Les différents types de tumeurs de la cavité buccale - Le Point Vétérinaire n° 302 du 01/01/2010
Le Point Vétérinaire n° 302 du 01/01/2010

Chirurgie du chien et du chat

Mise à jour

LE POINT SUR…

Auteur(s) : Diego Rossetti*, Anne-Laure Brami**, Arnaud Guionnet***

Fonctions :
*Clinique vétérinaire
43, avenue du Chemin-Vert
95290 L’isle-Adam
**Clinique vétérinaire
43, avenue du Chemin-Vert
95290 L’isle-Adam
***Clinique vétérinaire
43, avenue du Chemin-Vert
95290 L’isle-Adam

Les tumeurs de la cavité buccale sont fréquentes chez les carnivores domestiques. Elles sont malignes dans 50 % des cas chez le chien, contre 90 % des cas chez le chat.

Les tumeurs de la cavité buccale représentent 6 % des tumeurs malignes du chien et 3 à 12 % chez le chat [1]. Elles sont 2,6 fois plus fréquentes chez le chien que chez le chat [6]. Elles sont de nature bénigne ou maligne. Toutefois, certaines tumeurs bénignes présentent un comportement invasif “à malignité locale”.

Chez le chien, les tumeurs malignes sont les plus fréquemment rencontrées : mélanome (30 à 40 % des cas), carcinome épidermoïde (17 à 25 %), fibrosarcome (7,5 à 25 %) et ostéosarcome (6 à 18 %) [1].

Chez le chat, le caractère localement infiltrant du carcinome épidermoïde, qui constitue le premier type de tumeur maligne buccale (environ 75 %), est souvent cause d’euthanasie [9].

Les tumeurs bénignes comme les épulis comptent pour environ 30 % des tumeurs buccales du chien, tandis qu’elles sont très rares chez le chat.

Principales tumeurs malignes de la cavité buccale

1. Mélanome

Épidémiologie

Le mélanome est la tumeur maligne de la cavité buccale la plus fréquente chez le chien (photo 1). Il représente 30 à 40 % de toutes les tumeurs malignes buccales [2]. Il est rencontré en particulier chez des chiens âgés, de petite taille, à la muqueuse pigmentée, tels que le cocker spaniel, le caniche, le teckel et le chow chow. Chez le chat, les mélanomes de la cavité buccale sont rares (0,8 % des tumeurs de la bouche) [8].

Le mélanome concerne la gencive mandibulaire dans 42 à 63 % des cas, la muqueuse buccale et alvéolaire dans 15 à 33 % des cas et, plus secondairement, les joues, la langue, la bouche et le pharynx [12].

Présentation clinique

Cliniquement, le mélanome présente différents degrés de pigmentation jusqu’à être amélanotique (photo 2). Il s’agit d’une tumeur à croissance rapide avec une tendance à l’ulcération et à la nécrose, qui induit souvent une halitose.

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a défini une échelle pour le “grading” (gradation) du mélanome selon sa taille :

– stade I, taille inférieure à 2 cm ;

– stade II, taille comprise entre 2 et 4 cm ;

– stade III, taille supérieure à 4 cm ;

– stade IV, présence de métastases [12].

La survie moyenne après une exérèse chirurgicale est d’environ 17 à 18 mois pour le stade I, 5 à 6 mois pour le stade II et de 3 mois pour les stades III et IV.

Le mélanome se développe rapidement. Il est localement agressif vis-à-vis de l’os sous-jacent, métastase souvent et récidive après l’exérèse chirurgicale. Le taux de métastases lors de la présentation est de l’ordre de 70 à 90 % [10]. La voie de dissémination est hématogène et les premiers tissus concernés sont les ganglions lymphatiques régionaux et les poumons, puis le foie, les reins, le cœur et, en dernier lieu, le cerveau [12]. 14 % des animaux présentent des métastases visibles sur un cliché radiographique au moment du diagnostic [10]. De plus, la fréquence des métastases est plus élevée pour les tumeurs de grande taille ou ulcérées. Le degré de pigmentation n’influence pas le niveau de malignité, contrairement à la localisation. En effet, les mélanomes les plus caudaux tout comme ceux de la langue sont de moins bon pronostic, car ils ont davantage tendance à métastaser que les mélanomes gingivaux [4]. Les mélanomes des joues sont de meilleur pronostic [1].

