“Profilage” sanguin d’un cheptel laitier en surmortalité - Le Point Vétérinaire n° 290 du 01/11/2008
Le Point Vétérinaire n° 290 du 01/11/2008

Maladies parasitaires et analyses sanguines

Pratique

CAS CLINIQUE

Auteur(s) : Gaël Gounot

Fonctions : SCP Fouque, Gounot,
Le Normand, Le Page
81, boulevard Edmond-Roussin
35300 Fougères

Surmortalité, boiteries et anomalies sanguines sont observées conjointement à la circulation d’Anaplasma phagocytophilum, de Babesia divergens et de Borrelia burgdorferi.

Le bilan sanitaire obligatoire dans chaque élevage depuis 2007 peut mettre en évidence des situations sanitaires dégradées occultes à l’ère de l’automédication non contrôlée dans les cheptels. Reste à savoir réagir et proposer un service face à une anomalie observée à l’échelle d’un troupeau. Le cas présenté dans cet article part d’un événement relativement classique : une surmortalité chez les adultes. Il a conduit à suivre la piste sinueuse de trois hémopathogènes, mais pas seulement.

Il s’agit d’un cas particulier d’approche globale en élevage (logement, alimentation, parasitisme, infections, etc), pragmatique, tout en étant raisonnée et approfondie à des fins expérimentales (multiplicité des analyses sanguines). Son exposé a pour objectif de susciter la discussion, sachant que, selon J.-J. Lambin, « ce qui n’est pas assez nouveau ni surprenant ennuie, ce qui l’est trop déroute ».

Cas clinique

Le 5 mars 2006, nous sommes sollicités par un éleveur car son bilan comptable a révélé que cinq vaches laitières sont mortes depuis le 29 avril 2005, soit 8 % de perte annuelle (sur 60 vaches laitières au total). Au cours de nos investigations, une sixième vache meurt et une septième est saisie à l’abattoir en juin 2006 (tableau 1).

1. Anamnèse et commémoratifs

Présentation de l’élevage : deux sites

Les 50 normandes et 10 prim’holstein en lactation de l’élevage sont logées dans un unique bâtiment à logettes datant de 1998 (dont le nombre est suffisant et les dimensions adéquates). En plus de la salle de traite (à deux fois huit postes, par l’arrière), cette bâtisse comporte le local des veaux non sevrés. Les vêlages sont étalés dans l’année. Les nullipares et les taurillons sont transférés après sevrage sur un autre site à 1 km, dans un bâtiment suffisamment spacieux, sur une aire paillée, ou dans les pâtures qui l’entourent.

Hormis l’herbe pâturée, l’alimentation est à base de fourrages, conservés puis distribués par une mélangeuse-peseuse automotrice : ensilages de maïs (en quantité variable selon la pousse de l’herbe, régulièrement analysé) et d’herbe (la ration est légèrement excédentaire en matière azotée) (photo 1).

Historique sanitaire : des boiteries à bas bruit

• Depuis une dizaine d’années, les vaches adultes sont régulièrement affectées de toux en été. Des larves de dictyocaules étant présentes dans les fèces en 1998 (méthode Baerman), des traitements spécifiques ont été instaurés, mais pas toujours régulièrement appliqués.

• Dans cet élevage, la maladie des muqueuses (BVD-MD) a été diagnostiquée en 1999 à la suite de la découverte d’un bovin infecté permanent immunotolérant (IPI) âgé de six mois, avec des congénères séropositifs, dans un contexte de troubles respiratoires chez les veaux (20 morts) et de troubles de la fertilité chez les vaches. Les IPI ont été dépistés et éliminés, et toutes les femelles âgées de plus de six mois ont été vaccinées.

• En mai 2005, les minéraux et oligo-éléments sont dosés chez six vaches adultes à la suite de quelques boiteries que l’éleveur qualifie d’“incurables”. Ce dernier n’a pas souhaité d’examen clinique pour ces animaux, ayant géré par l’automédication un épisode de panaris survenu quelques années auparavant. Notre intervention curative a été demandée pour quelques cas sporadiques de boiterie impliquant généralement les jarrets et d’issue variable (de la guérison en une semaine à l’euthanasie), mais les boiteries n’ont pas constitué jusqu’alors une préoccupation sanitaire majeure pour cet éleveur. Elles ont motivé l’achat de matelas pour les logettes, par souci de bien-être. L’incidence des boiteries a alors diminué temporairement, mais elles ont continué à représenter une importante cause de réforme (situation relativement bien acceptée en race normande, critiquée pour ses aplombs défectueux).

