La péritonite infectieuse féline en questions - Le Point Vétérinaire n° 293 du 01/03/2009
Le Point Vétérinaire n° 293 du 01/03/2009

Maladies infectieuses félines

Mise à jour

AVIS D’EXPERTS

Auteur(s) : Anne-Claire Chappuis-Gagnon*, Luc Chabanne**, Diane Addie***

Fonctions :
*Clinique vétérinaire
47, avenue Valioud
69110 Sainte-Foy-lès-Lyon
**Service de médecine interne
ENV de Lyon, 1, avenue Bourgelat
69280 Marcy-L’Étoile
***Feline Institute Pyrenees
Maison Zabal, 64470 Etchebar
www.catvirus.com

Il n’existe pas de test simple pour diagnostiquer avec certitude une péritonite infectieuse féline. Il convient donc de multiplier les examens complémentaires selon la forme clinique suspectée.

La péritonite infectieuse féline (PIF) se définit comme une polysérite, c’est-à-dire une inflammation des séreuses de type pyogranulomateuse, due à l’action pathogène d’un coronavirus félin (FCoV), responsable de lésions de vascularite (atteinte des endothéliums vasculaires) et, selon les formes cliniques, d’épanchements séreux (forme humide typique, avec notamment un épanchement abdominal) ou de pyogranulomes à la surface des séreuses (plèvre, péritoine, mésentère) et au sein de divers tissus (encéphale, rate, foie, reins et/ou poumons) (photos 1 et 2).

Bien qu’elle soit due à l’action pathogène d’un virus, la PIF apparaît souvent à la suite d’un stress lors de :

- sevrage ;

- changement de propriétaire ;

- visite chez le vétérinaire pour une vaccination ou une intervention de convenance ;

- surpopulation, laquelle peut se concevoir à partir de deux individus pour certains chats.

La majorité des chats atteints de PIF ont souvent moins d’un an.

De plus, une susceptibilité d’ordre génétique est fortement suspectée, car certaines races ou lignées (persans, bengals, birmans, par exemple) sont plus souvent atteintes.

Quand suspecter une PIF chez un chat de particulier ?

Anne-Claire Chappuis-Gagnon : Il convient de suspecter une PIF dans tous les tableaux cliniques qui associent, en phase préclinique, des états léthargiques en alternance avec des périodes normales, puis une hyperthermie, une anorexie, une perte de poids, de l’ictère, des signes respiratoires, oculaires et/ou nerveux avec une baisse de forme patente.

La dichotomie habituelle entre formes humide (avec épanchements pleuraux ou abdominaux) et sèche n’est pas, dans la pratique, toujours aussi nette.

Quand suspecter une PIF chez un chat qui vit en collectivité ?

Diane Addie et Anne-Claire Chappuis-Gagnon : En plus des signes cliniques décrits ci-dessus, des troubles de la reproduction peuvent être observés :

- chatons ayant déjà présenté des diarrhées qui, au moment de la primovaccination, sont de poids très différents ;

- de façon beaucoup plus exceptionnelle, des mâles reproducteurs qui présentent des orchites.

Quel est le diagnostic différentiel en fonction de l’expression clinique de la maladie ?

ACCG : Dans les formes respiratoires avec épanchement pleural, il convient d’envisager un lymphome, une co-infection au FeLV (surtout chez les jeunes chats), un pyothorax, une cardiomyopathie, une tuberculose et un traumatisme avec hernie diaphragmatique.

Pour les formes dites humides, avec épanchement abdominal, certaines néoplasies hépatiques et cholangio-hépatites peuvent avoir des expressions cliniques similaires et doivent donc faire partie des hypothèses diagnostiques.

Dans les formes sèches, les signes cliniques dépendent de l’organe préférentiellement atteint : foie, œil, rein, système nerveux central (photo 3). Ne peuvent donc être exclus cliniquement la toxoplasmose (sérologie des anticorps toxoplasmose ou diagnostic thérapeutique avec la clindamycine), l’infection par le FIV, les néoplasies, les otites moyennes et aussi, quoique exceptionnelles, la carence en thiamine et la rage.

Quels sont les examens de laboratoire à réaliser et comment les interpréter ?

