë peut être émise devant un syndrome fébrile avec une anémie et un amaigrissement, éventuellement associé à des signes nerveux, le contexte épidémiologique renforçant parfois cette hypothèse. La forme chronique est encore moins évidente et peut être évoquée lors de myosite avec des difficultés à la préhension et à la mastication. Les outils permettant un diagnostic expérimental restent peu disponibles actuellement. Des sérologies et des analyses par polymerase chain reaction (PCR) spécifiques ont été réalisées, mais, pour l’heure, ces techniques relèvent plus de la recherche que du diagnostic de routine. Par conséquent, la forme chronique est le plus souvent diagnostiquée post-mortem par la mise en évidence des parasites dans les muscles lors d’une biopsie et d’un examen histologique.

Des moyens de lutte et de prophylaxie limités

Les moyens de lutte sont presque inexistants. Seule la forme aiguë est susceptible d’être traitée, si elle est diagnostiquée à temps, à l’aide d’anticoccidiens tels que l’amprolium, l’halofuginone, le toltrazuril ou les sulfamides. Les sporocystes de Sarcocystis étant très résistants dans le milieu extérieur où ils peuvent survivre plusieurs mois, la prophylaxie sanitaire reste utopique et consiste à limiter la contamination des bovins par les fèces de carnivores ou d’hommes infestés.

Le dépistage à l’abattoir repose sur la mise en évidence de kystes musculaires microscopiques, qui ne deviennent visibles que s’ils sont coalescents ou altérés par une dégénérescence caséo-calcaire. En pratique, les kystes sont rarement visualisés et seule la myosite éosinophilique est diagnostiquée, en sachant que la relation entre cette dernière et la sarcosporidiose a été montrée par plusieurs auteurs. La conduite actuellement tenue est la saisie des parties atteintes en cas de myosite éosinophilique. Le diagnostic spécifique n’est pas réalisé car la distinction entre les espèces est impossible par les seuls critères morphologiques et nécessite le recours à la biologie moléculaire.

Des données épidémiologiques à étayer

La sarcosporidiose clinique est rare et les porteurs asymptomatiques prédominent. De plus, aucun traitement ni aucune prophylaxie ne sont actuellement envisageables en pratique. D’après les quelques chiffres dont nous disposons, le portage semble très répandu dans tous les pays et des dépistages à l’abattoir font état d’une atteinte qui peut concerner 100 % des animaux. Les données françaises publiées sont encore plus réduites. Une enquête menée en région parisienne a montré un taux d’infestation de 90,4 % sur 198 ? carcasses de bovins adultes, avec la présence de S. bovihominis chez 42 % des animaux infestés. Selon une étude sur 37 bovins datant de 2005, l’espèce majoritairement retrouvée est S. bovicanis. Enfin, plus récemment, la recherche par PCR du parasite sur des morceaux de viande bovine en Belgique a mis en évidence une présence très importante de S. bovihominis.

Ainsi, les données épidémiologiques manquent sur cette infection, qui pourtant est susceptible d’infester l’homme et qui est à l’origine de saisies à l’abattoir. Puisque, maintenant, les outils épidémiologiques existent, il serait intéressant d’effectuer des enquêtes pour mieux appréhender la prévalence de la maladie dans les troupeaux, mais aussi celle de l’espèce capable d’infecter l’homme.

Encadré : Un cycle dixène obligatoire

• La phase exogène du cycle de Sarcocystis commence par l’émission de sporocystes en très grand nombre dans les matières fécales de l’hôte définitif. Les matières fécales sont alors immédiatement infectantes et les bovins s’infectent en ingérant les sporocystes présents sur le sol. Les sporozoïtes libérés dans la lumière intestinale sont à l’origine d’une première phase de multiplication rapide qui correspond à leur pénétration dans les cellules endothéliales vasculaires, puis à leur multiplication. Ils deviennent des tachyzoïtes et forment un pseudokyste. La rupture des cellules infectées libère ces tachyzoïtes qui envahissent de nouvelles cellules. Ce processus se déroule deux fois en 5 à 6 semaines et correspond à la phase du cycle où les bovins peuvent éventuellement présenter des signes cliniques. Une troisième multiplication, moins active, se déroule ensuite dans les monocytes pendant 15 jours. Les monocytes infectés véhiculent alors les parasites jusqu’aux fibres musculaires où a lieu la phase de multiplication lente. Au sein d’une vacuole parasitophore de la cellule musculaire, les tachyzoïtes se transforment en bradyzoïtes, formes à multiplication lente. Les cellules parasitées deviennent alors des kystes, encore appelés “tubes de Miescher”, qui sont la source d’infection pour l’hôte définitif, après leur ingestion (photos 1 et 2). Infectants dès le troisième mois qui suit la contamination, ils restent viables pendant plusieurs mois, voire plusieurs années.

• L’hôte définitif s’infecte donc par ingestion de ces kystes musculaires, qui libèrent les bradyzoïtes dans l’intestin grêle. Ces derniers pénètrent dans les cellules de la lamina propria. À l’inverse des autres coccidioses, il n’existe pas de multiplication asexuée (schizogonie), mais directement une gamétogonie, suivie d’une fécondation. Les oocystes formés évoluent in situ et leur sporulation donne naissance à deux sporocystes renfermant chacun quatre sporozoïtes. Ces sporocystes sont directement libérés dans la lumière intestinale et rejetés dans les matières fécales.

• La période prépatente est d’environ 7 à 18 jours selon les espèces.

EN SAVOIR PLUS

1 – Mary N. La sarcosporidiose bovine : rôle des lésions de myosite éosinophilique et espèces impliquées. Thèse Méd. Vét. ENVN. 2005.

2 – Moré G, Bacigalupe D, Basso W et coll. Frequency of horizontal and vertical transmission for Sarcocystis cruzi and Neospora caninum in dairy cattle. Vet. Parasitol. 2009;160:51-54.

3 – Vangeel L, Houf K, Chiers K et coll. Molecular-based identification of Sarcocystis hominis in Belgian minced beef. J. Food Prot. 2007;70:1523-1526.

4 – Zenner L, Callait-Cardinal MP, Chauve C. La sarcosporidiose bovine. Bull. GTV. 2005;32:27-32.

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