• Parallèlement aux dosages de minéraux, et sur les conseils de Lionel Reisdorffer du laboratoire NBVC (69570 Dardilly), une circulation d’Anaplasma phagocytophilum est, dès cette date, mise en évidence pour la première fois dans l’élevage par immunofluorescence indirecte (IFI) réalisée au laboratoire départemental d’analyses des Côtes-d’Armor (LDA 22): quatre vaches sont séropositives sur les six testées (tableau 2 complémentaire sur www.WK-Vet.fr). Les quatre numérations et formules sanguines (NFS) effectuées alors conjointement sont peu significatives.

À la suite de ces premiers résultats sanguins, l’éleveur change de fournisseur de minéraux (la faillite de sa laiterie le préoccupe davantage que les boiteries).

2. Premiers “profilages” sanguins

En mars 2006, après la prise de conscience comptable par l’éleveur d’une surmortalité, nous proposons des recherches sanguines chez huit vaches prises au hasard, échantillonnées sur le seul critère du stade de lactation (deux en début, trois en milieu, et trois taries). Toutes sont encore en stabulation permanente à cette date, l’hiver ayant été long et rigoureux (de fin novembre à début avril).

Il ressort de ce “profilage” sanguin que certains taux de globulines sanguines sont augmentés, signe d’un état infectieux, avec une production massive d’anticorps (tableau 3a). Des neutrophilies et lymphopénies sont observées (tableau 3b).

Chez ces laitières en stabulation hivernale prolongée, de nouvelles recherches pour A. phagocytophilum s’avèrent toutefois négatives. Les bilans sanguins en macro- et en micro-éléments minéraux sont normaux.

En revanche, les urémies sont trop élevées (quel que soit le stade de gestation), ainsi que les taux de corps cétoniques (Β-hydroxybutyrate : B-OH), alors que les glycémies sont globalement basses. La ration mérite donc d’être examinée.

3. Analyse de la ration : pas d’explication

Aucune anomalie pouvant expliquer l’hyperurémie ne ressort du calcul de ration et de l’examen des modalités de sa distribution (tableau 4a).

Un paradoxe ressort toutefois : les taux de matière utile observés dans le lait sont classiquement ceux d’une ration hyperénergétique (tableau 4b complémentaire sur www.WK-Vet.fr).

4. Ehrlichiose : statu quo

• En l’absence d’autre piste et pour approfondir les anomalies sanguines sur les huit premières analyses (profilage), les numérations et les formules sanguines (NFS) sont étendues aux 64 bovins adultes de l’élevage début avril 2006 (tableau 5 complémentaire sur www.WK-Vet.fr).

La lymphopénie est retrouvée dans une large majorité des cas (55). Il existe une monocytose et une neutrophilie dans plus de la moitié des cas (respectivement 33 et 37) et une éosinophilie chez un tiers des bovins (22).

• Une nouvelle recherche pour Anaplasma phagocytophilum (IFI) chez huit bovins reste toutefois négative.

• Des tiques sont recherchées sur les 60 vaches adultes (en avril). Seules quatre sont trouvées.

5. Recherche de babésiose et de fasciolose

En juin 2006, à notre demande, une visite est réalisée par l’ENV de Nantes. L’interne qui la réalise souligne cliniquement :

- une prévalence élevée de lésions strictement podales (avec automédication) ;

- des troubles respiratoires de type toux de pâturage surtout chez les adultes (mais difficiles à quantifier chez les nullipares).

Aucun œuf de parasite n’est retrouvé dans les fèces des huit vaches prélevées.

Vingt vaches, toutes adultes, font l’objet de prélèvements de sang (tableau 6 complémentaire sur www.WK-Vet.fr) :

- deux sont positives pour Babesia divergens (IFI), et trois sont douteuses ;

- dix-huit sont positives pour Fasciola hepatica (Elisa de l’ENV de Nantes) et deux sont douteuses ;

- deux vaches sur les six soumises à des NFS présentent une éosinophilie, mais aucune inversion de formule n’est constatée (le rapport lymphocytes/ neutrophiles est toujours égal ou supérieur à 1).

