Maladie virale hémorragique compliquée d’une pasteurellose - Le Point Vétérinaire n° 303 du 01/03/2010
Le Point Vétérinaire n° 303 du 01/03/2010

Maladies infectieuses des lapins fermiers

Pratique

CAS CLINIQUE

Auteur(s) : Samuel Boucher

Fonctions : Labovet Conseil (Réseau Cristal)
BP 539, 22, rue Olivier-de-Serres
85505 Les Herbiers

Une contamination bactérienne complique le tableau de maladie virale hémorragique chez des lapins de race rex et rend le diagnostic plus difficile.

Une lapine d’un petit élevage fermier de lapins de concours est présentée en consultation pour des troubles respiratoires accompagnés d’une épistaxis.

Cas clinique

1. Anamnèse et commémoratifs

Monsieur X, éleveur de lapins de concours en Vendée, possède des lapins rex chinchilla qu’il élève dans des clapiers en ciment disposés au fond de son jardin potager. Il a 10 reproducteurs et une trentaine de jeunes de moins de 2 mois qu’il ne vaccine jamais. La veille de la consultation, il a perdu 2 femelles qu’il n’a pas vues malades. Le jour de la consultation, une femelle présente des troubles respiratoires.

2. Examen clinique

La lapine présente une forte dyspnée et une épistaxis (photo 1). Sa température est de 38 °C, donc inférieure à la normale (39 °C). Des râles respiratoires importants sont audibles à l’auscultation. L’animal semble avoir beaucoup de difficulté à respirer. Il se poste dans un coin de la cage, les pattes avant étirées, la tête souvent en l’air, et paraît souffrir. Un ictère est visible sur la conjonctive (photo 2).

3. Lésions

Une autopsie est réalisée sur les deux lapins morts la veille. L’examen nécropsique révèle un processus hémorragique marqué. Plusieurs lésions sont observées :

– une trachéite muco-hémorragique ;

– des pétéchies sur les poumons (photo 3) ;

– des pétéchies sur le thymus qui est hypertrophié, alors qu’il est généralement peu visible chez l’adulte ;

– la rate et les ganglions sont hypertrophiés et congestionnés (photo 4) ;

– le foie est hypertrophié, friable, et a pris une coloration orangée, feuille morte (photo 5) ;

– les reins sont congestionnés ;

– le sang coagule mal, il prend l’aspect d’une “gelée de groseille” ;

– l’ensemble de la carcasse a une teinte ictérique. L’ictère est bien visible sur l’aorte (photo 6).

Ces lésions sont celles d’une hépatite, et sont compatibles avec une pasteurellose et/ou une maladie virale hémorragique (VHD, viral haemorragic disease). Leur origine reste encore à déterminer.

4. Hypothèses diagnostiques

Devant le tableau clinique d’épistaxis et de troubles respiratoires, plusieurs hypothèses diagnostiques sont évoquées :

– un processus tumoral pourrait être à l’origine de l’épistaxis, mais cela est peu vraisemblable. Une telle affection est sporadique et n’est pas cohérente avec l’aspect enzootique des troubles constatés ;

– un “coup de chaleur”, ou choc thermique, s’accompagne souvent d’une épistaxis. La mortalité de ces lapins a été constatée en automne et la température extérieure à hauteur des clapiers n’a pas dépassé 20 °C, respectant la plage de neutralité thermique du lapin (16 à 24 °C). De plus, la lapine est en hypothermie. Cette hypothèse est donc rejetée ;

– une pasteurellose aiguë (à Pasteurella multocida) pourrait être à l’origine des troubles respiratoires et de l’épistaxis. Cette maladie est donc à envisager ;

– le calicivirus RHVD (rabbit haemorrhagic viral disease) de la VHD peut expliquer les morts subites et l’épistaxis. Cette hypothèse est la plus vraisemblable en raison du caractère foudroyant de l’évolution et de la présence d’un ictère flamboyant qui n’est jamais aussi intense lors de pasteurellose.

