Étude cytologique des épanchements - Le Point Vétérinaire n° 298 du 01/09/2009
Le Point Vétérinaire n° 298 du 01/09/2009

Cytologie canine et féline

Mise à jour

LE POINT SUR…

Auteur(s) : Carine Lafond-Marty*, Cathy Trumel**

Fonctions :
*Laboratoire central de l’ENV de Toulouse
23, chemin des Capelles
31076 Toulouse Cedex 3
**Laboratoire central de l’ENV de Toulouse
23, chemin des Capelles
31076 Toulouse Cedex 3

L’examen des cellules d’un liquide d’épanchement permet de le typer et d’établir des hypothèses étiologiques qui orientent les examens complémentaires pour aboutir au diagnostic définitif.

Le plan suivi ici ne correspond pas à la démarche que le clinicien doit entreprendre lorsqu’il est face à un épanchement puisqu’il s’agit d’un article de formation centré uniquement sur l’analyse cytologique. Après avoir abordé la réalisation pratique d’une lame et la technique de lecture, une partie est consacrée à la diagnose des différentes catégories de cellules qui peuvent être rencontrées dans un épanchement. Puis l’étude analytique des différents types d’épanchements est envisagée. Une dernière partie est dédiée à la synthèse des différentes informations obtenues sur l’épanchement, qui permet d’aboutir au diagnostic.

Préparation des lames

Si l’épanchement ne peut être analysé dans les 12 heures qui suivent son prélèvement, il est nécessaire de préparer des lames afin d’éviter les modifications cytologiques liées à la conservation dans le tube : phagocytose des hématies par les macrophages, dégénérescence des cellules, prolifération bactérienne.

1. Technique d’étalement

La préparation des lames s’effectue à partir du liquide d’épanchement recueilli dans un tube EDTA. Plusieurs techniques sont possibles.

• Pour les liquides très riches, c’est-à-dire troubles, opaques ou visqueux, un étalement direct est réalisé, comme pour un frottis sanguin.

• Pour les liquides moins riches, c’est-à-dire clairs, en plus de l’étalement direct, un étalement après concentration par centrifugation est conseillé selon la technique suivante :

– centrifuger le tube EDTA à 1 500 tours/min pendant 10 minutes ou aux caractéristiques utilisées pour le culot urinaire, puis jeter le surnageant en renversant rapidement le tube ;

– remettre le culot restant en suspension à l’aide, par exemple, d’une seringue de 1 ml, puis réaliser un étalement comme s’il s’agissait d’un frottis sanguin.

2. Fixation et coloration

Les lames sont ensuite séchées par simple agitation à l’air (jamais de laques cytofixatrices ni de formol à proximité) : elles doivent être parfaitement sèches. Elles peuvent ensuite être colorées avec des colorants rapides (RAL®) ou du May-Grünwald-Giemsa, ou envoyées non colorées au laboratoire en étant au préalable placées dans une boîte spéciale de type portoir en carton bien fermée par du ruban adhésif ou un élastique solide.

Technique de lecture des lames

Les lames d’un même épanchement peuvent être hétérogènes et doivent donc être toutes examinées. Sur chaque lame, la répartition des cellules n’est pas homogène, les cellules les plus lourdes (c’est-à-dire volumineuses) se retrouvant en queue de frottis (figure). La lecture des lames doit être méthodique. Il convient tout d’abord de les parcourir dans leur ensemble à faible grossissement (x 100) afin d’identifier les différentes populations cellulaires présentes et de choisir les meilleures zones de lecture. Puis, si aucune population n’apparaît fortement prédominante, une formule est réalisée sur 100cellules au grossissement moyen (x 400) ou fort (x 1 000). Les cellules prises en compte sont les cellules nucléées suivantes : les granulocytes neutrophiles et éosinophiles, les lymphocytes, les macrophages et les mastocytes. Enfin, il convient de passer au fort grossissement (x 1 000) pour identifier et caractériser précisément une ou plusieurs populations cellulaires d’intérêt, et rechercher la présence éventuelle d’éléments infectieux.

Identification des différents types cellulaires

1. Cellules mésothéliales

Les cellules mésothéliales bordent les cavités péritonéale, pleurale et péricardique. Elles ont une nette tendance à l’exfoliation lors de la présence d’un épanchement. Elles sont de grande taille (plusieurs hématies), ont un rapport nucléo-cytoplasmique moyen à faible, un noyau rond ou ovale, une chromatine fine, et possèdent souvent un nucléole bien visible (photo 1 et tableau 1). Elles peuvent être bi- ou trinucléées et les noyaux ont alors un aspect et une taille similaires au sein d’une même cellule (photo 2). Leur cytoplasme est moyennement abondant, d’un bleu assez intense (basophilie moyenne à forte). À leur périphérie, une bordure en couronne de couleur rosée est souvent observée. Des mitoses ne sont pas rares. Ces cellules peuvent être isolées ou regroupées sous la forme de “boules” monodimensionnelles à contour régulier (photos 3a et 3b). Elles peuvent aussi devenir hyperplasiques lors du développement d’un épanchement, et présentent alors une anisocytose et une anisocaryose marquées, des plurinucléations et des figures de mitose. Elles peuvent alors être très difficiles à distinguer d’une population tumorale.