Les recommandations de l’ENV de Nantes sont de :

1 - traiter contre la grande douve ;

2 - confirmer le diagnostic d’ehrlichiose ;

3 - (ré)évaluer le statut de l’élevage vis-à-vis de la borréliose (maladie de Lyme) et de la dictyo­caulose ;

4 - s’assurer de l’absence de facteurs de risque de panaris ;

5 - supplémenter la ration en biotine ;

6 - réduire le déficit énergétique en début de lactation.

L’éleveur traite tous ses animaux contre la grande douve en juillet 2006 (oxyclozanil : Zanil® à 10 mg/kg de poids vif per os).

6. Retour à la normale

Cinq NFS pratiquées en juillet 2006 révèlent un retour dans les valeurs de référence (tableau 7a complémentaire sur www.WK-Vet.fr). Un nouveau bilan coprologique chez trois bovins conclut à une faible quantité d’œufs de strongles digestifs dans les selles et à l’absence de larves de dictyocaules (tableau 7b complémentaire sur www.WK-Vet.fr).

7. Été 2006 : positivité pour l’ehrlichiose et la borréliose

• En août 2006, des anomalies sanguines réapparaissent : sept bovins sur 15 testés présentent une inversion de la formule sanguine (rapport neutrophiles/lymphocytes supérieur à 1), accompagnée d’une éosinophilie marquée pour cinq d’entre eux (tableau 8). La monocytose n’apparaît plus.

• Pour l’ehrlichiose, sept vaches vêlées sur les dix testées sont désormais positives, ainsi que quatre nullipares sur cinq (IFI au LDA 22).

• La borréliose est recherchée : les 15 résultats (cinq nullipares et dix adultes) sont positifs (majoritairement au titre 1/512 en IFI au LDA 87).

• Pour la grande douve, les cinq sérologies demandées chez des nullipares sont négatives, mais cette fois avec la technique Elisa Pourquier.

8. Traitement généralisé contre les hémopathogènes

En février 2007, une décision (difficile) de traitement généralisé est prise, pour tous les animaux sortis en pâture en 2006, à base :

- d’un piroplasmicide : imidocarbe (Carbesia®) par voie intramusculaire à dose forte préventive de 2,5 ml/100 kg à J0 ;

- d’un antibiotique actif sur les anaplasmes et Borrelia : oxytétracycline (Terramycine 100®, 10 mg/kg de poids vif par voie intramusculaire à J0, puis Terramycine LA®, 20 mg/kg à J1, J3 et J6).

Le temps d’attente lait (sept jours pour la Terramycine LA®) conduit à des pertes de production assumées par l’éleveur. Le groupement de défense sanitaire (GDS) prend en charge les frais vétérinaires.

9. Évolution à court terme : sursaut de production

Dans les deux jours qui suivent, les vaches sont apathiques et la production laitière chute de 70 %, puis l’ingestion reprend progressivement et la rumination s’améliore (hausse du temps de décubitus dans les logettes). Des phases de rumination sont observées par l’éleveur pour la première fois depuis de longs mois. La production laitière remonte rapidement, jusqu’à être supérieure à celle d’avant le traitement, sans modification de la ration, à tel point que l’éleveur doit tarir précocement quelques vaches pour ne pas dépasser son quota (en mars 2007). Les taux de matière utile dans le lait se maintiennent. Pour les comptages cellulaires dans le lait, l’élevage passe d’une situation bonne avant traitement (moins de 4 % des vaches au-dessus de 300000 cellules/ml de lait) à un bilan encore meilleur (toutes inférieures à 200 000 cellules/ml de lait).

L’incidence des boiteries diminue, ainsi que la fréquence des quintes de toux (évaluation subjective par l’éleveur).

10. À moyen terme : des boiteries “encadrées”

• Plus d’un an après le traitement, les vaches boiteuses incurables ont été réformées. En mars 2007, de rares nouveaux cas de boiteries sont constatés à la sortie en pâture. Les articulations moyennes et inférieures sont essentiellement touchées, d’après un examen clinique effectué avec l’intervention de Renaud Maillard de l’ENV d’Alfort (photos 2a, 2b et 2c, et film complémentaire sur www.WK-Vet.fr). Ces cas sont traités individuellement selon le même protocole antibiotique que celui prescrit à l’ensemble du troupeau. Le bilan sanitaire encadre désormais l’évolution du nombre de vaches boiteuses et les traitements de première intention mis en place.

