Dermatite éosinophilique et œdémateuse chez un chien - Le Point Vétérinaire n° 305 du 01/05/2010
Le Point Vétérinaire n° 305 du 01/05/2010

Dermatologie du chien

Pratique

CAS CLINIQUE

Auteur(s) : Michel Fantinato*, Stéphanie Margaillan**

Fonctions :
*Clinique vétérinaire 425-433, bd Romain-Rolland 13009 Marseille
**Clinique vétérinaire 425-433, bd Romain-Rolland 13009 Marseille

Ce cas clinique analyse les examens qui conduisent au diagnostic de dermatite éosinophilique chez un chien. Les biopsies cutanées ont permis d’établir un diagnostic de certitude.

Un chien husky mâle âgé de 9 ans est présenté en consultation à la suite de l’apparition brutale de lésions cutanées généralisées.

Cas clinique

1. Commémoratifs

Le chien vit en pavillon, dans le sud de la France, et a accès à un jardin durant la journée. Il n’a pas de contact avec d’autres animaux. Il est correctement vacciné, mais les traitements antiparasitaires internes (API) et externes (APE) sont irréguliers. Le dernier traitement APE (fipronil, Frontline R Spot On® Chien) a ainsi été appliqué 3 mois auparavant. Le chien reçoit une alimentation industrielle sèche de gamme senior. Quelques jours précédant l’apparition de la dermatose, il a séjourné en Camargue. Aucun signe de contagion humaine n’est rapporté. Il s’agit du premier épisode de troubles cutanés que présente cet animal.

2. Anamnèse

La dermatose est apparue de manière brutale, en l’espace de 48 heures. Elle s’est manifestée par un prurit intense qui a touché chronologiquement le tronc, les membres puis le cou. Des lésions décrites comme des nodules ont ensuite été notées par les propriétaires sur le corps de l’animal. Plusieurs se sont rapidement ulcérées.

Les maîtres rapportent que la semaine précédant la survenue des signes cutanés a été marquée par des troubles digestifs importants (diarrhée très liquide). Le chien a alors reçu de la diosmectite (Smecta®) à deux reprises, sans prescription médicale.

Depuis ces troubles digestifs, auxquels a succédé cette dermatose aiguë, le chien ne mange presque plus.

3. Examen général

Le chien présente un mauvais état corporel. Il a perdu 5 kg en l’espace de 10 jours (il pèse 23 kg lors de la consultation pour un poids de forme de 28 kg) et paraît amaigri. Une déshydratation évaluée à 2 % (persistance du pli de peau) et une hyperthermie (39,7 °C) sont notées. L’auscultation cardio-respiratoire et la palpation abdominale sont normales. Une adénomégalie préscapulaire et poplitée est notée. Actuellement, le chien ne présente plus aucun trouble digestif.

4. Examen dermatologique

Les lésions cutanées sont douloureuses et le chien se laisse difficilement examiner.

Leur répartition concerne essentiellement le thorax, la ligne du dos, les cuisses, les épaules, le cou et la face. L’abdomen et les extrémités sont épargnés. Deux types de lésions sont principalement distinguées (photos 1 et 2) :

– des lésions de grande taille (2 cm de diamètre), nummulaires, apparaissant sous la forme de plaques à bords érythémateux à hémorragiques, et dont le centre est fortement ulcéré et suintant (ulcère térébrant) ;

– des lésions de petite taille (5 mm de diamètre) correspondant à des furoncles.

Un prurit intense est associé, présent aussi bien le jour que la nuit, et responsable de l’ulcération de la plupart des lésions.

5. Hypothèses diagnostiques

En raison du tableau clinique, les principales hypothèses diagnostiques envisagées sont (tableau) :

– une furonculose d’origine bactérienne, parasitaire (pyodémodécie, straelensiose) ou fongique (kérions rencontrés lors de dermatophytose) ;

– une toxidermie au sens large ;

– un lymphome cutané, un mastocytome multicentrique ;

– une furonculose éosinophilique ou une dermatite éosinophilique œdémateuse ;

– une leishmaniose ;

– une panniculite nodulaire.