DA, LC et ACCG : En cas d’épanchement, le recueil du liquide et son analyse sont à mettre en œuvre. Le liquide d’épanchement lors de PIF est souvent citrin à ambré, visqueux ; il est pauvre en cellules, très riche en protéines (en général le taux en protéines est supérieur à 35 g/l) et coagule à l’air libre, comme du blanc d’œuf. Sa ponction nécessite par conséquent une aiguille de diamètre 21 G, voire 20 G.

Une analyse biochimique sanguine permet de mesurer les paramètres hépatiques (généralement normaux sauf la bilirubine totale), les taux d’albumine et de protéines totales pour l’évaluation du rapport albumine/globulines. Celui-ci est un bon indicateur de PIF s’il est inférieur à 0,8 et encore plus s’il est inférieur à 0,4.

Le dosage de la glycoprotéine acide alpha1 (AGP) n’est pas spécifique de l’infection par le coronavirus (cette protéine ne signe qu’une infection ou une inflammation), mais, associé à d’autres résultats, il conforte la suspicion clinique et permet de distinguer la PIF d’une cardiomyopathie ou d’une tumeur(1).

Dans la forme sèche, la formule sanguine met souvent en évidence une neutrophilie accompagnée d’une lymphopénie.

En France, trois types de tests sérologiques de technologie différente sont disponibles :

- un test d’immunomigration rapide (RIM) à utiliser en consultation (Speed® F-Corona) ;

- un test (Elisa) (FCoV Immunocomb®) ;

- des tests de titrage des anticorps anti-FCoV par immunofluorescence indirecte (IFA) proposés par plusieurs laboratoires (encadré).

Tous les chats sains ou malades peuvent présenter des anticorps anticoronavirus entériques non pathogènes ou des anticorps anti-FCoV. La seule présence d’anticorps anti-FCoV ne constitue pas à elle seule un diagnostic de PIF.

Cependant, un test négatif permet d’éliminer l’hypothèse d’une PIF. Les chats atteints ont, généralement, des taux en anticorps très élevés, même si, exceptionnellement, des titres bas, voire un résultat négatif avec un test RIM (les anticorps étant alors séquestrés sous forme de complexes immuns) peuvent être mis en évidence chez un chat qui présente une PIF humide. Dans un tel cas de figure, la confirmation est obtenue avec une reverse transcriptase polymerasse chain reaction (RT-PCR), ou un test Elisa ou en IFA dont les réactifs sont vraisemblablement capables de séparer le virus des anticorps, les libérant des complexes immuns. Aux États-Unis (Universités de Davis et Cornell) et dans certaines unités de recherche (Italie), des analyses immunohistochimiques spécifiques peuvent être réalisées sur des échantillons de tissus atteints [4].

Quelle est la valeur diagnostique des tests sérologiques rapides ?

DA, LC et ACCG : La sensibilité et la spécificité de ces tests vis-à-vis du coronavirus félin sont très bonnes, mais ces examens ne peuvent déterminer si l’agent pathogène en cause est hautement virulent ou non, donc s’il est responsable de la PIF (tableau 1).

En effectif (refuge), il n’est pas envisageable d’euthanasier des populations de chats à partir de tests sérologiques rapides.

Fred Scott et Niels Pedersen, éminents spécialistes de la PIF, déplorent que ces tests aient tué plus de chats que le virus de la PIF lui-même. Il convient de ne pas s’en remettre trop vite à des tests rapides.

Quels échantillons doivent être prélevés chez un chat malade pour effectuer une RT-PCR ?

DA, LC et ACCG : Seuls des résultats positifs sur le sang (le virus de la PIF se multiplie dans les macrophages) ou l’épanchement sont indicateurs d’une PIF, mais ce n’est pas toujours le cas (qualité de conservation du prélèvement, sondes PCR inadaptées).

Une PCR positive à partir d’un échantillon obtenu par cytoponction à l’aiguille d’un organe (autre que le tube digestif) atteint est également spécifique.

Une RT-PCR sur les fèces d’un chat malade peut être positive en raison d’une co-infection avec des coronavirus entériques courants et un test négatif n’exclut pas pour autant la PIF. Les échantillons à analyser par PCR, recueillis dans des tubes en verre, peuvent être à l’origine de faux négatifs, car l’ARN est très fragile et se colle sur le verre. Les tubes plastiques sont donc à préférer.

