Optimiser une prise de décision fondée sur la preuve scientifique - Le Point Vétérinaire n° 298 du 01/09/2009
Le Point Vétérinaire n° 298 du 01/09/2009

Méthodologie

Mise à jour

CONDUITE À TENIR

Auteur(s) : Jean-Michel Vandeweerd*, Sandrine Vandenput**

Fonctions :
*Faculté de médecine vétérinaire
Université de Liège, Boulevard de Colonster 20
4000 Liège, Belgique
Clinique équine vétérinaire 18, rue des Champs
78470 Saint-Lambert-des-Bois
**Faculté de médecine vétérinaire
Université de Liège, Boulevard de Colonster 20
4000 Liège, Belgique

Les deux premières étapes de la démarche de la médecine factuelle sont la formulation correcte de la question posée et l’élaboration précise de la requête dans les bases de données bibliographiques.

Une démarche de recherche de documents scientifiques et d’analyse critique de l’information qu’ils contiennent permet d’étayer les décisions médicales en les faisant reposer sur les données issues de la recherche [4]. Les Anglo-Saxons parlent d’“evidence based medicine” (EBM) ou de “more informed decision making” (MIDM). Les francophones utilisent les termes de “médecine factuelle”, “médecine basée sur la preuve” ou “médecine basée sur les meilleures données de la science”.

En médecine vétérinaire, cette méthodologie tend également à s’étendre. Le concept d’“evidence based veterinary medicine” est à présent bien ancré dans le monde scientifique. Cependant, la connotation légale du mot “evidence” est peut-être inappropriée. En outre, les études scientifiques de qualité (haut niveau de preuve) sont peu nombreuses dans certains domaines. Ainsi, pour répondre à une question de recherche en thérapeutique, ce sont les essais contrôlés aléatoires en double aveugle qui constituent le niveau de preuve le plus élevé. Si ce type d’étude est largement représenté en médecine humaine, il l’est beaucoup moins en sciences vétérinaires.

Ainsi, certains estiment que l’EBM devrait être appliquée différemment en médecine vétérinaire. La démarche de l’EBM correspond avant tout à un état d’esprit critique qui permet d’utiliser au mieux l’information disponible, même si les études idéales ne sont pas toujours présentes. Pour cette raison, nous préférons utiliser l’expression de “décision médicale mieux étayée” ou “décision médicale mieux informée” (DMMI).

Le processus consiste à chercher la réponse à une question clinique posée en identifiant et en consultant la littérature adéquate, et en évaluant sa qualité scientifique. Toutefois, le vétérinaire praticien n’est pas nécessairement formé à la recherche documentaire et à l’épidémiologie clinique, cette dernière constituant la clé de voûte de la médecine factuelle. La tâche peut donc paraître difficile et peu compatible avec une pratique privée qui laisse peu de temps au cours ou entre les consultations pour identifier et analyser la littérature disponible.

Par différents articles, nous espérons montrer que la démarche de l’EBM est réalisable dans le cadre de la médecine vétérinaire, en suggérant une approche pratique de la recherche documentaire et les principes d’une technique de lecture critique des publications scientifiques.

Cinq étapes sont nécessaires pour prendre une DMMI (figure 1) :

– une formulation correcte de la question clinique ;

– une recherche efficace dans la littérature des meilleurs éléments pour y répondre ;

– une évaluation et une critique systématique de la qualité des publications trouvées (validité interne) ;

– l’évaluation de leur adéquation à la situation et au cas (validité externe) ;

– une analyse objective de l’approche du cas et des résultats obtenus par la démarche de la DMMI.

Dans cet article, nous aborderons les deux premières étapes.

Étape 1 : formuler correctement la question

• Le centre d’EBM d’Oxford recommande de formuler la question selon la technique du “PICO”. Celle-ci permet de préciser les éléments de la recherche documentaire en mettant en évidence les concepts, qui seront traduits ultérieurement en descripteurs, issus du thésaurus propre à la base de données [1]. Il a été montré que les médecins qui ont appris cette façon de procéder structurée posent des questions plus spécifiques, effectuent davantage de recherches, utilisent des techniques plus précises de recherche de l’information et obtiennent de meilleures réponses à leurs questions [2, 3, 5].

• Dans le système du PICO, à chaque lettre de l’acronyme correspond un des quatre éléments de la question :

– P pour le patient (l’animal), ou le problème, ou la population ;

– I pour l’intervention sur laquelle porte l’interrogation (un test diagnostique, un traitement) ;

– C pour une autre intervention à comparer à la première ;

– O pour les résultats (outcome, en anglais).

