Présentation d’un programme de contrôle des mammites - Le Point Vétérinaire n° 305 du 01/05/2010
Le Point Vétérinaire n° 305 du 01/05/2010

Gestion sanitaire des mammites

Pratique

ESSAI CLINIQUE

Auteur(s) : Alfonso Zecconi

Fonctions : Università degli Studi di Milano, DIPAV
Via Celoria 10
20133 Milan, Italie

Le programme Gesan appliqué en Italie depuis 2000 a permis d’établir un modèle épidémiologique des infections intramammaires et de les réduire afin d’améliorer la qualité du lait.

En 1958, Whittlestone écrivait : « Dans cette phase d’élevage de vaches laitières, deux choses sont importantes : renforcer l’efficacité de la production, afin d’en réduire les coûts, et améliorer la qualité du lait. Des produits de haute gamme ne peuvent être obtenus avec du lait de mauvaise qualité et, dans un monde hautement compétitif, l’objectif est d’obtenir la plus grande qualité au prix le plus bas [2]. »

Cinquante ans plus tard, ces affirmations sont encore valables. Pour obtenir de tels résultats, un système intégré est nécessaire, qui inclut les divers composants de la filière productive et qui est conçu pour prévenir les difficultés, en identifiant les risques et en proposant de façon opportune des solutions qui les réduisent ou les éliminent. Or, pour atteindre cet objectif, une procédure pratique opérationnelle et rationnelle, gérée par le vétérinaire, manque souvent dans beaucoup d’exploitations. Elle doit réunir les techniques d’élevage les plus appropriées aux systèmes de gestion et de vérification de l’état sanitaire et de bien-être des animaux, afin d’alerter l’éleveur de l’apparition de risques sanitaires et productifs, et de proposer les interventions les plus utiles et les plus efficaces.

Projet Gesan

1. Méthode et objectifs

De tels principes nous ont amenés à développer un programme de gestion sanitaire nommé “Gesan” [1, 4, 8, 9]. Appliqué depuis l’année 2000 à de nombreux élevages italiens, celui-ci réunit la collection de données sur la conduite du troupeau par l’intermédiaire d’un questionnaire et des analyses bactériologiques de routine sur des échantillons de lait de quartier (figure 1). Ainsi, il se fonde sur quelques principes importants :

– la récolte d’informations sur la gestion de l’élevage de manière objective ;

– le diagnostic correct et ponctuel des infections mammaires ;

– l’application de protocoles thérapeutiques rationnels et économiquement réalisables ;

– l’évaluation périodique de l’état de santé des animaux.

Lorsque les agents pathogènes contagieux sont identifiés, les vaches infectées sont isolées et traitées. Les traitements sont adaptés à chacun des élevages, en fonction de la sensibilité des souches bactériennes en cause et de l’épidémiologie des infections. Lorsque l’environnement est impliqué, l’objectif est la réduction des facteurs de risque et du nombre de cas cliniques.

Les deux objectifs principaux du programme sont :

• l’éradication des infections dues à des agents pathogènes contagieux. Notre travail s’est concentré sur l’élimination des infections mammaires à Staphylococcus aureus, la prévalence des autres bactéries (Str. agalactiæ et Mycoplasma) étant très faible en Italie (figure 2) [3, 5, 8]. Pour S. aureus, le principe général est de conseiller le traitement si l’animal a un seul quartier infecté, en est à sa première ou deuxième lactation, en est à moins de 60 jours de lactation, et/ou possède une grande valeur génétique. Dans les autres cas, l’intérêt de traiter l’animal est évalué attentivement ;

• la réduction des mammites cliniques à un taux inférieur à 2 % par mois, en fondant le programme sur les points suivants :

– un recueil d’informations sur la gestion de l’élevage de manière objective ;

– un recueil des données de chacun des cas cliniques sur une fiche anamnestique ;

– une recherche diagnostique à travers le prélèvement de lait du quartier clinique avant l’application du traitement ;

– une mise au point du traitement sur la base des résultats des examens diagnostiques précédents ;

– une enquête épidémiologique fondée sur toutes les données précédentes, afin d’évaluer les points critiques et de prévenir l’apparition de nouveaux cas.

2. Résultats

Depuis le début du programme, plus de 100 élevages ont été contrôlés, surtout en Lombardie, région d’Italie où la production laitière est la plus importante. Les données analysées concernent environ 158 000 échantillons de lait de quartier, prélevés dans les élevages suivant le programme de contrôle et examinés en laboratoire entre 2002 et 2009.