6. Examens complémentaires

Afin de confirmer ou d’infirmer l’une ou l’autre de ces hypothèses, les examens complémentaires suivants sont réalisés sous anesthésie (kétamine, Imalgène 1000®, et médétomidine, Domitor®) :

– des raclages cutanés au centre et en périphérie des lésions. Aucun parasite n’est mis en évidence ;

– un examen cytologique de calques cutanés (x 100) réalisés à la surface des lésions ulcérées, qui révèle une majorité de polynucléaires éosinophiles sur une trame de fond acidophile en flammèche. Quelques polynucléaires neutrophiles et de rares bactéries (coques) sont également visibles.

– une biochimie et une numération et une formule sanguines dont les résultats sont dans les normes ;

– une sérologie leishmaniose, qui s’avère négative (test réalisé par immunofluorescence indirecte) ;

– des biopsies cutanées en vue d’une analyse histologique de lésions avancées, à la jonction entre les zones cutanée érythémateuse et ulcérée, et de lésions au stade de furoncles, prélevées en totalité.

7. Traitement

Au vu des analyses réalisées au cours de la consultation et dans l’attente des résultats histologiques, l’hypothèse d’une dermatose à composante éosinophilique restant privilégiée, un traitement anti-inflammatoire à base de prednisolone (Oromedrol®, 10 mg matin et soir) et antibiotique à base de céfalexine (Therios®, 300 mg matin et soir) est prescrit pendant 1 semaine. Les lésions cutanées sont désinfectées 2 fois par jour avec une solution de povidone iodée (Vétédine®) diluée au 10e.

8. Suivi

Le chien est revu 3 jours plus tard car le prurit s’accentue malgré la corticothérapie mise en place. La dose de prednisolone est alors augmentée à 2 mg/kg en 2 prises quotidiennes (20 mg matin et soir) jusqu’à réception des résultats histologiques.

L’analyse histologique des biopsies cutanées révèle des lésions mal délimitées, discrètement surélevées, et souvent développées sous un épiderme localement ulcéré. Des collections de cellules inflammatoires, supportées par un derme ou un tissu sous-cutané mucineux ou œdémateux, sont notées (photo 3). L’infiltrat est constitué d’une majorité de polynucléaires éosinophiles, mêlés à de plus rares polynucléaires neutrophiles et lymphocytes. Les polynucléaires éosinophiles s’accumulent localement en petits nids autour de fibres de collagène dégradées et forment des figures dites de “flammes” (photo 4). Cet infiltrat réalise souvent des manchons périvasculaires autour de sections capillaires, dont les parois sont parfois infiltrées par des polynucléaires éosinophiles et quelques neutrophiles.

De rares images de folliculite neutrophilique en superficie des prélèvements sont également présentes. Aucun élément pathogène figuré (bactérien ou fongique notamment) n’est observé.

Cet aspect histologique correspond à une dermatite éosinophilique mucineuse et œdémateuse périvasculaire à diffuse, d’intensité marquée à sévère, avec une dégradation du collagène et une folliculite neutrophilique superficielle. Les lésions élémentaires observées évoquent celles de la dermatite éosinophilique et œdémateuse décrite chez le chien.

Le traitement est donc maintenu et un contrôle clinique effectué 10 jours après la visite initiale. Le chien présente un meilleur état général, mange normalement et a repris 2 kg (25 kg). Aucune nouvelle lésion n’est apparue et les lésions préexistantes ont nettement régressé (photo 5). L’érythème périlésionnel a disparu et la zone centrale ulcérée apparaît, selon le cas, sèche ou recouverte d’une croûte épaisse. Les zones biopsées présentent un léger retard de cicatrisation, sans doute en raison du traitement corticoïde administré à l’animal.

Les doses de prednisolone sont diminuées à 1 mg/kg en 2 prises quotidiennes pendant 5 jours, puis 0,5 mg/kg en 1 prise pendant 5 jours. L’antibiothérapie et les soins locaux sont maintenus à l’identique pendant 10 jours.

Un nouveau contrôle est effectué 1 mois après le début du traitement. Le chien a recouvré son poids de forme (28 kg) et la cicatrisation des lésions est complète (photo 6).