2. Macrophages

Les macrophages proviennent du passage des monocytes du sang vers l’épanchement. Ces cellules sont toujours présentes dans le liquide péritonéal, donc dans les épanchements. Elles ont un noyau de forme variable (rond, ovale ou réniforme), souvent nucléolé, dont la chromatine est fine. Le cytoplasme est peu à fortement abondant et peut présenter un contour assez flou. Il est de couleur bleu pâle (faible basophilie) et d’aspect hétérogène car il possède parfois des vacuoles optiquement vides ou des éléments figurés (agents infectieux, débris cellulaires, hémosidérine phagocytée).

3. Granulocytes neutrophiles

Les granulocytes neutrophiles (GNN) sont présents de façon physiologique dans le liquide péritonéal. Ils se caractérisent par un noyau polylobé dont la chromatine est mottée et un cytoplasme clair. Dans les épanchements non septiques et non associés à de la nécrose (tumorale ou pancréatite suppurée), les GNN ont un aspect semblable à ceux observés sur un frottis sanguin. Toutefois, certains d’entre eux possèdent un noyau hypersegmenté, voire pycnotique, caractérisé par la présence dans le cytoplasme de plusieurs petites boules violet foncé et très denses correspondant à la rétraction de la chromatine nucléaire. Il s’agit simplement de GNN subissant un processus de vieillissement normal puisque le GNN présent dans un épanchement va y terminer sa vie et être alors phagocyté par les macrophages responsables du nettoyage du site (photos 4a et 4b). Dans les exsudats septiques ou associés à de la nécrose, milieux peu favorables à leur survie, les GNN présentent un aspect dégénéré. Ils sont alors souvent plus gros et possèdent un noyau boursouflé de couleur plus rose et non motté. Le cytoplasme est souvent, non plus incolore, mais occupé par des vacuoles optiquement vides ou des éléments phagocytés tels que des bactéries parfois nettement visibles. Les GNN dégénérés se lysent fréquemment et sont caractérisés par l’augmentation du nombre de noyaux nus sans cytoplasme autour. Des amas nécrotiques de filaments correspondant à de la chromatine déroulée, plus ou moins étalée, et se fragmentant sous la forme de fines gouttelettes sont également observés. L’affinité tinctoriale de l’ensemble de ces éléments est similaire à la couleur des noyaux de GNN dégénérés encore intègres (photo 5).

4. Lymphocytes

Les lymphocytes et plasmocytes sont fréquemment présents dans les épanchements. Les lymphocytes sont des cellules de petite taille, à fort rapport nucléo-cytoplasmique. Leur noyau est dense, la chromatine est souvent mottée, le cytoplasme est à peine visible et clair. Ils ressemblent aux lymphocytes présents dans le sang. Les lymphocytes blastiques sont des cellules plus jeunes possédant des critères caractéristiques des cellules lymphoïdes (cellules rondes, à noyau rond et à fort rapport nucléo-cytoplasmique) et des cellules jeunes (noyau à chromatine plus fine, nucléolé, et cytoplasme hyperbasophile). Les plasmocytes, cellules lymphoïdes B différenciées fabriquant les immunoglobulines, ressemblent aux lymphocytes, mais leur cytoplasme est plus abondant, hyperbasophile, et leur noyau est souvent excentré, bordé par une petite zone cytoplasmique décolorée à bord mal délimité appelé arcoplasme (photo 6).

5. Granulocytes éosinophiles

Les granulocytes éosinophiles (GNE) sont rares dans les épanchements. Ces cellules ont un noyau polylobé et leur cytoplasme est rempli de granulations spécifiques de couleur rose orangé (éosinophile). Chez le chien, les granulations sont rondes de taille différente, en nombre variable, et associées à des vacuoles optiquement vides. Chez le chat, les granulations sont nombreuses, assez petites et en forme de bâtonnets.

6. Mastocytes

Les mastocytes sont rares dans les épanchements. Ce sont des cellules rondes, à noyau rond central, à rapport nucléo-cytoplasmique moyen. Elles possèdent dans leur cytoplasme des granulations rondes homogènes, de petites tailles, nombreuses et fortement basophiles (d’un rouge violacé foncé) pouvant masquer le noyau (photo 7).