5. Examens complémentaires

• Un écouvillonnage nasal est effectué chez le lapin vivant malade. Les sécrétions recueillies sont mises en culture afin de rechercher Pasteurella multocida. Si le résultat est positif, l’ornitine décarboxylase est recherchée. En effet, les pasteurelles possédant cette enzyme, dites ODC+, sont pathogènes. Dans le cas décrit, le résultat est positif ; il confirme donc la présence d’une pasteurelle ODC+, pathogène, dont le laboratoire établit l’antibiogramme (tableau 1).

• La recherche du virus de la VHD est réalisée sur les foies congelés. Un test Elisa (enzyme-linked immunosorbent assay) sandwich antigénique est mis en œuvre. Le résultat, arrivé 2 jours plus tard, est positif. Signalons que le virus peut aussi être recherché par une technique de RT-PCR (reverse transcriptase polymerase chain reaction).

Ainsi, les examens complémentaires confirment que le lapin vivant est porteur de pasteurelles pathogènes, et que les autres sont morts de VHD. Les signes cliniques n’ont pas permis de faire la différence entre les deux maladies (pasteurellose suraiguë et VHD) dont l’expression est assez proche, hormis la durée d’incubation, plus brève pour la VHD. Le recours au laboratoire a donc été indispensable pour mettre en évidence la double étiologie, virale et bactérienne.

6. Traitement

Il n’existe aucun traitement de la VHD. La lapine examinée en consultation est morte le soir même. Nous avons donc axé notre travail sur la prévention à court terme en vaccinant les autres lapins en urgence. Dans le cas présent, le risque de maladie étant important, le protocole vaccinal choisi a été le suivant :

– une primovaccination de tous les individus adultes et des jeunes à partir de 6 semaines ;

– un rappel 1 mois plus tard ;

– un rappel 8 mois après.

Tous les jeunes à naître seront vaccinés à 6 semaines d’âge, avec un rappel 1 mois plus tard.

Parallèlement, un traitement associant triméthoprime et sulfadiméthoxine via l’eau de boisson (Trisulmix®, 1,5 ml/l d’eau pendant 5 jours) est prescrit afin de limiter le développement des pasteurelles.

7. Devenir des animaux

L’éleveur a déploré la mort de 7 lapins la semaine qui a suivi la vaccination. Quatre sont morts au cinquième jour, aucun dans le mois qui a suivi.

Discussion

1. Épidémiologie

La VHD est une hépatite virale qui touche essentiellement des lapins adultes ou préadultes, rarement de jeunes lapereaux. Les cellules hépatiques sont lésées et la physiologie est affectée. La coagulation est très mauvaise. La dégradation des pigments sanguins est perturbée, ce qui explique l’ictère marqué souvent constaté. La VHD est apparue en France pendant l’été 1998. Elle est due à un Calicivirus qui possède, notamment, une protéine de capside majeure nommée VP60, dont le rôle est prépondérant dans l’immunité contre la maladie.

Expérimentalement, il est possible d’inoculer le virus par injection sous-cutanée, intramusculaire ou intrapéritonéale, mais aussi par simple dépôt dans la bouche ou le nez. La maladie se développe 48 heures après cette inoculation. Mais la transmission peut aussi s’effectuer de lapin à lapin. Ainsi, dans une cage où un animal a été contaminé, les premiers symptômes sont observés avec un décalage de 24 heures par rapport au lapin contaminant.

Une excrétion peut avoir lieu 24 heures après la contamination, lors du pic thermique, ce qui est rapide. La transmission orale est également possible. Les fourrages contaminés et les cadavres sont des vecteurs potentiels. Cela expliquerait en partie pourquoi les élevages fermiers sont plus touchés que les autres.

Chez des lapins non vaccinés en région d’épizootie, le taux de mortalité lié à cette hépatite virale est 30 à 90 %. Après une incubation de 2 à 5 jours, le lapin meurt généralement de façon brutale en présentant de multiples micro-hémorragies sur le poumon, le thymus et les reins. La coagulation du sang est très lente et une épistaxis sur les lapins morts est parfois observée.

La pasteurellose est due à Pasteurella multocida. Le lapin peut être porteur sain et développer des symptômes respiratoires, avec une épistaxis dans la forme aiguë, lors d’un stress ou dans de mauvaises conditions d’élevage. Cette maladie est très contagieuse et sa transmission s’effectue essentiellement par contact, même indirect.

