Prise en charge d’un chylothorax chez un chien - Le Point Vétérinaire n° 295 du 01/05/2009
Le Point Vétérinaire n° 295 du 01/05/2009

Médecine interne canine

Pratique

CAS CLINIQUE

Auteur(s) : Laurencie Brunel*, Alexandre Deturck**

Fonctions :
*Unité de chirurgie
Département des animaux de compagnie
Faculté de médecine vétérinaire
Bd de Colonster 20, B44
4000 Liège, Belgique
**Clinique vétérinaire
994, avenue de la République
59700 Marcq-en-Barœul

Le chylothorax est une accumulation de chyle dans l’espace pleural. La symptomatologie parfois fruste et l’installation lente des signes cliniques conduisent souvent à un diagnostic tardif.

Un chien croisé mâle de 4 ans est présenté en consultation pour un abattement marqué et une toux persistante depuis 2 semaines. Une dyspnée inspiratoire est survenue la veille. Aucun antécédent de traumatisme n’est signalé.

Cas clinique

1. Examen clinique et hypothèses diagnostiques

Le chien présente une dyspnée inspiratoire et une tachypnée (136 battements par minute). À l’auscultation thoracique, les bruits cardiaques sont assourdis. Aucun souffle n’est audible, la fréquence cardiaque est de 136 battements par minute et le pouls est frappé et synchrone.

2. Hypothèses diagnostiques

La présence d’une dyspnée inspiratoire associée à un assourdissement des bruits cardiaques évoque une affection de l’espace pleural, compatible avec un épanchement pleural (transsudat, pyothorax, exsudat aseptique, hémothorax, chylothorax, épanchement tumoral), une masse médiastinale ou une hernie diaphragmatique. L’étouffement des bruits cardiaques doit également conduire à suspecter un épanchement péricardique. Ce dernier peut être à l’origine d’une dyspnée inspiratoire secondaire à un transsudat dû à une insuffisance cardiaque congestive.

Afin d’explorer ces hypothèses, des clichés radiographiques thoraciques sont effectués. Une opacification de densité liquidienne, qui masque en partie la silhouette cardiaque, des scissures interlobaires, ainsi qu’un décollement des poumons et du cœur de la cage thoracique sont visualisés (photos 1 et 2). Ces signes radiographiques sont caractéristiques de la présence d’un épanchement pleural. Les hypothèses de hernie diaphragmatique, de masse médiastinale et d’épanchement péricardique ne peuvent être immédiatement écartées en raison de l’effet masquant du liquide d’épanchement.

L’animal ne présente pas de détresse respiratoire marquée. Des examens échographique thoracique et échocardiographique peuvent donc être réalisés avant la ponction du liquide d’épanchement. Aucune masse thoracique ni aucune torsion lobaire n’est mise en évidence. L’examen du cœur et du péricarde ne montre aucune anomalie.

Du liquide pleural est ponctionné afin de faciliter la compliance pulmonaire de l’animal. L’objectif n’est pas de drainer tout le liquide, et seulement 150 ml sont retirés (choix empirique). Le liquide ponctionné a un aspect laiteux, couleur caractéristique du chylothorax. Afin de confirmer la nature de l’épanchement, une fraction est envoyée au laboratoire pour une analyse cytologique, biochimique, et une culture bactériologique. L’ensemble de ces résultats est compatible avec un chylothorax (tableau).

En raison de l’absence de masse médiastinale craniale ou de masse comprimant le canal thoracique visible, de torsion d’un lobe pulmonaire, de cardiopathie ou d’antécédent traumatique, un diagnostic de chylothorax idiopathique est établi.

3. Traitement

Traitement médical

Un traitement médical est intenté en première intention. Il consiste en la distribution d’une alimentation à faible teneur en matières grasses (diminution de la quantité de chyle et de sa teneur en triglycérides et en cholestérol) et en la prescription de troxérutine (Troxérutine Merck®(1), 50 mg/kg, 3 fois par jour per os), qui aide à réduire la teneur en protéines de l’épanchement par stimulation de l’activité des macrophages. Cela permet d’augmenter la résorption de l’épanchement et de limiter la fibrose pleurale.