Voici un exemple : “Chez la chienne incontinente (P), la phénylpropanolamine (I), par rapport à l’éphédrine (C), est-elle plus efficace pour limiter les fuites urinaires (O) ?”

Étape 2 : utiliser les bases de données bibliographiques pour rechercher des documents

1. Identifier les concepts de la question clinique

Les questions de recherche font ressortir un certain nombre de concepts, qu’il convient de traduire en anglais avant de trouver les mots-clés descripteurs à utiliser dans les bases de données. Il s’agit ainsi dans notre exemple de “dog, incontinence, phenylpropanolamine, ephedrin”. Les concepts peuvent être représentés par un mot ou une série de mots, synonymes ou termes similaires, qui vont être employés pour la recherche dans les bases de données.

2. Choisir la base de données bibliographiques

• Les bases de données bibliographiques ont pour fonction principale de recenser les publications dans un domaine précis. Elles facilitent le repérage des documents publiés, qui, dans le domaine scientifique, sont principalement des articles (± 95 % de la production scientifique), des ouvrages et des communications lors de congrès. Ces outils sont accessibles électroniquement et permettent d’optimiser la recherche d’information, ainsi que d’être tenu averti des nouvelles publications dans un domaine précis (système d’alerte).

Aucune base de données bibliographiques ne peut couvrir tous les domaines scientifiques. Parmi celles qui existent, deux sont particulièrement intéressantes pour les praticiens : CAB Abstracts et Medline. Alors que Medline (via PubMed) est accessible en ligne librement et gratuitement, CAB Abstracts n’est en général accessible qu’aux universités car le coût annuel de la licence est trop élevé pour une structure privée. Par ailleurs, chaque base possède sa propre interface d’interrogation, sans que cela ne modifie le fondement même de son fonctionnement (tableau).

• Ces bases de données sont “analytiques”, c’est-à-dire qu’elles offrent une analyse scientifique du contenu du document recensé et attribuent ainsi, pour chaque référence bibliographique, une série de descripteurs chargés de caractériser scientifiquement le contenu. Ces descripteurs sont issus d’une liste de termes choisis, le thésaurus est propre à chaque base. Cette analyse du contenu permet d’optimiser la recherche au sein de la base de données et d’en extraire toutes les références bibliographiques renvoyant aux documents traitant d’une information précise. En pratique, ces bases de données offrent une interface de recherche qui permet d’élaborer assez facilement la requête (figure 2).

3. Identifier les mots-clés descripteurs

• Pour élaborer la requête, il convient tout d’abord d’identifier les mots-clés descripteurs utilisés par la base de données pour classer les publications qui correspondent aux concepts qui ressortent de la question formulée. En effet, PubMed possède sa propre dichotomie de mots-clés descripteurs, et les mots (concepts) issus de la question ne sont peut-être pas des descripteurs. Ainsi, pour désigner le mot “chienne”, convient-il d’employer “dog” ou “bitch” ? Leur orthographe peut aussi ne pas être correcte : est-ce “phenylpropanolamin” ou “phenylpropanolamine” ? Doivent-ils être utilisés au pluriel : “dog” ou “dogs” ? Pour toutes ces raisons, il est conseillé dans un premier temps de passer par le thésaurus.

• Le thésaurus est un outil puissant pour identifier les synonymes ou les termes similaires ou liés au concept de départ. Il permet ainsi de trouver la bonne terminologie (les mots-clés descripteurs) pour décrire ce dernier. Dans le cas de PubMed, le thésaurus est connu sous le nom de MeSH Database. En accédant à la page du MeSH, l’utilisateur peut au préalable visionner trois démonstrations (http://www.ncbi.nlm.nih.gov/mesh?itool=sidebar). Après avoir accédé à la page du MeSH, il introduit, dans le champ intitulé “Search for”, le terme pour lequel il souhaite trouver le synonyme ou le mot-clé le plus proche. Lorsque l’orthographe précise n’est pas connue, il est aussi possible d’ajouter une troncature (sous la forme d’un astérisque) qui permet de retrouver le terme correct. Ainsi, dans l’exemple choisi, si l’orthographe du mot “phenylpropanolamine” n’est pas connue, l’expression “phenylpropanolami*” est introduite, et le MeSH trouve immédiatement le descripteur “phenylpropanolamine”. De même, ce n’est pas le mot “dog” qu’il convient d’utiliser, mais son pluriel “dogs”. L’ensemble des mots-clés descripteurs à employer pour la requête est ainsi identifié.