Réaliser un dépistage par PCR présente-t-il un intérêt chez un animal sain ?

DA : Chez un chat sain, le dépistage sanguin par PCR n’est pas informatif, alors qu’une sérologie renseigne sur l’état immunitaire par rapport au coronavirus.

Un dépistage unique sur les fèces par RT-PCR a un intérêt seulement chez des reproducteurs avant la saillie, lors de l’introduction d’un nouveau chat dans une collectivité ou avant une chirurgie de convenance.

Un titre inférieur à 10 indique que le stress lié à l’anesthésie, à l’intervention chirurgicale, etc., n’est pas préjudiciable au chat.

Dans toutes les autres situations, un seul dépistage sur des selles par PCR quantitative est sans valeur.

La plupart des chats excrètent le coronavirus dans leurs selles, souvent en faible quantité. Une cinétique sur un effectif dans lequel des cas de PIF ont été diagnostiqués peut être intéressante (évaluation de la charge virale et du risque), en réalisant quatre prélèvements successifs à quelques semaines d’intervalle.

Il existe une bonne corrélation entre les titres d’anticorps et l’excrétion virale fécale.

Une semaine après la contamination par le coronavirus, l’excrétion virale fécale atteint des taux plus élevés chez des chatons que chez des chats adultes, pendant une période de deux à dix mois, puis trois schémas d’excrétion sont décrits : persistance de l’excrétion à des taux variables, excrétion intermittente à chaque réinfection ou absence totale d’excrétion. Une réinfection ne change rien à ces profils d’excrétion.

Comment s’effectuent la prévention et la prophylaxie sanitaire ?

ACCG et DA : C’est dans les bacs à litière que s’effectue principalement la transmission. En se toilettant, les chats peuvent aussi se contaminer en ingérant le coronavirus par accident, mais les pelles à litière, les mains, voire les chaussures, contaminées par la litière, peuvent aussi être une source de contamination. La désinfection doit être rigoureuse.

Bien que le coronavirus soit un virus enveloppé, il résiste dans le milieu extérieur. En revanche, il est sensible et détruit par les désinfectants usuels (eau de Javel, Bétadine®, Lysol®, alcool méthylique).

Dans les structures vétérinaires, les chatteries ou les refuges, il est primordial que chaque chat soit considéré à la fois comme indemne (donc à protéger par une hygiène irréprochable) et comme potentiellement infecté (limiter les contacts avec les autres chats).

Dans les élevages, il existe deux options :

- tenter d’éradiquer le virus ;

- ou simplement protéger les chatons en les isolant du groupe dès la naissance avec leur mère, puis en les séparant de celle-ci à cinq à six semaines d’âge (au moment de la disparition des anticorps d’origine maternelle) jusqu’à leur départ de l’élevage.

Si un sevrage précoce n’est pas souhaité, il convient de limiter le nombre de chats vivant ensemble (ce qui réduit le stress), de changer très régulièrement la litière en retirant les déjections chaque jour et de pratiquer une stricte quarantaine lors de toute introduction d’un nouveau chat. Le sang des chats est analysé tous les deux à trois mois à la recherche d’anticorps FCoV et les fèces sont testées chaque mois par RT-PCR.

Une fois l’élevage devenu indemne de FCoV, les sérologies sont effectuées annuellement et avant l’introduction de nouveaux chats ou lors des saillies.

Un vaccin est-il à l’étude ?

ACCG : Un vaccin est disponible aux États-Unis pour lequel des phénomènes d’exacerbation sont démontrés (les chats vaccinés sont plus sensibles que les chats non vaccinés en situation expérimentale) [3]. Ce vaccin n’est pas autorisé en France. Des candidats vaccins ont été mis au point par deux équipes indépendantes (à Utrecht, aux Pays-Bas, et au Japon) sur la base des nouvelles connaissances du génome (délétion sur le gène 3 et, dans une moindre mesure, sur le gène 7), mais, pour l’instant, aucun développement industriel n’existe [1].

Les interférons ont-ils un intérêt chez le chat malade, chez les félins ayant été en contact avec un chat malade, et ont-ils une action différente selon la forme clinique ?