En raison de l’absence d’amélioration après 15 jours de traitement et des thoracocentèses répétées pour soulager l’animal, une prise en charge chirurgicale (ligature du canal thoracique associée à une péricardiectomie partielle) est décidée.

Traitement chirurgical

Après induction anesthésique (morphine, Morphine Aguettant®(1), 0,1 mg/kg par voie intramusculaire ; diazépam, Valium Roche®(1), 0,3 mg/kg par voie intraveineuse ; propofol, Rapinovet®, 4 mg/kg par voie intraveineuse), le chien est placé en décubitus latéral gauche. Une laparotomie paracostale permet l’isolement d’un nœud lymphatique mésentérique. Du bleu de méthylène (0,5 mg/kg d’une solution à 1 %) est injecté dans le système lymphatique via le nœud lymphatique mésentérique afin de visualiser le canal thoracique (photo 3). Une thoracotomie intercostale caudale (9e espace intercostal), à droite, est réalisée et 1 l de chyle est aspiré. Une fois coloré et repéré, le canal thoracique est ligaturé avec du fil de soie décimale 3 (photos 4 et 5). Une seconde thoracotomie droite, plus craniale (4e espace intercostal), est effectuée pour améliorer la visualisation du cœur pour la péricardiectomie. Une incision en “T” du sac péricardique de la base à l’apex du cœur et qui longe la base ventralement au nerf phrénique est réalisée. L’incision est étendue circonférentiellement à la base du cœur afin de découper une fenêtre suffisante de péricarde. L’excision de toute la portion péricardique ventrale au nerf n’est pas nécessaire. Une médiastinite est observée. Elle est secondaire à l’accumulation chronique de chyle. Un drain thoracique est préplacé les deux sites de thoracotomie et l’incision paracostale sont suturés, puis le vide pleural est réalisé à l’aide du drain (photo 6).

Des injections de morphine (Morphine Aguettant®(1), 0,1 mg/kg par voie sous-cutanée toutes les 4 heures) relayées par l’application topique d’un patch de fentanyl (Durogesic®(1), 50 µg/h, soit 5 µg/kg/h) assurent l’analgésie postopératoire.

La quantité de liquide aspirée passe de 50 ml/kg/j à 2 ml/kg/j en 3 jours. Le drain est alors retiré (photo 7). L’animal est rendu à ses propriétaires après 4 jours d’hospitalisation, en conservant une alimentation à faible teneur en graisses. En revanche, l’administration de troxérutine est interrompue car elle n’a pas montré d’efficacité. Lors du dernier contrôle 6 mois après l’intervention, l’état clinique du chien est satisfaisant. Celui-ci meurt un an après l’opération des suites d’un accident de la voie publique.

Discussion

Le canal thoracique provient de la citerne chyleuse et se vide dans la veine brachio-céphalique à l’entrée du thorax (figure). Toute maladie qui réduit ou empêche l’écoulement de chyle dans le canal thoracique ou qui fait obstacle à sa vidange dans la veine brachio-céphalique augmente la pression dans les canaux lymphatiques, ce qui conduit à l’extravasation de chyle. Les mécanismes précis de l’accumulation de chyle dans l’espace pleural ne sont pas connus, mais ils résultent d’un échec dans l’équilibre entre production et clairance [7].

Ce cas illustre l’installation lente et fruste des signes cliniques. La toux est souvent le premier (parfois le seul) signe clinique. Elle s’accompagne d’une intolérance à l’effort, d’une perte de poids, puis d’une tachypnée et d’une dyspnée inspiratoire ou restrictive lorsque l’épanchement pleural gêne la compliance pulmonaire.