Discussion

Les troubles cutanés éosinophiliques sont fréquemment décrits chez le chat, espèce chez laquelle ils se traduisent principalement sous deux formes cliniques : la dermatite miliaire féline et les lésions regroupées dans le “complexe granulome éosinophilique félin” (plaque et granulome éosinophiliques et ulcère indolent) [5].

Chez le chien, en revanche, les troubles cutanés éosinophiliques sont plus rares. Différentes entités sont décrites, parmi lesquelles :

– la folliculite et la furonculose éosinophilique ;

– le granulome éosinophilique ;

– la dermatite éosinophilique et œdémateuse. Celle-ci présente des similitudes avec une dermatose touchant l’homme, connue sous le nom de Well’s syndrome (cellulite éosinophilique), et est également appelée “syndrome canin Well’s like” (SCW). Le cas présenté ici correspond le mieux à cette dernière entité.

1. Étiologie

L’étiologie précise du SCW n’est pas encore connue. De nombreuses causes ont été avancées, parmi lesquelles les piqûres ou morsures d’arthropodes sur des chiens pouvant présenter un terrain d’hypersensibilité. L’apparition aiguë des lésions cutanées et leur régression rapide grâce à un traitement corticoïde appuient cette hypothèse [1, 2, 4]. Le milieu de vie de l’animal ou la saison propice à ce type de piqûres ou de morsures d’arthropodes sont aussi des éléments en faveur de cette hypothèse, comme dans le cas décrit ici (séjour en Camargue durant l’automne peu de temps avant l’apparition de la dermatose).

Une réaction d’hypersensibilité déclenchée par la prise de certains médicaments est suspectée dans la survenue des lésions du SCW, à l’image de ce qui est décrit chez l’homme [6]. Ainsi, l’administration d’antibiotiques per os (β-lactamines, métronidazole), d’H1-bloquants ou de gastroprotecteurs pourrait être incriminée [4]. Cette relation de cause à effet semble ressortir de l’étude de Mauldin et coll., dans laquelle plus de 50 % des chiens atteints de SCW l’ont été peu de temps après leur hospitalisation et leur traitement pour des troubles digestifs sévères.

Un autre cas de SCW a été décrit à la suite de l’administration de diéthylcarbamazine (traitement préventif de la dirofilariose) [8].

La fréquence des troubles digestifs précédant les lésions cutanées laisse à penser que des réactions d’hypersensibilité à des parasites intestinaux pourraient également être en cause, comme c’est le cas chez l’homme lors de toxocariose ou d’ascaridiose [3]. Dans notre cas, les troubles digestifs ont précédé l’atteinte cutanée d’une semaine environ et l’animal n’était pas régulièrement vermifugé.

2. Épidémiologie

Aucune prédisposition d’âge, de sexe ni de race ne se dégage pour le SCW, même si les animaux touchés présentent une moyenne d’âge située entre 4 et 6 ans [1, 4].

Certains auteurs ont avancé une prédisposition génétique aux dermatoses éosinophiliques chez le siberian husky et le cavalier king Charles [7].

3. Clinique

Le SCW a été l’objet de deux principales études cliniques rétrospectives, regroupant au total 38 cas [2, 4]. La distribution des lésions concerne préférentiellement la face ventrale de l’abdomen, le thorax et les membres. La dermatose prend la forme de papules et de macules érythémateuses à hémorragiques, présentant parfois un aspect dit “en cible”, avec une pâleur centrale, et évolue en plaques érythémateuses. Le prurit n’est pas systématique et les lésions peuvent être douloureuses. L’ulcération des plaques est rarement décrite chez le chien, ce qui fait la particularité de ce cas. La présentation clinique tendrait à se rapprocher ici de ce qui est observé dans le Well’s syndrome, pour lequel ce type d’évolution est plus fréquent [9]. Le SCW s’accompagne souvent de signes généraux : fièvre, adénomégalies régionales, œdème facial, voire généralisé [2, 4]. Il est également associé dans plus de 50 % des cas à des signes digestifs sévères apparus avant ou en même temps que la dermatose [2].