Les résultats de ces investigations, résumés à l’European Buiatric Forum de Marseille en décembre dernier, montrent que la prévalence des agents pathogènes contagieux a diminué de 5,1 % à moins de 1 %, et qu’en 2009 celle de quartiers sains a été supérieure à 80 % [6]. La prévalence des mammites subcliniques est passée de plus de 25 % en 2001 à 13 % en 2002 à 2009. Le taux de cellules somatiques a beaucoup baissé, même dans les quartiers négatifs. Il est passé d’environ 100 000/ml au début du programme à des valeurs proches de 10 000/ml en 2008. Ainsi, dans la grande majorité des troupeaux, le programme a permis une réduction de la fréquence des infections intramammaires, et des mammites cliniques et subcliniques. Dans plus de 85 % des élevages comportant une infection par S. aureus et/ou Str. agalactiæ, les bactéries ont été éradiquées, avec une augmentation significative de la quantité et de la qualité du lait.

Discussion

Ces résultats permettent aussi quelques observations intéressantes sur la fréquence des mammites et leur distribution en fonction de l’âge de l’animal et de la saison.

1. Bactéries mises en évidence

L’analyse des données a mis en évidence qu’au moins une bactérie responsable de mammites a été isolée dans environ 21 % des quartiers. 73 % des quartiers se sont révélés bactériologiquement négatifs et 6 % contaminés, c’est-à-dire que plus de trois espèces bactériennes en ont été isolées. La distribution des bactéries dans les 33 000 (21 %) quartiers positifs a été analysée (figure 3). Les staphylocoques coagulase-négatifs (SCN) constituent la majorité des bactéries isolées (40 %). Parmi les agents pathogènes majeurs, les streptocoques d’environnement, comme Str. uberis, sont les plus fréquents (30 %), alors que les bactéries contagieuses (S. aureus et Str. agalactiæ) représentent 14 % du total, taux inférieur de moitié à ceux obtenus dans les enquêtes précédentes [7]. Enfin, E. coli et les bactéries à Gram- sont présents dans environ 9 % des quartiers positifs.

2. Évolution de l’infection durant la lactation

Le taux d’infections des divers groupes de bactéries est relativement constant durant la lactation, seuls les staphylocoques tendant à augmenter (figure 4). Toutefois, ces résultats changent lorsque l’évolution des agents infectieux est considérée en fonction de l’âge de l’animal (figure 5). Les vaches primipares sont positives aux streptocoques d’ambiance pour 3 à 4 % d’entre elles jusqu’à 300 jours de lactation (JdL), seuil à partir duquel une augmentation marquée de ce taux est observée. En revanche, pour les vaches en deuxième lactation, les valeurs initialement proches de 5 % augmentent jusqu’à plus de 7 % à 210 JdL, pour diminuer ensuite à un taux inférieur aux données du début. Enfin, chez les multipares, une hausse importante du taux d’infections est observée jusqu’à 120 JdL, suivie d’une réduction progressive jusqu’à 240 JdL, puis d’une recrudescence jusqu’à 300 jours et d’une nouvelle diminution sur la fin. De plus, dans le premier mois de lactation, les niveaux d’infections chez les primipares et les multipares sont bas et relativement similaires. Cela démontre l’efficacité élevée du traitement antibiotique par voie intramammaire durant le tarissement (lequel est effectué dans tous les élevages considérés). Une gestion rationnelle de l’hygiène des primipares, et une mise au tarissement scrupuleuse (aussi bien dans le temps que pour les modalités) apparaissent d’autant plus requises qu’une aggravation de leurs conditions sanitaires va se répercuter sur les lactations suivantes.

3. Mammites cliniques

L’évaluation de l’évolution des mammites cliniques confirme que leur fréquence est la plus élevée dans les premiers 90 JdL (10 à 14 % des cas), puis diminue progressivement jusqu’à 330 JdL (3 %), après quoi elle s’accroît de nouveau brutalement jusqu’à 10 % (figure 6). La recherche de l’origine des mammites cliniques a révélé que près de 50 % d’entre elles sont dues à des bactéries de l’environnement (streptocoques et à Gram-), alors que les bactéries contagieuses et les SCN sont en cause respectivement dans 6 et 8 % des cas (figure 7).

4. Rôle du climat

Souvent le climat, plus précisément la chaleur estivale, semble à l’origine d’une augmentation générale du taux cellulaire du lait. L’étude de l’évolution du statut sanitaire des bovins au cours des mois montre que la fréquence des mammites subcliniques apparaît presque constante toute l’année, avec des valeurs voisines de 15 % (figure 8). En revanche, des pics estivaux sont observés pour les infections latentes (infections mammaires sans augmentation cellulaire) et les mammites cliniques. L’augmentation des formes latentes précède celle des formes cliniques. Cela indique que l’accroissement progressif du nombre de quartiers contenant des agents pathogènes permet le développement de formes cliniques plus graves.