• La toux est moins fréquente. La vermifugation (nématodicide) est plus rigoureuse qu’auparavant et vise tous les animaux (les vaches au tarissement, le prétroupeau et les primipares prêtes à vêler).

• Le rendement par vache et le rendement en veaux nés ou à vendre se sont accrus (davantage de lait et moins d’avortements : auparavant, il en survenait deux ou trois par an).

• Aucune vache laitière ne meurt entre février 2007 et mars 2008. Néanmoins, les boiteries reprennent progressivement, occasionnant une réforme en mars 2008 et une euthanasie (pour lésions podales) sur une vache récemment vêlée en mai 2008. Des cas sporadiques de boiteries sont actuellement toujours présents.

11. Suivi expérimental : positivité pour la borréliose réitérée

Un protocole de suivi global du troupeau et du prétroupeau a été instauré à partir du traitement généralisé. Destiné à approfondir la compréhension de la dynamique des hémoparasitoses constatées dans cet élevage, il comporte :

- un prélèvement de tiques dans les pâtures et chez les nullipares (pour PCR avec sondes multiples) ;

- des prises de sang tout au long de la saison de pâture chez des animaux sentinelles, c’est-à-dire sans traitement préventif vis-à-vis des tiques, d’avril 2007 à avril 2008 (à cette date, un traitement insecticide avec Butox® a été pratiqué dans le cadre de la lutte contre la fièvre catarrhale ovine). Sur ces prélèvements sont recherchées l’ehrlichiose, la babésiose et la maladie de Lyme (une quarantaine de prélèvements). Des sérologies positives sont obtenues pour la maladie de Lyme par exemple (13 sur 18 animaux) le 18 août 2008 (résultat préliminaire, données à paraître).

Pour ce suivi, un accord a été signé avec l’éleveur et une équipe de recherche, le cabinet vétérinaire assurant les prélèvements et le recueil des commémoratifs.

Discussion

1. Une surmortalité liée à plusieurs agents pathogènes ?

Dans cet élevage, la surmortalité pourrait être liée à une stimulation excessive du système immunitaire par de multiples agents pathogènes, sanguins notamment. Ceux-ci ont pu provoquer un effondrement de l’efficacité défensive du système immunitaire chez certains individus :

- une production excessive de globulines a été constatée initialement ;

- la circulation de trois agents pathogènes sanguins a été mise en évidence (indirectement par IFI) ;

- des sollicitations, variables, de diverses lignées de cellules sanguines ont été observées à la NFS.

L’effet délétère d’Anaplasma phagocytophilum sur le système immunitaire est bien établi (bactérie intracellulaire stricte des polynucléaires neutrophiles) [4]. Son association possible avec d’autres agents pathogènes sanguins l’est aussi [7, 10]. Parmi ces agents qualifiés alors d’intercurrents figure Babesia divergens, effectivement présente dans ce cas d’après les résultats de l’ENV de Nantes (toutefois sans babésiose clinique franche) [6]. Borrelia burgdorferi, agent de la maladie de Lyme moins connu en France, mais circulant également dans ce cas, est un autre agent pathogène intercurrent possible [7]. Les interactions hôtes-pathogènes pour ces différents agents sanguins sont complexes et encore incomplètement élucidées.

Le portage, souvent qualifié d’asymptomatique pour les hémopathogènes circulant dans ce cas, semble être une notion assez floue. La notion d’immunité acquise vient compliquer le diagnostic et les manifestations des maladies induites sont à prendre en compte. Une rupture de l’immunité (au vêlage par exemple : or, dans ce cas, les vêlages sont étalés toute l’année) peut être à l’origine d’une expression clinique, parfois désastreuse économiquement à l’échelle d’un cheptel.

Des manifestations cliniques associées aux circulations d’hémopathogènes semblent fréquentes, même si elles sont frustes et disparates. Des retombées hématologiques et en production sont à rechercher.

2. Des fluctuations sanguines déroutantes

Les résultats de NFS fluctuent, avec initialement des monocytoses inconstantes, des neutrophilies et des lymphopénies assez persistantes, mais aussi des éosinophilies (sur une partie du troupeau). Les franches inversions de formule sanguine constatées en août 2006 sont survenues après un épisode de retour à la normale.

Les cas historiques d’ehrlichiose cités par Joncour ont présenté une neutropénie et une lymphocytose, mais pas d’éosinophilie ni de monocytose [9, 10]. La bibliographie citée par cet auteur évoque néanmoins une monocytose, mais aussi une éosinopénie [9]. Pour notre part, nous avons constaté une éosinophilie dans un contexte de circulation d’Anaplasma phagocytophilum [8].