2. Intérêts de la vaccination d’urgence

Il n’existe aucun traitement pour la VHD. Expérimentalement, des chercheurs ont testé des thérapeutiques antihémorragiques qui se sont révélées inefficaces. La rapidité de l’évolution de la maladie ne laisse pas le temps de soigner le lapin.

Seule la vaccination d’urgence est possible. En raison d’une période d’incubation de 2 à 5 jours, le virus peut être contré en intervenant rapidement.

Actuellement, les vaccins possèdent une innocuité presque complète. Aucune baisse de fertilité due aux suites vaccinales n’a été mise en évidence ni aucune allergie au vaccin. Les anticorps ne sont décelables qu’une quinzaine de jours après la vaccination des animaux. Toutefois, si un virus pathogène de VHD est inoculé aux lapins dont les anticorps ne sont pas encore détectés, ils ne développent pas la maladie. Il en est de même pour certains lapins en phase de rupture immunitaire, chez lesquels aucun anticorps n’est trouvé, mais pourtant encore protégés. Généralement, une vaccination d’urgence en milieu contaminé permet d’arrêter l’évolution de la maladie en 5 à 7 jours. Dans le cas présenté, aucun lapin n’est mort après 5 jours.

3. Protocoles de vaccination

Dans la majorité des élevages professionnels, la primovaccination a lieu en maternité à 6 ou 10 semaines, puis un rappel est effectué tous les 6 mois. Il est, en effet, difficile de déterminer avec précision le statut immunitaire des femelles reproductrices, car des jeunes femelles non vaccinées entrent régulièrement dans l’élevage (le taux de renouvellement est en moyenne de 120 %). De plus, les lapereaux ne sont pas sensibles à la maladie avant l’âge de 6 à 8 semaines, ce qui permet de les vacciner avec succès.

Quatre vaccins monovalents sont utilisables et possèdent une autorisation de mise sur le marché en France (tableau 2). Ils sont issus de broyats d’organes infectés et inactivés par le formaldéhyde ou la β-propiolactone. Ils sont purifiés et un adjuvant huileux ou de l’hydroxyde d’aluminium y est associé. Leur efficacité est bonne. C’est l’un d’eux que nous avons retenu. Tous les animaux sont vaccinés après l’autopsie, sans attendre les résultats des analyses complémentaires. Il existe aussi des vaccins combinant les valences VHD et myxomatose. Ils sont injectés par voie intradermique avec un appareil spécifique onéreux muni d’une tête qui permet trois sites d’injection simultanée. L’éleveur ne possédant pas ce matériel, l’injection avec une seringue et une aiguille est donc requise. Après la vaccination, la protection dure entre 9 et 12 mois.

Dans le cas présent, nous avons choisi de prendre le maximum de précautions. Nous avons conseillé à l’éleveur de vacciner ses lapereaux précocement (6 semaines) pour prévenir tout risque viral dès le jeune âge. En procédant ainsi, la protection est bonne. Cependant, le lapereau peut être immunisé incomplètement ou l’éleveur, inexpérimenté, injecter le vaccin de façon inadéquate. C’est pourquoi nous recommandons à celui-ci une vaccination de rappel, souvent inutile en élevage de chair, mais intéressante dans le cas de ces lapins de race, d’une valeur certaine, pour lesquels aucun risque de rupture d’immunité ne peut être pris.

4. Mesures préventives complémentaires

La maladie se transmettant souvent par voie orale, il est conseillé de ne pas donner de verdure issue d’un jardin ou de cultures de plein champ pendant 15 jours. Dans le cas présenté, une rapide enquête auprès du voisinage, notamment des chasseurs, nous laisse supposer que des lapins de garenne logeant près du jardin du propriétaire sont morts de cette maladie et ont pu contaminer les végétaux. Les cadavres ont été incinérés. La persistance du virus dans le milieu extérieur est mal connue, mais peut se prolonger dans un élevage au moins 4 mois. La désinfection des cages avec un produit virucide a été conseillée.