4. Diagnostic

La suspicion diagnostique de SCW se fonde sur l’anamnèse (le mode de vie, l’environnement et la saison pouvant favoriser les piqûres et les morsures d’arthropodes), les commémoratifs (apparition brutale de la dermatose, fréquemment précédée de troubles digestifs) et les signes cutanés et/ou généraux décrits ci-dessus.

L’examen cytologique des lésions met généralement en évidence une majorité de polynucléaires éosinophiliques, parfois quelques neutrophiles lors de surinfections bactériennes. Les examens sanguins biochimiques sont la plupart du temps normaux. L’anomalie la plus fréquemment rapportée reste l’hypoalbuminémie, faisant suite aux troubles digestifs parfois sévères précédant la dermatose [2,4].

La numération et la formule sanguines peuvent indiquer une légère neutrophilie et/ou une éosinophilie périphérique [4].

Le diagnostic de certitude est apporté par l’examen histologique des lésions cutanées. Les biopsies sont réalisées de préférence sur des lésions intactes ou à la périphérie des lésions les plus avancées. Une infiltration superficielle à profonde du derme par des éosinophiles est notée, celle-ci pouvant être interstitielle ou périvasculaire. Le derme est fortement œdémateux et peut être le siège d’hémorragies [1, 2, 4].

5. Traitement

Dans la majorité des cas de SCW, les lésions répondent bien et rapidement au traitement systémique par les corticoïdes [1, 5]. Les doses nécessaires varient de 1 à 2 mg/kg/j et sont associées à une régression clinique dès les premières 36 heures. La rémission des lésions cutanées est observée en 1 à 2 semaines. Il est conseillé de poursuivre le traitement (aux mêmes doses mais avec une administration à jours alternés) 2 semaines après la guérison clinique. Un traitement antibiotique et des soins antiseptiques locaux sont parfois nécessaires lors de surinfection bactérienne. Ces dermatoses récidivent rarement, contrairement aux troubles cutanés éosinophiliques rencontrés chez le chat.

Ces caractéristiques font que les dermatoses éosinophiliques canines ont un excellent pronostic, malgré l’aspect parfois inquiétant des lésions cutanées.

Références

  • 1 – Bloom PB. Canine and feline eosinophilic skin diseases. Vet. Clin. Small Anim. 2006;36:141-160.
  • 2 – Holm KS, Morris DO, Gomez SM et coll. Eosinophilic dermatitis with edema in nine dogs, compared with eosinophilic cellulitis in humans. J. Am. Vet. Med. Assoc. 1999;215(5):649-653.
  • 3 – Huni MA, Gerbig AW, Braathen LR et coll. Toxocariasis and Wells’ syndrome: a causal relationship? Dermatology. 1997;195(4):325-328.
  • 4 – Mauldin EA, Palmeiro BS, Goldschmidt MH et coll. Comparison of clinical history and dermatologic findings in 29 dogs with severe eosinophilic dermatitis: a retrospective analysis. Vet. Dermatol. 2006;17(5):338-347.
  • 5 – Scott DW, Miller WH, Griffin CE. Muller & Kirk’s small animal dermatology. 6th ed. WB Saunders, Philadelphia. 2000:1153-1155.
  • 6 – Seçkin D, Demirhan B. Drugs and Wells’ syndrome: a causal relationship? Int. J. Dermatol. 2001;40:133-152.
  • 7 – Vercelli A, Cornegliani L, Portigliotti L. Eyelid eosinophilic granuloma in a Siberian husky. J. Small Anim. Pract. 2005;46(1):31-33.
  • 8 – Vitale CB, Irke PJ, Gross TL. Putative diethylcarbamazine-induced urticaria with eosinophilic dermatitis in a dog. Vet. Dermatol.1994;5:197-203.
  • 9 – Weiss G, Shemer A, Yitzchak C et coll. Well’s syndrome: report of a case and review of the literature. Int. J. Dermatol. 2001;40(2):148-152.

POINTS FORTS

• Les dermatoses éosinophiliques sont rares chez le chien.

• Le diagnostic de certitude repose sur l’examen histologique des lésions cutanées.

• Un traitement à base de glucocorticoïdes à la dose de 1 à 2 mg/kg permet une rémission des lésions cutanées en 1 à 2 semaines. Les récidives sont peu fréquentes dans l’espèce canine.

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