Étude analytique des différents types d’épanchements

1. Transsudat pur

Un transsudat pur est peu cellulaire et caractérisé cytologiquement par la présence de macrophages, de lymphocytes, de cellules mésothéliales et de GNN non dégénérés. Cette définition est à moduler en fonction du processus pathogénique à l’origine de la formation du transsudat (photos 8 et 9). Ainsi, par exemple, un transsudat pur chez un chien dû à une entéropathie exsudative secondaire à une infiltration éosinophilique de l’intestin grêle peut être caractérisé, en plus des cellules mentionnées précédemment, par la présence de GNE parfois en proportion importante.

2. Transsudats modifiés

Un transsudat modifié est caractérisé cytologiquement par la présence de macrophages, de cellules mésothéliales réactionnelles, de lymphocytes, d’hématies et de GNN non dégénérés. Les causes des transsudats modifiés étant très variées, leurs aspects macroscopique et cytologique le sont également. Notamment, lors de maladie chronique, les GNN peuvent être présents en nombre non négligeable, voire prédominants. Dans certains cas, des cellules cancéreuses peuvent être présentes mais se mêlent aux cellules mésothéliales, et sont parfois très difficiles à distinguer. Il convient alors de choisir une autre méthode diagnostique (imagerie par exemple).

3. Exsudats

Les exsudats se forment lors de l’augmentation de la perméabilité des vaisseaux en raison d’une inflammation et du passage actif des cellules inflammatoires vers le site de l’inflammation. Ils sont par conséquent très cellulaires. Ils peuvent être dus à des processus infectieux ou non infectieux irritatifs. Il s’agit des cholépéritoines, des uropéritoines, des pancréatites, de corps étrangers, de torsions d’organe (lobe pulmonaire ou hépatique, rate) et des processus nécrotiques intracavitaires (abcès, tumeur). Lors de processus non infectieux irritatif, les exsudats sont caractérisés par une prédominance de GNN peu ou pas dégénérés qui le deviennent lors de processus nécrotique. Dans les processus infectieux, les GNN sont majoritaires et dégénérés, et des bactéries libres ou phagocytées par les GNN peuvent être observées (photo 10). Certains exsudats peuvent être caractérisés par une prédominance de GNE. Ils peuvent être la conséquence d’une infestation parasitaire, d’une infiltration d’un organe dans le cadre, par exemple, d’une hypersensibilité ou d’une hyperéosinophilie paranéoplasique (mastocytome, lymphome). Cette dernière se définit comme l’augmentation des GNE en raison de la sécrétion de facteurs biochimiques attracteurs par les cellules néoplasiques.

4. Épanchements cancéreux

Les tumeurs peuvent provoquer de nombreux types d’épanchements. Les cellules tumorales ne sont pas présentes dans tous les cas. La cellularité est très variable. En effet, une tumeur peut induire la formation d’un transsudat, d’un épanchement hémorragique ou chyleux, ou d’un exsudat. Un épanchement est qualifié de cancéreux lorsque des cellules tumorales y sont identifiées. Celles-ci sont parfois très difficiles à différencier des cellules mésothéliales réactionnelles dont les atypies cytonucléaires peuvent mimer les critères cancéreux classiques. Les cellules cancéreuses retrouvées dans les épanchements sont issues de carcinomes, de tumeurs à cellules rondes (lymphome, mastocytome, histiocytose maligne) et, dans de rares cas, de sarcomes et de mésothéliomes.

• Les épanchements carcinomateux sont très fréquents. Ils sont caractérisés par la présence d’amas de cellules jointives dont les bordures cytoplasmiques sont bien délimitées et nettes. Pour différencier les cellules tumorales des cellules mésothéliales, il convient d’observer de nombreux critères de malignité : gigantisme cellulaire et nucléaire, anisocytose et anisocaryose marquées, nucléoles de grande taille et de forme irrégulière, plurinucléation, plurinucléolation, chromatine hétérogène, figures de mitose (photo 11). Il est également important d’observer la forme des amas qui peuvent reconstituer les glandes dont ils sont originaires et former tubes et acini irréguliers alors que les cellules mésothéliales s’organisent principalement en boules très régulières (photo 12).

• Les lymphomes sont les tumeurs à cellules rondes souvent à l’origine d’épanchement. Les lymphomes thymiques (fréquents chez les jeunes chats), hépatiques et digestifs entraînent parfois un épanchement thoracique ou abdominal, riche en cellules lymphomateuses. Celui-ci est alors caractérisé par la présence d’une population homogène de cellules lymphoïdes le plus souvent de grande taille et blastiques. Elles présentent, malgré leur caractère homogène, des atypies cytonucléaires éventuellement associées à un index mitotique élevé et des mitoses anormales. Cette description correspond aux cas les plus fréquents des lymphomes de haut grade de malignité (photo 13).