Ce cas souligne la difficulté d’établir un diagnostic de certitude en cas de VHD. En effet, la pasteurellose suraiguë induit les mêmes lésions et il est impossible, à leur seule observation, de trancher sur l’étiologie possible de la maladie. Une vaccination d’urgence est donc réalisée systématiquement. Dans le cas décrit, la présence du virus a été confirmée 2 jours après l’autopsie. La découverte de la pasteurelle pathogène nous a amenés à la prendre en compte parallèlement.

POINTS FORTS

• La maladie hémorragique virale (VHD) est une hépatite virale qui touche les lapins adultes et préadultes.

• La pasteurellose aiguë et la VHD peuvent provoquer les mêmes symptômes et les mêmes lésions nécropsiques, d’où l’importance de rechercher les deux causes.

• En zone d’épizootie, la VHD est responsable de 30 à 90 % de mortalité chez les lapins non vaccinés.

• Il n’existe pas de traitement de la VHD.

• La vaccination d’urgence contre la VHD est possible et limite la mortalité des lapins non encore contaminés.

EN SAVOIR PLUS

– Boucher S. La VHD ou maladie hémorragique virale du lapin. Cuniculture. 1989;89,16(5):42-246.

– Boucher S, Boucrault-Baralon C, Jacquinet C. Étude de la persistance du virus RHVD à l’aide de la technique PCR dans le milieu ambiant d’élevages de lapins en vue d’expliquer des récidives de la maladie hémorragique virale (VHD). XIes Journées de la recherche cunicole. Novembre 2005:223-227.

– Boucher S, Boucrault-Baralon C, Joly T et coll. Contamination du liquide de lavage utérin contenant des embryons lors de récolte d’embryons de lapins (Oryctolagus cuniculus) dans un élevage contaminé par la VHD (maladie hémorragique virale). 10es Journées de la recherche cunicole. Éd. Itavi, Paris. 19-20 novembre 2003:215-218.

– Boucher S, Bouvier AC, Boucrault-Baralon C et coll. Étude du portage hépatique du virus RHVD et de la protection vaccinale sur des lapereaux de 35 à 57 jours issus de mères mortes de VHD (maladie hémorragique virale) avant le sevrage. XIesJournées de la recherche cunicole. Novembre 2005:227-231.

– Boucher S, Nouaille L. Manuel pratique des maladies des lapins. 2e éd. France Agricole. 2002:272p.

– Cneva, Centre national d’études vétérinaires et alimentaires. Mise en évidence du virus de la maladie hémorragique virale du lapin dans les foies de lapins, par la technique Elisa. Unité de virologie, immunologie, parasitologie aviaires et cunicoles. Octobre 1996.

– Forrester NL, Boag B, Moss SR et coll. Long-term survival of New Zealand rabbit haemorrhagic disease virus RNA in wild rabbits, revealed by RT-PCR and phylogenetic analysis. J. Gen. Virol. 2003;84:3079-3086.

– Guittré C, Ruvoën-Clouet N, Barraud L et coll. Early stages of Rabbit Haemorrhagic Disease Virus: Infection monitored by Polymerase Chain Reaction. J. Vet. Med. 1996;B43:109-118.

– Le Gall-Reculé G. Le virus de la maladie hémorragique virale du lapin ou RHDV. Virologie. 2003;7:203-215.

– Liu SJ, Xue HP, Pu BQ et coll. A new viral disease in rabbits (in Chinese). Anim. Husbandry Vet. Med. 1984;16(6):253-255.

– Morisse JP. Le syndrome “septicémique hémorragique” chez le lapin: premières observations en France. Point Vét. 1988;20(117):79-83.

– Ruvoën-Clouet N. Le virus de la maladie hémorragique du lapin : étude du récepteur érythrocytaire et des caractéristiques antigéniques appliquées au diagnostique séroépidémiologique. Thèse Méd. Vét., Nantes, spécialité virologie. 1995.

– Stahl AF. Caractérisation de la protéine majeure du virus de la maladie hémorragique virale du lapin. Thèse Méd. Vét., Nantes. 1993.

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