L’éosinophilie est une modification importante en parasitologie. Elle accompagne notamment l’évolution de nombreuses helminthoses [5].

L’étude de cas cliniques aigus d’ehrlichiose granulocytaire bovine conduite en France entre 2004 et 2005 a conclu à une dominante de lymphopénie, comme observé dans le cas décrit, et/ou de thrombocytopénie (près de 80 % des cas) [1].

Rechercher une circulation d’Anaplasma phagocytophilum pouvait donc être justifié après les premiers profils sanguins (dix vaches), mais privilégier cette seule hypothèse est assez empirique. De plus, nous nous sommes heurtés au phénomène de fluctuation des résultats en IFI, le moment des prélèvements sanguins étant peut-être mal choisi au regard de la méthode utilisée (période de stabulation prolongée sans contact avec le vecteur). Les statuts sur la borréliose, explorés en seconde intention, paraissent à ce titre plus tranchés (encadré 1).

3. Une carence de signes d’appel

Les symptômes qui servent de signes d’appel de la circulation d’Anaplasma phagocytophilum, hypothèse pourtant privilégiée, ne sont pas ou peu constatés dans cet élevage : seules quelques toux d’été sans larves de dictyocaules sont observées [2, 11]. Toutefois, aucun épisode d’hyperthermie n’a été avéré, ni aucun œdème franc des paturons [2, 3, 9]. Le motif d’appel est une surmortalité. Ce contexte évoque celui dont témoigne Guy Joncour : « Les diagnostics d’ehrlichiose s’effectuent souvent après maints tâtonnements et investigations diverses dans un climat de tension bien compréhensible de l’éleveur » [9]. Ce même auteur souligne également en 2003 n’avoir jamais constaté de mortalité directe avec Anaplasma phagocytophilum, fait pourtant rapporté dans plusieurs publications [9].

En Scandinavie, une simple baisse de consommation du complément de production chez des vaches en pâture avec hyperthermie motive une recherche d’Anaplasma phagocytophilum [3]. En France, Joncour insiste sur la chute de production laitière (jusqu’à 50 %), souvent irréversible parmi les signes d’appel d’infection par cet agent pathogène [9].

Pour la maladie de Lyme, « [les signes] ne sont pas pathognomoniques et ne suffisent pas à [en] faire une entité nosologique », selon Renaud Maillard et Henri-Jean Boulouis [12].

Cette borréliose pourrait toutefois avoir joué un rôle majeur dans la surmortalité et la persistance des boiteries : en août 2008, les résultats préliminaires attestent encore d’une séropositivité pour la maladie de Lyme, alors même que les boiteries sont réapparues. Une atteinte rhumatologique est le signe d’appel le plus constant de cette maladie, avec des anomalies de la démarche et des atteintes articulaires, telles que celles observées cliniquement en 2007 [12].

Contre la borréliose, des traitements antibiotiques longs sont requis (tétracyclines mais aussi pénicillines, pendant 15 à 30 jours) [12]. Ils n’ont pas été réalisés dans le cas présenté, car ils sont incompatibles avec les impératifs de production (résidus). Après un traitement antibiotique généralisé mais court, les boiteries ont disparu, puis sont réapparues, impliquant objectivement les articulations moyennes et inférieures alors qu’un doute lésionnel était possible auparavant en raison des carences de l’examen clinique dans cet élevage (automédication).

S’il est difficile in fine de déterminer quel facteur a été le plus prévalent dans les troubles sanitaires observés dans ce cas (mortalité, boiteries), la solution thérapeutique proposée a permis d’améliorer la situation sanitaire et la marge économique. Les tétracyclines sont efficaces vis-à-vis d’A. phagocytophilum et de la borréliose de Lyme (traitement au long cours), et aussi contre les agents spirochètes régulièrement mis en évidence dans les lésions podales, dont les panaris, également présents dans ce cas (ENV de Nantes) [3, 7, 12].

4. Un biotope équivoque

Dans ce cas, le biotope oriente peu vers les maladies vectorielles : celui des adultes n’est pas particulièrement favorable aux tiques (pas de taillis ni de bois). Cependant, quatre tiques ont été retrouvées chez des vaches en avril. Les pâtures des nullipares sont entourées de bois, mais aucun signe évocateur d’ehrlichiose n’est rapporté à ces âges (ayant pu suggérer que la primo-infestation s’effectue à cette période). La surveillance de ces tranches d’âge est assez relâchée (site d’élevage secondaire à 1 km du lieu de traite des adultes).