Il convient d’évaluer par une cytoponction ou un examen histologique les nœuds lymphatiques régionaux, même en l’absence d’adénomégalie, car la taille des nœuds lymphatiques n’est pas corrélée à la présence de métastases [15].

Traitement

L’exérèse chirurgicale et la radiothérapie sont les meilleurs moyens de contrôler cette tumeur, mais elles ne permettent pas d’améliorer le pronostic en présence de métastases (tableau). Dans ce cas, une chimiothérapie est nécessaire.

La médiane de survie des animaux non traités est de 65 jours et de 8 à 9 mois après une intervention chirurgicale [3].

Actuellement, des études sont menées en médecine vétérinaire pour développer l’immunothérapie dans le traitement du mélanome.

2. Carcinome épidermoïde

Épidémiologie

Le carcinome épidermoïde (CE) représente 60 à 75 % des tumeurs malignes de la cavité buccale chez le chat. Il s’agit de la deuxième tumeur maligne de la bouche chez le chien (20 à 30 %) [13].

Dans l’espèce féline, l’âge moyen d’apparition est de 11 ans et de 8 ans chez le chien. Il n’existe pas de prédisposition raciale ni sexuelle.

L’étiopathogénie est incertaine bien que, récemment, certains facteurs de risque tels que le tabagisme aient été évoqués [11].

Présentation clinique

Le CE est une tumeur agressive localement, avec une forte tendance à l’infiltration osseuse (77 % des cas) mais un faible taux de métastases. Le site le plus touché est la gencive (35 à 42 %), suivi des lèvres et de la muqueuse buccale (4,9 à 7,3 %), puis du palais dur et du voile du palais [8]. La forme gingivale métastase aux nœuds lymphatiques dans 5 à 10 % des cas, contrairement à la forme linguale qui a tendance à métastaser plus fréquemment [4].

Chez le chat, la croissance et l’agressivité du carcinome épidermoïde ne permettent pas, en général, d’observer les métastases en raison de la survie très faible (3 mois en moyenne) [4]. Dans cette espèce, le carcinome épidermoïde prend origine principalement à la base de la langue, alors qu’il se situe dans les gencives chez 47 % des chiens (photo 3). Mais ce type de tumeur peut également se développer au sein du palais et du corps de la langue.

Une hypercalcémie est constatée chez les chats atteints par cette tumeur maligne [1].

Traitement

Le pronostic est de réservé à mauvais car il n’existe actuellement aucun traitement efficace. En effet, moins de 10 % des animaux vivent jusqu’à un an après le diagnostic et la durée de vie moyenne est de 3 mois. L’exérèse chirurgicale permet d’obtenir une médiane de survie de l’ordre de 5,5 mois [13]. Sous radiothérapie, la survie ne dépasse pas les 3 mois, sauf lors de petite masse craniale [7].

Chez le chien, le taux de survie à un an après le retrait chirurgical est de 70 % [13].

3. Fibrosarcome

Épidémiologie

Chez le chien, le fibrosarcome représente 10 à 20 % des tumeurs malignes de la cavité buccale [13]. Il s’agit de la troisième tumeur maligne par ordre de fréquence après le mélanome et le carcinome. Le fibrosarcome est plus fréquent chez les chiens mâles de race géante, relativement jeunes (5 à 6 ans) [13].

Présentation clinique

Cette tumeur se développe principalement à partir du tissu gingival (56 à 87 % des cas), voire du palais (7 à 10 % des cas) [8]. Elle se présente sous la forme d’une masse dure, non pédiculée, couverte d’un tissu sain et rarement ulcérée. Au moment du diagnostic, 10 % des animaux présentent des métastases pulmonaires et 19 à 22 % des fibrosarcomes ont métastasé aux nœuds lymphatiques régionaux [8].

Chez le chat, le fibrosarcome représente 16 % des tumeurs malignes de la cavité buccale. Il s’agit de la deuxième tumeur buccale par ordre de fréquence après le carcinome épidermoïde (photo 4).

Le fibrosarcome est une tumeur agressive localement, infiltrant l’os sous-jacent et qui a tendance à récidiver. Il ne métastase que rarement [8].