4. Formuler la requête avec les opérateurs booléens

Les descripteurs choisis sont ensuite intégrés dans une équation de recherche en utilisant des opérateurs booléens. George Boole (1815-1864) était un mathématicien anglais qui a restructuré la logique en un système formel. L’algèbre booléenne fonctionne sur une logique “vrai-faux” qui trouve tout naturellement son application dans la logique binaire de l’informatique et des ordinateurs. Elle fonctionne à l’aide d’opérateurs : AND (et), OR (ou), AND NOT (sauf), dont l’utilisation peut se comprendre par la théorie des ensembles.

L’opérateur OR (ou) permet de former une équation de recherche demandant tous les documents contenant des occurrences de l’un des deux (ou plusieurs) mots ou concepts liés par cet opérateur. Dans le cas de mots-clés ou concepts recouvrant un domaine assez vaste, l’utilisation de l’opérateur OR ne fait qu’ajouter du “bruit” (des documents supplémentaires non utiles) à des résultats déjà trop nombreux. C’est donc un opérateur à employer avec précaution.

La manipulation des opérateurs AND et OR (et, ou) pose parfois un problème de logique. Un raisonnement trop rapide peut amener à croire qu’en additionnant des critères de sélection avec l’opérateur AND davantage de résultats sont obtenus, mais c’est le contraire qui se produit. L’opérateur AND réduit le nombre de documents trouvés en augmentant le nombre d’attributs que le document doit contenir. L’opérateur AND NOT (sauf) permet de former une équation de recherche pour éliminer des résultats qui parasiteraient la recherche.

5. Lancer la requête et obtenir une liste de références

Le logiciel de la base de donnée fournit alors une liste plus ou moins longue de références. L’approche par le thésaurus constitue le gold standard. Toutefois, l’emploi de PubMed en médecine vétérinaire comporte des limites. En effet, les descripteurs, destinés initialement à la médecine humaine, ne sont pas toujours adaptés. Il existe ainsi un risque de ne pas identifier toutes les publications en utilisant les mots-clés descripteurs du thésaurus. De même, certaines publications, humaines ou vétérinaires, lorsqu’elles ne sont pas encore publiées officiellement, sont en ligne seulement à l’état d’abstract. Ce qui signifie qu’elles ne sont pas encore répertoriées, ni classées en fonction de mots-clés. Ces publications qui n’apparaissent pas dans la liste sont désignées par le terme de “silence”.

Il est cependant possible de les identifier en effectuant “une recherche libre”, c’est-à-dire par une introduction simple de mots dans le champ de recherche, sans utiliser le thésaurus ou les opérateurs booléens. Cela permet d’identifier toutes les publications dont l’abstract contient un ou plusieurs de ces mots. Dans un premier temps, il est donc conseillé d’effectuer une recherche avec le thésaurus et de la faire suivre d’une recherche libre. Cette dernière, utilisée seule, est rapide et parfois suffit, mais ne convient pas si une revue exhaustive de la littérature est souhaitée. Cette recherche combinée (recherches par le thésaurus et libre) permet d’obtenir une liste de publications dans laquelle un tri est nécessaire pour identifier celles qui répondent le mieux aux questions posées et évaluer leur qualité.

Grâce aux bases de données bibliographiques et aux techniques de recherche, le praticien peut identifier les publications majeures utiles. Cette étape est très rapide et, avec un peu d’entraînement, s’opère en quelques minutes. L’analyse des articles répertoriés constitue l’étape suivante de la démarche pour prendre une décision médicale mieux informée. Elle sera abordée dans un prochain numéro.

Références

  • 1 – Glasziou P, Del Mar C, Salisbury J. EBM step 1: formulate an answerable question. In: Glasziou P, Del Mar C, Salisbury J. Evidence-based Medicine Workbook. BMJ Books, London. 2003:23-41.
  • 2 – Booth A, O’Rourke AJ, Ford NJ. Structuring the pre-search interview: a useful technique for handling clinical questions. Bull. Med. Libr. Assoc. 2000;88(33):239-246.
  • 3 – Cabell CH, Schardt C, Sanders L et coll. Resident utilization of information technology. J. Gen. Intern. Med. 2001;16(12):838-844.
  • 4 – Vandeweerd JM. Evidence based medicine, la médecine factuelle. Point Vét. 2009;40(294):35-38.
  • 5 – Villaneuva EV, Burrows EA, Fennessy PA et coll. Improving question formulation for use in appraisal in a tertiary care setting: a randomized controlled trial. BMC Med Inform. Decis. Mak. 2001(1):4.
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