5. “Profilage” contre résignation et mécontentement

L’idée de dresser des profils biochimiques et sanguins “ouverts” a été émise, devant la disparité des quelques signes présents dans l’historique (boiteries, toux d’été) et la résignation clinique de l’éleveur pour les épisodes de boiteries (avec historique d’automédication). Le “profilage” sanguin nous a donné satisfaction par le passé dans deux élevages [8].

Il a été initialement mis en œuvre chez dix animaux choisis au hasard, selon un protocole empirique mais raisonné. Il a ensuite été élargi en accord avec le LDA d’Ille-et-Vilaine (LDA 35) car des anomalies ont été observées, et les autres pistes menaient à une impasse (bâtiment neuf, logettes dans les normes, ration non explicative, etc.). L’approche est alors surtout expérimentale, destinée à éclairer notre abord diagnostique futur.

6. D’autres “malfaiteurs” ?

D’autres parasites tels que la grande douve (Elisa ENV de Nantes) peuvent avoir joué un rôle dans ce cas (éosinophilie). Celle-ci nous semble toutefois secondaire. La place physiopathologique de ces parasites reste plus difficile à établir en raison des difficultés rencontrées pour intensifier les examens cliniques et appréhender les résultats sérologiques (encadré 2).

Face au retour des boiteries en 2008, il convient de s’interroger sur le statut de l’élevage vis-à-vis de la fièvre catarrhale ovine (FCO) à cette date. Toutefois, le premier cas clinique officiel de FCO en Ille-et-Vilaine est postérieur au retour des boiteries dans cet élevage (8 août 2008), et les lésions observées dans les foyers de FCO confirmés dans notre clientèle n’évoquent pas celles constatées dans le cas décrit (implication des articulations moyennes observée in fine).

Il conviendrait en définitive d’avoir une approche moins pasteurienne face aux hémopathogènes en particulier et en médecine vétérinaire de troupeau en général. Un tableau clinique donné est en effet la résultante de plusieurs facteurs et agents pathogènes dans un grand nombre de cas. L’esprit de synthèse du vétérinaire est alors particulièrement requis. C’est à lui que revient la décision thérapeutique, dans des contextes complexes comme celui-ci, aggravés par les difficultés d’investigation cliniques. En l’état actuel des connaissances, toute circulation d’hémopathogène doit être prudemment située par rapport au contexte global (ration, autres parasitoses telles que la fasciolose ou la dictyocaulose, etc.).

POINTS FORTS

• Hyperthermie, œdème des paturons, chute de lait n’ont pas été constatés dans cet élevage, mais une lymphopénie “généralisée” pouvait évoquer, notamment, l’ehrlichiose.

• Babesia divergens, pathogène “intercurrent”, circule sans signes cliniques dans cet élevage.

• Au milieu de quelques positifs pour Anaplasma phagocytophilum, les résultats se sont révélés négatifs début avril 2006 après plusieurs mois en stabulation, sans contact avec le vecteur.

• Contre la borréliose, des traitements antibiotiques longs sont requis (tétracyclines, mais aussi pénicillines, pendant 15 à 30jours), difficiles à mettre en œuvre en pratique.

• En août 2008, les résultats préliminaires attestent encore d’une séropositivité pour la maladie de Lyme, et les boiteries sont réapparues.

Encadré 1 : Interprétations des immunofluorescences indirectes

• Entre des périodes de résultats partiellement positifs pour Anaplasma phagocytophilum (mai 2005 et août 2006), ces derniers se révèlent négatifs début avril 2006 pour les huit animaux testés. Toutefois, à cette date, les animaux sont en stabulation permanente depuis plusieurs mois, donc sans contact avec le vecteur. Or pour A. phagocytophilum, l’immunofluorescence indirecte (IFI) permet un diagnostic à partir de deux à trois semaines après l’infection, mais pas au-delà de quatre mois [13]. Peu sensible individuellement, cette méthode reste à privilégier pour un diagnostic de troupeau, car elle est spécifique et plus sensible que les techniques directes traditionnelles [9].