Les mastocytomes de la rate, du foie ou du tube digestif peuvent aussi induire des épanchements caractérisés par des mastocytes plus ou moins atypiques et souvent associés à un exsudat éosinophilique.

• Les mésothéliomes sont rares chez le chien et le chat, et difficiles à distinguer des carcinomes anaplasiques. Une analyse histologique et/ou l’avis d’un cytologiste averti sont nécessaires pour établir un diagnostic de certitude.

5. Épanchements particuliers

Lors de chylothorax, de nombreux petits lymphocytes sont observés, puis, plus tardivement, des GNN et des macrophages (cellules tumorales éventuellement) (photo 14).

Lors d’uropéritoine, des GNN sont majoritairement retrouvés tandis que, lors de cholépéritoine, les GNN sont aussi majoritaires mais associés à des macrophages gorgés d’éléments vert noirâtre.

Les liquides de péritonite infectieuse féline sont facilement identifiables grâce à une trame éosinophile ponctuée dans le fond du frottis sur laquelle sont présents des GNN non dégénérés et des macrophages (photo 15).

Les épanchements hémorragiques contiennent de nombreuses hématies, des macrophages phagocytant les hématies (images d’érythrophagocytose) ou des pigments noirâtres de fer (sidérophages) ou des pigments d’hématoïdine (métabolite de l’hémoglobine).

Les plaquettes sont absentes lorsque l’hémorragie n’est plus active (photo 16). Des cellules inflammatoires ou tumorales peuvent être présentes en fonction de l’origine de l’épanchement.

Étude synthétique des épanchements

La confrontation de l’aspect de l’épanchement, de son étude biologique (biochimie et cellularité) et de son analyse cytologique est essentielle pour établir un diagnostic avant la mise en place du traitement (tableau 2). Ainsi, après l’obtention du liquide et de son observation, des hypothèses peuvent être proposées et des analyses biologiques effectuées. Les résultats alors obtenus sont confrontés à l’examen cytologique qui va permettre de confirmer les hypothèses émises et, éventuellement, d’établir un diagnostic étiologique ou d’orienter vers des hypothèses et des examens complémentaires.

Par exemple, face à un épanchement séro-hémorragique, le clinicien peut suspecter un transsudat modifié ou un épanchement cancéreux. La mesure par réfractométrie des concentrations en protéines et cellulaires (si possible) peut renforcer ces hypothèses.

L’examen cytologique permet de confirmer de façon définitive un transudat modifié si les cellules observées sont un mélange de macrophages, de neutrophiles, de lymphocytes et de cellules mésothéliales, ou d’établir un diagnostic différent de celui d’épanchement cancéreux si, par exemple, des amas de cellules jointives de grande taille sont majoritaires avec des atypies cytonucléaires.

Lexique

– Anisocytose : différence de taille des cellules (diamètre cellulaire) au sein d’une même population.

– Anisocaryose : différence de taille des noyaux (diamètre nucléaire) au sein d’une même population cellulaire.

– Noyau pycnotique : résultat de la transformation du noyau cellulaire par condensation de sa chromatine ; il devient homogène et uniformément coloré. Ce phénomène serait dû à sa mort.

– Anaplasie : perte anormale de certains caractères de différenciation cellulaire.

POINTS FORTS

• La préparation méticuleuse des lames cytologiques ainsi que leur lecture méthodique sont les étapes préalables indispensables à toute étude analytique cytologique d’un épanchement.

• La connaissance des différentes populations cellulaires observées dans un épanchement est nécessaire pour pouvoir identifier les populations cellulaires prédominantes.

• Les épanchements sont classés en transsudat pur ou modifié, en exsudat, en épanchement cancéreux ou particulier, en fonction de leur cellularité, de leur analyse cytologique, et des analyses biochimiques effectuées.

• Les tumeurs (principalement carcinome, lymphome) peuvent provoquer des épanchements très variés selon leur mode de formation.

• Certains épanchements, aux caractéristiques cytologiques et/ou biochimiques particulières, sont faciles à identifier : chylothorax, uropéritoine, cholépéritoine, épanchement de péritonite infectieuse féline, épanchements sanguins.

EN SAVOIR PLUS

– Rick L. Cowell, Ronald D. Tyler, James H. Meinkoth. Diagnostic cytology and hematology of the dog and cat. 3rd ed. Mosby. 2008 : 235-255.

– Rose E. Raskin, Denny J. Meyer. Atlas of canine and feline cytology. 1st ed. Saunders. 2001 : 187-205.

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