La tumeur est plus agressive et de mauvais pronostic si, histologiquement, elle présente des caractéristiques d’anaplasie cellulaire. De plus, elle répond mal à la chimiothérapie et n’est pas radiosensible [8].

4. Ostéosarcome

Présentation clinique

Chez le chien, 70 % des ostéosarcomes concernent le crâne et la mâchoire [13]. Lors du diagnostic, 10 % des animaux présentent des métastases [8]. Le taux de métastases est de 40 % lors d’ostéosarcome du crâne, à la différence de l’ostéosarcome de la mâchoire ou de la mandibule, caractérisé par un risque métastatique moindre (agressivité locale essentiellement) [5, 8].

Traitement

Le traitement est complexe. Une exérèse chirurgicale agressive associée à une radiothérapie postopératoire, de façon à éliminer le plus grand nombre de cellules néoplasiques possible, est recommandée.

Le pronostic de l’ostéosarcome de la mandibule est relativement bon. La dernière étude en date révèle que 70 % des animaux sont vivants un an après l’opération, contre 10 % seulement en cas d’ostéosarcome appendiculaire. Le pronostic des ostéosarcomes maxillaires est moins bon, la médiane de survie de l’ordre de 4,7 mois et le taux de survie à un an de 17 %. Ces résultats sont liés à la difficulté d’obtenir des marges saines au cours de l’opération.

Autres types tumoraux

1. Papillome

Les papillomes sont fréquents chez les jeunes chiens. Ils se caractérisent soit par une néoformation unique, soit par des masses multiples pouvant aller jusqu’à une centaine de petits papillomes situés sur la muqueuse buccale.

Les papillomes sont d’origine virale (papillomavirus). Ils présentent un aspect muriforme avec des projections qui ressemblent à des feuilles hyperkératosiques (en forme de chou-fleur) ou sont lisses.

Aucun traitement n’est requis car cette tumeur tend, en général, à disparaître spontanément en quelques mois. De plus, une immunité résiduelle effective persiste pendant toute la vie de l’animal. Lors de masses ulcérées ou de papillomes de grande taille, le praticien peut recourir à la cryochirurgie ou à l’électrochirurgie.

2. Tumeur vénérienne transmissible ou sarcome de Sticker

Une tumeur vénérienne peut être observée dans la bouche, transmise par le lèchement des organes génitaux atteints. Une forme primitive strictement buccale peut également être rencontrée. La chimiothérapie en monothérapie avec de la vincristine ou la radiothérapie sont les traitements recommandés pour ces tumeurs [14].

3. Tumeurs odontogéniques

Les tumeurs odontogéniques intéressent les tissus épithéliaux et mésenchymateux dentaires. L’épulis n’est qu’un terme générique. La nomenclature est cependant en train d’évoluer.

L’épulis est rare chez le chat et fréquent chez le chien. Dans le cadre de la nomenclature actuelle, les épulis fibromateux et ossifiant sont deux tumeurs bénignes, probablement d’origine inflammatoire (tartre), avec une prédisposition nette chez le boxer (photo 5). Le traitement chirurgical seul est suffisant dans la plupart des cas.

L’améloblastome acanthomateux est un épulis plus envahissant qui se présente souvent en forme de chou-fleur (photo 6). Il infiltre l’os sous-jacent. Dès lors, une lyse osseuse de la mâchoire peut être identifiée.

Un traitement chirurgical agressif (maxillectomie ou mandibulectomie) est la thérapie de choix. En effet, bien que cette tumeur ne métastase pas, les récidives sont fréquentes et souvent plus agressives que le processus tumoral primaire. Une différenciation cellulaire et une évolution de l’épulis en carcinome épidermoïde ne sont pas rares.

Afin d’augmenter le taux de réussite, l’exérèse chirurgicale est associée à la radiothérapie. De plus, cette dernière peut être envisagée seule pour des épulis acanthomateux de petite taille, situés en position craniale [8].

Les tumeurs de la cavité buccale sont fréquentes chez le chien et le chat. Elles sont malignes dans 50 % des cas chez le chien et dans 90 % des cas chez le chat.

Chez le chien, de nombreuses stratégies thérapeutiques existent : exérèse chirurgicale seule ou en association avec la radiothérapie et/ou la chimiothérapie, voire une radiothérapie seule.

De nouvelles thérapeutiques sont en cours d’étude telles que l’immunothérapie et la vaccination pour le mélanome.