1. Démarche diagnostique

Le diagnostic différentiel du chylothorax puis la détermination de la cause imposent une série d’examens complémentaires précis : examens radiographiques, échographiques thoracique et cardiaque, analyses cytologique, bactériologique et biochimique du liquide d’épanchement, comparaison des taux de cholestérol et de triglycérides dans l’épanchement et dans le sérum (encadré). Cette démarche permet surtout de faire la distinction entre un chylothorax et un pseudochylothorax [2].

Le pseudochylothorax se différencie par une teneur en triglycérides plus faible que celle du plasma et une teneur en cholestérol plus élevée. Il est très rare en médecine vétérinaire et peut se rencontrer lors de tuberculose.

Si une cause sous-jacente est mise en évidence, elle doit être traitée. Cela permet souvent d’obtenir à la résorption de l’épanchement chyleux (peut prendre plusieurs mois). Dans la plupart des cas, la cause demeure non identifiée et le chylothorax est qualifié d’idiopathique.

2. Plan thérapeutique

Le premier traitement en urgence est la thoracocentèse pour arrêter la dyspnée. Dans le cadre du chylothorax idiopathique, le traitement médical doit être tenté en première intention car, d’une part, une rémission spontanée est possible et, d’autre part, les résultats du traitement chirurgical ne sont pas toujours satisfaisants (technique de référence non établie, importance de l’expérience de l’équipe chirurgicale). Une diète à teneur réduite en matières grasses et l’administration de troxérutine per os, à la dose de 50 mg/kg 3 fois par jour, ont été prescrites en première intention. Néanmoins, l’efficacité de la troxérutine, molécule utilisée dans le traitement des lymphœdèmes chez l’homme, doit être validée. Sa durée d’utilisation avant l’obtention de résultat est parfois longue, supérieure à un mois de traitement. En raison de l’action inflammatoire du chyle sur la plèvre, qui peut générer à terme une pleurésie fibrosante, les corticostéroïdes à dose anti-inflammatoire peuvent être indiqués [7].

Dans le cas présenté, en raison de l’échec du traitement médical (utilisé sur une courte durée car des thoracocentèses trop fréquentes étaient nécessaires) et en l’absence de cause identifiée, le traitement chirurgical est conseillé. Diverses techniques chirurgicales sont décrites. La ligature du canal thoracique associée à la péricardiectomie est actuellement la technique qui offre les meilleurs résultats, avec un succès de 100 % chez 10 chiens dans l’étude de Fossum et coll. et de 88 % chez 8 chiens dans l’étude de Hayashi [3, 4]. Chez certains animaux, le péricarde est épaissi, résultat d’une inflammation chronique par le chyle. Cet épaississement conduit à une élévation de la pression veineuse systémique, ce qui gêne le drainage du chyle dans la veine cave craniale et augmente ainsi le flux lymphatique dans le canal thoracique. L’omentalisation thoracique, en complément de la technique précédente, permet le drainage de chyle résiduel. En effet, le passage d’omentum dans la cavité thoracique craniale à travers le diaphragme joue le rôle de drain physiologique [8].

Bien que non effectuée dans le cas décrit, la lymphangiographie pré- et postopératoire est intéressante. Elle permet la visualisation du nombre de branches du canal thoracique à ligaturer et la confirmation de leur ligature, ce qui prévient les récidives précoces [3, 5]. Un cathéter est introduit dans un vaisseau lymphatique mésentérique (geste peu aisé chez les animaux de petit format), puis un produit de contraste iodé (iohexol par exemple) est injecté. L’injection peut également être réalisée dans le nœud lymphatique poplité, mais la qualité de la lymphangiographie est alors plus aléatoire [1].

Un colorant comme le bleu de méthylène ou l’ingestion préopératoire d’un repas très riche en graisses facilite la visualisation du canal en phase peropératoire.

Parfois, une pleurésie fibrosante empêche le déploiement pulmonaire malgré l’absence d’épanchement. Sa présence conduit à décortiquer la fibrine pour décoller les lobes pulmonaires [3].