L’observation de l’influence du climat sur le taux cellulaire du lait est aussi intéressante (figure 9). Un taux constant est remarqué pour les quartiers négatifs, à une valeur voisine de 4,2, ce qui correspond à un taux cellulaire de 16 000 cellules/ml, et également pour les quartiers infectés par le SCN, à des valeurs proches de 4,7 (50 000 cellules/ml). En revanche, les résultats mensuels sont différents en présence d’autres bactéries. Deux pics sont observables en mars et en août pour les streptocoques d’environnement, jusqu’à des valeurs de 5,2 environ (160 000 cellules/ml). Les bactéries à Gram- présentent un pic en août, puis une recrudescence en novembre. Les quartiers infectés de bactéries contagieuses montrent les niveaux les plus élevés en moyenne, avec deux pics en mars et en octobre, respectivement de 160 000 et de 250 000 cellules/ml.

D’après ces données, l’augmentation du taux cellulaire observée durant les mois d’été dans de nombreux élevages n’est pas généralisée, mais concerne spécifiquement les bovins infectés, affaiblis par le climat. Leur nombre de cellules est plus élevé en réponse à l’action des agents pathogènes. Les pics estivaux sont confirmés par l’étude de l’évolution des cellules somatiques dans les quartiers atteints par les streptocoques d’environnement selon l’âge (figure 10). Si l’évolution générale est similaire, les niveaux d’infections s’accroissent avec l’âge. Toutefois, ils sont équivalents au mois d’août, pour les trois catégories d’âge. Cela confirme que les vaches primipares sont plus sensibles et que la détérioration de leur situation sanitaire peut avoir des conséquences se répercutant sur les lactations suivantes.

La possibilité de connaître les causes de mammite dans le troupeau implique de prendre des décisions fondées sur les données, et d’appliquer les mesures préventives et thérapeutiques les plus appropriées. Les informations récoltées dans un grand groupe d’élevages lombards confirment que la situation des cheptels italiens n’est pas différente de celle qui est observée dans d’autres pays européens. En effet, en comparant les nombres de bovins infectés par des bactéries contagieuses, les contaminations dues à des bactéries d’environnement sont désormais prépondérantes. Cela indique qu’il est nécessaire d’améliorer la gestion hygiénique des litières et de la traite, et important d’adapter les protocoles thérapeutiques, aussi bien en lactation qu’au tarissement, aux caractéristiques des infections observées dans l’élevage.

Combattre la mammite est possible si les causes microbiennes et les facteurs de risque de l’élevage sont connus, car les mesures à mettre en place sont bien établies et les thérapies à disposition sont suffisantes. L’engagement et la constance de l’éleveur sont primordiaux. Ainsi, les résultats économiques du troupeau pourront être augmentés et les difficultés dues aux variations du prix du lait réduites.

Références

  • 1 – Giovannini G, Zecconi A. Field study on epidemiology of clinical mastitis in five italian dairy herds. Milchwissenschaft. 2002;57(1):3-6.
  • 2 – Whittlestone WG. The principles of mechanical milking / by WG. Whittlestone. N.S.W. Milk board by oswald ziegler publications, Sydney. 1958.
  • 3 – Zecconi A. Contagious mastitis control program: the Staphylococcus aureus case. Cattle Pract. 2006;14:67-76.
  • 4 – Zecconi A. Contagious mastitis control. FIL-IDF Bulletin. 2007;416:34-40.
  • 5 – Zecconi A, Calvinho LF, Fox KL. Stapylococcus aureus intramammary infections. IDF Bulletin. 2006;408:42.
  • 6 – Zecconi A, Mazzilli M, Piccinini R. Epidemiological pattern of intramammary infection during a mastitis control program. 1st European Buiatric Forum, Marseille. 2009:87.
  • 7 – Zecconi A, Piccinini R. Intramammary infections: epidemiology and diagnosis. In: XXIInd World Buiatric Congress. Recent developments and perspectives in bovine medicine, Hannover. 2002:346-359.
  • 8 – Zecconi A, Piccinini R, Fox KL. Epidemiologic study of intramammary infections with Staphylococcus aureus during a control program in nine commercial dairy herds. J. Am. Vet. Med. Assoc. 2003;223:684-688.
  • 9 – Zecconi, A, Piccinini R, Fox KL. Epidemiological study of non-contagious intramammary infections in nine commercial dairy herds following a Staphylococcus aureus control programme. J. Vet. Med. B. 2004;51:333-336.
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