Un diagnostic précoce grâce à l’imagerie, comme l’examen tomodensitométrique et l’identification immunohistologique, permet d’instaurer un traitement optimal et précise le pronostic en déterminant la nature histologique de la tumeur et son bilan d’extension. Chez le chat, bien que toutes ces possibilités de diagnostic et de traitement existent, lors de carcinome épidermoïde, le pronostic reste mauvais, avec un taux de survie de 3 mois en moyenne.

Références

  • 1 – Berg J. Principles of oncologic orofacial surgery. Clin. Techn. Small Anim. Pract. 1998;13(1):38-41.
  • 2 – Bergman PJ. Canine oral melanoma. Clin. Techn. Small Anim. Pract. 2007;22(2):55-60.
  • 3 – Boria PA, Murry DJ, Bennett PF. Evaluation of cisplatin combined with piroxicam for the treatment of oral malignant melanoma and oral squamous cell carcinoma in dogs. JAVMA. 2004;224(3):388-394.
  • 4 – Dennis MM, Ehrhart N, Duncan CG et coll. Frequency of and risk factors associated with lingual lesions in dogs: 1,196 cases (1995-2004). J. Am. Vet. Med. Assoc. 2006;228(10):1533-1537.
  • 5 – Dernell WS, Straw RC, Cooper MF et coll. Multilobular osteochondrosarcoma in 39 dogs: 1979-1993. J. Am. Anim. Hosp. Assoc. 1998;34(1):11-18.
  • 6 – Dvorak LD, Beaver DP, Ellison GW et coll. Major glossectomy in dogs: a case series and proposed classification system. J. Am. Anim. Hosp. Assoc. 2004;40(4):331-337.
  • 7 – Jones PD, De Lorimier LP, Kitchell BE et coll. Gemcitabine as a radiosensitizer for nonresectable feline oral squamous cell carcinoma. J. Am. Anim. Hosp. Assoc. 2003;39(5):463-467.
  • 8 – Liptak JM, Withrow SJ. Cancer of the gastrointestinal tract. In: Withrow SJ, Vail DM, eds. Small Animal Clinical Oncology. 4th ed. WB Saunders, St. Louis. 2007:455-510.
  • 9 – Northrup NC, Selting KA, Rassnick KM et coll. Outcomes of cats with oral tumors treated with mandibulectomy: 42 cases. J. Am. Anim. Hosp. Assoc. 2006;42(5):350-360.
  • 10 – Proulx DR, Ruslander DM, Dodge RK et coll. A retrospective analysis of 140 dogs with oral melanoma treated with external beam radiation. Vet. Radiol. Ultrasound. 2003;44(3):352-359.
  • 11 – Snyder LA, Bertone ER, Jakowski RM et coll. p53 expression and environmental tobacco smoke exposure in feline oral squamous cell carcinoma. Vet. Pathol. 2004;41(3):209-214.
  • 12 – Spangler WL, Kass PH. The histologic and epidemiologic bases for prognostic considerations in canine melanocytic neoplasia. Vet. Pathol. 2006;43(2):136-149.
  • 13 – Verstraete FJM. Oral pathology. In: Slatter DH, ed. Textbook of small animal surgery. 3rd ed. WB Saunders Co, Philadelphia. 2003;2638-2651.
  • 14 – Walker MARogers KS, Dillon HB. Transmissible venereal tumor: a retrospective study of 29 cases. J. Am. Anim. Hosp. Assoc. 1998;34(6):463-470.
  • 15 – Williams LE, Packer RA. Association between lymph node size and metastasis in dogs with oral malignant melanoma: 100 cases (1987-2001). J. Am. Vet. Med. Assoc. 2003;222(9):1234-1236.

POINTS FORTS

• Le mélanome est la tumeur maligne de la cavité buccale la plus fréquente chez le chien.

• Le carcinome épidermoïde représente 60 à 75 % des tumeurs malignes de la cavité buccale chez le chat. La durée de vie moyenne est d’environ 3 mois après le diagnostic.

• Le fibrosarcome est une tumeur agressive localement, qui a tendance à récidiver mais qui métastase peu.

• L’améloblastome acanthomateux ne métastase pas, mais les récidives sont fréquentes et souvent plus agressives que le processus primaire.

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