D’autres options chirurgicales sont aussi proposées. La ligature du canal thoracique seule a un taux de succès de seulement 50 % [3]. L’ablation de la citerne chylifère associée à la ligature du canal thoracique est une technique récente, dont les premiers résultats sont intéressants [6]. Elle vise à interrompre le drainage de chyle dans le canal thoracique, par formation d’anastomoses lymphatico-veineuses à l’intérieur de la cavité abdominale. L’exérèse complète de la citerne chylifère pourrait résoudre le chylothorax. Cependant, la ligature du canal thoracique serait une protection supplémentaire à la non-détection de vaisseaux lymphatiques abdominaux, qui restent connectés à la citerne chylifère craniale et qui sont responsables de l’accumulation persistante de chyle dans le canal thoracique [6].

De nombreuses modalités de traitement du chylothorax idiopathique sont décrites. En cas d’échec du traitement médical, la ligature du canal thoracique associée à la péricardiectomie est actuellement le traitement chirurgical de référence. L’omentalisation de la cavité thoracique en complément de la technique précédente est judicieuse. L’ablation de la citerne chylifère paraît prometteuse. Cependant, plusieurs évaluations rétrospectives sont nécessaires.

  • (1) Médicament humain.

Références

  • 1 – Enwiller TM, Radlinsky MG, Mason DE, Roush JK. Popliteal and mesenteric lymph node injection with methylene blue for coloration of the thoracic duct in dogs. Vet. Surg. 2003;32(4):359-364.
  • 2 – Fossum TW. Chylothorax. In : Fossum T. Small Animal Surgery. 2nd ed. éd. Mosby, Saint-Louis. 2002:805-812.
  • 3 – Fossum TW, Mertens MM, Miller MW et coll. Thoracic duct ligation and pericardiectomy for treatment of idiopathic chylothorax. J. Vet. Intern. Med. 2004;18(3):307-310.
  • 4 – Hayashi K, Sicard G, Gellasch K et coll. Cisterna chyli ablation with thoracic duct ligation for chylothorax : results in eight dogs. Vet. Surg. 2005;34(5):519-523.
  • 5 – Hodges CC, Fossum T, Komkov A. Lymphoscintigraphic evaluation of the thoracic duct in the canine. Vet. Surg. 1990;19(1):68.
  • 6 – Sicard GK, Waller KR, McAnulty JF. The effect of cisterna ablation combined with thoracic duct ligation on abdominal lymphatic drainage. Vet. Surg. 2005;34(3):64-70.
  • 7 – Sturgess K. Diagnosis and management of chylothorax in dogs and cats. In Pract. 2001;23(9):506-513.
  • 8 – Williams JM, Nyles JD. Use of omentum as a physiologic drain for treatment of chylothorax in a dog. Vet. Surg. 1999;28(1):61-65.

POINTS FORTS

• Les signes cliniques lors de chylothorax sont souvent frustes et l’évolution est lente.

• Le traitement de la cause sous-jacente, si elle existe, permet souvent la résolution du chylothorax.

• Le traitement médical du chylothorax idiopathique doit toujours être intenté avant le traitement chirurgical.

• L’association ligature du canal thoracique et péricardiectomie est le meilleur traitement chirurgical du chylothorax idiopathique.

Encadré : Causes possibles de chylothorax

• Cardiopathie

– cardiopathie congestive

– épanchement péricardique, péricardite

– pleurésie constrictive

• Obstruction du canal thoracique

– intraluminale (néoplasie, granulome fungique)

– extraluminale (augmentation de la pression intrathoracique)

• Rupture traumatique du canal thoracique (rare)

• Masse médiatinale craniale (thymome, lymphome, tumeurs de la base de l’aorte, etc.)

• Torsion de lobe pulmonaire

• Hernie diaphragmatique ou péritonéo-péricardique

• Malformation congénitale du canal thoracique (lévrier afghan, shiba inu)

• Idiopathique (cas le plus fréquent)

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