• Pour la borréliose, la recherche a été effectuée en seconde intention en août 2006 et le suivi en août 2008 a confirmé une positivité massive. Pour cette maladie, les IgG recherchées traditionnellement par IFI apparaissent en un à trois mois, mais peuvent persister des années [12].

Encadré 2 : Fasciolose, une parasitose secondaire dans ce cas

Les résultats sérologiques positifs pour la douvechez les adultes prélevés le 1er juin 2006 par l’ENV de Nantes sont surprenants (18 adultes sur 20) (tableau 9 complémentaire sur www. WK-Vet.fr).

Aucune trace de grande douve n’a été remarquée à l’équarrissage (inspection classique après chaque épisode de mortalité, avec quelques coupes de foie seulement), ni à l’abattoir. Aucun signe clinique n’évoque dans ce cas une puissante infestation dans le troupeau (amaigrissement, œdèmes cachectiques, etc.). Le biotope est favorable à l’hôte intermédiaire (limnée) sur le site des nullipares, mais les résultats sérologiques sont tous négatifs le 6 septembre 2006 chez les jeunes vaches, avec une autre méthode de dépistage sanguin (kit Pourquier).

Des analyses sérologiques dites de référence ont donc été réalisées le 25 septembre 2006 à l’ENV de Toulouse, avec un kit de diagnostic utilisé en médecine humaine (Distomatose Fumouze®), chez des adultes. Onze des 18 vaches prélevées (toutes déjà testées par l’ENV de Nantes) sont positives, mais seulement au 1/80e, ce qui n’est pas significatif. Un nouveau test a donc été pratiqué le 9 octobre au LDA de la Manche, avec en parallèle des kits Elisa Pourquier (négatifs dans neuf cas sur dix) et des kits Fumouze® (tous négatifs).

« Dans tous les cas, il est nécessaire d’intégrer l’ensemble des données cliniques, épidémiologiques et biologiques avant d’établir le diagnostic final », indique la notice du kit Fumouze®. Dès lors, la fasciolose n’est pas à notre sens une parasitose majeure dans cet élevage, y compris et surtout cliniquement.

Remerciements aux Drs Renaud Maillard et Guy Joncour, à l’Union régionale des groupements techniques vétérinaires de Bretagne, au LDA 35 et au LVD 87.

Références

  • 1 - Achard D, Joncour G. Étude nationale sur les cas cliniques aigus d’ehrlichiose granulocytaire bovine. Synthèse des résultats. Consultable en ligne : http://www.zoopole.com/fr/formations/urgtv2003/doc/NFS_Biochimie_EGB.pdf
  • 2 - Argenté G, Collin E, Morvan H. Ehrlichiose bovine (fièvre des pâtures) : une observation en France. Point Vét. 1992;24(144):89-90.
  • 3 - Bjöersdorff A. A phagocytophilum en scandinavie. Colloque européen francophone. Ispaia Zoopole Saint-Brieuc-Ploufragan, Côtes-d’Armor France. 2003:42.
  • 4 - Brouqui P. Ehrlichiose à Anaplasma phagocytophilum en France et en Europe. Colloque européen francophone. Ispaia Zoopole Saint-Brieuc-Ploufragan, Côtes-d’Armor, France. 2003:49.
  • 5 - Bussiéras J, Chermette R. Parasitologie vétérinaire : parasitologie générale. Ed. Service parasitologie ENVA Maisons Alfort. 1991:45.
  • 6 - Devos J. Comprendre les babésioses (bovines) pour mieux les gérer. Point Vét. 2008;35(290):16-17.
  • 7 - Euzéby J. Anaplasma phagocytophilum. Dans : Dictionnaire de bactériologie vétérinaire. Créé le 07 décembre 2001, dernière modification : 18 janvier 2002. http://www.bacterio.cict.fr/bacdico/aa/phagocytophila.html
  • 8 - Gounot G. Hémoparasitoses dans un troupeau “à cellules”. Point Vét. 2004;33(248):58-63.
  • 9 - Joncour G. Le diagnostic clinique de l’ehrlichiose bovine. Colloque européen francophone. Ispaia Zoopole Saint-Brieuc-Ploufragan, Côtes-d’Armor, France. 2003:50-53.
  • 10 - Joncour G. Ehrlichiose et Anaplasmose associées dans un troupeau recomposé. Semaine Vét. 1999;941:30.
  • 11 - Leboeuf C. Le dictyocaule n’est pas systématique lors de “toux d’été”. Point Vét. 2004;(245):10-11.
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