Luc Chabanne : À ce jour, aucun essai contrôlé n’a pu démontrer l’efficacité d’un traitement contre la PIF. Des essais préliminaires japonais utilisant l’interféron félin ω avaient permis de fonder de grands espoirs sur cette molécule innovante, à la fois antivirale et immunomodulatrice [2]. Ces résultats n’ont pas été confirmés lors d’un essai contrôlé effectué à plus large échelle [5]. Néanmoins, dans la mesure où la pathogénie de cette maladie reste complexe et incomplètement élucidée, où il s’agit d’une maladie grave dont l’issue est fatale et où il n’existe aucun autre traitement reconnu comme efficace à ce jour, l’interféron félin ω demeure une option thérapeutique recommandée par certains spécialistes, dont Danielle Gunn-Moore et Diane Addie (tableau 2 et photo 4). De tels protocoles continuent d’être appliqués sur le terrain dans plusieurs pays, avec des résultats annoncés comme prometteurs, mais qui demandent encore à être vérifiés et évalués. D’un point de vue déontologique et dans le cadre de l’obligation de moyens du praticien face à ce type de maladie, l’interféron reste une option thérapeutique.

Un chat qui déclare une PIF humide peut-il transmettre une forme clinique de la maladie ?

ACCG : Un chat malade cliniquement n’est plus excréteur du coronavirus qui a muté (et qui se trouve essentiellement présent dans ses macrophages) ; il n’est donc pas considéré comme directement contagieux. En revanche, il peut excréter des coronavirus entéritiques courants, lesquels peuvent muter à tout moment chez un autre chat. C’est pourquoi, dans certaines chatteries, des pseudo-épidémies sont observées, avec des chats qui développent une PIF au même moment, en raison de la forte circulation du coronavirus dans ces élevages et de l’exposition de façon concomitante à des facteurs prédisposants (stress, surpeuplement, etc.).

L’analyse génétique de chaque coronavirus responsable d’une PIF montre qu’ils sont tous différents (avec une mutation intervenant sur le gène 3). Le liquide d’épanchement d’un chat atteint de PIF, riche en complexes anticorps-virus, peut, s’il est injecté par voie intra-abdominale ou intraveineuse (toutes voies iatrogènes), contaminer le chat receveur, qui va développer alors une PIF.

  • (1) AGP supérieur à 1 500 µg/ml en cas de PIF.

Références

  • 1 - Hohdatsu T, Yamato H, Ohkawa T et coll. Vaccine efficacy of a cell lysate with recombinant baculovirus - expressed feline infectious peritonitis (FiP) virus nucleocapsid protein against progression of FiP. Vet.Microbiol. 2003;97:31-44.
  • 2 - Ishida T, Shibanai A, Tanaka S et coll. Use of recombinant féline interferon and glucocorticoid in the treatment of féline infectious peritonitis. J. Feline Med. Surg. 2004;6(2):107-109.
  • 3 - Patel JR, Heldens JG.Review of companion animal viral diseases and immunoprophylaxis.Vaccine. 2009;27(4):491-504.
  • 4 - Paltrinieri S, Grieco V, Comazzi S et coll.Laboratory profiles in cats with different pathological and immunohistochemical findings due to feline infectious peritonitis (FiP). J.FelineMed. Surg. 2001;3(3):149-159.
  • 5 - Ritz S, Egberink H, Hartmann K. Effect of féline interferon-omega on the survival time and quality of life of cats with féline infectious peritonitis. J. Vet. Med. Intern. Med. 2007;21(6):1193-1197.

Encadré : Indications de mise en œuvre des tests de dépistage des anticorps FCoV en clientèle

1- Suspicion de diagnostic clinique de péritonite infectieuse féline (PIF).

2- Dépistage préalable à un événement stressant (celui-ci pouvant déclencher la PIF).

3- Chat ayant été en contact avec un chat mort de PIF.

4- Dépistage préalable à une saillie pour un reproducteur.

5- Dépistage du FCoV en collectivité (maison avec plusieurs chats).

6- Dépistage du FCoV préalable à l’introduction d’un chat au sein d’une collectivité indemne de FCoV.

D’après D. Addie.

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